- LND 2022 - Juillet
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L’une se pâme, l’autre éructe. Deux façons de voir un musée… par Claude Marmounier
Elle :
Mes pas m’emmènent rue Fesch. En somnambule. En passant devant le portail du musée, je suis comme attirée. Aspirée serait plus juste. À cause de ma dernière visite, vécue dans cette douce sérénité où tout semble fait pour durer. La retrouver serait un apaisement. J’entre dans la vaste esplanade marbrée et le parallélisme des fines lignes géométriques qui tranche avec l’imposante masse de pierre rappelle mon admiration pour ces majestueux bâtiments garants, depuis des siècles, des Arts et de la Culture. J’oublie ma réalité et me sens, un instant, protégée. Être apai-sée, c’est tout ce que je demande. Mon cœur veut s’arrêter. Mon corps me lâche. Depuis mes or-teils grippés, mes jambes tremblantes peinent à le supporter, mon dos noueux se raidi et les la-borieux va et vient de ma poitrine appellent un air pollué qui irriguent mes veines au ralenti. Je suis encore debout. Vacillante, mais debout. Dans le soleil de midi. Mes yeux s’embuent soudain quand un spasme violent secoue ma carcasse chancelante et à travers le prisme déformant de mes larmes, je vois mon ombre se détacher de mon corps malade. Elle m’abandonne. Elle rampe péniblement vers le mur le plus proche, s’agrippe à la façade, progresse de fenêtres en balcons, parvient au toit, se redresse, hésitante, s’approche du vide, plus près, plus près encore...
« Madame, madame ! Ça va ? madame ? Vous vous êtes fait mal ? »
Des bras me relèvent, des mains me soutiennent, me font assoir. On m’apporte un verre d’eau. Je reprends conscience.
« Ce n’est rien... merci... merci... c’est passé... merci ».
Lui :
Mes pas m’emmènent rue Fesch. En somnambule. En passant devant le portail du musée, je suis comme attiré. Aspiré serait plus juste. À cause de ma dernière visite, vécue en mode beauf. C’était ma signature. Comme je me déteste aujourd’hui dans ces postures idiotes que j’ai tenues sans souci du ridicule. C’était avant. J’entre dans la vaste esplanade marbrée et le parallélisme des fines lignes géométriques qui tranche avec l’imposante masse de pierre me saute aux yeux. Je prends conscience, tout à coup, de ce qu’il a fallu d’imagination créatrice, de compétences, d’esprit de responsabilité pour donner vie à ce majestueux bâtiment garant, depuis des siècles des Arts et de la Culture. Ainsi, debout, dans le soleil de midi, je décrète que l’heure de ma repen-tance à sonné. L’appel palpite dans mon cœur, résonne dans mon corps depuis mes jambes soli-dement agrippées au sol, mes muscles saillants sous la chemise. Le vent frais de cette matinée entre dans ma poitrine au rythme rapide de va et vient enivrants. Je me rachète en cherchant le souvenir d’un tableau qui m’avait marqué, ému, au point de m’éloigner pour cacher mon trouble aux visiteurs. Mystère de la mémoire qui se plait à oublier pour mieux réapparaître à son désir... C’est gagné. Mes yeux s’embuent et à travers le prisme déformant de mes larmes, je vois mon ombre se détacher de moi, bondir jusqu’à la façade, sauter de fenêtres en balcons, atteindre le toit d’un dernier élan, faire son show de droite et de gauche, tourner, gesticuler, occuper tout l’espace, entonner un air délirant à tue-tête...
« Monsieur, monsieur ! S’il vous plait ! Monsieur ! Arrêtez ! Arrêtez ! »
Des bras m’empoignent, des mains me bâillonnent, on me pousse vers la sortie !
« Ok ! Ok ! Ça va ! Oh là là... c’est bon... j’vous souhaite d’être heureux... »
Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel.
Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.
La troisième proposition à laquelle le présent texte souscrit était :
« La cour du Palais Fesch, vue par un homme heureux puis par une femme malheureuse. »
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