Alice Boulloud - Diptyque

  

Ombre et lumière dans la cour du Palais Fesch. Deux tableaux pour un même décor. Par Alice Boulloud

 

  

Diptyque

 

1

Dimanche. Le sol est encore humidifié par la pluie de la nuit passée. Ce n’est pas rare qu’il se promène dans cette rue piétonne mais, ce matin, c’est comme s’il la découvrait pour la première fois.

Son sourire, figé sur le visage et preuve de la nuit de bonheur qu’il venait de passer, guidait ses pas jusqu’à le conduire sur les marches d’une entrée d’immeuble. En temps normal, il n’aurait jamais eu l’idée de s’y arrêter mais, ce matin, c’est comme une évidence. Il décida de s’asseoir là et de contempler le spectacle : la rue était presque déserte, les commerces fermés... Et pourtant, devant les portes closes du musée, il eut l’impression de le visiter.

Assis là, sur ces marches accueillantes, il découvrit d’abord la présence d’un flocon sur le sol, et de deux plus petits, comme pour lui rappeler que, désormais, ils seront trois pour la vie ! C’est incroyable comme certaines choses happent votre regard à un moment précis et pas à un autre.

Son attention se porta ensuite sur les pavés devant l’entrée. Tous brillaient sous les rayons du soleil qui transperçaient la brume de nuage. Chacun était entrelacé par de l’herbe, marquant ainsi leur jointure. C’est alors que son regard se leva devant les flèches dorées et majestueuses qui trônaient fièrement au sommet de chacune des tiges d’une grille vieillissante.

À l’intérieur, de beaux pavés nus d’herbes volages cette fois. Trois corps de bâtiments disposés autour d’une cour centrale, de grandes portes aux toits arrondis au rez-de-chaussée et trois étages qui en paraissaient le double, avec l’angle de vue offert par son siège atypique.

Dans cette cour, sur la gauche, l’alignement parfait des palmiers lui sauta aux yeux. Il leur prêta un air de haie d’honneur avec cette arche formée de lianes. Le soleil caressait en particulier cette partie de la cour et les murs du musée ne lui avaient jamais paru si jaunes.

Sur la droite, la chapelle impériale. Moins élevée que le corps principal, elle n’en demeure pas moins essentielle à l’harmonie du tout. Elle donne au palais une grâce particulière. Il ne devine que le haut de sa voûte et reste pourtant un moment à l’admirer avec ses délicats liserés couleur ocre.

En face de lui, du troisième avec balcon jusqu’au premier étage, des fenêtres à carreaux et deux banderoles imposantes qui se déroulent en toute élégance. On pouvait y lire : « NAPOLEON. LEGENDE. 2 juillet 4 octobre 2021 ». Il se rappela cette période, pas tellement éloignée, qui lui semblait pourtant si loin en ce doux matin. « Il est temps d’y aller », se dit-il, et il donna un dernier coup d’œil en balayant du regard ce palais majestueux qu’il n’avait jamais si bien regardé dans le détail.

En se décalant du pilier droit de la grille qui clôt le palais, il redécouvrit le célèbre Joseph Fesch, de bronze vêtu et dominant la cour intérieure du haut de ses huit mètres. Le socle sur lequel il repose et les marches qui le forment lui donnent vraiment fière allure.

Le bar d’à côté indique « Passe le temps » sur sa devanture. Se laisser aller à la poésie d’un endroit, d’un instant, pensa-t-il, quelle douce manière que de passer son temps.

  

2

Dimanche. Le sol est encore humidifié par la pluie de la nuit passée. Ce n’est pas rare qu’elle se promène dans cette rue piétonne mais, ce matin, elle n’y prend pas autant de plaisir.

Sa mine, grisée par la nuit passée, n’est que le reflet de la nonchalance avec laquelle ses pas la conduisent sur les marches d’une entrée d’immeuble. En temps normal, elle n’aurait jamais eu l’idée de s’y arrêter mais, ce matin, elle se fiche bien de ce que l’on peut penser. La rue était presque déserte de toute façon et les commerces et musée fermés.

Assise là, sur ces marches austères, elle remarqua de suite que le pilier juste en face d’elle lui gâchait la vue de la statue du cardinal Fesch qu’elle connaissait si bien. Cette grille fermée, ce pilier se dressant hostilement devant elle, les rares passants qui traversent sans bruit et sans regard ainsi que le temps si maussade viennent amèrement lui rappeler sa solitude.

Devant l’entrée, des pavés abandonnés à mère nature se juxtaposent bizarrement les uns près des autres comme si la terre elle-même les avait poussés hors du sol. C’est alors que son regard se leva devant une grille vieillissante. « Un coup de peinture ne serait pas du luxe », pensa-t-elle. Et le graffiti sur un des piliers lui donnait bien raison.

À l’intérieur, au-delà̀ de la grille fermée, trois corps de bâtiments disposés autour d’une cour centrale. Le soleil, qui perçait le ciel nuageux, laissait apparaitre de vilaines coulures altérant la façade de l’aile gauche. Au pied du bâtiment, un alignement de palmier et une haie de lianes ternes.

Aile sud. La chapelle impériale. Moins élevée que le corps principal, elle est pourtant au premier plan avec un filet vert sur son pan de gauche. Des travaux semblent en cours. Assise sur ses marches, elle devine à peine la voûte qui, d’ordinaire, donne au palais une grâce toute particulière. Aujourd’hui, elle est plus happée par les arbres plantés à ses pieds, qu’elle trouve décidément bien trop petit pour honorer cet édifice.

Et juste en face d’elle, du troisième avec balcon jusqu’au premier étage, des fenêtres à carreaux et deux banderoles imposantes qui semblent se jeter par la fenêtre dans un cri de désespoir. On pouvait y lire : « NAPOLEON. LEGENDE. 2 juillet 4 octobre 2021 ». Elle s’étonna de ce manque de rigueur. En effet, nous n’étions plus du tout à cette période et il n’en fallut pas plus pour la décider à partir de son point de surveillance.

En se décalant du pilier droit de la grille qui clôt le palais, elle redécouvrit le célèbre Joseph Fesch et sa fière allure malgré la façade derrière lui dont les coulées, à chaque fenêtre, laissée vraiment à désirer. Finalement, le soleil qui commençait à trop percer mettait tous ces fâcheux détails en lumière.

Le bar d’à côté indique « Passe le temps » sur sa devanture. « Découvrir les plus horribles détails d’un palais qui, jusque-là̀, me semblait sublime, quelle douloureuse manière que de passer son temps », pensa-t-elle en s’en allant.

  

 

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La troisième proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« La cour du Palais Fesch, vue par un homme heureux puis par une femme malheureuse. »  

    

 

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