Florian Galinat - Dans le bus entre Limoges et Guéret

 

« Oui, il y a des trucs incohérents ». Comment le dire mieux ? Une étrange histoire de motards dans un bus, par Florian Galinat.

 

Dans le bus entre Limoges et Guéret

 

Deux hommes assis à l’avant du bus. L’un est Lorrain avec un visage anguleux sur lequel roulent de gros yeux bleus, l’autre de Guéret est rondouillard avec des airs de Gustave Kervern. Le bus quitte la gare Limoges-Bénédictins à 13h09. Il traversera la campagne pour rejoindre Guéret où il arrivera à  15 heures. Le ciel est d’un bleu pur et la campagne dorée d’un soleil d’automne.

L’un. — Après mon divorce j’ai perdu 35 kilos, les plaques que j’ai aujourd’hui sur le visage sont liées à mon stress. 

L’autre. — Je n’ai jamais eu de problème de santé mais plutôt des problèmes avec les flics à cause de mes dix-huit ans d’alcool. Les flics aujourd’hui sont des arts martiaux. Ce ne sont plus des petits bonhommes comme avant. 

L’un. — Moi un jour j’ai mis un coup de poing à une fliquette.

L’autre. —J’ai arrêté de boire lorsque mon fils est né il y a vingt ans. Un jour j’ai mangé avec mon fils et dans le placard de la cuisine il y avait des panachés, je n’en ai pas bu un. Un copain à moi s’est fait gracier le 16 Juillet sous Chirac.

L’un. —J’étais à Neuvic et pour deux grammes d’alcool j’ai pris deux mois par le tribunal de Périgueux.

L’autre, en s’adressant à la conductrice du bus. — Madame j’ai perdu quatorze euros, car il n’y a pas eu de contrôle des billets au départ du bus. 

L’un. — Moi j’ai voté Mitterrand pour faire chier mon père. 

L’autre. —La première fois que j’ai voté c’était pour Macron. Mitterrand n’était pas si mal car le paquet de cigarettes était à huit francs.

L’un. — Je paye mes trente grammes de tabac 15 euros.

L’autre. — L’essence est chère aujourd’hui. Picoty un milliardaire du coin achète du pétrole pour la France.

L’un. — Moi j’ai travaillé pour BP. 

L’autre. — Ah oui BP.

L’un. — Pour payer l’ensemble de ses employés, BP vend l’essence 1% plus chère que ses concurrents. Une année le baril était à plus de 100 dollars ce n’est pas pour ça que l’essence était aussi chère qu’aujourd’hui.

L’autre. — Tu as vu le gagnant d’Euromillions. Un jour c’est un boucher qui avait gagné. Il est mort peu de temps après car il faisait n’importe quoi avec son argent. 

L’un. — Moi avant j’étais dans la comptabilité. 

L’autre. — Ah oui la comptabilité.

L’un. — Deux cent millions placés à 8% ça fait 500 000 euros par mois.  

Un homme se rapproche de la conductrice du bus. Son français est difficilement compréhensible. Il a un accent de l’Est. Il s’est trompé de billet. Il doit aller à Brive-la-Gaillarde. L’autre cherche aussi à lui expliquer son erreur.

L’autre. — C’est bizarre, il va à Brive-la-Gaillarde mais son billet indique Guéret. Ils n’ont pas dû comprendre au guichet à Limoges. 

L’un, en s’adressant à la conductrice du bus. — Vous pourrez me laisser au stop de Saint-Sulpice-Laurière ?

La conductrice du bus, un peu agacée. — Non Monsieur je ne peux pas. C’est de ma responsabilité de vous laisser aux arrêts prévus. S’il y a un problème c’est pour ma pomme. La vie est assez dure comme ça, j’ai des enfants à nourrir. 

L’un, insistant. — Ce n’est pas que vous ne pouvez pas, c’est que vous ne voulez pas.

À l’arrêt d’Ambazac, une femme métisse attend le bus avec une valise qu’elle place dans la soute avec l’aide de la conductrice du bus. L’homme à l’accent de l’Est descend pour prendre un bus dans l’autre sens direction Brive-la-Gaillarde.

L’un, ayant attendu que la conductrice du bus descende. — C’est une mal-baisée !

La conductrice, en remontant dans son bus. — C’est dur de se faire comprendre par les clients étrangers.

L’autre. — Si j’avais su je n’aurai pas payé mon billet car il n’y a pas eu de contrôle. Je prends souvent le bus, ça me promène. La vie est chère.

La conductrice du bus. — De nos jours, 20 euros ce n’est pas rien.

L’autre. — Surtout pour vous Madame avec vos enfants.

La conductrice du bus. — Aujourd’hui, les enfants veulent beaucoup de choses comme les portables. 

L’autre, en passant devant le cabinet du Docteur Soulat. — Le Docteur Soulat me faisait des piqûres tous les mois pour éviter que je rentre en cellule à la Jonchère-Saint-Maurice. Il fumait la pipe.

L’un. — Moi j’ai été interdit de département à cause de l’alcool.

L’autre. — J’avais un ami qui a été interdit à Guéret. En Creuse, on n’emmerde pas la Creuse. 

Le bus arrive à Saint-Sulpice-Laurière. Il passe le stop et arrive à la gare pour déposer l’un. Les deux compères se saluent. 

L’autre. — Saint-Sulpice c’est bien car il y a la Poste et une pharmacie. Moi le confinement je l’ai mal vécu comme si j’avais un bracelet à la cheville.

La conductrice du bus. — Il y a plus malheureux que nous il ne faut pas oublier.

L’autre. — Le rayon de un kilomètre, c’était une abrutissité !

La conductrice du bus. — Le confinement m’a permis de couper de mes journées s’étalant de 4h30 du matin à 19 heures. 

L’autre. — Dans le TER, on ne demande pas le Pass sanitaire. Il y a des trucs à la con quand même. C’est comme l’histoire de ne pas parler dans le métro. Pour rechercher le type dans les Cévennes qui avait tué ses patrons dans la scierie, la France a fait déplacer des hélicos et des chars de guerre. Ça a dû couter un fric fou alors que certains malades du Covid à un moment on les transportait par train.

La conductrice du bus. — Oui, il y a des trucs incohérents.

L’autre. — Puis il y a Trump. Il ne voulait pas partir. J’ai regardé jusqu’au moment où il monte dans l’avion. 

La conductrice du bus. — Dommage que les Guignols n’existent plus. 

L’autre. — Les Guignols c’était bien. Si Biden meurt Trump revient, c’est un collabo. Vous avez vu Merkel, elle part. Elle a fait de belles voitures tout de même et puis l’Allemagne c’est une ville propre. 

La conductrice du bus. — L’Allemagne c’est une autre mentalité.

L’autre. — Oui, c’est une autre moralité. 

La conductrice du bus. — On verra dans six mois avec les élections présidentielles. Je ne sais pas si je vais voter.

L’autre. — Il faut déclarer votre choix. Avant je ne votais pas. Macron il n’a pas eu de chance avec les gilets jaunes et le Covid.

La conductrice du bus. — Qu’est-ce qui vous a motivé à aller voter ?

L’autre. — Un bon ami qui est recta.

La conductrice du bus. — Macron va nous coûter cher avec sa retraite présidentielle. La vie est de plus en plus dure. 

L’autre. — C’est la technologie qui est dure. Moi je suis un peu dans le médical, je suis un accidenté de la Vie. 

La conductrice du bus, prudente. — C’est ça.

L’autre. — Dans la vie, il faut de la volonté et du courage. Il faut avoir le déclic de la volonté. Autour de moi, j’ai des personnes qui sont décédées, d’autres sont mariées et travaillent. J’ai un ami qui est plus costaud que moi. Il pourrait faire bûcheron, mais il boit. Il avait une copine et ils se sont quittés. Il avait des enfants, mais ils se sont quittés aussi.

Devant le bus, un rapace traverse le ciel. L’autre l’a vu.

La conductrice du bus, un peu ailleurs. — C’est dur, c’est sûr.

L’autre. — Ça fait douze ans que je suis dans une association à Guéret un peu comme les alcooliques anonymes. On se serre les coudes mais ça a changé de président et entre les présidents ils se font la guerre. 

La conductrice du bus. — C’est souvent comme ça. 

En passant à Bénévent-l’Abbaye, l’autre repère une belle maison à côté du cimetière qu’il n’aimerait pas habiter. La conductrice du bus indique que la route s’appelle l’allée des allongés. 

La conductrice du bus. — C’est un temps à faire de la moto.

L’autre. — Moi j’ai perdu deux amis en moto et j’ai une plaque dans le bras.

La conductrice du bus. — À mon âge ça a été dur de passer le code et le plateau.

Le bus s’arrête en gare de Vieilleville où un homme a accompagné sa femme pour qu’elle prenne le bus. L’autre connait l’homme.

L’autre. — Tu as des nouvelles de Manu ?

L’homme. — Je l’ai vu l’autre fois.

La femme monte et le bus repart.

L’autre. — C’est bien la moto, mais ça m’a eu.

La conductrice du bus. — C’est une passion. Il faut savoir exaucer ses rêves. 

L’autre. — Il faut faire attention en moto car parfois sur la route ça glisse. La pluie arrive mercredi et jeudi.

La conductrice du bus. — Ah c’est bien, on a encore deux jours de beau temps. La semaine dernière, il y a eu des gelées.

L’autre. — Je profite des belles journées pour prendre le bus tôt. Je n’avais pas de masque et c’est un Afghan qui faisait la manche qui m’en a donné un. Il était dans une pochette toute propre. Il n’a pas voulu un euro.   

La conductrice du bus. — Comme quoi. C’est une belle histoire.

L’autre, avec maladresse. — Je me suis arrêté pour acheter une bouteil… euh une poêle. C’est mes potes qui m’ont mis dans la moto, moi je voulais me mettre dans la voiture. Aujourd’hui, j’ai aucun permis, je suis en guerre contre les codes.

La conductrice du bus. — Le code c’est rien, c’est de la logique.

L’autre. — Je sais, j’ai lu deux fois le bouquin. En moto maintenant j’ai peur.

La conductrice du bus. — En moto, il faut anticiper.

L’autre. — La moto, ça rend carré. Il faut la tenir c’est du sport. 

Au loin arrive une voiture. L’autre prévient la conductrice du bus. 

L’autre, en imitant le bruit de sa bouche qui volait. — Un jour, j’étais derrière un pote en CBR. Sur le retour vers Limoges, on est monté à 250. J’avais un casque bol et ma bouche elle volait. 

La conductrice du bus. — Avec l’histoire de la passerelle, ma moto est bridée à 47 cv pour deux ans. 

L’autre. — Faut que je le dise à mon frère qui est motard. Il ne doit pas le savoir, enfin il doit le savoir mais il ne me l’a pas dit. 

La conductrice du bus. — Mon rêve c’est la Honda Hornet, mais comme elle n’est pas bridable je n’ai pas pu la prendre. 

L’autre. — L’esprit motard c’est le bon esprit. La dernière moto qui arrive c’est elle qui gagne la coupe. L’esprit motard, c’est musical. Moi je suis en guerre avec les codes, il faut payer et aller sur internet. J’ai un ami, en trois semaines, il a eu le permis moto mais il l’a perdu car il avait bu. 

La conductrice du bus. — C’est dangereux.

L’autre. — Un jour, c’est mon casque rouge qui m’a sauvé. Mon ami lui est mort. À son enterrement, au départ des Arcades de Guéret, il y avait trente motards. On a déposé chacun une rose à l’endroit de l’accident. Il avait une Suzuki GSXR verte. Je lui avais dit qu’il allait se tuer un jour.

Le bus à 15 heures arrive en gare de Guéret, son terminus. 

 

 

Avis aux lecteurs

Un texte vous a plu, il a suscité chez vous de la joie, de l'empathie, de l'intérêt, de la curiosité et vous désirez le dire à l'auteur.e ?

Entamez un dialogue : écrivez-lui à notre adresse nouveaudecameron@albiana.fr, nous lui transmettrons votre message !        

 

 

Nouveautés
Decameron 2020 - Le livre
Article ajouté à la liste de souhaits