Florian Galinat - Filiation

Filiation

 

C’est toujours difficile de revenir sur les terrains de notre enfance. Chaque hiver pour Noël cet enfant me précède courant devant moi dans des souvenirs d’été. Je redécouvre cette Nature qui m’a été si familière, il y a plus de vingt-cinq ans. Tout a été clôturé à la construction du lotissement là-bas. La petite clairière proche du chemin où se garait mon arrière-grand-père accueille maintenant des gaulis de chênes. Là-bas cela devait être la haie de pommiers à côté du champ de Monsieur Guérin. J’ai le souvenir de cette ancienne vigne juste derrière sur une terre ondulée coiffée d’herbes chaudes.  Les sentiers battus n’existent plus. Ils filaient de la vigne vers la petite pinède rousse, du talus aux pommiers, de la clairière au vieux chêne. Il ne doit pas être loin. Je me repère aux cerisiers de ma grand-mère. Je vois ce chêne assez semblable mais trop petit. Pourtant aux alentours aucun autre n’est similaire à celui de mon souvenir. En haut de l’arbre se tient fièrement l’enfant de l’été. C’est donc bien toi le Chêne. Je revois Alexandre et Mickaël debout sur cette charpentière basse et robuste qui nous ouvrait la voie de ta cime. Et ce trou plus haut dans le tronc qui était la prise pour atteindre la fourche où l’on aimait s’asseoir. De mémoire nous n’avons jamais planté un clou dans ta peau de bois, ton feuillage était notre toit et tes branches nos murs. Me reviennent les verts vifs de tes jeunes feuilles sur le ciel des vacances, ton ombre fraîche et le faible vent qui venait se froisser sur toi. Puis l’odeur de cette poussière de lumière et de bois. On s’est fait Homme à tes côtés. Nous avons défié la mort en équilibre sur tes dernières branches fébriles. Nos écorchures étaient ces peintures de guerre que nous aimions montrer. Je reviendrai un jour te voir avec mon enfant. Il me demandera que je lui parle de toi.

-          Papa c’est quoi un arbre ?

Je lui dirai que tu es un compagnon de Vie. Qu’enfant je voulais atteindre tes hauteurs pour mieux recevoir la lumière, briller pour dominer. Je lui dirai que ça ne m’a pas empêché de tendre la main pour faire grimper un copain. Que je t’ai confié mes peines et mes joies. Je lui dirai aussi que tu es ce livre éclaté qui me raconte le mieux. Que sur chacune de tes feuilles sont écrits mes souvenirs. Je lui raconterai la Talbot de mon arrière-grand-père dans laquelle il aimait faire sa sieste. Le tracteur bleu de Monsieur Guérin qui montait du bois. Les gouters sans pain faits de cerises et de pommes acides. Les cachettes sous les fougères. Je lui parlerai des parties de ballon en fin de journée et de nos t-shirts en guise de poteaux. Je lui montrerai le manoir de Monsieur Pips, le talus et la corde. Je lui raconterai les soirées d’été, véranda ouverte sur le ciel pailleté. Je lui expliquerai que le plus important ce sont les racines.  J’espère qu’un jour lui aussi deviendra un enfant d’été.

 

 

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