Michel Bouchy - Ça marche

    

Inspirant ! Avant un grand dessein, un rêve ? Une nouvelle de Michel Bouchy.

  

 

Ça marche

 

Alexis devint songeur : comment allait-il pouvoir faire preuve d’originalité ? Il voulait témoigner de sa perception des choses de la vie. Le temps d’un éclair, il se remémora les propos tenus par un de ses proches : « J’ai commis un adultère dès le jour de  mon mariage ! Je suis tombé amoureux de la Corse, pays de mon épouse. Un de ces amours inconditionnels, échappant à toute notion de rationalité, quelque chose d’inexplicable dont on a presque honte, tant le sujet est intime. »

  

Or donc m’y voici en Corse. Juillet 2030. Une expérience économique et sociologique est en place depuis huit ans.

Pour changer le monde, j’ai le sentiment qu’il faille commencer petit, puis, de manière épidémique, métastaser l’environnement proche, et recommencer.

Ce modèle marche bien en matière sanitaire, sociale et religieuse.

Il était un territoire démuni d’attrait touristique, rejeté au rang des terres sans intérêt, tellement sans intérêt qu’il en devint l’unique lieu d’expérimentation possible.

Quel chemin parcouru en huit ans !

 

Benoît se réveille. Il est 7 heures 30. Ce matin il travaille de chez lui, espace aménagé, poste de travail sophistiqué, connexion très haut débit fibre optique. Depuis deux ans, il habite un territoire qui a su s’adapter aux changements profonds de l’après-virus Covid 19. Ponte Leccia, ville rurale, essai d’une vie autrement, mélange étrange de nouveauté et de respect de traditions. Le décor a changé. Il est responsable d’un poste d’aiguillage ferroviaire qui en outre gère le transfert des déchets transportés. Peu d’interventions humaines, elles contrôlent les carences des robots !

Tout d’abord une gare moderne, pas clinquante, rationnelle, répondant aux besoins. Des trains adaptés aux voyageurs et des trains adaptés au transport marchandises et en particulier les déchets triés. Son action consiste à piloter le transfert des bennes de verre trié dans de grands réservoirs. À partir de là son amie Sandra, sa voisine d’îlot avec qui il partage un jardin potager, prendra en main la transformation du verre collecté, en pâte à verre qui redeviendra bouteilles. Tout çà de chez elle-aussi !

Une fois fini le verre, il enchaîne la même opération pour les cartons et le papier, puis le triage "brûlé-enfoui". Puisse ces trains de vie embellir ceux de la mort, ignoble tragédie.

Il est dix heures, le train en provenance d’Ajaccio est là. Benoît commence le même scénario, à midi il aura fini sa contribution travail pour aujourd’hui.

Tout au moins pour la partie personnelle, car tout habitant de Ponte Leccia a une activité citoyenne bénévole pour pouvoir profiter des activités culturelles, sociales, sportives qui foisonnent. Chacun apporte ses compétences et du temps. Le résultat est surprenant ! Comment s’attendre à une telle multitude de qualités insoupçonnées !

 

Des esprits mathématiques pourraient évoquer une position barycentrique : une ouverture sur  les territoires corses très différents par la présence d’infrastructures ferroviaires et routières dignes du nom, une proximité du port et de l’aéroport de Bastia, de ceux de Balagne, la voie géographique naturelle vers Corte et son université, et plus loin Ajaccio et le sud, et puis cette proximité du sud oriental par cette route et cette voie ferrée récemment créées, le tout dans un environnement naturel mettant la montagne à portée de main. 

PONTE LECCIA 2030 est un projet multimodal : économique, scientifique, sociologique, architectural, en un mot Politique !

Un grand pari, sans s, a vu le jour : OSER l’impensable !

 

Tout d’abord cicatriser cette plaie insidieuse, cet ulcère variqueux : le traitement et la valorisation des déchets,

- Acheminement de tous les déchets de l’Île par voie ferrée (Ajaccio, Bastia, Plaine orientale, Balagne) ;

- Création d’une usine de traitement du verre et de fabrication de bouteilles ;

- Création d’une usine de traitement des papiers, cartons et chiffons pour la production de pâte à papier ;

- Incinérateur dernière génération avec production d’électricité ;

- Enfouissement en zones défavorisées.

Tout ceci a nécessité une rénovation ambitieuse du réseau ferré faisant du chemin de fer le lien privilégié de déplacement avec des trains spécifiques pour les déchets triés ; et en parallèle la création d’infrastructures routières bien dimensionnées vers Bastia et Ghisonaccia et l’utilisation d’une complémentarité train-ferry pour Propriano et Porto-Vecchio.

 

Et puis il a fallu bâtir sur les déchets, résidus de notre économie, un projet d’un pôle européen de recherches scientifique, économique et écologique : tout un symbole !

Elles ont trait au :

- Réchauffement climatique ;

- Projets décarbonnés ;

- Projet permaculture (autonomie alimentaire de la Corse) ;

- Recherche agronomique sur les semences.

Tous ces points sont en cours d’aboutissement avec un succès inespéré. Des étudiants sont venus de toute l’Europe suivis par des populations de mise en œuvre des projets, populations qui n’en pouvaient plus de vivre enfermé dans un système d’appauvrissement et de dépendance ayant abouti aux « gilets jaunes ».

 

Pour ceci, il a fallu créer un nouveau concept : la ville rurale, pensée autrement par un concours d’architectes, avec la création de jardins, de vergers, l’importation d’abeilles, des circuits courts de distribution, des moyens de transports nouveaux (navette automatique entre Ponte Leccia et Bastia, Corte).

Par ailleurs, il s’est développé des moyens d’autonomie électrique en associant les moyens naturels et la production créée par le traitement résiduels des déchets. Une politique d’isolation des logements et des lieux de travail s’est concrétisée en même temps.

Enfin des espaces culturels et sportifs ont vu le jour : Conservatoire régional de musique, création d'une grande scène multi fonctions, bibliothèque, médiathèque, plateaux multisports accessibles par tous.

 

Tout cela a été possible en créant une Collectivité Locale Unique (émanation d’une communauté de communes) dirigée par des professionnels compétents rendant des comptes à des élus issus d’un vote local selon des critères nouveaux en ce qui concerne les indemnisations et la possible réélection.

Les moyens nécessaires ont été trouvés par une participation de l’État, à titre expérimental, un financement privé au titre de grands travaux en mobilisant les fonds très importants des livrets d’épargne populaire en les rémunérant mieux, des incitations fiscales pour tout investissement et une TVA nulle pour tout ce qui est en rapport avec l’écologie.

 

ET ÇA MARCHE !

 

Alexis s’est réveillé près de la rivière où il s’était endormi quelques instants sur le trajet Bastia Ajaccio qu’il fait trois fois par semaine, en retrouvant les détritus toujours présents, la vie tourmentée, les espoirs de plus en plus incertains… et pourtant ÇA MARCHE !

  

 

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