Jocelyne Normand - 1967, « l’ultime coup de rein »... pour sauter en parachute...

  

Un souvenir en entraîne un autre chez Jocelyne Normand. Avoir de nouveau 20 ans, quel bonheur !

  

1967, « l’ultime coup de rein »... pour sauter en parachute...

 

C’est l’expression « l’ultime coup de rein » (dans le thème de mars du Nouveau Decameron) qui a déclenché ce texte. Pour Albiana, l’expression était sans doute à prendre au figuré.

Mais, pour moi, dans mes souvenirs, elle est à prendre au sens propre.

 

J’ai 19 ans. Je suis accrochée, accroupie, sur l’aile d’un petit avion (un vieux « coucou » de la dernière guerre), à quelque 1500 mètres d’altitude, au-dessus du vide, j’ai un parachute sur le dos et un autre sur le ventre et il va falloir sauter. Pour cela – nous l’avions appris et nous nous y étions exercés près du sol – une seule solution : « Le saut en extension avec un sacré coup de rein » afin d’éviter l’aile évidemment, la première priorité...

 

Le moniteur exerce une légère pression sur mon épaule. Il m’a dit ensuite qu’en m’élançant dans le vide j’avais ouvert grand la bouche et crié « Maman! ». Je ne m’en souvenais pas.

 

Et puis la chute libre. Je tombe dans tous les sens. Jusqu’au moment où mon parachute dorsal s’ouvre brutalement. Ouf ! Les sangles me broient les épaules (c’est du « gros » matériel de guerre, comme le « vieux coucou »). Mais ouf quand même ! Silence abyssal (oui comme en plongée sous-marine)... Depuis le sol, un moniteur crie des consignes de direction dans un porte-voix manuel. Mais je ne les entends pas.  Et le sol qui se rapproche à toute vitesse.

 

Je voudrais surtout éviter la ligne de chemin de fer qui n’est pas bien loin.

Savoir se réceptionner surtout. Cela aussi nous l’avons appris. Un roulé-boulé harmonieux si possible. Et vite se relever car le vent s’engouffre déjà dans le parachute qu’il faut rattraper. Un train passe... pas loin du tout...

 

J’ai réussi ! Je re-sauterai la prochaine fois ! L’une de mes amies n’a pas sauté. Elle est re-rentrée dans l’avion après être sortie sur l’aile. Après trois tentatives infructueuses, elle restera au sol, mortifiée. Je lui ai dit que le plus difficile était pourtant de sortir sur l’aile en luttant contre le vent fort à cette altitude et en mesurant du regard le vide « vertigineux »...

 

Durant tout l’hiver, nous nous étions préparées physiquement. À cette époque, en 1967, nous étions très peu de jeunes filles par rapport aux jeunes hommes. Mais nous faisions le même footing dans le parc de Château-Bougon (à Bouguenais où était implanté l’aéroport de Nantes), les mêmes exercices de barres parallèles et de cheval d’arçons.

 

Et ensuite, pliage des parachutes, le dorsal et le ventral. Rien à voir avec les parachutes actuels en matériaux ultralégers. Ceux-là étaient en grosse toile lourde et rêche, des parachutes militaires, de guerre. On les étendait sur de très longues tables, avec leurs sangles. Et commençait le lent pliage. Cela prenait une bonne partie de la matinée. Les parachutes étaient ensuite contrôlés et re-contrôlés par les moniteurs (d’anciens militaires souvent ou, au moins, des hommes qui avaient pratiqué le parachutisme en tant qu’appelés sous les drapeaux, comme on disait alors).

Enfin, au cours de ces week-ends sportifs, au sol on apprenait à monter sur l’aile du petit avion, à s’y accrocher et à en sauter en extension, et comment se réceptionner à l’atterrissage. Nous étions pleines de courbatures. Pour sauter vraiment, de tout là-haut, il fallait attendre le printemps et des conditions météorologiques optimales.

 

Le plus dur, c’est le deuxième saut

 

Paradoxalement, selon moi, ce n’est pas lors du premier saut que l’on a le plus peur. C’est lors du deuxième car cette fois on sait l’effet que cela fait et on se demande si le jeu vaut vraiment la chandelle de s’accrocher ainsi sur une aile d’avion, à cette altitude et de se laisser tomber dans le vide.

 

Quelque vingt ans plus tard,  alors que j’étais journaliste en Corse, dans l’extrême-sud de l’île j’ai voulu accompagner des employés d’EDF qui partaient en tournée d’inspection des poteaux et lignes électriques, en hélicoptère, dans l’arrière-pays montagneux, après des intempéries hivernales. Là-haut, je faisais des photos. « Voulez-vous que je vous ouvre la porte ? », me proposa l’un des passagers. « Oh! Non. Par pitié ! J’ai le vertige !» m’écriai-je, à moitié malade.

De retour au sol, je devais être pâle comme un linge. « Pour quelqu’un qui a fait du parachutisme, c’est un peu fort », ironisèrent mes accompagnateurs en rigolant gentiment (car ils étaient gentils). Je n’étais pas fière de moi et je garde la hantise de ces hélicos entièrement vitrés, comme si on était en extérieur en plein ciel.

  

« Le Théâtre de l’Équipe » à Nantes

 

En tant qu’étudiants à l’université de Nantes, nous avions accès à toute une palette de sports. C’est pourquoi à cette époque, je me suis aussi essayée à l’escrime. Cela m’a bien plu, en raison de la maîtrise de soi que cela implique. Et il y a un côté théâtral.

Pourquoi avoir choisi ces sports quelque peu extrêmes ? J’avais été une enfant et une adolescente timide.  Je cherchais à avoir confiance en moi. J’ai été étonnée que l’amie dont j’ai parlé plus haut n’ait pas réussi à sauter en parachute. Elle faisait pourtant plus forte que moi physiquement et moralement. Moi, à côté, j’étais « une petite chose » frêle. Comme quoi...

Parallèlement, je faisais partie d’une troupe de théâtre amateur dirigée par Christian Héliou, un militant de la première heure de l’éducation populaire. La troupe s’appelait « Le Théâtre de l’Équipe », comme celle d’Albert Camus. Dans un théâtre de poche, nous jouions Brecht et Lorca notamment. Nous organisions aussi des moments poétiques. Je me souviens de mon trac un 1er mai où je dus dire le poème « J’écris ton nom Liberté » d’Eluard, sur la scène de la Bourse du travail de Nantes pleine à craquer d’ouvriers. Là-aussi, le silence dans la salle était... « abyssal »...

 

Avoir 20 ans... est-ce « le plus bel âge de la vie » ?

 

Puis vint mai 68. Nous avons mis en pratique le slogan « Sous les pavés la plage » en dépavant toutes les rues de Nantes. Place Royale et Place du Commerce flottait le drapeau de « la commune libre de Nantes ». Les AG duraient toute la nuit dans la fac occupée. Les ouvriers déjeunaient avec nous au restaurant universitaire. À Saint-Nazaire, Gabriel Cohn-Bendit, prof au lycée de la ville (qui créera plus tard le premier lycée expérimental de France et aux côtés duquel nous manifesterions sous la bannière de « l’École émancipée ») invitait son frère Dany à venir haranguer les ouvriers des Chantiers de l’Atlantique...

 

Moi, j’envisageais de partir en chantier de travail international (j’en avais déjà fait deux), cette fois pour m’occuper d’alphabétisation en Amérique Latine puisque je maîtrisais parfaitement l’espagnol à ce moment-là.

 

L’incipit d’Aden-Arabie, de Paul Nizan – « J’avais 20 ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » – était un autre slogan en mai 68. Pourtant – est-ce le recul qui veut ça ? – moi, désormais j’ai l’impression que mes 20 ans furent une période bénie. Je plains les jeunes qui ont eu 20 ans en 2020 et en 2021. Il faut une sacrée dose d’optimisme pour résister à la pensée unique et à la pesanteur ambiante. Pourtant, on entend régulièrement parler de belles expériences entreprises par ces jeunes de 20 ans... actuels. Bravo à eux !

 

 

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