- LND 2021 - Juillet
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« On se rencontre toujours deux fois », dit l’adage. Ou l’improbable comme stade premier de l’extraordinaire… Un récit d’Antoine T.
Une histoire extraordinaire ? Je crois en avoir vécu plusieurs. Surtout depuis que j’habite Berlin.
Je crois que ce qui est foncièrement extraordinaire ici, en dehors de l’explosion des prix fonciers, c’est que rien ne peut plus vous surprendre. C’est que quand tu penses avoir tout vu, quand tu penses que tout est arrivé, et bien non. Il y aura toujours une femme, si possible nue, seulement vêtue d’un manteau de fourrure (que nous espérons synthétique), qui transportera son frigo dans un chariot de supermarché, idéalement en talons, accessoirement dans un parc, et aux alentours de 3h du matin.
On est libres de toute façon. Certains de s’étourdir, d’autres d’étonner.
Ce qui m’a longtemps fasciné, ce sont les trajectoires de vie qui se croisent, mais surtout se recroisent. Comme le dit l’adage allemand, on se rencontre toujours deux fois dans une vie. Histoire de simplifier les aurevoirs, les adieux.
Le hasard veut que des histoires comme ça, j’en aie deux. L’une avec mon intime ennemi, l’autre avec une intime amie. Dualité de la vie, vitalité du duel.
L’une étant classique, mêlant les inquiétudes de l’enfance et les pérégrinations estudiantines, vous y renoncerez sans mal. L’autre me semble, me sembla extraordinaire.
Contextualisons-la.
Elle s’appelait Tor’. Tordyn il parait. Ils sont fous ces Américains. Son nom de famille coïncidait avec celui d’un ancien président (deux, si on compte le père). Elle était originaire de Charlotte, Caroline du Nord, et le nombre de prénoms de cette histoire croît bien plus rapidement que le nombre de personnages. Elle avait dû être malheureuse dans sa vie, dans sa jeunesse, mais la pudeur nous interdira de ne jamais lui en avoir demandé les raisons. Pour sortir de ses malheurs, elle s’étourdissait. Tantôt en tentant de s’évider, pas évident, les cicatrices étant encore fraîches dans mes souvenirs ; parfois en s’évadant, comme l’épisode d’une fugue nocturne dans une Paris dont elle ne parlait pas la langue, fugue n’exploitant ni contrepoint, ni imitation ; souvent, en s’oubliant, dans les hommes, l’alcool, les drogues, parfois dans cet ordre.
Doit-on mentionner son haut degré de religiosité ? Faut-il l’opposer à un degré d’hypocrisie ? Quelle société, quelle culture, quelle religion, quelles croyances, quelle foi, crée(nt) ce genre de culpabilisation ? Est-ce parce que contrairement aux Européens, ils apprennent à conduire avant d’apprendre à boire que les choses ne se passent pas comme ailleurs ? Puisque le péché originel ou le péché orgiaque sont tant condamnés (souvenons-nous que la Caroline du Nord est particulièrement ancrée au Sud) qui en édicte les exceptions ? Comment peut-il être interdit de faire une chose, et en même temps, promouvoir le droit à un échantillon ? Si reproduire cet acte avec la même personne nécessite un engagement marital à tendance martial, est-ce pour cela qu’elle multipliait les aventures d’une nuit ?
Son Dieu feindra-t-il d’ignorer un pêché plutôt qu’un autre, une répétition plutôt qu’une récidive ? Che peccato… De son Dieu et son État, qui l’oppresse le plus ? Et pourtant, lorsqu’on assiste à sa célébration, lorsque le Gospel fait son effet, l’intensité est bien plus élevée que dans nos minorées cérémonies. Du haut de son minaret, un serviteur n’est-il pas plus près de son Maître ? Participer à des manières d’expression religieuse qui vous emmène si haut, et pourtant être capable de tomber si bas ?
Elle devait avoir une profondeur, on ne la connaîtra jamais qu’en superficie.
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Il fallut le hasard d’un échange universitaire avec une université dont la mascotte se fait encourager de manière machiste aux cris de “Go Cocks !”, pour que la première rencontre survînt ; il fallut un échange outre-Atlantique, pour rencontrer son côté outrancier, un échange linguistique pour les délier. L’histoire aurait pu avoir une fin heureuse, comme le prouvent les enfants franco-américains nés du même échange, mais heureusement on se réjouira qu’elle se finît. Le charme n’opéra qu’au match retour, en grande partie grâce à Paris elle-même. Paris dont le charme à l’étranger est inversement proportionnel à la répulsion en France (Parisiens oblige). Dans ce remake moderne de La belle et le clochard, le rôle de l’insouciant sera tout autant féminin que masculin. Lorsqu’on lui demande de quelles manies sa personnalité s’est durablement imprégnée : As a child watching cartoons I always noticed that the female characters all had very long eyelashes and they blinked far more than the average person. I would go around imitating them for hours on end. I do have very long lashes, and as a result of my childhood obsessions I have developed a blinking habit that sometimes drives people nuts. When I blink, it tends to be three or four blinks in place of just one. *blinkblinkblink*. Finalement, la comparaison avec un dessin animé semble plus pertinente que prévue. Quels souvenirs sont responsables de ce coup aigre-doux ? Ou bien doux-amer ? Bref, des histoires d’amour Paris en a vécu, l’histoire d’un coup de foudre elle-même n’est pas importante, surtout sans les sous-titres. On se sera connus via les internets, rencontré sur le sol américain, séduits sur le vieux continent.
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Entre 5 et 10 ans ont passé. Le temps a fait son effet, en particulier sur les sourires (ceux-ci sont plus marqués) et sur les souvenirs (ceux-ci le sont moins). Cette romance a-t-elle vraiment existé ? Comment le savoir si l’on s’étourdit à Berlin ? S’en préoccupe-t-on vraiment, y pense-t-on réellement ? Seul son Dieu le sait et personne ne s’en étonne.
Aux dernières nouvelles, qui ne sont pas fraîches, un océan sépare littéralement les personnages précédemment évoqués. Tous deux ont quittés Paris, soit pour retourner au pays, soit pour en voir. Se sera-t-on revu ? Subrepticement peut-être. Pensait-on se revoir un jour, de manière éphémère donc ? Sûrement pas, tant le chapitre semblait clos, le livre autodafé, la bibliothèque faillie, le quartier abandonné, la ville déserte, le pays désolé, le continent inventé et le souvenir, comme le terrain, vague.
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Alors qu’une jeunesse France, rendue sourde, couchée trop tard, endormie tout le jour, va danser et faire semblant d’être heureux (comme on le faisait déjà en l’an deux mil), alors que l’on célèbre la chimie et ses acronymes, que le monde entier semble bienveillant, alors que les souvenirs ne sont pas d’actualités, qu’ils sembleraient presque oubliés ; ce soir-là, le retour du match retour, la troisième mi-temps lorsque l’on pensait avoir terminé la seconde, se jouera.
À circonstances extraordinaires, cadre ordinaire. Quoi de mieux qu’un silo, dont cette fois-ci l’adjectif adéquat est désaffecté ?
À quoi bon provoquer le hasard ou bien le destin, quand deux pierres carrées (à savoir la surface dudit silo si l’aire vaut un) ne pouvant accueillir que 4 personnes, dans une boîte de nuit comme il en existe des millions à travers le monde, dans une ville dont on aura jamais parlé, suffisent ? Pensait-on un jour pénétrer un silo ? Qu’il n’eût plus été rempli de maïs, mais principalement de (ver)tiges et d’épi(ssoirs) ? Était-il prévisible de se retrouver sur le même continent au même instant, comprendre dans la même vie ? Qui plus est dans une ville tierce ?
C’est à ce moment où l’on s’y attendra le moins, que l’effet se fera sentir le plus. Ici et là. Toujours et jamais. Hier et demain. Partout et nulle part.
On essayera de se parler. Fiancé ? Voyage pré-nuptial ? Enfin, ton Dieu t’autorise à vivre… Puisse-t-on espérer que toi aussi.
Ce soir-là, le contenant marquera plus que le contenu. Au silo dit, au silo fait.
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Un silo pour notre épilogue, quelle histoire !
Que deviens-tu Tor’ ? T’es-tu pardonnée ? Es-tu heureuse ? Où es-tu Tor’ ?
(La réponse est en Écosse)
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