[Écrire pour Santini] Il a dit : « J’empierre cent Tini » – Norbert Paganelli

    

Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est libre depuis le 10 décembre après avoir été emprisonné sous le régime de la détention « préventive » deux mois durant. Nombreux sont ceux qui lui ont écrit durant cette période pour le soutenir et s’élever contre l’arbitraire. Le Nouveau Décaméron publie les derniers textes reçus…

  

  

Il a dit : « J’empierre cent Tini »

Vous l’avez remarqué, la Res publica, la une et indivisible, celle qui donne des leçons sans en apprendre aucune a pris la fâcheuse habitude de demeurer muette. Nous pensions que la grande muette était la Gendarmerie mais non, la grande muette, ou plutôt la très grande muette, c’est la République. Encore faut-il savoir pourquoi... il est facile de porter des jugements si l’on ne sait pas mais, grâce à Dieu, j’ai enfin eu la réponse à cette question qui me taraudait depuis quelques jours. Merci Dieu !

Figurez-vous que lorsque le Résident de la Ripoublique a reçu ma lettre, il a immédiatement demandé à son directeur de cabinet de le renseigner sur Jean-Pierre. Il l’a fait au diktaphone, ce qui a donné, retranscrit par le logiciel : Renseignez-moi sur ce Sans Pierre Gentini.

Le Dircab, qui connait la réalité insulaire comme je connais la sexualité des pangolins, a immédiatement twitté à son adjoint : Renseignez-moi sur ce Jan Pi Hersan Tini. Lequel a téléphoné illico aux services rapprochés du Garde des Sots en disant : Il faut se renseigner sur les Cents Tini.

La perspicacité de ses services est telle qu’ils ont immédiatement fait le lien avec une lettre parvenue à leur ministre à propos d’un écrivain corse qui serait incarcéré. Dans le même temps la ministresse de la Culture entra dans le bureau du Garde des seaux pour lui expliquer que s’il était déjà intolérable qu’un Tino soit incarcéré mais qu’avec une centaine de Tini cela frisait l’indécence voire le blasphème républicain et qu’elle ne saurait tolérer pareille dérive. Vous avez été choisi pour défendre le droit et vous me faites un coup tordu lança-t-elle au ministre ébahi...

- C’est quoi cette histoire ? répondit le Garde,  Une centaine d’écrivains corses enfermés ? Je ne savais pas qu’il y avait tant de personnes sachant écrire dans l’île aux chèvres !

- Croyez-moi il y en a bien cent puisque, étant ministre de la Culture, lui dit Roselyne, je connais un peu la langue corse et je sais que s’il y a plusieurs Tino on doit dire Tini, donc pas de doute : vous avez fait du zèle ...

Le Garde, ainsi mis en garde (ce qu’il n’appréciait pas beaucoup), demanda à la direction des prisons de recenser tous les Tini emprisonnés. Ils n’en trouvèrent aucun. C’est alors que Brigitte la macronienne intervint (c’est curieux cette appellation mais c’est ce qu’on m’a dit, moi ça me fait penser au catéchisme, lorsqu’on appelait Jésus : le Nazaréen... mais bon, ce n’est pas le sujet). Donc je poursuis : Brigitte intervient et fait savoir au Garde qu’il ne sert à rien de rechercher les Tini puisque ce qu’il faut rechercher c’est les Jean-Pierre, les Jean-Pierre sans Tini... Roselyne, après un court moment d’hésitation finit par lâcher : Bon Dieu qu’on est cons mais c’est bien sûr ! C’est Tini qui brouille les pistes, pas Jean-Pierre ! 

Le Garde fit un saut, sa face s’empourpra, son sourcil gauche se fronça, le droit s’assombrit tandis que son front se plissa. Il ordonna : Recherchez-moi tous les Jean-Pierre sans Tini !  en ajoutant : et que ça saute ! 

Brigitte la macronienne poussa un petit cri, Roselyne un petit pet et le chef de cabinet s’enchérit : Vous... vous voulez faire sauter quoi exactement ? 

Le garde haussa les épaules, Brigitte haussa le ton, Roselyne osa se taire sans émettre le moindre son par la bouche.

Un téléphone vibra, c’était la ligne directe reliant le ministre au Président (depuis le quinquennat, il n’y avait plus de ligne directe entre le Premier ministre et les ministres, on ne sait trop pourquoi).

- Allo, fit le ministre, oui Monsieur le Président, bien Monsieur le Président.

Le garde raccrocha, il était debout à côté du téléphone.

- Alors ? dit Roselyne.

- Oui... alors ? fit Brigitte.

- Alors, lança le garde, le Président a dit : « Il faut que j’empierre cent Tini »

Les rouages administratifs, surtout lorsqu’ils croisent les engrenages de la justice peuvent fonctionner avec une extrême lenteur. Cette lenteur peut être accentuée par des erreurs d’interprétation et les inévitables bruits affectant toute communication.

Voici pourquoi il ne faut jeter de pierre à qui que ce soit car sans pierre et sans tini il ne reste que Jean qui, à l’inverse de celui qui n’avait pas de terre, rêve de retrouver la sienne.

Ah la terre de Sienne ! Naturelle ou brûlée, elle enrichit la palette de tout artiste-peintre !

 

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