- Decameron Libero
- 14 likes
- 1368 views
Anna de Tavera retrouve les forces enfouies au fond des cœurs aimants pour dominer la vague… et traverser victorieusement le moment.
Ta main dans la mienne
Dans la lumière de cet après-midi-là, je vois encore les couleurs vertes et bleus et roses, les verts vifs du tailleur de ma mère et les hortensias, bleus et roses, les marches en pierre de l’escalier qui mène à la vieille porte d’entrée, je sens le parfum de ma mère et découvre enfin ses beaux yeux rieurs.
Je suis assise là, maintenant, à regarder les fourmis, je les aime bien, elles sont amusantes, on pose un doigt sur le sol et voila, elles contournent, elles changent de chemin, il y a aussi la chemise blanche de mon père et la lumière du soleil sur son bras bronzé, son beau visage, tout cela est comme un songe agréable, je suis entourée et choyée, ce n’est qu’amour.
Il y a aussi Jany qui fait ses blagues et d’un œil malicieux guette nos réactions ; ma grand-mère Ninette, de sa voix douce me raconte les histoires du passé, et ma grand-tante Jeanne, prépare un délicieux dessert, des fraises trempées dans du vin sucré parfumé de vanille.
Un soir, j’entends les voix de nos cousins, ils sont arrivés en vacances au village, leurs rires s’envolent comme des notes jusqu’à ma chambre et présagent l’allégresse de l’été…
J’adore aussi regarder à travers la fente du parquet, ce qui se passe en dessous, et je peux voir mon cousin Jean-Pierre ouvrir un livre et étudier.
Je sens encore la gentillesse et la tendresse de mon grand-oncle Noël, le son de sa voix à nulle autre pareille, son regard intense.
Les parfums de la maison exhalent, les portes du buffet en chêne entrouvertes laissent diffuser des arômes salés, épicés, d’alcools musqués, ils annoncent la joie d’une belle soirée autour de verres rieurs et heureux.
La mer, elle, le matin, danse sur les plafonds et les murs.
Je sens encore les parfums du sentier qui mène à la plage, la terre fine sous nos pas, la main rassurante de ma mère.
Plus tard, une autre main, d’autres mains tiendront la mienne ; d’autres étés, toujours avec ces instants de bonheur qui s’enflamme.
« Tu es là?…
Cela fait si longtemps que je t’attends… »
Je me réveille et je tends alors ma main vers la sienne, et encore nous grimpons ces escaliers ensemble, parfois de hautes haies, nous trébuchons, mais nous arrivons toujours à les passer, les contourner…
Et là… la lumière, forte ! Une petite main prend la mienne, une petite main belle et douce, tendre et délicate, je la serre fort et la protège. Nous prenons ce chemin qui mène à la maison du village, nous voyons les hortensias fleuris, roses et bleus, les prunes et l’herbe verte, la chaleur, et la fraîcheur des soirs d’été, le chant des oiseaux, le tilleul du japon enveloppe sous ses fleurs la meule de pierre ; sur la table, l’eau de source fraîche amenée par Jean ; les rires, les chants, tout recommence… tout continue, il manque certaines voix qui ne sont plus…
Cet hiver il y a eut le silence, d’un coup ! Un silence lourd, étonnant, on nous a dit de ne plus toucher les mains, sauf les proches, les plus proches, et de protéger les autres de nos mains aimantes…
Il y a ces trois bancs distants avec chacun un vieillard assis seul, dépité et chagrin, regardant la mer ; il y a les rires et chants, lointains. L’ennemi se cache sans qu’on le sache, peut-être derrière un sourire…
Il y a ces visages étourdis, sortis d’un théâtre Nô ;
il y a ces heures où les mains tambourinent les unes contre les autres, les unes à côté des autres, une pluie de mains qui brisent le silence pour dire « bravo ! » , pour dire « on est là encore tous, on est là ! tenaces ! »
Il y a ces communions d’êtres humains, inconnus, si semblables, à travers le monde.
Dans nos rares promenades, faites de volutes, de contours d’obstacles, de dessins insensés, il y a les esquisses des contours de fourmis opiniâtres.
Alors, je l’ai encore une fois rêvé, mais je l’ai fait, je prends ta petite main devenue grande, et là « Regarde, on va passer sous la vague, je sais comment faire, je sais comment font les surfeurs quand la vague est trop grosse, on va passer sous la vague, ta main mon enfant, dans la mienne, on va passer sous la vague, et cet été, on ira sur le chemin qui mène aux hortensias, à la fraicheur désirée des nuits d’été, on cueillera la prune, on la trempera dans nos verres, on goûtera le jus des cerises, on rira, on chantera, on valsera en compagnie des êtres aimés, on serrera nos mains les unes contre les autres, elles battront le rythme de nos cœurs heureux. »
Entamez un dialogue : écrivez-lui à notre adresse decameron2020@albiana.fr, nous lui transmettrons votre message !