Rêve de promenade - Marie-Catherine Raffalli

Marie-Catherine Raffalli, déambule et découvre l’essentiel, là, tout près, dans le silence… Il suffit d’écouter.

  

  

Rêve de promenade

 

 

Nous ne possédons pas de souvenir de la première fois où nous nous sommes levés. Passé le temps de la poussette, des bras de nos parents, du corps qui rampe fastidieusement sur le parquet, nous nous sommes mis sur nos deux jambes. Que ce doit être une sensation merveilleuse ! Une liberté nouvelle ! À peine la marche maîtrisée, vient la course. Un enfant passe tant d’heures à courir sans raison. Mais les souvenirs nous parviennent uniquement du temps où nous marchions pour l’utilité. Une destination : aller d’un point A au point B, le voilà le but. La marche pour marcher, à quoi bon ? Celle-ci n’a d’autre sens que moyen de locomotion.

 

Pourtant, un jour la marche a été un cadeau offert pour mes yeux. Je me suis défaite du bocal de verre puis hasardée au-delà de l’immeuble de béton. Je suis arrivée là, juste ici, non loin de l’endroit où je me lève chaque jour. Je n’ai parcouru, je crois, que quelques kilomètres.

 

Suis-je sourde brutalement ? Je n’ai jamais su quel son fait l’absence de l’Homme. Mes pieds sont nus, l’herbe verte est silencieuse. Desserrés de leurs chaussures, mes orteils libérés se délectent de la fraîcheur du sol. J’hausse le regard et je suis seule. Sans alors aucune crainte du jugement voisin, j’élève la voix. Quelle troublante tonalité... Elle n’était pas si pure entourée de moteurs, ni si calme. Je méconnaissais le nombre de mes pensées et ignorais posséder tant de réponses à des questions camouflées par le bruit de la ville.

L’herbe fraîche soudainement murmure. Brisant le silence, c’est le bourdonnement de l’abeille qui s’en va volant, comme le ventre rond de nos mères, créer la vie sur la fleur. Elle se nourrit, la fleur procrée : harmonie et équilibre absolus. Une danse complexe se répétant indéfiniment sans jamais perdre son élégance. Témoin imprévue de cette intimité naturelle, je m’enfouis dans mes pensées et m’y égare. C’est un sifflotement joyeux qui me dérobe à mon imaginaire. Je devine son appel et lève les yeux.

Avons-nous déjà tendu l’oreille pour un son inconnu ? Celui qui a du sens pour le rossignol, suffit à n’être que beau pour moi. Avant cette expérience musicale, je souhaitais voler, et bien, pour voler uniquement. Que je trouvais cela rapide, et pratique ! Quelle ignorance. Des ailes pour suivre une mélodie incomprise, en voilà une réelle destination.

Je poursuis mon oiseau puis le perds dans l’arbre géant, qui sans ne rien savoir m’apprend. Plongeant dans l’univers mystérieux du sol, je me demande combien de racines puis-je apercevoir tandis que sans elles il ne pourrait exister. Est sur terre tout ce qu’il suffit à voir, il est dit dans un livre je crois, que l’invisible est essentiel.

 

Où est-ce alors cette eau dont le bruit précède, sera-t-elle aussi bonne que son chant délicat ? La curiosité n’a besoin de réponse, que de questions à poser. C’est elle qui m’a poussée ici et m’a fait lever le regard au ciel alors qu’auparavant, chez moi, il n’avait rien à y regarder.

Je me surprends à rêver. Je contemple. De cet endroit, mille autres ! En hauteur, l’habitat bleu de mon oiseau. Face à moi, le parasol feuillu du renard. Sous mes pieds, le repas goûteux de la brebis. Quelque part, la liberté du cours d’eau… Je me promène au gré des étendues. Autant de couleurs vertes existent-elles ? Si celles-là seules me comblent maintenant, il n’est plus terrible malheur que l’habitude. C’est à la vue du gris, que le vert me manquera.

 

Je m’avance et grimpe sur la colline, il me faut voir derrière. Le soleil n’est pas masqué par là, on ne peut nier sa royauté ! Nos murs beaucoup trop hauts ici-bas, nous l’ont fait délaisser. Je m’allonge et m’en remets au géant d’or. J’essaie, mais ne peux le voir ! Comme marque de mon genou à terre, il m’impose la tête baissée. Je n’ai comme seul témoignage de sa présence que mes joues brûlantes devenant rosées.

 

Ce sont les cloches du troupeau qui me réveillent doucement. Je t’aperçois Berger, tu me parais si sage. La nature s’est montrée à toi, tu as su choisir sa quiétude. Tu possèdes ce qui ne se transmet pas et ne s’apprend par la science. Dis-moi, dis-moi comment tout dire dans le silence ! Mes gestes n’auront jamais autant de sens que tes mains soignant l’agneau. Tu me le tends dans un sourire. La laine est douce et épaisse ; elle me fait douter de la réalité de la chaleur de mon foyer.

La bête bêle et moi, j’en veux plus. Je ne suis pas comme toi, Berger ! Là d’où je viens, personne ne m’a appris à écouter. Malgré ma force, le petit saute et me bouscule. Je l’ai perdu d’impatience et puis à trop en demander. Me voilà partie, honteuse, réalisant que je ne peux me mouvoir ici sans craindre d’engendrer le déséquilibre. Que je suis éloignée de cette vie… Que j’ai peur par un pas de tout abattre. L’air communique d’un langage que je ne peux comprendre, que je sais à peine respirer ! Nous ne savons plus faire sans machine pour nous guider.

 

Plus tard, je suis revenue. Sans rien dire, sans un bruit, sans rien déplacer. Spectatrice pendant des heures, des jours qui ont tissé les années.

Ce lieu existe alors que l’effet du temps y est imperceptible ; les secondes n’y ont aucun sens. La vie est là, danseuse solitaire, et me brandit sa suffisance. L’essentiel n’a pas besoin de moi et m’accueille pourtant.

 

Hors des secondes inventées, hors du pas pressé et du regard qui ne voit rien, déviée des chemins par le béton tracés, je peux choisir de suivre l’escargot, ou bien le bourdon.

 

J’ai le droit de m’arrêter, de recommencer à courir sans aucune raison.

  

  

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