- Decameron Libero
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Anna-Maria Celli est pétrie de sa terre, pétrie de poésie…
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Je ne dis pas que s'élevant des roches
Ces hauts chants
Sont les racines de mon tremblement
Que l'ombre qui glisse en l'onde
Se cachant sous les truites d'argent
Est le seul cri que je retiens
Je ne dis pas que les chemins
En débords de regain et d'âpres parfums
Têtus comme les fantômes des mules
Qui hantent les sentiers indociles
Le long de ces murets de sèches pierres
Sont les seules artères où frappe mon pouls
Je ne dis pas
Je ne vous dis pas
Que la voix des femmes qui parlent avec les morts
Serait le ressac de la mer absente
S'allant battre l'orée de mon oreille
Mais je la comprends sans savoir
Comme je sais la sauvagerie de la vérité
La nécessité de se mettre à genoux
Sous son épée
Afin de vivre en guerre ou en paix debout
Je ne dis pas que mes deux pieds
Sont liés à la terre par des fers
Elle
Est l'ancre
Comme l'encre itinérante de l'exil
Elle est
L'Île ici et toujours là-bas
Son odeur sans pudeur est entrée dans mon sang
Je l'écoute et la sens
Comme une douceur
Comme la douleur d'un poignard
Qui de part en part me fend
Sur les berges dorées de son entaille
Poussent des fleurs de diamant
Des pins ailés et des oliviers blancs
Et je danse
Et je danse
Autour du fucone incandescent
Avec les flocons des farfalle courant le vent
Je me jette dans les bras des torrents
L'amour m'a prise
L'amour me prend
Je ne dis pas que d'elle seule je suis l'enfant
Quand de la peau sur mes lèvres
Je l'ai touchée, léchée et bue
J'ai reconnu l'écorce de mon père
Comme m'a reconnue mon père
Ma mère, je ne l'oublie pas
Mais quand je tombe dans toutes les expatriations
Monte en moi l'indicible prière
Ma mère d'exil des beautés
Mon père de l'Île de beauté
Sur toutes les stèles dressées vers le ciel
Les courants d'air ont écrit des noms
Le mien y est
Terra regina
Le tien aussi que je tiens cher
Contre la voix des bergers là-haut
Je me serre
Un foulard noir
À mon cou noué
Comme mémoire de tous les aïeux
Qui ont fait mes pieds, mes mains, mon visage
Mes yeux
Fermés
Je me serre contre les bergers
Une pluie d'étoiles dans les châtaigniers
Caresse notre obscurité
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Nos vies trop brèves
Nos saisons éphémères
Pour prendre la montagne aux reins
L'écrasante montagne
La foudroyante
Laisse-toi seulement porter
Sur le versant de ses crêts
Vagabonder par ses battements secrets
Enivrés d'un feu sombre
Ruines feuilletées de neiges et de cendres
Colosses dressés sur leurs éboulis
Descendre en ses saignées de jade
Sourdre aux fentes de ses visions
De ses olivâtres marées
Laisse-toi noyer sous ses voiles de mariée
T'engouffrer
Au fond de ses copulations immobiles et violentes
Vives épines
Épis fanés
Incisives incises
Chairs fossiles ravinées de morsures
Laisse-toi ruisseler dans ses sourds replis
T'éclabousser des eaux de pluie
T'enrocailler
Te charpenter
T'envertébrer à ses ossements pétrés
Tenir racines et sentiers
Tenir le soleil
Tenir debout
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Sous les remparts vertigineux
Où la mort avait tranché ses racines ombilicales
Elle me langea en son linceul bleu
Seule et bleue
Me berça contre le vent
Vendange lointaine
Emplissant d'un cheveu d'ange
L’avalanche argentée d'une d'oliveraie
Elle longea un ruban de sable noir
Qu'ondulait le clair du torrent
Dansaient ses longues tresses noires
S'échappant d'un foulard noué
Sur une cicatrice ancienne
Elle posa le panier entre deux lunes de pierre dense
À l'abri de l'œil délétère des sorciers
Mais la pupille funeste bâillait déjà en moi
Lorsqu'enfin je suis née d’un ventre dur
J'avais au creux des mains
Sur mes lignes de vie
D'un couteau, la blessure
Et sur celle du cœur
Le visage en douleur
D'une fleur de fontaine
L’eau qui s’égrène à Pietrera
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