Orangémie - Sandrine Despré

Dans la nouvelle de Sandrine Despré on voit que le monde futur n’en aura pas fini avec les vicissitudes, certaines très étranges...

  

  

Orangémie

 

 

 

            Jean attendit que le vaisseau qui se présentait à lui s’arrêtât de vibrer.

 

            La carlingue brillante était impeccablement alignée avec la zone d’attente métallique. La porte transparente permettait d’apercevoir le contrôleur à l’intérieur de l’engin, facilement reconnaissable à sa combinaison bleu vif et à ses bottes blanches. La porte disparut et Jean monta dans l’engin. Il présenta sa main droite, le contrôleur la scanna, puis il se glissa dans l’étroit boyau qui menait à l’espace « voyageurs». Après avoir salué les trois autres passagers du vaisseau, il s’assit dans le dernier fauteuil vacant, s’arrima avec les sangles d’épaule et de poitrine, glissa ses bottes sous le cale-pied. Il jeta un œil à ces dernières, d’un noir brillant, qui tranchait avec le motif délicat de sa combinaison en camaïeu de gris. Il était fier de cette combinaison sur-mesure.

 

            La navette se plaça à la verticale et décolla. L’insonorisation de la cabine réservée aux passagers était telle que Jean ferma les yeux et se laissa bercer par l’imperceptible tremblement de la machine. Il se remémora sa liste de courses. Aujourd’hui, il avait choisi de faire ses emplettes à New-York. Un ami lui avait vanté la qualité des produits d’une petite échoppe située près de Central Park, et Jean avait décidé de se faire déposer à proximité. La vitesse du vaisseau était telle que le voyage entre Ajaccio et New-York durait à peine une demi-heure. Pourquoi se priver, quand on savait que le point le plus éloigné de la planète se trouvait au maximum à deux heures de voyage. Aussi, depuis la fin du trente-deuxième confinement, Jean n’avait de cesse d’aller faire ses courses, de sortir boire un verre ou d’aller à la plage sur n’importe quel continent. Il savoura cet instant, songeant que c’était la première fois qu’il se rendait à New York, cette ville étrange aux rues rectilignes.

 

            Jean descendit du véhicule. Il croisa les quatre passagers suivants qui, eux, se rendaient en Corse, et reconnut un ancien élève du Lycée Laetitia. Il le salua, puis regarda autour de lui : il se trouvait sur une petite place rectangulaire, dont le revêtement souple étouffait le bruit de ses bottes. Il fut surpris par la douceur de l’air. Un doux soleil de printemps lui caressait la peau du visage. Un parfum sucré et frais flottait alentour, qui contrastait avec les gratte-ciels qui cernaient la piazzetta. Il dirigea l’intérieur de son poignet droit vers ses yeux, fit une pression dessus avec l’index et le majeur de sa main gauche, et un écran lumineux apparut sur sa peau. Il énonça de sa voix chaude l’adresse de l’échoppe recommandée par son ami et un plan de New York se dessina, le géolocalisant instantanément, et indiquant l’itinéraire jusqu’au magasin. Jean se pinça le lobe de l’oreille, activant le haut-parleur implanté dans son pavillon, et se laissa guider par les indications orales de son GPS cutané. Il marcha le long des quelques rues qui le séparaient du magasin, étonné du spectacle qui s’offrait à lui. Ici, presque plus personne ne marchait, la plupart des gens se déplaçaient à bord de divers véhicules volants, pour certains près du sol, hover-board, trottinettes, fauteuils pour les plus âgés ou les personnes handicapées, pour d’autres plus en hauteur, voitures, transports en commun ; il nota que les véhicules d’urgence empruntaient des voies encore plus en élevées, voire survolaient librement les bâtiments afin de raccourcir leur trajet. Ce qui le frappait le plus était le silence. Tous circulaient presque sans bruit, et c’était bien agréable.

 

            Lorsqu’il sortit du petit magasin où il avait acheté quelques produits typiquement américains, Jean s’aperçut qu’il lui restait une bonne heure avant le départ de la navette de retour. Il décida donc de musarder un peu, et de suivre les rues au hasard. Il avait bien envie de s’acheter un fly-scoot, bien moins cher aux États-Unis qu’en France, et pourvu de gadgets amusants comme une commande qui permettait de faire des acrobaties, ou des bandes de lumières fluo changeantes qui s’allumaient dès que la luminosité baissait, mais ce n’était vraiment pas raisonnable. Une devanture attira son regard. Une librairie à l’ancienne, avec une jolie façade en bois de chêne sculptée et une grande vitrine. Ce genre de magasin était devenu très rare, et Jean, malgré ses nombreux déplacements n’en avait déjà vu que quatre. Lorsqu’il poussa la porte, le bruit d’une petite cloche indiquant au libraire son entrée le surprit. Il n’y avait pas de client dans le magasin. Le maître des lieux se cachait. Jean était seul. Il commença à inspecter les différents ouvrages présents. Ils étaient pour la plupart en anglais mais cela ne l’inquiéta pas. Il avait chez lui un petit scanner qui, lorsqu’on le passait au-dessus d’une page, traduisait n’importe quel texte dans la langue souhaitée, et le restituait sur n’importe quel type d’écran. De petits morceaux de papier colorés disposés ça et là attirèrent son attention. Le libraire n’hésitait pas à donner son avis sur certaines œuvres, et à faire part de ses remarques au lecteur. Jean constata que ces notes témoignaient pour la plupart d’un esprit rebelle voire anarchiste, et cela lui plut. Il s’enfonça jusqu’au fond du magasin, mal éclairé, découvrit une pièce qui le mena plus loin encore, là où la lumière du jour ne parvenait plus. Il trouva enfin le libraire, penché au-dessus d’un ouvrage et marmonnant d’incompréhensibles paroles. Il avait une chevelure blanc jaunâtre en désordre et d’une longueur démodée, et lorsqu’il leva la tête vers Jean, celui-ci eut l’impression qu’il ne le voyait même pas, comme s’il se trouvait dans un autre monde. Jean se promit de revenir, et se contenta d’acheter un joli carnet gainé de cuir noir, aux pages de vergé, ainsi qu’un stylo assorti.

           

 

            En débarquant du vaisseau place Abbatucci, Jean sortit vers la droite et entreprit de remonter le Cours pour rentrer chez lui. Il s’apprêtait à pénétrer dans la boulangerie située sur son parcours, lorsqu’il remarqua une femme. Elle avait des yeux d’un bleu intense, qui tranchait avec sa longue chevelure brune. Jean reconnut le regard particulier des yeux implantés. Cette femme, qui avait été auparavant aveugle, s’était fait poser des yeux électroniques en silicone. Directement reliés au cerveau, ils permettaient de voir comme n’importe qui, et même mieux, puisqu’ils accordaient une vision nocturne parfaite. Les mouvements des iris, un peu saccadés, leur couleur extraordinaire, et le pourtour métallique des globes oculaires qu’on apercevait parfois, trahissaient l’artifice. Et surtout, il y avait ce regard, qui semblait vous pénétrer jusqu’au moindre recoin, et voir même au-delà de vous. Jean avait beau savoir tout cela, il resta fasciné, d’autant que la jeune femme le fixa en le croisant, et esquissa un sourire un peu triste.

 

 

 

            Le lendemain, la radio annonça qu’un nouveau virus commençait à sévir. Le Plan d’Action International Anti-Virus n’allait pas tarder à être mis en place, comme chaque fois depuis le quatrième confinement. Un ensemble de mesures et de protocoles auxquels les humains du monde entier devaient se conformer tous en même temps, créant une unité artificielle. Jean vérifia machinalement que ses masques à nanoparticules étaient à leur place, et propres. Ils les avaient nettoyés avec la lessive spéciale, et avait utilisé le cycle spécifique, qu’on trouvait maintenant de série sur les machines à laver. Un cycle à 65°, qui respectait les matériaux utilisés pour fabriquer les vêtements destinés à se protéger des divers virus agressifs qui circulaient maintenant régulièrement. Il s’assura aussi de la présence de lunettes de protection, nota qu’il lui en manquait une paire. Il irait en demander d’autres à la mairie de quartier dès que possible. Il examina enfin ses deux combinaisons de protection intégrale, avec capuche. Le tissu fluide aux reflets moirés était en bon état et ne présentait pas d’accroc. Elles pouvaient encore servir. Enfin, il jeta un œil à sa provision de produits désinfectants : désinfectant de surface, désinfectant de matériel alimentaire, désinfectant corporel et manuel, désinfectant d’objets divers. Il en avait bien assez pour tenir le temps d’un nouveau confinement. Jean fixa le capteur de regard de la radio, et celle-ci s’éteignit.

 

            Il sortit sur son balcon, se plaça précisément dans l’angle, et alluma une cigarette. Instantanément, des parois de verres dissimulées dans les murs et le plafond descendirent et l’entourèrent, l’isolant de l’extérieur. Depuis la troisième loi Evin, il était interdit d’importuner ses voisins avec de la fumée de cigarette, même si celle-ci n’avaient plus l’odeur des cigarettes d’antan. Avec ce dispositif, la fumée était absorbée par un conduit dissimulé dans le sol et éliminée par un système de ventilation. Jean pensa qu’une fois de plus, il allait devoir rester seul dans son appartement. Certes, les rapports humains n’étaient plus depuis longtemps aussi chaleureux et décontractés que dans l’ancien temps, du moins pour ce qu’il en savait. On ne se touchait plus depuis longtemps. On se saluait à présent d’un signe de la main, et on restait toujours à distance. Les jouets des jeunes enfants, qu’ils portaient à leur bouche constamment, étaient lavés tous les soirs au désinfecteur, une espèce de lave-vaisselle qui équipait à présent la plupart des foyers. Et lorsqu’on ne vivait pas maritalement, toute relation amoureuse, même extraconjugale, se devait d’être déclarée en mairie. Heureusement, ces relations étaient couvertes par le secret sentimental, ce qui évitait bien des histoires au sein des foyers. Mais les soirées avec ses amis allaient lui manquer comme à chaque fois, et il en éprouva de la mélancolie.

 

 

            Sauf que cette fois-ci, le virus était particulier.

 

            En réalité, ce n’était pas exactement un virus. Nul ne savait précisément d’où il venait. Certains émettaient l’idée qu’il avait été malencontreusement créé par des étudiants en chimie ayant eu accès à des nouvelles cellules élaborées artificiellement mais qui restaient instables, et inutiles en l’état. D’autres suggéraient qu’il pouvait provenir de la fameuse Planète Neuf, dont on supposait l’existence depuis plusieurs dizaines d’années à présent, mais qu’on n’avait toujours pas réussi à observer, et qui se terrait dans les confins du système solaire. Cela supposait aussi que la vie était assez évoluée sur cette hypothétique planète pour avoir donné naissance à ces affreuses bestioles, capables de résister à un voyage de plusieurs années dans l’espace, soumis aux rayonnements cosmiques et à des températures extrêmement froides. Bref, une chose dont on ignorait la nature et la provenance.

 

            Le virus se répandait sur terre à une vitesse vertigineuse, et le monde prenait peu à peu une teinte orangée. Car les personnes infectées se repéraient très vite à leur étrange couleur. Derrière leur masque et leurs lunettes, leur peau présentait d’abord un aspect discrètement bronzé, comme un voile léger, qui s’intensifiait peu à peu jusqu’à devenir franchement couleur de capucine, voire couleur de brique. Parfois la teinte orange s’étendait à leurs vêtements. Les individus atteints ne souffraient pas, ne présentaient aucun dysfonctionnement physiologique ou psychique. Seule la pigmentation de la peau signait l’infection. Ce qu’il y avait de plus étrange encore, c’est qu’on observait le même phénomène sur les animaux, les plantes, et même sur les objets, les voitures, les bâtiments, les rochers. Rien n’échappait au mal étrange.

 

            Tout ce qui avait été touché prenait une nuance de plus en plus vive puis s’effaçait peu à peu, dissous dans la couleur et disparaissait, parfois sans laisser aucune trace.

 

            On avait donc cessé d’hospitaliser les malades, d’autant qu’aucun remède ne pouvait être cherché puisqu’on ne savait rien de ce qui avait provoqué ce phénomène. Aucun contrôle n’était possible, ni aucune prévention. Les mesures de distanciation sociales, le port de vêtements de protection n’étaient d’aucune utilité. Le confinement n’avait pas de sens. Ceux qui n’étaient pas atteints évoluaient dans un univers de plus en plus coloré.

 

            Car curieusement, des individus étaient épargnés, sans que l’on sache pourquoi. Leur présence rendait plus palpable encore l’injustice qui frappait tout ce qui avait été touché. La variété des teintes qui caractérisait tout ce qui avait échappé à l’inexplicable phénomène tranchait avec l’uniformité de la couleur qui se répandait.

 

            Après que ce qui avait été touché avait disparu, il ne restait plus qu’un fond orange dont nul n’osait s’approcher.

 

            Des zones entières étaient, non pas condamnées, mais étaient fuies d’instinct par ceux qui étaient épargnés ou peu touchés. Les espaces se réduisaient. Des flaques de couleur apparaissaient peu à peu sur les trottoirs et la plupart des gens essayaient de louvoyer entre elles. Certains les traversaient de manière insolente, comme défiant la couleur, et ne semblaient jamais atteints par l’étrange mal. Les personnes se croisaient de loin, certaines colorées avec un regard de reproche, voire haineux, d’autres, épargnées, avec un regard inquiet.

 

            Pendant plusieurs jours, Jean respecta scrupuleusement les consignes, même s’il se rendait bien compte que cela n’était qu’une fragile barrière contre la folie qui menaçait les individus sains. Mais il dut se rendre à l’évidence : malgré toutes les précautions qu’elles avaient prises, certaines personnes étaient atteintes. Sans compter celles dont la maison était brusquement devenue orange, et qui devaient quand même y retourner, sans savoir ce qu’il adviendrait d’elles, car aucune autre solution de logement ne pouvait être mise en place par des autorités dépassées par la vague colorée. Jean admit enfin que le confinement n’avait pas de sens. Que rien ne résistait à cette mystérieuse manifestation, et que la raison n’était d’aucune utilité.

                      

            Constatant qu’il ne lui restait qu’une bouteille de Solent, aliment qui constituait l’essentiel de ses repas, il dut se résigner à sortir. Même s’il savait que le mal pouvait l’atteindre dans son logement, le semblant de sécurité qu’il lui offrait le rassurait, et Jean éprouvait de plus en plus de mal à aller se procurer de quoi continuer à vivre. Il revêtit de manière dérisoire les éléments de protection obligatoires en cas d’attaque virale et marcha jusqu’à la boulangerie où il savait qu’il pourrait trouver quelques bouteilles et quelques barres chocolatées de sa marque favorite. En sortant de la boulangerie, il croisa à nouveau la jeune femme entrevue quelques jours plus tôt. Jean fut frappé par la clarté de son teint cachée par le masque, son éclatante chevelure brune, ses yeux, sa santé indécente. Encore une fois, il croisa son regard bleu outremer et vit se dessiner sur ses lèvres son sourire si particulier, un peu douloureux, et il en fut de nouveau troublé.

 

             Il rentra chez lui, se lava soigneusement les mains après avoir ôté ses bottes, sa combinaison et son masque de protection, désinfecta les bouteilles et les barres chocolatées, puis entreprit de préparer le contenu d’une bouteille-repas pour calmer sa faim. Il en choisit une à la fraise, ouvrit le goulot, remplit la bouteille d’eau filtrée jusqu’au trait, la referma et la mit sur l’agitateur électronique. Il régla celui-ci sur trente secondes et pendant ce temps, rangea le restant de ses maigres courses. Puis il saisit la bouteille sur l’agitateur, l’ouvrit et avala d’un trait le contenu parfumé. Rassasié, il alla à la salle de bain, et, d’un œil inquiet, s’examina dans son miroir électronique. Celui-ci pouvait lui renvoyer un reflet de lui passé, présent ou même le reflet d’un supposé futur. Il détectait les moindres changements physiques par rapport à la dernière fois où Jean s’était regardé (et il se regardait souvent) et pouvait, si on le lui demandait, les communiquer de sa voix suave. Un cheveu blanc, une ridule à peine perceptible, un subtil affaissement de la courbe du visage : rien n’échappait aux détecteurs ultra-sensibles. Anxieux, Jean fixa le miroir, scrutant une éventuelle altération, puis, ne constatant rien de particulier, il appuya sur le bouton pour s’assurer que ses yeux ne l’avaient pas trompé. Le miroir lui répondit gentiment pour une fois : « Vous n’avez pas changé depuis la dernière fois, vous semblez même légèrement rajeuni. » Malgré la situation, Jean se détendit, rasséréné. La voix continua, perfide : « C’est sans doute ce léger hâle qui vous donne bonne mine. » Jean sursauta. Son cœur s’emballa. Un léger hâle ? Trop tard, il avait déjà compris, entrevu ce que serait désormais sa vie, plus exactement la fin de sa vie. Lui aussi disparaîtrait, absorbé, dissous dans le décor, et il savait qu’on ne retrouverait peut-être même pas son corps.

 

            Alors, bravant la peur qui le paralysait, il saisit le carnet acheté à New York et sortit, sans prendre la moindre précaution pour se protéger. Il déambula dans les rues, et se mit à contempler sur son chemin les vestiges du monde qui avaient échappé au virus : une fleur poussée entre deux pierres, une voiture au pare-choc un peu enfoncé, une vieille femme sans masque, la partie droite du portail d’une église partiellement colorée. Il les observa, les détailla, décrivit ce qu’il voyait sur le carnet, cherchant à noter les détails, les nuances d’une couleur, la délicatesse de la courbe d’une feuille, le souvenir de l’agitation du marché du dimanche matin, se rappelant des odeurs, des lumières, la transparence de l’eau d’un ruisseau de montagne, sa fraîcheur saisissante. Chaque jour, il recommença ses promenades, après avoir constaté la progression de la couleur sur sa peau. Il écrivit des poèmes pour tenter de fixer l’insaisissable, la délicatesse d’une sensation, la fugacité d’un sentiment. Il compila, compta, les gens, les objets, les animaux. Il ne voyait plus que ce qui n’avait pas disparu. Quand il rentrait chez lui, il reprenait ses écrits inlassablement, corrigeant un mot, réécrivant des phrases entières pour décrire et témoigner au plus près des nuances du monde d’avant. Il y passait des heures entières, puis, épuisé, allait s’allonger sur son lit.

 

            Un matin, il s’aperçut que tous les vêtements de son armoire étaient devenus orange.

 

            Alors il descendit à la boulangerie, et malgré l’interdiction de rester immobile (il subsistait encore quelques lois qui essayaient désespérément de mettre de l’ordre dans ce chaos, mais elles apparaissaient si dérisoires que bien peu de personnes s’y conformaient), il attendit. Il attendit longtemps. Enfin elle apparut. Elle le regarda, vit que sa forme devenait incertaine sur le fond orange qui commençait à envahir le mur de la boulangerie. Sans savoir pourquoi, il lui tendit son carnet et les feuilles noircies de son écriture fiévreuse, qui contenaient ses descriptions, ses impressions, ses comptes, ses poèmes, ses histoires. Elle le regarda avec sa bienveillance teintée d’une insondable tristesse et les prit. Alors, serein, il se laissa absorber par la couleur et disparut. La jeune femme le regarda disparaître, impassible, avec un regard où se mêlaient la pitié, l’indifférence et la résignation ; puis elle ouvrit le carnet gainé de cuir noir, et en lut les premiers mots. Elle constata alors qu’elle allait tourner la page qu’une tache était apparue en haut de celle-ci. Rapidement, la couleur commença à prendre possession des mots. La jeune femme se pressa de lire la deuxième page et les pages suivantes, mais la couleur orange s’étalait rapidement et prit possession des écrits de Jean. Alors l’inconnue au regard si particulier jeta le carnet contaminé dans la grande tache orange où il avait disparu.

  

  

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