J'habite un pays... - Mariella-Francesca Teppa

Depuis le Taravu, Mariella-Francesca Teppa envoie un petit conte optimiste inspiré par les récents événements.

  

     

 J'habite un pays...

C'était un soir de l'an 2020, avant l'arrivée du printemps, un soir de lente descente de l'Homme aux Enfers. Un mal inconnu s'était répandu sur la Terre, emportant dans une pandémie, bon nombre de nos semblables. Et moi, perdue au cœur de l'île de beauté dans un village du sud, je tentais de conjuguer ma nouvelle solitude avec l'air du Temps... le confinement.

C'était un soir différent des autres... peuplé des  poèmes de Victor Hugo et des personnages du théâtre de Shakespeare, ma compagnie fidèle depuis quelques temps. J'avais refermé la fenêtre de ma chambre sur les plaines endormies du Taravu, dans un silence nocturne, mystérieux et presqu'inquiétant. Seul le cri régulier de la chouette, venait interrompre la paix muette que je goûtais. Me suis-je assoupie ? Je ne me souviens plus...
C'est alors que m'apparut, comme dans un rêve, une créature étrange, une sorte d'ange déchu. Messager ou spectre, je ne sais...  Avec son air grave, il me tint ce langage :

 

« J'habite un pays inconnu,
Où un ennemi scélérat,
Incognito, vil, s'insinue,
Du haut des cimes de l'État,

Jusqu'aux maisons de campagne,
Sous la peau des plus fragiles,
Innocents que rien n'épargne,
Il tranche les vies futiles ; 

Parque sombre, spectre chenu,
Sur notre monde consterné,
Il est l'Immonde Revenu !
L'ombre suit l'homme prosterné, 

Ce colosse aux pieds d'argile,
Qui de son semblable s'est ri,
Perdant d'un pas malhabile,
Contre la Mort, tout son pari.

 Où sont tous les verts paradis,
Reflets de terre jusqu'aux nues ?
Et ces vastes mers que tu dis,
Dans tes poésies ingénues ?

Dépensés puis vendus, comme
Son âme comptabilisée,
Le Futur est rendu à d'Homme,
Nature morte, lyophilisée,

Effrayante en ce noir tableau,
Où le ver, avide virus
Rampe sous le corps le plus beau,
Le plus vieux, Covid invictus !

Il a suffi d'un frais sorcier,
Apprenti maladroit, Minus
Es science, qui se croit d'acier,
Et la mort a d'autres rictus... »

 

Après ce récit empli de frayeurs, l'ange s'assit près de moi, en pleurs.
Je décidai de convoquer, pour le rassurer, mon archange préféré. Alors, Gabriel descendit du ciel et le prit sous sa grande aile consolatrice. Puis, avec un regard empli de douceur, il lui dit : 

 

« D'où viens-tu enfant, aux pieds nus,
De cette Terre encore en pleurs,
Qui voit des Enfers advenus,
L'Incendie amer, les lueurs ?

Des folies et des désastres,
Qu'en un morceau de l'Univers,
Répand au milieu des astres,
Un sot, qui dispose à l'envers, 

Le toit courbé des vastes cieux,
Sur un Eden, unique lieu,
Où en scarabée prétentieux,
Il peine à se prendre pour Dieu ? 

Sais-tu que la Résurrection
Guérit le Mal de tous les cœurs ?
Viens ! Versons ensemble l'onction
Sur toutes ces vies, ces douleurs !

 J'habite un pays inconnu
Où les enfants ne meurent pas,
Où l'Espérance revenue,
Efface l'heure du trépas, 

Sur la grève du chagrin noir,
Où l'âme brisée se flétrit,
J'accorde une trêve ce soir !
Viens ! Mon âme ailée qui guérit, 

Te  dicte ceci :

Va ! Dis aux hommes retenus
Par le glas sombre du malheur,
Que des Temps nouveaux sont venus,
Pour un neuf et noble labeur !

Sur des cimes idéales,
Le désir d'un plus mûr Espoir,
En sublimes cathédrales,
Est à bâtir ; il faut croire

Que la chute n'est point fatale
À l'homme qui voit sa faute,
Que le Destin, ce dédale
De forfaits, muraille haute, 

Peut mener encore au Bonheur,
Qu'il suffit d'une volonté commune,
Alliée au Courage, sa sœur,
Pour qu'une même tribune

Décrète l'universelle
Charité, au nom de l'Homme !
Sa larme secrète est celle
D'une vérité en somme : 

En des liens qui lui sont ténus,
Tissant sur les soies fragiles,
Ce mot neuf aux cœurs purs et nus...
Le mot veuf des sibylles... 

Habite un pays reconnu,
C'est l'Amour ! Qu' il ne se meure !
Ni ne lie la déconvenue,
Au cours parfait de ses  heures ! »

 

L'Esprit du songe envolé, un sommeil profond me convoqua jusqu'à l'aurore... Lorsque je m'éveillai, je vis par la fenêtre, que le paysage avait changé. Peut-être assistais-je aux métamorphoses de Kallisté ?
Une lumière plus vive qu'avant, baignait les champs d'oliviers. Les amandiers et les pruniers de mon jardin, paraissaient couverts de fleurs plus éclatantes. Soudain, le sentiment violent de mon existence m'étreignit, celui de mon appartenance à un grand Tout aussi... L'eau du ruisseau me sembla plus pure et plus limpide encore, la fauvette au ciel, plus rapide, le chant de la mésange plus fort... Et moi, j'avais vu un ange ! Je me dis que nous étions, nous, humains, au bord d'une Renaissance, la nôtre et celle du monde ! Mon être profond, lui aussi vivait  quelque métamorphose...
C'est alors que dans le  jour nouveau, sur le fond de cet azur serein, je vis, comme traînée de parcelles d'or, le mot Espérance parapher le ciel ! 

 

Le 7 avril 2020, au cœur du Taravu.

      

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