Mon deuxième manteau préféré - Dominique Appietto

Dominique Appietto se souvient de Marseille, de ses amis, de ses émois d’étudiant cinéphile et mélomane.

  

  

Mon deuxième manteau préféré

 

À 18 ans, je quittais ma province. 

À 24 ans, je partais faire mon service militaire.

Après un mois de "classes", en août, sous quarante degrés, à Montélimar où je n'ai jamais mangé le moindre bout de nougat, je partais à Paris. 

Au sein de l’école militaire, j'allais travailler pour le service communication des armées.

Séances de cinéma d'auteur, repas dans des restaurants asiatiques ou italiens, une année durant, magnifiquement épaulé par mon cousin Jean, ce gentleman – je vous en parlerai un jour –, je menai la belle vie.

Mon cursus universitaire – deux ans dans une école de Communication, à Marseille, et trois ans dans une école de cinéma, à Nice – m'avait mené là.

À 19 ans, j'arrivais à Marseille pour y préparer un BTS dans une boite privée digne des "Sous-doués passent le BTS". Elle rassemblait les pires cloches de l'univers. Une africaine, fille d'un ministre du Congo, quelques beaufs pour qui communication rimait avec publicité pour lessives, des fils et filles de bonnes familles un peu paumés, quelques jeunes gens réellement intéressés par la communication, moi, qu'on appelait "le Corse", et  Stéphane D. qui deviendrait comme dans la chanson de Serge lama, "mon maître et mon ami". 

À Marseille, j'allais beaucoup au cinéma. Il y avait cette salle "Art et essai", le Paris, rue Francis Davso, où je me souviens avoir vu « Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant » de Peter Greeneway. J'y allais seul. Je m'y asseyais toujours à la même place. Très souvent, j'y croisais une dame d'un certain âge qui me faisait rêver à des amours interdits. Elle était toujours vêtue de noir – bas, tailleur, chaussures – et avait toujours une grande bouteille d'eau dont elle ôtait le bouchon avec une infinie délicatesse.

Stéphane D, mon ami, ne m'accompagnait pas dans ce lieu de perdition cinématographique. 

Lui, son domaine, c'était la musique.

Nous vivions dans le même immeuble, dans à peu près le même studio. Moi, des photos de Vanessa Paradis punaisées au mur. Lui, un nombre incalculable de cassettes audio. 

Un soir, il m’invita chez lui et me fit écouter Echo and the Bunnymen. Ce fut pour moi le premier soir d'un commencement.

Nous fumions des joints, buvions des rhum-cocas, et dans cette atmosphère underground, si loin de ma jeunesse ajaccienne… à mille lieux du Riaquistu, je découvrais un monde musical qui n'allait plus me quitter. J’avais acheté un énorme radio-cassette Aiwa et nous y passions en boucle le dernier album des Smiths, "Strageways here we come", que nous préférions aux précédents.

Avec Stéphane, j’ai été à un concert des Pixies. J'ai vu Neil Hannon, seul avec sa guitare, à Montpellier, lors d'une soirée mémorable dont j'ai oublié la fin. Quand je ne descendais pas dans le sien, Stéphane montait dans mon petit studio et nous dégustions des "grillados" à l'oignon savamment choisis au rayon surgelé d'une supérette casino.  

À Marseille, vivaient aussi mon frère et ma marraine. Mais dans cette époque de crise d'adolescence tardive, mon ami, mon maître, ma famille, c'était Stéphane.

J'aurais tant à dire sur lui... Un soir, il m'a raconté sa virée dans une cité des quartiers nord pour acheter de l'héroïne. Un type était entré dans sa voiture et lui avait dit. – « Pars, ne vas pas te bousiller comme moi ! ».

Ce soir-là, Stéphane m'avait dit, sobrement, alors qu'il partait se doper à l'héroïne pour la première fois de sa vie, "Je préfère que tu restes là".

Ce soir-là, il allait rejoindre une amie Junkie, Marie-Laure, que j'avais surnommée Marie-Chlore. Elle voulait entrer dans une école de photographie. Elle n'en avait pas les moyens. Je crois qu'elle me plaisait, mais plus sérieusement que la dame du cinéma. 

Qu’es-tu devenue, Marie Chlore ? Qu’êtes-vous devenues, ombres de ma jeunesse ?

De ces années marseillaises, je garde aussi le souvenir d'un magasin de fringues de la place Thiars, la boutique Alibi. Ambiance gay frendly, bonne musique et belles collections… j'y passais du temps le samedi… Les vendeuses du rayon "Femmes" m'invitaient à monter à l'étage où les vendeurs du rayon homme pensaient que j'étais "comme eux".  J'ai acheté dans cette boutique mon manteau préféré : un caban de chez Jean-Paul Gaultier. Ce caban, je l'ai tellement porté, tellement usé, et surtout, tellement aimé qu'un jour, je l'ai honteusement jeté, comme une personne que l'on quitte et que l'on oublie. Comme ces amis de jeunesse qu'on perd de vue et qu'on ne revoit plus que dans des bribes de souvenirs...  

Si ce caban a disparu, il reste dans mon armoire un autre manteau : Mon deuxième manteau préféré. IL est en laine, avec du faux cuir sur une manche. Aujourd'hui, sa coupe est un peu démodée mais à l'époque, il faisait fureur. Quand j'ai été applaudir le chanteur Dominique A en concert, j'ai eu envie de le porter à nouveau.

Parce que...

Tant de souvenirs dans un vieux manteau...   

 

 

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