e-sula (isula) - David Gnansia

David Gnansia donne sa version de la Corse d’après le confinement où malgré tout le football a conservé toute sa ferveur… ou presque !

   

e-sula (isula)

 

C'était quelque part au mois de Mars de l'année 2019 ou 2020, difficile à dire... Le temps a passé, on s'est habitué.

 

Autrefois, on évoquait l'ouverture massive des frontières et les échanges humains et commerciaux, de technologies, de sciences, de connaissances, de savoirs, de cultures, de gastronomies... Rien à voir avec le monde d'aujourd'hui, plus triste, plus terne, plus... renfermé. Les frontières se sont à nouveau matérialisées et de nouveaux genres d'États se sont constitués.

 

Ajaccio était devenue la capitale de l’État de Sud-Corse au sein d'une île qui s'est divisée pour se réunir autour de ses centres hospitaliers en crise. De l'autre côté, Bastia devenait la capitale de l’État du nord. Les deux nouvelles entités s'étaient définies selon les tracés des anciens départements français avec comme frontière sanitaire naturelle, le col de Vizzavona, dont le relief freinait les désirs de mouvements. C'était une séparation de fait, par manque de moyens et non par réelle envie, mais une séparation tout de même effective. Lors de la Grande Contagion, le bassin Ajaccien était devenu un foyer trop important et impossible à contenir. L'hôpital était au bord de l'implosion à cette époque et celui de Bastia n'aurait pu supporter l'accueil d'autant de patients infectés. La Corse était devenue le plus grand foyer de France au point que le Gouvernement prit la décision de s'en séparer, dépassé par la diffusion massive de ce virus d'un genre nouveau sur le continent tout entier. Ce n'était pas le seul État à avoir procédé de la sorte, loin s'en faut : au pic de la pandémie, toutes nos conceptions ont volé en éclats et l'Europe s'est fragmentée en des dizaines de micro-États dont les hôpitaux devenaient les nouvelles paroisses. La maladie avait pris le dessus sur tout ce qui existait jadis. Il aura fallu des années et des années avant que le monde ne se relève peu à peu de cette pandémie qui l'avait changé à jamais.

 

Étonnamment, seul le football avait su résister à cette tempête inédite : à la fin du Confinement, les enfants étaient ressortis jouer dans la rue tandis que les joueurs professionnels reprenaient le chemin de l'entraînement au stade mais la pandémie avait laissé des traces ancrées si profondément que les championnats n'avaient jamais pu redémarrer faute de moyens humains et financiers. Et puis le sport n'avait rien de prioritaire alors que les nations morcelées cherchaient à se reconstruire. Certains clubs professionnels étaient redevenus de simples associations sportives de quartier quand d'autres avaient purement et simplement disparu pour rejoindre les archives footballistiques. Mais pas en Corse.

 

Ce samedi, c'était d'ailleurs jour de match. On jouait la 16e journée du championnat, quasi décisive pour l'attribution du titre. Il faut dire qu'avec l'arrêt définitif des Ligues 1 et 2, les clubs de football insulaires s’étaient retrouvés orphelins d'un cadre sportif qui rythmait les habitudes de vie des habitants de leurs villes respectives. L'Athlétic et le Sporting étaient déjà les moteurs passionnels de leurs bassins de populations mais il avait fallu se réinventer. Pour ne pas se laisser abattre. Pour vivre. Et la perte du football était difficilement envisageable après le Confinement. On l'oublierait presque mais le match du jour était une véritable bénédiction après ce qu'avait connu le monde quelques années auparavant. Certains éléments venaient le rappeler à Timizzolu ce samedi : la voiture y était désormais quasiment bannie pour éviter les attroupements, les titres d'accès entièrement dématérialisés pour éviter tout contact physique et les places espacées au sein de tribunes en apparence clairsemées. Pourtant, il s'agit de la plus belle affluence de la saison entre les deux principaux clubs de l'île.

 

 

 

Le Championnat de Corse de première division était composé de dix clubs représentant les principales cités insulaires : Ajaccio, Bastia, Porto-Vecchio, Corte, Calvi, l’Ile-Rousse, Propriano, Bonifacio et Sartène. La capitale sudiste avait la chance de posséder deux clubs au sein d'une élite âpre et disputée. L'Athlétic et le Sporting menaient les débats en tête du classement et l'un d'eux pouvait être sacré champion dès ce samedi en cas de victoire. Le stade de Timizzolu s'était littéralement paré des couleurs rouge et blanc du club local grâce aux contours LED des gradins. Le pourtour réservé aux ultras possédait ses propres luminaires, permettant de créer une animation visuelle sublime et personnalisée retraçant les victoires décisives des leurs face à l'adversaire du jour. Dans ce championnat, aucun déplacement de visiteurs n'était autorisé : on respectait les consignes sanitaires hospitalières en vigueur depuis la fin du Confinement et passer du Nord au Sud ou inversement devait être strictement justifié. Le football ne faisait pas partie des priorités de déplacement. La ferveur en avait pris un coup mais les spectateurs se sont peu à peu pris au jeu et l'entrée des joueurs sur le terrain en était la preuve : la clameur venue des tribunes nous rappelait l'enjeu du jour.

 

Les onze protagonistes étaient chaleureusement applaudis et les chants à la gloire du club résonnaient de plus belle. Sur l'écran géant de la tribune Sud, les supporters du Sporting se faisaient également entendre alors qu'ils assistaient au match, de leur côté, à Furiani. Casque en main, les sportifs se mettaient en place et l'arbitre pouvait siffler le début de la rencontre. Tous prirent leur matériel et l'installèrent alors immédiatement sur le visage en vue de commencer la partie. Les spectateurs présents avaient la possibilité d'amener leur tablette numérique afin de suivre la rencontre sur écran et de choisir l'angle de vision souhaitée tout en grignotant un morceau assis en tribunes. Choisir la vision subjective c'était se placer dans les yeux d'un joueur de champ, comme vivre le match de son point de vue. Rien n'interdisait d'observer le ballet de joueurs casqués sur le terrain bien entendu mais l’œil humain, lui, était incapable d'observer la confrontation de deux équipes adverses bien réelles et pourtant virtuelles. Au coup d'envoi, les avatars des deux équipes du jour se matérialisaient. Il était possible de reproduire fidèlement les enceintes sportives dans lesquelles se jouait la partie et de « remplir » le stade clairsemé de supporters, eux aussi partiellement virtuels, donnant l'impression d'un stade plein à craquer. À l'occasion de ce match si particulier, les dirigeants de l'Athlétic avaient fait le choix d'utiliser les images d'archives de la dernière confrontation professionnelle d'avant Confinement entre les deux clubs. C'était en 2014, des années qui paraissaient plusieurs décennies déjà. Avant de jouer, il tenait à cœur aux supporters des deux clubs d'entonner en commun le Dio vi Salvi Regina, symbole d'une Corse faisant fi d'un virus qui avait bouleversé les vies de milliers, de millions de gens.

Comme le souvenir passé d'un instant durant lequel aucun appareil numérique n'était nécessaire pour se rassembler.


      

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