Les trois potions de Vanuatu - Louis Reynier

Louis Reynier nous invite en un voyage mystique, là où la vie peut changer, et les miracles se produire.

 

Les trois potions de Vanuatu

 

 

Harry Brown avait gagné énormément d’argent et une réputation d’excentrique. L’intelligence artificielle et le big data avaient fait de lui un des multimilliardaires les plus influents de la Silicon Valley. Autour de la cinquantaine, il avait commencé à prendre du recul sur ses affaires. Il lui arrivait parfois de disparaître pendant plusieurs semaines et l’on découvrait plus tard qu’il était parti faire une retraite dans un monastère bouddhiste au Népal, ou qu’il avait parcouru à pied le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Harry avait compris qu’il était arrivé vraisemblablement au mitan de sa vie, et que le meilleur était passé. Il aurait pu, comme d’autres entrepreneurs de sa trempe, partir à la conquête de l’espace, ou vivre dans un luxe ostentatoire, mais il n’en voyait pas l’intérêt. Ce n’était pas son style. Harry était végétarien, pratiquait la méditation et le yoga et s’intéressait au chamanisme. Il était persuadé que quelque part dans ce vaste monde, certains peuples vivant dans des régions reculées possédaient des secrets permettant de vivre mieux et plus longtemps.

À l’aide d’un algorithme « big data » qu’il avait créé, Harry analysait des milliards de données de santé du monde entier. Un chiffre, un jour, l’intrigua. Sur l’île d’Épi, dans l’archipel du Vanuatu au milieu de l’océan Pacifique, un petit village isolé du nom de Tanga possédait un taux de centenaires très supérieur à la moyenne.

 

Harry partit enquêter discrètement à Épi. Il s’installa dans un gîte sur cette île volcanique et discuta longuement avec les habitants de la côte. Il apprit que les habitants de Tanga, village perdu dans la montagne, ne se mêlaient guère au reste de la population de l’île. Lorsqu’ils parlaient de ce village et de ses habitants, les insulaires évoquaient la légende des « trois potions de longue vie ». En bichlamar, la langue du Vanuatu, cela se disait « ol tri dring blong longfala laef ». On racontait que le kleva-man, le sorcier de Tanga, connaissait ce secret très ancien.

 

Harry réussit à trouver un guide et interprète pour l’accompagner à Tanga. Après avoir fait la coutume avec les autorités du village, Harry fut autorisé à y séjourner. Il put s’entretenir avec le kleva-man. C’était un homme très âgé, qui n’avait plus qu’une dent, longue et recourbée. Elle avait été prélevée sur un cochon et le vieux sorcier la portait en travers de sa cloison nasale.

 

Après avoir été interrogé sur ces motivations, Harry fut invité, le soir suivant, à recevoir la première potion dans le nakamal, la grande case commune. La boisson lui fut servie au cours d’une cérémonie, dans un bol en noix de coco. Cela ressemblait au kava, une infusion de racine de poivrier consommée par les peuples de cette partie du Pacifique. Après avoir bu la potion, Harry plongea dans un profond sommeil. Il raconta plus tard à un de ses amis qu’à son réveil, il s’était senti changé, transformé, dans son corps et dans son âme, qu’il avait l’impression de vibrer en harmonie avec la nature qui l’entourait, avec les arbres, les fleurs, les animaux, qu’il lui semblait maintenant faire partie d’un tout. C’était comme une renaissance. Le sorcier l’invita à quitter le village et à rentrer chez lui. Lorsque Harry demanda quand il pourrait revenir, le sorcier lui répondit : « Nekis yia kambak ! » (Reviens l’an prochain !)

 

Harry rentra donc chez lui, en Californie. Il se retira complètement des affaires. Il ne fréquentait plus grand monde, et dormait maintenant dehors, dans le parc de sa propriété, parmi les fleurs et les arbres. Certains affirmèrent avoir vu des papillons tourner autour de son visage, et d’autres, des oiseaux sauvages se poser sur son épaule.

 

Un an après, il retourna à Tanga et but sa deuxième tisane. C’était un breuvage beaucoup plus clair qui le plongea aussi dans un profond sommeil. À son réveil, il éprouva la même sensation que la première fois mais encore plus forte. Rentré en Californie, il vendit la plupart de ses biens et toutes ses actions des sociétés qu’il avait créées. Il acheta dans le Montana un domaine vierge, immense, où il s’installa. Les quelques personnes qui l’approchèrent affirmaient qu’il ne mangeait plus et ne s’alimentait plus qu’avec de l’eau de source. Pourtant, il paraissait toujours en bonne santé et même rajeuni.

Au bout d’une année, il retourna à Tanga pour la troisième potion. Ce breuvage était clair comme de l’eau pure. Cette fois-ci, après avoir bu, il ne s’endormit pas mais éprouva, au contraire, le besoin de se lever et de marcher. Il sortit du nakamal, se dirigea vers la place au centre du village. Après quelques pas, il s’immobilisa…

 

Si d’aventure, vous vous rendez sur l’île d’Épi au Vanuatu, dans le village montagneux de Tanga, vous remarquerez sûrement un arbre majestueux au milieu de la place principale. C’est un banian, un figuier géant qui fait des fleurs rouges magnifiques. C’est un arbre sacré, tabou. Les villageois en prennent grand soin, ils y accrochent des morceaux de calicot colorés. Ils lui ont même donné un nom : Ari waetman (Harry l’homme blanc en bichlamar). Curieux nom pour un arbre !

 

 

 

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