Sylvette Pietri Couderc - L'intelligence sacrificielle

Sylvette Pietri Couderc s'interroge sur la notion d'intelligence... artificielle ? Sacrificielle ? Sylvette Pietri Couderc s'interroge sur la notion d'intelligence.



L'intelligence sacrificielle



L'aube est fraîche, déjà, et je me perds dans mes pensées nébuleuses.

Installée dans un fauteuil, je regarde le jardin à la recherche d'une sensation vive qui réveille mes neurones. Un vide abyssal m'habite, peuplé de mots qui dansent, tourbillonnent et s'enfoncent dans la nuit d'un puits.

Mon chat miaule et s'exaspère.

La discussion, la veille, lors de la réunion des enseignants sur l'Intelligence Artificielle, flotte dans ma tête. Les mots restent en désordre : danger, fainéantise, à quoi servirons-nous, fini le savoir transmis, etc. Je n'ai pas formulé une parole, je ne savais pas, je ne sais plus. Tous les aspects négatifs ont écrasé mon cerveau. Aucune piste de réflexion audacieuse n'a surgi. J'aurais aimé un tableau traditionnel : points positifs, points négatifs, pour notre métier d'enseignant. Pour la médecine, l'aéronautique, la criminalité et que sais-je encore, c'est sans conteste un progrès. Pour l'édition, les traducteurs et nous, les professeurs...? Je réfléchis, en contractant les muscles faciaux espèrant que grâce à un effet mécanique des idées surgissent. Mes idées tourbillonnent, mon chat s'agite. Et seul, le café, son odeur puis sa dégustation, parviennent à me calmer et ainsi clarifier mes réflexions. J'émerge, cesse de me débattre et me raccroche à mon expérience déjà ancienne de la transmission du savoir. Les deux termes "intelligence" et "artificielle" semblent antinomiques." Intelligence Sacrificielle" paraît plus adaptée à mon esprit d'humain, pétri d'humanité, gavé de connaissances littéraires (quoique parfois superficielles ). Sacrifice de notre intelligence au service du royaume de la rentabilité et du progrès technologique ? Non, cela ne me satisfait pas. Un deuxième café, le puits ouvre ses entrailles et mon chat s'apaise.

Je constate que, depuis longtemps, des livres, des films sont fabriqués selon une trame définie, avec des ingrédients pré-établis, à valeurs marchandes : certains soap-movies, des romances feel-good. Il se trouve déjà des logiciels, des sites qui mâchent le travail des élèves, des résumés tout prêts d'œuvres littéraires, des dissertations rédigées à la disposition des étudiants. N'avons-nous pas des difficultés à corriger des textes en “copier-coller", pris sur Internet, ceux écrits par les parents ou un professeur particulier, des devoirs qui se vendent... ! Combien de copies où l'élève a bien" ingurgité" les connaissances nécessaires (« Devoir sérieux. Toutefois... ») mais qui restent superficielles, sans originalité, créativité.

La robotisation des enseignants et des élèves n 'est-elle pas déjà là depuis toujours ! On leur fait apprendre et on attend le retour des connaissances transmises. Certains sauront, comme toujours, manier à leur avantage cet outil qu'est l'IA, plus performant. Et d'autres trahiront leur difficulté à transformer un texte proposé par cette intelligence en quelque texte singulier. Car il s'agit de cela.

Ainsi une nouvelle piste de travail, avec mes élèves, se dessine pour moi. L'enthousiasme est revenu et je prends ma pile de copies à corriger, mon stylo à encre rouge prêt à tracer mes phrases habituelles : « intéressant », « mérite d'être développé », « le sujet ne vous inspire guère... »



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