Jocelyne Normand - Les gens sont cinglés

Jocelyne Normand nous parle d'un temps... D'un temps qui n'est plus que nostalgie et que nous devrions préserver... Au nom de notre humanité.

 

Les gens sont cinglés

 

« Les gens sont cinglés ! » C’est péremptoire de la part d’une amie. Nous devisions à propos des visages et des yeux penchés sur les smartphones dans les transports en commun et tous les lieux publics. Cela rend les gens aveugles à tout ce qui les entoure, même à l’autre qui se trouve pourtant juste en face d’eux.

Moi, je n’ai pas de smartphone (pas de tablette puisque c’est aussi comme ça que ça s’appelle). J’ai juste un tout petit téléphone portable, acheté 9 euros et des poussières à La Poste il y a quelque temps déjà. Il ne prend pas les photos et ne les reçoit pas non plus (je continue cet « art » en argentique en achetant des pellicules et en les faisant développer). Mon petit téléphone me permet juste de passer des appels, d’en recevoir, d’envoyer des SMS et d’en recevoir et c’est tout.

Je ne suis pas sur les réseaux sociaux auxquels je ne comprends rien et que je ne veux pas comprendre.

Et, ô joie, dernièrement , grâce à une association (pas très loin de chez moi), sur mon ordinateur j’ai pu échapper à windows (adios windows… ). De cette manière, j’ai appris que mon ordinateur est loin d’être foutu et que donc quand windows changera encore de logiciel moi je devrais être tranquille, alors que si j’avais fait appel à un circuit normal (de capitalisme échevelé… ) pour mon ordinateur cela aurait été obsolescence programmée comme d’habitude n’est-ce pas...

Vous me direz : « Vous avez la chance d’être retraitée, éloignée désormais de l’univers impitoyable du monde du travail ». C’est vrai sans doute et je ne suis pas grand-mère non plus (ma fille unique n’ayant pas eu d’enfant). Je n’ai donc pas de petit-enfant qui aurait pu (sait on jamais) être « accro » aux écrans.

J’ai quitté la Corse en 1999 après y avoir été journaliste en grande partie chargée des faits divers et des audiences des tribunaux. C’était l’avènement des téléphones portables à cette date-là. Juste avant cela, nous ne disposions que de téléphones fixes au bureau ou dans les cabines téléphoniques quand elles existaient et quand elles fonctionnaient…

Et pour transmettre les photos au journal sur le continent c’était le « hors sac » c’est à dire les pellicules confiées à l’équipage d’un avion ayant mission de les remettre au destinataire. Il fallait faire vite pour ne pas rater le décollage à l’aéroport. Il arrivait que les pellicules (« oubliées ») étaient de retour sur l’île. Dans ce cas, quand on travaillait dans un quotidien et que les photos devaient impérativement paraître dans le journal le lendemain, c’était « belin », le bélinographe, un truc ancestral du journalisme, à manivelle… Sans garantie de la qualité des photos le lendemain dans le journal.

Je me souviens de scènes de fou rire pendant l’opération « belin ». Rire qui devenait jaune puisque nos chefs sur le continent s’étranglaient car ils en étaient au bouclage du journal et ils se demandaient s’ils n’auraient pas un très gros trou pour cause de photos olé olé...

Bref ! Nous n’étions pas des robots, nous étions des personnes en chair et en os et tout à fait capables de réfléchir et de créer et de rire… oui… et je pense que nous le sommes restées.

Moi, régulièrement, je me sens agressée par le monde autour de moi aujourd’hui. Et, dernièrement, alors que, dans un magasin de bricolage, je cherchais un truc ancien de camping gaz pour avoir juste un dépannage, je me suis sentie totalement agressée car j’ai vu que les gens en camping sont connectés sur tous leurs appareils. Quand je suis rentrée chez moi, je me suis mise à pleurer à chaudes larmes. Ma petite chienne setter adoptée me regardait désolée. Elle n’aime pas les émotions fortes, ni le rire, ni les pleurs.

J’ai raconté ça à une amie qui m’a dit : « Moi aussi, ça m’arrive. Si je ne pleure pas en tout cas je fulmine ».

Mais alors , tout ce vous nous racontez là, qu'est-ce que cela a à voir avec l’intelligence artificielle ? Mais tout selon moi, tout…

Il paraît que je suis une « has been » qui n’a rien compris, qui croit que l’intelligence artificielle c’est juste une histoire de robots… Or, parait-il, ce n’est pas ça du tout. C’est une histoire d’algorithmes et qu’est-ce que vous y comprenez vous ma petite dame aux algorithmes ? Hein, je vous le demande…

Au secours les matheux ! Et pendant ce temps, les matheux sont en train de prôner la craie sur le tableau noir pour les équations, le geste de la main en lien avec le cerveau, essentiel pour la créativité, « cet attachement révèle les liens intimes entre corps, geste et esprit ». En témoignent des articles de Catherine Mary du 25 novembre 2013 pour Le Monde et de Cyrille Vanlerberghe du 22 juillet 2016, pour Le Figaro à Bure-sur-Yvette, à l’IHES, « temple des mathématiciens ».

Je me souviens (encore!) d’un jour de 2014 où je rencontrai le patron d’un établissement atypique où je souhaitais animer un atelier d’écriture. Il me dit : « L’écriture oui vous avez raison, il faudrait qu’elle soit manuscrite. Aux USA, les Américains n’écrivent plus à la main même pas pour leur liste de courses ».

Et, neuf ans plus tard, j’ai lu que, dans certains États des USA, il est interdit aux enfants d’écrire à la main. Alors ?

Dernièrement, on demandait à Sylvain Tesson pourquoi il comparait ses carnets de notes à un herbier. Il répondait que, pour faire un herbier, on presse des plantes entre des feuillets (de papier). « Les enfants d’aujourd’hui savent-ils encore composer un herbier ?, s’interrogeait-il. On ne peut pas presser des plantes ou des fleurs entre des écrans pour les faire sécher ».

Tout cela, la dérive du numérique dénoncée a à voir avec ce qu’on appelle aujourd’hui l’intelligence artificielle selon moi.

La fameuse IA a ses admirateurs nombreux... Il y a quelques jours, j’ai entendu à la radio quelqu’un raconter qu’une chanteuse connue de nos jours a été étonnée de « s’entendre », reconnaissant sa propre voix en version intelligence artificielle. Un monsieur du show-biz interviewé a estimé qu’il faudrait bien sûr que les artistes soient « correctement indemnisés » mais qu’on ne « pouvait pas se passer des progrès que représentent ces nouvelles technologies enthousiasmantes »… Et voilà, l’argent pour faire avaler la pilule amère… Le capitalisme échevelé...

Pire, il parait qu’on va « faire parler les morts » grâce à l’IA. Toujours entendu à la radio, ça date d’hier ou d’avant-hier. On devrait se bousculer au portillon. Au secours !

Mais nous, nous voulons des poètes en chair et en os, nous voulons des coquelicots (c’était et c’est toujours le slogan contre les pesticides).

 

 

 

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