- LND 2023 - Novembre
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Jocelyne Normand nous transporte dans un monde de fragrances et de soleil, pour le thème odeurs et souvenirs.
Ode au vétyver bourbon
C’était au milieu des années 70, cela fait donc presque cinquante ans. Je me revois, au volant d’une voiture, sur une route de La Réunion, je suivais une charrette chargée de cannes à sucre. C’était la période de la coupe dans l’île. Je circulais en direction des Hauts de Saint-Joseph, vers le sud, où je voulais visiter une distillerie de vétyver, au lieu -dit « Petite île » exactement.
Je venais de découvrir avec ravissement les huiles essentielles de ylang-ylang, géranium bourbon et vétyver bourbon. C’était cette dernière que je venais d’adopter comme parfum et j’avais l’impression que toute l’île sentait le vétyver. C’était l’âge d’or de cette huile essentielle dont la plante, originaire d’Inde, avait été introduite et plantée là au XIXe siècle.
Son odeur boisée, verte et de racine, voire fumée, me plaisait énormément. Sans doute me rappelait-elle l’odeur de « Eau Sauvage » de Dior, l’eau de toilette de mon compagnon que j’avais adoptée moi aussi avant de découvrir l’huile essentielle de vétyver à La Réunion.
À cette époque, les coopératives qui se chargeaient de la distillation disposaient d’un matériel des plus sommaires, relevant de l’alambic ancestral. Peu m’importait, j’étais fascinée par ce savoir-faire artisanal.
C’est curieux qu’aux huiles essentielles fleuries comme l’ylang-ylang et le géranium, j’aie préféré le vétyver sans l’ombre d’une hésitation. Pourtant, les champs de vétyver apparaissaient moins séduisants que les plantations de ylang-ylang aux fleurs jaunes très parfumées, voire entêtantes.
Le vétyver est une graminée dont on utilisait les feuilles pour la couverture des paillotes créoles en chaume, entre autres, et les fagots comme insecticide naturel. L’huile essentielle est extraite de la racine, de taille importante. Les plus grands créateurs de parfum – dont Dior – l’ont utilisée dès les années 20. Jusque dans les années 70, La Réunion produisait 45 tonnes d’huile essentielle de vétyver par an. Dès les années 80, elle a été détrônée par Haïti (mondialisation oblige…) qui produit forcément une huile essentielle meilleur marché en raison d’un coût de la main-d’œuvre (pour l’arrachage des racines par exemple) nettement moins élevé qu’à La Réunion. Et voilà comment la France (puisqu’il s’agit de l’un de ses départements d’outre-mer) a délocalisé une production d’exception qui faisait vivre un nombre conséquent de personnes.
C’est d’autant plus déplorable que le vétyver est « naturellement bio ». Cette plante est rustique, elle peut vivre 200 ans et ne connaît ni maladies, ni prédateurs. Elle n’exige donc pas l’utilisation de pesticides. Elle est idéale pour le développement durable puisqu’elle combat l’érosion des sols. Elle aurait même résisté à un ouragan en Haïti.
Les créateurs de parfums grassois ont essayé de résister car l’huile essentielle de vétyver bourbon leur semblait la plus noble. Mais le capitalisme échevelé était à l’œuvre. Il ne reste plus que deux producteurs d’huile essentielle de vétyver bourbon à La Réunion qui ne « pèsent » plus que 45 kg, une « paille » par rapport au rouleau compresseur haïtien avec 80 tonnes annuels !
J’ai travaillé comme journaliste à Grasse de 2000 à 2006. J’ai beaucoup aimé cette ville, anciennement très industrielle avec ses usines à parfum datant du XIXe siècle. Ces bâtiments fascinants nous étaient ouverts sur demande et puis durant les journées du patrimoine. Je me souviens de l’odeur très présente restée imprégnée dans leurs murs. L’odeur du vétyver évidemment, de la rose de mai, du jasmin, de la tubéreuse… Quel bonheur !
Depuis quelques années, Grasse a renoué avec sa tradition de capitale de plantes à parfum, attirant à nouveau les plus importants parfumeurs et leurs investissements. Mais si la rose de mai, le jasmin et la tubéreuse peuvent être cultivés tout autour de Grasse, le vétyver est lui une plante tropicale qu’il leur faut donc importer.
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