Pierre Lieutaud -  Les projets d’Amilcar Hollenstein

Dans un monde où les énergies fossile se font de plus en plus rares, pourrions-nous exploiter l’énergie des êtres vivants…? Pierre Lieutaud nous entraîne dans une intrigante dystopie, dans les songes d’un « savant fou »…

 

 Les projets d’Amilcar Hollenstein

 

Le fond de la terre, raclé par les machines les plus perfectionnées, aspiré par les pompes les plus puissantes, était maintenant à sec… Tout ce qui pouvait alimenter en énergie fossile les humains avait été extrait et utilisé…

Le vent faisait tourner les éoliennes quand il soufflait, le soleil chauffait les grands panneaux endormis, pointés vers lui comme des suppliques quand il faisait jour, c’est à dire la moitié du temps et si les nuages ne le cachaient pas… Quand la pluie tombait, elle remplissait bien les barrages, mais quand le soleil brillait, il en évaporait l’eau, quand on utilisait cette eau pour faire tourner les génératrices, les barrages se vidaient et pendant la saison chaude, ces lacs artificiels devenaient de grandes flaques bordées par une bande sans végétation, une frange boueuse et stérile qui attendait les pluies d’automne pour plonger dans ces flots provisoires… Et l’été, les génératrices privées des cascades d’eau des conduites forcées, dormaient sous les grandes verrières des usines hydro-électriques en attendant elles aussi les pluies d’automne…Et puis, la pluie se faisait rare, les rivières qui refroidissaient le cœur des centrales atomiques n’étaient plus que de petits ruisseaux. Un peu partout, pour éviter une surchauffe et une explosion, on avait sorti de leurs sarcophages les barres d’uranium dont on ne savait que faire. Les populations grignotaient des pastilles d’iode sans trop savoir pourquoi dans une ambiance de fin du monde à venir et qui ne saurait tarder.

 

Messieurs, déclara le président, au cours du colloque sur l’Energie, tout ce que nous avons fait jusqu’ici est incomplet, provisoire, dégradant pour la nature et insatisfaisant pour les populations. Nous manquons d’énergie, mais de l’énergie, il y en a partout. A nous, à vous de la débusquer et au plus tôt. Je demande, au nom de l’humanité, à tous les centres de recherche de conjuguer leurs efforts pour trouver une solution à cette pénurie qui met les hommes en danger…

 

Amilcar Hollenstein avait envisagé toutes les solutions en l’état de la science actuelle. Deux voies lui semblaient possibles pour aider le monde à ne pas disparaitre. Et à retrouver une harmonie et une propreté perdue.

L’homme lui-même fabrique de l’énergie nuit et jour, se disait-il. N’y aurait-il pas un moyen de lui en faire fabriquer plus en utilisant par exemple la force développée par l’utilisation des vélos ergométriques, ces bicyclettes fixées sur un piédestal qui sommeillaient dans tant de maisons, appartements, gymnases ? Et d’utiliser cette énergie pour fabriquer de l’électricité. Un espèce d’impôt énergétique pour l’ensemble des humains. Il pensa que le fait de priver un corps d’une partie de l’énergie qu’il fabrique à son usage posait un problème quasi philosophique. L’homme réduirait-il alors son train de vie ? Et s’il voulait le conserver, serait-il alors obligé de consommer plus pour faire face à ses deux exigences cumulatives ? Pourrait-on programmer des plages d’énergie dont une serait pour lui et l’autre pour le reste du monde ? Ne risquerait-on pas de voir apparaître des producteurs d’énergie mercenaires, des individus sédentaires et suralimentés, utilisant leur trop plein calorique pour le monnayer ? Des excités, pédalant des heures entières, branchés à des génératrices fabriquant du courant électrique qu’ils vendraient, spéculant sur les tranches horaires de leur production, des individus adaptés aux heures de pointe, pédalant les soirs d’hivers entre dix-huit  et vingt et une heures, avec sous les yeux un indicateur instantané des besoins énergétiques du monde.

Amilcar rêvait d’un pool de pédaleurs qui produiraient le surplus d’énergie indispensable à la marche du monde et que les autres dispositifs en place ne pouvaient fabriquer… Un immense téléthon, mais difficile à mettre en place. Les hommes étaient si imprévisibles, versatiles et vénaux qu’il eut alors l’idée d’une carotte : la création de dynamo-clubs un peu partout qui seraient mis en concurrence avec, à la clé, des prix, médailles,  chèques et toutes les gratifications susceptibles d’attirer le public. Mais tout cela avait une fiabilité incertaine face à des besoins énergétiques incompressibles.

Il chercha alors des sources d’énergie ailleurs que dans le corps des hommes. Le règne végétal L’avait toujours intéressé. Il recouvrait le monde et la croissance des plantes et des arbres semblait une fantastique envolée vers le ciel. Le sang qui nourrissait les arbres, c’était la sève. Et la sève montait le long des troncs, des branches, des ramifications de plus en plus fines pour alimenter cette croissance. Quelle force la propulsait vers le haut ? A la fois la poussée à partir des racines, la pression osmotique et l’aspiration vers le haut. Et la sève montait… Il conçut le prototype d’une minuscule génératrice qu’il implanterait sur les canaux de sève, une espèce de roue que la sève en montant ferait tourner et qui produirait une quantité infime d’énergie électrique. Mais ces minuscules dispositifs, s’ils étaient greffés sur des millions d’arbres, de plantes vivaces, d’arbustes, de bosquets, produiraient une quantité d’énergie électrique phénoménale qui remplacerait une partie  de celle que l’absence des énergies fossiles ne produisait plus. Il appela cette énergie végétale «  l’élec-tree-cité »  et il  réfléchit à un projet de mise en service de ce système.

En fonction du débit de la sève, de l’importance du support végétal et en laissant libres la plupart des canaux de sève pour ne pas gêner la croissance des végétaux, il conçut différentes tailles de génératrices. Il imagina les sites d’implantation sur les canaux de sève sous la forme d’un petit boitier appliqué sous l’écorce dans la lumière de ce canal ou les aubes de la turbine seraient immergées par une incision. Le bobinage de la génératrice soulèverait légèrement l’écorce, créant une petite bosse, et un fil conduirait l’électricité produite jusqu’à un nœud ou convergeraient tous les fils du même bosquet ou du même groupe de plantes ou d’arbres et de là, des fils de diamètre plus gros conduiraient ce courant vers un central local d’où il serait injecté dans le réseau… Et pendant les périodes où la sève ne montait pas, on pourrait utiliser l’énergie humaine et on aurait ainsi une production constante en couplant ces deux mécanismes. Finalement, en ajoutant l’énergie électrique humaine et végétale aux énergies solaire, éolienne, hydraulique classiques, il serait possible de faire face aux besoins  de la vie et de l’activité de l’humanité dans un monde devenu raisonnable et propre et qui ne disparaitrait pas.

La nuit venait. Amilcar s’allongea sur son lit, suça une pastille de miel, éteignît la lumière et chercha le sommeil en se disant que pour les heures à venir la petite machine énergétique qu’était son corps ne servirait qu’à une simple survie nocturne. Ce qui lui parut bien dommage. Ces milliards de corps qui peuplaient la terre, endormis la nuit comme lui, avaient si peu besoin d’énergie que d’en prélever une petite partie n’aurait aucune conséquence. Deux degrés centigrades captés par un système inversé de couverture chauffante sur tous les corps de la terre ajouteraient une source d’énergie de plus… Et puis, il se souvint des travaux scientifiques qui montraient que l’hypothermie relative prolongeait la vie des cellules et donc des humains. Il sombra dans le sommeil en se disant que plus les humains vivraient, plus ils seraient nombreux sur la terre et plus il y aurait de pédaleurs…

 

 

 

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