Jean-Louis Ozsvath -  Trois objets

 

Trois objets enfouis au fond de la mémoire. C’est déjà un début de musée imaginaire, par Jean-Louis Ozsvath

 

 

Trois objets

 

C’est un vieux manuel, sans charme particulier. Son format est modeste, in-duodecimo disent les amoureux des livres. La reliure en carton vert armée est bien essoufflée. Et puis, tous ses coins sont pelucheux, irrémédiablement dégarnis.

C’est à l’intérieur que se trouve mon premier trésor. À la page 244. Une reproduction modeste, en noir et blanc. Je me souviens enfant, scrutant pour la toute première fois cette image, la succession d’étranges maisons et de tourelles, leur pignon tourné vers le quai. Le reflet, trouble et lumineux sur le miroir glacé de la mer. Peut-être était-ce un fleuve, d’ailleurs ? Comme j’essayais de lire à haute voix la légende, je me demandais où pouvait bien se trouver Delft, cette ville si délicate, dont j’admirais la vue ? C’était peut-être en fait une cité de légende, une vision ou un mirage ? Et cet artiste, comment devait-on prononcer son nom ? Quelle langue mystérieuse était-ce ?

Pour la première fois de ma vie, j’admirais quelque chose qui n’était ni de ma famille, ni de ma ville, ni-même de mon pays. Pas non plus de la Bretagne émeraude où mes parents m’emmenaient chaque été. Non, quelqu’un d’ailleurs m’avait emporté là où je n’étais jamais allé auparavant.

Le second trésor est perdu. Il se trouve peut-être encore enfoui dans un recoin du chemin de pierre qui mène à notre demeure. Ou bien, abandonné dans une zone commerciale laide et sale, violemment éclairée par des néons multicolores.

Ce bijou précieux ? Une pièce de métal usinée, polie, un tube d’une longueur de trois centimètres à peine. Entaillée en biseau à son extrémité, elle faisait un formidable décapsuleur de poche. Je la sortais avec malice, certain de mon effet, dès qu’il s’agissait d’ouvrir une bouteille, sur la route du Tibet comme dans les villages reculés qui bordent le Mékong. Je l’avais attachée, il y a bientôt trente ans à mon porte-clé. Jamais, elle ne me quittait. Et puis, elle s’est détachée, s’en est allée, sans me prévenir.

Je me souviens de l’homme, un Nigérian igbo de cette région qu’on appelait autrefois le Biafra, qui me l’avait offerte. Nous avions passé ensemble une semaine inoubliable à discourir tous les soirs autour d’un verre sans fin de Hi-Malt, la bière locale. Ce modeste présent, il l’avait dans sa poche, au moment de nous quitter et il me l’avait donné pour sceller notre amitié. À jamais.

Quelle serait le troisième trésor que j’aurais envie de léguer à mon fils ?  Une musique idéale pour accompagner mon adieu à ce monde. Un hymne plutôt, roulant sous les doigts d’un contrebassiste français, bonnet de marin façon Cousteau vissé sur la tête. La famille Texier, c’est le père, le fils et le Saint-Esprit du jazz réunis. Dès la première écoute de l’album Carnets de routes, j’étais resté stupéfait en entendant ce morceau, sans aucun doute composé très exactement pour moi. À la dixième écoute, je me suis décidé à en lire le titre : Annobon.

Qu’est-ce que cela signifie signifie d’ailleurs Annobon ?

 

 

 Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La quatrième proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« La cour du Palais Fesch, vue par un homme heureux puis par une femme malheureuse. »  

    

 

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