Paul Dalmas-Alfonsi - Et grandes peurs d'enfants

Et grandes peurs d'enfants

 

 

Toulon, le 6 janvier 1997 : Niculetta Bernard – née Alfonsi, en 1915, à U Poghju di San Gavinu, en Ampugnani – se rappelle les circonstances de la mort de sa grand-mère maternelle, au village.

Elle n’avait pas encore dix ans. Elle dormait, avec frère et sœur, dans l’une des pièces du bas de la maison de ses parents. Une certaine nuit, on est venu dire à Maria Divota, la sœur aînée, qu’elle se lève et monte aider parce que leur grand-mère était morte.

« Et nous – son frère Bastianu et elle – on montait en haut de l’escalier. On montait. On écoutait ce qui se passait, et puis, hop ! on partait. »

Ils redescendaient vite dans leur chambre du bas. Et, une fois là, Bastianu cherchait la mort partout, à l’intérieur du coffre à linge, derrière ce coffre ou sous les lits. Niculetta attisait sa peur. Il avait deux ans de plus qu’elle mais il était craintif. Elle le savait bien.

C’est vrai qu’ils l’avaient vue, depuis le haut des escaliers. Serena, une voisine d’expérience et la toute jeune Maria Divota étaient en train de la laver.

– « Nous l’avions vue cette petite vieille ! Je dis « cette petite vieille » alors qu’elle avait presque dix ans de moins que moi maintenant ! Mais, à l’époque, elle m’avait l’air très très âgée. »

  Le petit matin venu, ses parents ont décidé d’envoyer Niculetta avertir ceux de la famille qui vivaient à A Caranza – hameau de San Damianu situé tout au fond de la vallée, à six ou sept kilomètres d’U Poghju.

Lors d’un décès, en Corse, on se doit d’avertir (comme on se devra de venir, une fois averti. Et surtout quand on est très proches, à moins de grandes fâcheries, péremptoires et tenaces).

Presque aux aurores et toute seule, elle irait annoncer à la sœur et au frère de sa mère qu’il fallait qu’ils montent à U Poghju parce qu’ils étaient en très grand deuil.

– « Je me suis dit : au moins, s’ils m’avaient donné Bastianu ! Rien que pour traverser le village de Scata où les enfants étaient méchants : ils vous tiraient des pierres lorsque vous descendiez, et sur le chemin, en dessous. J’ai traversé ce village avec une de ces peurs ! Ensuite, à la montée, j’étais avec ma tante Ghjuvanna et ça pouvait aller. »  

– « Eh bien ! Quand j’y repense ! Je suis partie avec une de ces frousses ! »

Parce que d’avoir vu cette grand-mère. Et d’aller juste après faire tout ce trajet. Et avec l’émotion : « Comment je dois le dire ? » – « Est-ce qu’il faut que je pleure ? » – « Est-ce que je pourrai pleurer ? » 

Elle se souvient de tout avec exactitude.

Bastianu ? – « J’avais d’abord cru qu’on ne l’avait pas envoyé parce qu’il était terrorisé. Parce que j’avais sûrement dit qu’il avait regardé sous le lit, et tout le reste ! »

Des décennies plus tard, elle a rappelé cette histoire à son frère. 

Il lui a répondu, précision d’importance :

– « Moi, ils ne m’avaient pas laissé avec toi parce qu’ils m’avaient expédié à Ezau ! » (De fait, ils en ont ri).

– « Moi, à A Caranza, et lui à Ezau, le hameau de Ficaghja. Ficaghja ! Encore pire. Au bout du bout de la vallée. Au moins deux fois plus loin. Il se rappelait tout, lui aussi. Non, mais franchement, à cet âge-là ! Maintenant, à douze ans, pour aller courir se promener –  mais, pour des choses de ce genre, on ne les obligerait sûrement pas. Et, pourtant, les enfants semblent plus dégourdis qu’à notre époque à nous. »

Niculetta est troublée :

– « Ah ! Moi, je l’avais craint ce voyage. Je leur en avais voulu, à mes parents, de m’avoir laissée toute seule et de cette façon. On aurait pu dire à Memetta, à Marietta, à l’une ou l’autre de ces jeunes filles qui vivaient près chez de nous : « Tiens, accompagne-là pour qu’elle aille jusqu’à A Caranza. »

Et tout au long de sa jeunesse. Et pendant des années encore… Elle ne comprenait toujours pas comment on pouvait l’avoir fait marcher si loin. Si loin et vraiment si seule, avec cette peur – peur des contes et récits troublants vécue pour de vrai, ce jour-là. 

 

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