Paule Tomi - Une vie au musée

  

La douceur des mots, la quiétude des lieux, baignés par la beauté, l’art et l’amour  : une vie rêvée en somme… Par Paule Tomi 

  

  

Une vie au musée

  

C’est bien calme aujourd’hui. J’apprécie parfois ces moments de vide, mais le plus souvent, je m’ennuie. 

Je préfère voir passer les curieux. J’aime susciter l’admiration, l’étonnement. Parfois, le calme religieux du musée fait place aux cris des enfants. Il y a ceux qui sont trainés par leurs parents et qui rechignent un peu. 

Quand ils passent devant moi, certains s’étonnent : « Pourquoi elle est toute nue la dame ? » 

Je les trouve parfois un peu impolis, mais quelque part, ça m’amuse.

Il faut bien dire que je suis le seul nu du musée Fesch. Est-ce pour cela que l’on m’a cachée dans cette petite salle ? Cachée mais remarquable et remarquée ! C’est avec plaisir que j’exhibe la blancheur de mes chairs. J’aime mon corps, sa féminité et sa force. La tendresse n’est pas sans énergie. Femme et oiseau, nous nous mêlons dans la pureté d’un érotisme symbolique. Et ce cygne dont le bec me dévore les lèvres cache à demi ma nudité. 

C’est que j’ai ma pudeur ! C’est la beauté que j’offre à tous ces regards. Et je ne dévoile aux visiteurs qu’une facette de ce que je suis. Un mystère demeure. Je le vois bien dans les yeux de mes admirateurs, cette fascination interrogative. 

Certains passent vite, déambulant devant les tableaux, accordant le même temps à chacun d’eux. D’autre restent plantés devant moi, méditatifs, s’éloignent et puis reviennent. Certains se mettent à l’aise, s’assoient par terre pour dessiner ou prendre des notes. Ils ne sont jamais seuls. Les gardiens du musée rodent comme des ombres silencieuses. Ils peuvent être un peu ronchons, mais je les aime bien. Grace à eux, je me sens en sécurité. Aucun doigt ne viendra effleurer ma peau au musée. 

Un temps, le musée a été fermé. On s’est retrouvés seuls, les volets fermés. C’est à peine si quelques employés du musée passaient de temps à autre. C’était à devenir claustrophobe ! Parfois par l’interstice d’une fenêtre, on peut avoir vue sur l’extérieur et jusqu’à la mer. C’est comme un autre tableau qui se dessine dans l’encadrement de la fenêtre. Un autre tableau que mes compagnons de salle auxquels je suis habituée. C’est un au-delà qui peut aussi me faire rêver. 

Lorsque le musée a réouvert, les visiteurs sont revenus, par petits groupes d’abord, puis plus nombreux, de tous âges. Mais maintenant, ils sont masqués. Je ne vois plus que leurs yeux qui se plissent en me regardant. Je ne sais plus toujours quoi y lire. Les mots se font plus rares, derrière ces carrés de couleurs. Je crois que je n’aime pas ça. Il y a une forme d’uniformité dans toutes ces bouches cachées. 

Mais ils sont toujours là et ils me regardent ; alors je les aime. 

 

 

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La deuxième proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« Le témoin. Les auteurs font parler en monologue intérieur un personnage d'un tableau de leur choix »

  

   

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