Claire Le Boucher - Le maître de la fertilité de l’œuf…

 

Comment (dé)peindre la cacophonie du monde ? Une certaine chouette le sait sans doute… Un récit de Claire Le Boucher.

 

 

Le maître de la fertilité de l’œuf…

 

Je me trouve dans un coin ensoleillé du musée des Beaux-arts d’une ville de province, réputé pour ses tableaux de primitifs italiens, à caractère essentiellement religieux. Quelle incongruité donc que ce tableau.

- Hé ? Oui, toi, là !

Diable ? On me parle ?

La chouette, personnage central du tableau, reste de marbre, fixe l’horizon et hulule :

- Je résiste. Ne me déconcentre pas !

Je me penche vers l’étiquette et souris spontanément à la lecture du nom de ce peintre anonyme de Bologne, à qui les historiens de l’art ont pourtant donné ce sobriquet inoubliable : le maître de la fertilité de l’œuf. Cet artiste énigmatique a laissé derrière lui une cinquantaine de petites toiles tantôt mignonnettes, parfois grinçantes, cocasses ou satyriques.

Sur la toile, autour de la chouette, les personnages du monde humain ou animal s’invectivent, ça crie, ça chahute, ça vire au ring de boxe. Manifestement, deux camps s’opposent. Mais quel est l’objet du conflit ? Les animaux entravés, encordés, tentent le volatile avec du vin et de la nourriture. Mais ces produits sont-ils vraiment l’objet de son désir, tant la chouette se montre inflexible.

- Alors ? À quoi te fait penser toute cette cacophonie ?, soupire la chouette impassible.

- À la futilité de la tentation ? L’ivresse ? À la société de consommation ?

- J’ai été peinte au 16e siècle, enfin !

Mon portable vibre. Je le sors de façon machinale.

- Tu fais quoi ce matin ?, textote Natacha.

- Le musée Fesch. Je dois écrire un truc sur un tableau. Smiley.

- Et t’as trouvé ?

Je prends une photo du tableau, et hop, je la lui envoie.

- C’est quoi ce délire ? (smiley qui rigole)

- Le seul tableau du maître de la fertilité de l’œuf que le musée Fesch possède.

Je range mon portable, agacée de m’être ainsi laissée détournée par la technologie moderne et le manque de sensibilité de Natacha.

Je devinerais presque le rire sous cape de la chouette :

- Toi aussi tu t’es laissée distraire ! Revenons à nos moutons. Examine les personnages qui s’agitent autour de moi. Enfin ! je ne vais pas te faire une visite guidée non plus !

Ah, ce tableau étrange. On dirait l’Assemblée nationale avant un 49.3. Au milieu de cette pléthore d’animaux humanisés, habillés, deux petits hommes grotesques participent à la cohue. L’un vocifère, l’autre menace à coups de balai. Je m’interroge sur un parallèle possible avec les fables d’Esope ou La Ferme des animaux d’Orwell. Somme toute, qui défend quoi, qui refreine qui, quel est le symbolisme de l’œuvre ? Allez chercher l’effet miroir là-dedans !

  

  

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La première proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« L'effet miroir (chaque participant choisit un tableau qui lui ressemble)

 

  

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La toile apparaît soudain profondément humaine. La chouette m’inspire, investie de sérénité et de calme, s’élevant au-dessus de ce chaos. Je m’éloigne, adressant un clin d’œil au mystérieux volatile.

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