Alice Boulloud - Il la rend plus belle…

  

La peinture devient langage et ouvre des horizons inédits . Un récit d’Alice Boulloud

 

 

Il la rend plus belle…

 

Vous êtes-vous déjà̀ laissé surprendre par quelque chose dont vous n’attendiez rien ? 

Moi oui. Je me suis laissé surprendre par des mots écris par un autre dont je ne soupçonnais pas la sensibilité́, par des odeurs ravivant un souvenir lointain bien enterré, par des goûts ayant excités mes papilles endormies à la fadeur de l’habitude... Et puis, aujourd’hui, ce fut par des coups de pinceaux venus d’ailleurs pour me conter une histoire. 

C’est étrange comme, plus on recherche l’émotion, et plus on s’en éloigne. On pense souvent à tort que l’émotion, la connexion avec une œuvre, se fera avec le beau. Pourtant, l’art est bien plus complexe, il parle de ce qui nous touche, de ce qui nous fait vibrer au-delà̀ du nommable. Il parle d’une sensibilité́, cette chose magique qui nous fait ressentir une musique, un texte, une œuvre quelle qu’elle soit... Mais pour ma part, la peinture ne m’a jamais réellement inspirée. 

Ce n’est pas tant le tableau lui-même qui m’a touché aujourd’hui, mais l’histoire que je me suis racontée à sa lecture. Je faisais défilera les pages de ma visite virtuelle en trouvant ce support bien mal adapté pour me faire découvrir un art avec lequel je n’ai jamais réellement eu d’affinité́. 

Et puis il y a eu cette femme, vêtue de blanc. Elle posait dans un jardin, debout prés d’une statue. Personne ne s’était donné la peine d’enlever le manteau déposé́ là, sans soin, sur le banc en arrière- plan. Avec son air incrédule, je me dis qu’elle n’avait décidément pas l’air de savoir ce qu’elle faisait là ! Son regard me dérangeait : alors qu’elle semblait regarder droit l’objectif, l’artiste en train de la peintre, et donc moi, a fortiori, spectatrice de ce portrait, j’avais pourtant la désagréable sensation qu’elle m’interrogeait du regard comme pour me demander ce qu’elle était censée faire. Elle n’avait pas l’air bien coiffée et elle semblait véritablement inconfortable en cette position de célébrité. 

Et puis, je passai mon chemin, cherchant la toile qui allait me convaincre d’écrire. Soudain je m’arrêtai, un portrait plus loin, sur une peinture du même auteur et tout prit sens. Ce fut comme le sentiment de retrouver quelque chose que l’on ne soupçonnait pas avoir perdu ! Des réponses m’étaient données sans que j’ai eu à en poser les questions... Cette œuvre représentait un homme posant assis à l’ombre d’un arbre, bien habillé, élégant, et ce sourire charmeur qui manquait tant à ma dame en blanc. Tout dans son attitude me laissait à penser qu’il était la célébrité de cette œuvre et qu’il le savait ! Mais en second plan, dans une douce et blanche lumière, on pouvait distinguer une femme, vêtue de blanc. Elle posait dans un jardin, debout près d’une statue. Personne ne s’était donné la peine d’enlever le manteau déposé́ là, sans soin, sur le banc en arrière-plan. 

Vous êtes-vous déjà̀ laissé surprendre par quelque chose dont vous n’attendiez rien ? Moi oui. 

Aujourd’hui, j’ai compris la magie de la peinture et cela m’a été́ offert par une dame en blanc dont je n’attendais rien ! Elle m’aura presque même déçue cette dame en blanc : quel manque de conviction pour un portrait, m’étais-je autorisé à penser... Pourtant, je me suis à peine attardée sur le portrait qui me la révélée avec ce bel homme qui posait si bien. Je me suis en effet empressée de revenir à son portrait à elle et je la découvris enfin cette toile qui allait me convaincre d’écrire ! Je lui devais bien ça à ma dame en blanc, celle qui avait si peu convaincue ma première lecture... C’est comme si je la redécouvrais désormais : mise en valeur dans l’ombre d’un homme quand son seul portrait n’aura pas suffi à la faire briller... Je vais m’attirer les foudres des féministes pensai-je soudain. Et puis, au gré́ de mes allers et retours sur ces deux peintures, j’ose à penser que le portrait de l’un ne va décidément pas sans celui de l’autre... Dans une douce et blanche lumière, ma dame en blanc illumine le portrait de cet homme, posant assis à l’ombre d’un arbre. Si je me laisse aller à mon interprétation, cette œuvre est la douce représentation de ce que peut entre un couple. J’aime à croire qu’une femme et un homme se complètent et créent du beau à deux. Il la rend plus belle et elle le rend plus beau. Plus je les regarde dans cette œuvre et plus je sens grandir en moi des sentiments d’amour et de passion. 

Finalement, mon attention s’arrête sur cet ensemble, sur ces deux personnages dont je ne sais pas grand-chose et dont je crée de toute pièce une histoire qui me ressemble. Ce n’est qu’au fil des mots que je choisis pour décrire ces deux œuvres que je comprends pourquoi elles m’ont fait écrire. Cette dame en blanc pourrait être moi. Pas tellement sûre d’elle, ni tellement belle, mais qui s’est laissé sublimée par un homme qui croyait en elle. Dans le portrait de l’homme, on pourrait critiquer la petite, toute petite place que cette femme tient au fond de la toile. Et pourtant, c’est bien son portrait à lui qui m’a donné envie de m’attarder sur le portrait d’elle. Quand une page a été́ dédié́ à cette dame en blanc, un paragraphe seulement aura parlé de cet homme séduisant. 

Un dernier silence accompagne ma relecture de cette toile et, comme pour clôturer la rencontre avec cette œuvre, un dernier détail m’éblouit de sa beauté́ : Je le regarde lui, en premier plan, séduisant et obscurci par cet arbre imposant. Je la regarde elle, en arrière-plan, tellement lumineuse dans cette partie dégagée du jardin où elle pose. Et enfin, les arbres à côté desquels elle se tient qui s’enlacent dans une courbe amoureuse pour n’en former plus qu’un et qui semble venir me murmurer, dans un élan de poésie, que je ne suis peut-être pas si éloignéé de la vérité. 

[Sablet Jacques : Portraits de Christine Boyer, de Lucien Bonaparte]

 

 

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La première proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« L'effet miroir (chaque participant choisit un tableau qui lui ressemble) »

 

  

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