- Le Nouveau Décaméron
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Stella l’héroïne des Enfants de Pandora poursuit son initiation aux mystères de la Nature. Une nouvelle de Jean-Louis Pieraggi au goût de miel, "de pollen et de sucre", qui allie délicieusement science et tradition, conscience écologique et élans juvéniles.
Prologue
C’était la rentrée et l’université, telle une ruche, bourdonnait d’excitation.
Les étudiants prenaient des nouvelles les uns des autres. Ils s’informaient des dernières rumeurs et des informations indispensables à connaître.
Ce début d’année faisait suite à des événements qui avaient perturbé et changé le quotidien de la plupart des habitants de la planète.
Après cette pandémie, comment se dessinera l’avenir ? Professeurs et élèves se retrouvaient avec les mêmes incertitudes. Certains d’entre eux, d’ailleurs, avaient changé d’orientation et exploraient de nouvelles voies. Stella, une jeune étudiante en biologie avait été confrontée, elle aussi, à cette épidémie. Elle savait que des bouleversements étaient en cours partout et dans tous les pays. Pourtant, retourner sur les bancs de son université et partager le goût de la connaissance avec ses camarades et ses professeurs faisaient partie des activités essentielles sur lesquelles elle s’appuyait pour continuer à espérer. Elle avait appris qu’un nouvel enseignant venait d’intégrer sa formation et que le professeur San Marco avait quitté la faculté. Aujourd’hui, le vieux savant avait rejoint son île natale, la Sardaigne, pour se consacrer totalement à ses recherches et Stella était triste à l’idée de ne pas revoir son mentor avec lequel elle avait vécu tant d’aventures*.
Chapitre I
U Cantu di l’Apa
Durant toute notre vie nous chantons. Chacune avec son chant mais toutes à l’unisson.
Nous chantons pour nos sœurs, le soleil et les fleurs.
Dès le lever du jour dans les rayons de lumière, nous butinons.
Nos ailes font vibrer l’air du printemps et les pétales frémissent à l’unisson.
Chaque fleur qui nous accueille se prépare à notre étreinte.
Nous cueillons son pollen et buvons le nectar blotti dans son enceinte.
Depuis la nuit des temps, nos destins se mêlent et s’entremêlent au cœur du fleuve ascendant.
Et tout cela fait partie aussi de notre chant.
Le nouvel enseignant s’appelait Rafael Pietrera. C’était un jeune professeur promu tout récemment et qui, grâce à son allure juvénile, pouvait se fondre parmi les étudiants. Ces derniers étaient souvent très surpris de découvrir le jeune scientifique au pupitre de l’amphithéâtre ou dans son laboratoire. Pourtant, dès que l’enseignant prenait la parole, son enthousiasme et son érudition faisaient taire les élèves les plus sceptiques. Il était déjà un entomologiste* reconnu ainsi qu’un professeur apprécié et il était fier de pouvoir enseigner dans l’université dans laquelle il avait été formé. Le jeune professeur fit entrer les étudiants dans sa salle de cours, les salua, fit les présentations d’usage en ce début d’année et entra rapidement dans le vif du sujet :
« Vous savez tous que les plantes à fleurs et les abeilles ont plus de 100 millions d’années d’évolution commune. Vous savez aussi que nous ne sommes qu’au début de notre connaissance sur les possibilités de leurs interactions mutuelles. Actuellement, des scientifiques de différentes spécialités collaborent pour étudier ces interactions et c’est justement une publication parue récemment sur le sujet qui va être le thème de mon intervention. Des chercheurs parmi les plus reconnus dans leurs spécialités, viennent de divulguer les résultats de leur étude. Le titre de leur publication est plutôt surprenant : les fleurs écoutent le bourdonnement des abeilles. »
Devant l’air ébahi des étudiants, il ajouta :
« Leurs expériences ont démontré qu’en présence du son des abeilles, l’onacre vespérale, une plante rampante du littoral méditerranéen, modifie la teneur en sucre de son nectar. Dès la réception des vibrations du bourdonnement des abeilles, il ne faut que trois minutes aux fleurs de l’onacre pour rendre le nectar plus sucré et ainsi « fidéliser » les pollinisatrices.
- Mais comment les fleurs de l’onacre perçoivent-elles les sons des abeilles ? », questionna un étudiant.
- Les chercheurs ont pu, grâce à un vibromètre de dernière génération, observer les pétales des fleurs osciller parfaitement à la fréquence du bourdonnement des insectes pollinisateurs. En fait, les pétales entrent en résonance avec les vibrations émises par les abeilles.
Un peu comme les différents éléments de notre oreille interne vibrent aux oscillations de l’air lorsque nous percevons les sons. C’est impossible à observer à l’œil nu mais les fleurs vibrent ! »
Les étudiants étaient sidérés. Cette découverte révolutionnait encore une fois la compréhension de la nature.
Après avoir découvert l’année dernière les fabuleuses symbioses* des champignons et des arbres, cette nouvelle étude ouvrait un autre champ de recherches et d’émerveillement.
Finalement, Stella trouvait que ce jeune chercheur remplaçait dignement le professeur San Marco. Comme le vieux savant, il était passionné et rendait la science captivante. On avait tant à apprendre du monde du vivant. Aujourd’hui, la technologie permettait d’explorer l’infiniment petit comme l’infiniment grand et les recherches les plus extraordinaires se succédaient. Les bénéfices de ces découvertes pouvaient ensuite se retrouver dans le champ de la médecine, de l’agriculture, de l’industrie, ou de l’éducation. Malheureusement, avec l’effondrement de la biodiversité, un grand nombre d’espèces disparaissait avant même d’avoir été étudiées. Une course poursuite était lancée. D’un côté, ceux qui voulaient continuer à extraire, produire et consommer toujours plus au risque de détruire la diversité de la vie. De l’autre, ceux qui voulaient préserver la nature pour l’étudier, comprendre ses secrets et s’en inspirer.
Chapitre II
U bugnu
Même innombrables, nous ne sommes qu’Un.
Nous sommes tour à tour nourricières, gardiennes, éclaireuses ou butineuses.
Nous sommes chacune les cellules de l’essaim et l’essaim est dans chacune de nos cellules.
Nous pollinisons et nous vitalisons. Nous connaissons chaque fleur, chaque arbre, chaque ruisseau.
Nous travaillons pour l’équilibre de la vie, à chaque instant.
Vous pensez sacrifice, nous disons danse, don et chant.
Notre unité révèle l’harmonie du monde et l’harmonie du monde dépend de notre unité.
Aveuglés par vos illusions, vous oubliez votre essentielle mission.
Nous sommes les gardiennes de votre mémoire.
Nous protégeons d’anciennes et célestes traditions.
Suivez-nous, nous vous guiderons.
C’était la fin de l’automne et Stella aimait cette saison qui, sur son île, avait des parfums d’été prolongé. Justement, son nouveau professeur avait profité d’une belle journée d’octobre pour approfondir ses cours théoriques en emmenant ses élèves visiter une exploitation apicole.
Enseignant et étudiants avaient pris la direction du petit village de Santu Petru di Tenda dans les Agriate. À travers les vitres du minibus, la jeune femme contemplait le panorama. Elle aimait la science quand elle s’apprenait sur le terrain, a fortiori quand elle était immergée dans la beauté de sa terre natale.
Les Agriate font encore partie des régions de Corse qui ont gardé un mélange unique de nature sauvage et de paysages façonnés par l’homme. Sur des collines ondulant jusqu’à la mer, le maquis côtoie d’antiques cultures d’oliviers et de blé, de vignes et d’amandiers. Agriculteurs et bergers se sont succédé pendant des générations et ont vécu sur ce territoire fait de labeur et de liberté.
Passé le village, les deux minibus s’engagèrent sur une piste gardée par de vénérables et majestueux oliviers. Ils arrivèrent à l’entrée d’une propriété sur laquelle une ancestrale bâtisse semblait régner. Le site portait encore les traces du travail des hommes et de la nature. Depuis un lointain passé jusqu’à ce jour, on percevait que cette terre avait été chérie et exploitée. Devant l’imposante ferme, une femme à l’allure digne et élégante les attendait.
L’apicultrice les accueillit avec un sourire qui illuminait son visage tanné par le grand air. Stella, qui était descendue la première, perçut une étrange aura qui émanait de cette femme. Elle chercha le contact de son regard mais l’apicultrice semblait observer quelque chose au-dessus d’elle.
Rafael, quant à lui, attendait que tous ses étudiants soient sortis des minibus. Enfin, la dernière élève arriva.
« Venez, approchez-vous tous. Je vous présente Santa Pietrera notre guide pour aujourd’hui. Elle est apicultrice et elle est aussi ma grand-mère ».
Les étudiants échangèrent des regards amusés. Ce jeune enseignant était de plus en plus surprenant. Stella et ses camarades étudièrent encore plus attentivement la vieille dame et ils remarquèrent un élément qui paraissait incroyable. Elle s’aidait d’une canne blanche. Une apicultrice aveugle, cela paraissait impossible.
Pourtant, durant toute sa vie, Santa s’était consacrée à perpétuer la tradition familiale. Elle avait entretenu amoureusement ses oliviers et ses ruches pour produire l’huile et le miel. Enfant, à cause d’une maladie, elle avait perdu la vue mais n’avait jamais envisagé sa cécité comme un handicap. Bien au contraire, elle vivait cette particularité plutôt comme une grâce. Santa distinguait les sons beaucoup plus précisément et subtilement que tout le monde et, bizarrement, discernait des couleurs autour d’elle.
Cette faculté était apparue progressivement et s’était développée durant toute sa vie. L’apicultrice ne vivait pas dans un monde obscur mais dans un espace fait de mouvements vibratoires colorés. Ce don lui donnait de précieuses indications sur son entourage. Grâce à ce sens extraordinaire, elle percevait souvent ce que les voyants ne distinguaient pas.
Pendant que les étudiants la contemplaient, intrigués, la vieille dame se présenta :
« Bonjour à tous et à toutes. Je suis très heureuse de vous accueillir dans cette ferme familiale. Je viens d’une longue lignée de cultivateurs et d’apiculteurs. Mais avant de partager avec vous mes connaissances sur les abeilles, j’aimerais vous présenter directement à mes amies ailées.»
Santa se rapprocha du groupe et indiqua une grande table sur laquelle était entreposé du matériel spécialisé.
« Je vais vous demander de revêtir ces combinaisons pour que vous puissiez vous approcher avec moi des ruches.»
Stella frissonna, elle redoutait cette possibilité d’aller au contact des abeilles. Depuis toujours, elle craignait les insectes volants. Elle savait que c’était stupide et que la grande majorité des abeilles étaient inoffensives mais c’était plus fort qu’elle, l’étudiante en avait terriblement peur. Dissimulant son angoisse par un calme apparent, elle revêtit sa combinaison minutieusement.
Pendant que le jeune professeur inspectait les vêtements protecteurs de ses élèves, l’apicultrice qui avait récupéré un enfumoir* donna les dernières instructions :
« Que chacun vérifie sa tenue, il faut qu’elle soit bien étanche et qu’aucune ouverture ne s’y trouve ! »
Le rythme cardiaque de Stella s’accéléra sensiblement. Les élèves contrôlèrent scrupuleusement leur propre équipement et celui de leur plus proche voisin. Bizarrement, Santa ne revêtit pas de combinaison. Elle marcha tranquillement en direction des ruches et son petit-fils lui emboîta le pas. Les étudiants étaient restés figés en voyant la vieille dame sans protection.
Finalement, ils sortirent de leur stupeur et commencèrent à les suivre. Stella laissa passer tous ses camarades avant de se joindre avec réticence au groupe. Les ruches étaient dispersées entre les oliviers et tout paraissait très calme. Seul le bourdonnement continu des abeilles trahissait une activité incessante. En étudiant soigneusement la scène, on pouvait distinguer un va-et-vient ininterrompu entre les ruches et les champs environnants. Les abeilles vaquaient à leurs occupations et apparemment ne se souciaient pas du groupe qui les observait.
« Déplacez-vous lentement, sans geste brusque », prévint Santa.
Pour l’instant, la curiosité de Stella était plus forte que sa phobie mais elle luttait toujours pour ne pas partir en courant.
Le petit groupe était maintenant tout proche des ruches et les abeilles volaient au-dessus de leur tête. Quelques unes d’entre elles étaient venues se poser sur Stella mais la jeune étudiante, rassurée par ses protections, restait aussi calme que possible.
Peu à peu, le nombre d’insectes qui venaient se poser sur sa combinaison augmenta. Stella n’osa pas prévenir l’apicultrice ni son professeur de peur de paraître un peu hystérique. Cependant, les abeilles qui arrivaient toujours plus nombreuses sur elle, la rendaient horriblement nerveuse. Son cœur battait la chamade et son front ruisselait de sueur.
Soudain, des milliers d’abeilles sortirent des ruches. Elles formèrent un essaim qui suspendit son vol quelques instants et se dirigea droit vers elle. Tout le monde regarda passer l’essaim dans un énorme vrombissement. En quelques secondes, Stella se retrouva entièrement recouverte par les insectes. Terrorisée, la jeune femme était incapable de parler ou de bouger, elle essayait juste de ne pas s’évanouir. Au delà du bourdonnement envahissant, elle entendit la voix de l’apicultrice :
« Surtout ne bouge pas ! Reste calme, tu ne risques rien, je suis avec toi. »
Stella sentit la main de la vieille dame prendre la sienne et perçut une chaleur diffuse et bienfaisante se transmettre malgré ses gants de protection. Lentement, sa peur recula et son rythme cardiaque s’apaisa. La jeune étudiante, qui n’arrivait toujours pas à prononcer le moindre mot ni à faire le plus petit geste, se demanda ce que voulaient bien ces innombrables et envahissantes visiteuses bourdonnantes.
Comme si l’apicultrice avait lu dans ses pensées, elle lui glissa :
« Il semblerait que mes abeilles t’aient reconnue. Je ne sais pas encore pourquoi mais je les entends bourdonner de joie. Elles ne te veulent pas de mal. »
Au bout de quelques minutes qui parurent une éternité pour Stella, les abeilles s’envolèrent de sa combinaison sur laquelle elles s’étaient regroupées pour retourner à leurs ruches. L’apicultrice demanda à tout le monde de faire demi-tour et de se diriger vers la ferme le plus tranquillement possible. Un à un, sans un mot, les étudiants s’éloignèrent des ruches. Ils marchaient doucement, deux par deux, sur le chemin mais personne n’osait parler de l’évènement auquel ils venaient d’assister.
La vieille dame qui gardait toujours la main de Stella dans la sienne, attendit que tout le groupe se soit éloigné avant de revenir vers la bâtisse. La jeune femme avait retrouvé l’usage de la parole et put enfin s’exprimer :
« Merci d’être venue m’aider, j’étais complètement paniquée.
- Ce qui est arrivé est exceptionnel, sa signification est mystérieuse et nous en reparlerons un peu plus tard si tu le veux bien. »
De son côté, Rafael avait fait entrer ses élèves dans l’ancienne demeure. Ils pénétrèrent d’abord dans une vaste salle au milieu de laquelle trônait un pressoir à huile. L’ouvrage possédait une énorme meule de granite et donnait à la pièce un caractère unique. Tout ici respirait les travaux agricoles anciens. Le jeune professeur regardait chaque outil, chaque meuble comme si des liens invisibles le plongeaient dans des scènes surgies d’une ancestrale mémoire. Il resta quelques minutes immobile et silencieux à contempler ce décor si familier et si secret. Le scientifique fit asseoir ses étudiants dans une salle attenante. Ils s’installèrent autour d’une grande table qui avait dû accueillir les repas familiaux durant plusieurs générations. Une fois réunis, l’apicultrice demanda :
« Je pense que vous vous demandez tous ce qui s’est passé tout à l’heure, n’est-ce pas ? Je crois, pour ma part, que les abeilles viennent de nous transmettre un message important. Vous savez sûrement qu’un essaim se comporte comme un super organisme. Chaque abeille, quelle que soit sa fonction dans la ruche, qu’elle soit reine, butineuse, éclaireuse, ou nourricière, est un élément indissociable de la colonie. Pour coordonner toutes les activités des milliers d’ouvrières qui s’affairent à l’intérieur comme à l’extérieur de la ruche, les abeilles communiquent entre elles en permanence. Elles échangent des informations à travers des vols ou des danses particulières, des bourdonnements ou des chants spécifiques et enfin grâce à des phéromones ou des parfums distincts. Chez elles, tout est langage et le comportement extraordinaire de tout à l’heure était probablement aussi de la communication. Cette fois, il n’a pas servi à unifier la colonie mais à nous transmettre quelque chose.
- Mais quoi, Madame Pietrera ? demanda un étudiant.
- Telle est la question, jeune homme ! Et c’est ce mystérieux message qu’il nous faudra déchiffrer. »
Chapitre III
L’alianza
Voilà des milliers d’années que nos deux peuples vivent ensemble et coopèrent.
Notre œuvre était commune et notre inspiration réciproque.
Le précieux pollen nous avons dispersé et les fruits de notre labeur vous avez récolté.
Vous avez prospéré en même temps que nous avons essaimé.
Des vallées ensoleillées nous avons transporté l’étincelle et fabriqué le miel.
Prendre soin de chaque éclat de vie était votre mission. Mais vous avez oublié votre destin et perdu votre vision.
Aujourd’hui, suprême sacrilège, vous abîmez l’air, la terre et l’eau.
Le soleil qui, hier encore, était votre ami détruit vos champs et vos prairies.
Assoiffées, malades, empoisonnées, partout nous succombons.
Mais quand la dernière d’entre nous mourra et que votre plus fidèle alliée s’éteindra,
Alors, votre ultime chance de bonheur disparaîtra.
Quelques mois s’étaient écoulés. Stella avait gardé un sentiment troublé de son expérience chez l’apicultrice. Un mélange d’angoisse et de curiosité l’avait accompagnée pendant plusieurs jours. Quand elle apercevait son professeur, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de penser au moment où elle s’était retrouvée recouverte par l’essaim et elle en frissonnait.
Justement ce jour-là, elle avait de nouveau cours avec Rafael. Le savant accueillit dans son laboratoire les étudiants en leur faisant part d’une triste nouvelle :
« Vous savez que, partout dans le monde, les abeilles subissent un déclin important. Un phénomène peu connu encore, appelé syndrome d’effondrement, peut causer des pertes très lourdes dans les colonies. En Corse, nous avons une abeille endémique qui a résisté longtemps aux maladies touchant les abeilles partout ailleurs. Cependant, ces derniers jours, plusieurs exploitations de la région ont subi de lourdes pertes et les apiculteurs sont très inquiets. Je me suis rendu sur place pour effectuer des prélèvements et j’ai rapporté des échantillons de plusieurs éléments de ces ruches.
Je vous propose d’analyser ensemble la cire, le miel et des abeilles mortes que j’ai prélevés. Nous y rechercherons les parasites, les bactéries, les virus potentiels ou des traces éventuelles d’insecticides qui sont les principaux dangers pour les abeilles domestiques. »
Après quelques recommandations sur les protocoles à suivre pour leurs analyses, l’enseignant et ses élèves se mirent au travail.
Les apiculteurs, les scientifiques mais aussi beaucoup d’agriculteurs étaient aujourd’hui très préoccupés par le phénomène d’effondrement des colonies d’abeilles. Tous savaient que la grande majorité des cultures agricoles dépendaient des pollinisateurs et les abeilles à elles seules assuraient 80% de la pollinisation. La survie alimentaire de l’espèce humaine était donc étroitement liée à la bonne santé de ces formidables insectes ailés.
À la fin de cette séance d’analyse en laboratoire, Rafael attendit que ses élèves soient sortis avant de retenir sa dernière étudiante.
« Stella, ma grand-mère aimerait que tu lui rendes visite à la ferme.
- Je ne sais pas si j’aurai le courage d’affronter une nouvelle fois les abeilles !
- Je te comprends. Je lui dirai que tu as besoin d’un peu plus de temps.
- Merci Monsieur Pietrera, je préfèrerais y retourner avec toute la classe ce printemps.
- D’accord, mais elle m’a demandé de te transmettre un vieux proverbe d’apiculteur.
Rafael posa son regard sur Stella et, étrangement, ce fut comme si Santa s’exprimait à travers lui :
« Nous devons apprivoiser nos peurs pour accéder à nos trésors cachés. »
L’étudiante, qui s’apprêtait à sortir, s’arrêta sur le pas de la porte. Elle se souvint de la phrase énigmatique du mazzeru* qu’elle avait rencontré l’été précédent. Lui aussi avait parlé de la nécessité d’affronter ses plus grandes frayeurs pour accéder à ses ressources endormies. Stella hésita un court instant avant d’ajouter :
« Décidément, le confort et la facilité ne feront jamais partie de mon parcours. Dites-lui que je serai chez elle samedi matin. »
La semaine s’acheva pour la jeune femme avec une anxiété croissante. Elle faisait confiance à l’apicultrice mais l’idée de se retrouver en présence d’un aussi grand nombre d’insectes lui donnait des sueurs froides. Néanmoins, elle se coucha tôt et essaya de trouver le sommeil rapidement.
Le lendemain, Stella arriva à la ferme des Pietrera alors que le soleil donnait déjà à la brise marine une caresse chaude et odorante.
Santa l’attendait avec cette expression mystérieuse sur le visage que la jeune femme avait déjà remarquée. L’apicultrice semblait apprécier le moment présent avec gratitude et délectation.
« Bonjour Stella, tu as fait bonne route ? Tu as l’air en forme mais aussi un peu nerveuse n’est-ce-pas ?
- En effet, j’ai toujours eu peur des abeilles et revenir ici après ce qui s’est passé la dernière fois m’effraie, je l’avoue.
- Mais ta phobie est un très bon signe et un très bon départ pour ta prochaine rencontre, ne t’inquiète pas.
- Ma prochaine rencontre ? »
Stella était anxieuse. Elle s’était préparée à supporter la proximité des ruches mais l’idée de subir un nouveau contact avec les insectes la terrorisait.
« Les abeilles veulent te revoir et elles sont très préoccupées depuis plusieurs jours.
- Moi aussi je suis très préoccupée, madame Pietrera.
- C’est normal et veux-tu bien, s’il-te-plaît, m’appeler Santa ?
- D’accord, Santa, mais c’est vous l’apicultrice et c’est avec vous que les abeilles communiquent, non ?
- Nous dialoguons quotidiennement, c’est vrai, mais la colonie te réclame.
- Me réclame ? Mais que dois-je faire au juste ?
- En premier lieu, tu dois me faire une confiance aveugle. »
La vieille dame eut un éclat de rire cristallin qui eut pour effet de détendre l’atmosphère. Elle prit la main de Stella et toutes deux se dirigèrent vers les ruches. En s’approchant du site des abeilles, elle sentit la jeune femme se raidir.
« On ne s’habille pas avec les combinaisons de protection ?
- Pas cette fois, les abeilles doivent te toucher.
- Mais je ne veux pas qu’elles me touchent, je ne le supporterai pas !
- C’est l’unique voie pour accéder à leur langage. C’est une tradition millénaire. C’est le moment de me faire confiance.
- Une confiance aveugle, c’est ça ? »
Santa approuva la répartie de l’étudiante avec un sourire espiègle.
En arrivant près des ruches, l’apicultrice se plaça derrière Stella et posa ses mains sur les épaules de la jeune femme. Elle lui demanda de fermer les yeux et de respirer profondément.
Les deux femmes restèrent immobiles et silencieuses quelques minutes.
L’apicultrice transmettait son calme et sentait peu à peu l’étudiante se détendre. Alors que la jeune femme écoutait attentivement les abeilles butinant au loin, elle décela un léger bourdonnement qui se rapprocha.
« Continue à respirer profondément, une petite délégation d’abeilles arrive vers nous. Elles sont les ambassadrices de la colonie. Elles vont se poser sur toi pour te rencontrer. »
Trois abeilles se posèrent sur Stella. Une sur chaque main et la dernière sur le sommet de son crâne. La jeune femme se concentrait sur sa respiration pour ne pas paniquer. Puis, au moment où elle était en train de vider ses poumons, elle sentit trois piqûres simultanées. Une chaleur vive se répandit rapidement dans tout son corps et brusquement ses jambes se dérobèrent. Elle s’effondra mais Santa, qui semblait avoir anticipé sa chute, l’avait accompagnée et la déposa délicatement sur le sol. Étrangement, Stella ne ressentait aucune douleur, bien au contraire elle avait l’impression d’être immergée dans un bain chaud et une sensation de bien être absolu l’envahit. Elle ne pouvait ni parler ni bouger mais entendait la voix douce de l’apicultrice qui lui transmettait des paroles rassurantes :
« C’est très bien, continue à respirer doucement et laisse toi guider par ma voix. Tes paupières sont toujours fermées mais tu aperçois maintenant un paysage de nature sauvage. Il peut être inconnu ou alors familier mais tout est paisible. Pendant que tu explores ce petit coin de paradis, tu découvres un ruisseau ou un torrent que tu vas suivre. Prends ton temps, observe bien tout ce que tu vois »
Stella voyait très bien la rivière qui serpentait dans un alpage lumineux et fleuri. Elle pouvait même sentir le parfum de l’immortelle et de la menthe poivrée qui poussaient le long de la berge.
Elle suivit le cours d’eau, et arriva devant plusieurs pins làrici. En s’approchant, elle distingua un arbre qui retint toute son attention. Il était immense, et semblait trôner de toute sa majesté sur son royaume montagneux. Par-dessus tout, l’arbre abritait un énorme essaim d’abeilles et quelques autres plus petits étaient suspendus à ses branches. Contrairement à ce que la jeune femme aurait fait en temps normal, c’est-à-dire revenir sur ses pas et s’enfuir, Stella continua de se rapprocher.
Elle entendait maintenant le bourdonnement incessant des abeilles mais ne ressentait aucune crainte. Elle perçut un lointain appel, comme venu d’un souvenir du fond des âges. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle reconnaissait l’endroit et l’arbre. Elle aurait pu contempler cette scène féerique jusqu’à la fin des temps mais elle entendit la voix de l’apicultrice qui se fit plus présente :
« Inspire profondément Stella, ouvre les yeux et reviens avec moi ! »
La jeune femme entendait la voix mais n’avait aucune intention de quitter son état de communion et de béatitude.
« Stella, inspire et ouvre les yeux ! », insista la vieille dame.
À regret, l’étudiante remplit ses poumons et ouvrit lentement ses paupières. Santa était penchée sur elle et lui souriait.
« Très bien, reprends contact tout doucement avec le sol, l’air et les bruits environnants. Puis, quand tu seras prête, redresse-toi délicatement.»
Lentement, la jeune femme reprit possession de son corps. L’apicultrice l’aida à se relever et l’accompagna le long du chemin. Elle l’invita à manger une part de gâteau au miel qu’elle avait fabriqué pour l’occasion. Elles s’installèrent à l’intérieur de la ferme où une douce odeur sucrée flottait dans la cuisine. Santa prépara une infusion en l’agrémentant d’un peu de miel qu’elle venait de récolter. La boisson avait un effet vitalisant. Stella dévora la part de gâteau et retrouva rapidement ses esprits.
« Que s’est-il passé ? Je n’ai pas perdu connaissance puisque je vous entendais mais je n’étais plus vraiment là non plus, c’était très bizarre. »
« Ces trois butineuses ce sont sacrifiées* pour te permettre de faire ton premier voyage de l’abeille. Les maîtres apiculteurs ont pratiqué ce mode de connaissance depuis des milliers d’années. Il faisait partie de la tradition des mystères dans l’Antiquité. En Grèce, cet enseignement secret était donné par les Mélissae, les prêtresses du temple de Déméter*. Cette tradition serait peut-être aussi à l’origine de la médecine occidentale et orientale. N’as-tu pas remarqué, d’ailleurs, que les abeilles t’ont piquée sur des points d’acupuncture ? Mais je t’en dirai davantage sur cet art plus tard. À présent, raconte-moi ton voyage. »
Stella décrivit à l’apicultrice l’arbre à essaims et la sensation de communion qu’elle avait ressentie devant ce spectacle merveilleux.
« Je crois que tu as eu la vision d’u Bugnu*, l’essaim sauvage. Entendais-tu les abeilles ?
- Oui elles bourdonnaient joyeusement. C’était comme une grande fête !
- C’est très intéressant. Aujourd’hui beaucoup d’apiculteurs empêchent leurs colonies de retourner à la vie sauvage au cours de l’essaimage*. Je crois que nous allons devoir nous mettre en quête d’u Bugnu et y emmener une de mes ruches. La vitalité indispensable à leur santé est peut-être dans ce retour à un mode de vie sauvage.
- Mais comment va-t-on faire pour trouver cet arbre et ses essaims ?
- Tu m’as bien dit que les abeilles étaient suspendues à un pin làriciu, donc nous savons déjà que nous devons aller en montagne. Traditionnellement, les apiculteurs et les bergers des Agriate avaient leurs estives dans la haute vallée d’Ascu. C’est sur l’antique sentier de transhumance au-delà des villages de Castifau et Moltifau que nous devrions trouver u Bugnu».
Le reste de la journée se passa comme dans un enchantement. Santa proposa à la jeune femme de rester dîner avec elle afin de retrouver tous ses esprits après une aventure si singulière. La vieille dame fit découvrir à Stella le reste du domaine, elles parlèrent, bien sûr, d’apiculture mais bavardèrent aussi de tout et de rien, comme des amies de longue date. Ce n’est qu’en fin d’après-midi que l’étudiante prit le chemin du retour.
Le soleil continuait sa course vers l’horizon par de-là les champs d’oliviers. Le parfum des fleurs et la douce lumière, que l’on pouvait presque saisir du bout des doigts, transmettaient à cet instant une saveur aussi éphémère qu’éternelle.
Chapitre IV
Arburi Mundi
Si les fleurs sont comme nos sœurs, alors les arbres sont pour nous comme nos pères protecteurs.
Au creux de leur tronc, nous échappons au froid de l’hiver, aux becs des oiseaux, aux morsures des frelons.
Sur les hautes fleurs nous butinons, sur les branches nous essaimons et grâce aux racines nous guérissons.
Enfoui doucement sous la terre, le mycélium distille son précieux arôme.
De son suc ambré nous puisons notre vigueur et notre santé.
Bien des secrets nous sommes prêtes à vous révéler
Pendant que vous salissez et détruisez par avidité.
Nous, nous parlons aux arbres et au vent, aux rivières et aux enfants.
Lentement, délicatement, nous avons tissé les liens sacrés qui unissent tous les êtres sur la belle étoffe du vivant.
Ce tissu fragile et vibrant nous relie et nous donne la vie.
Sans lui rien ne pousse, rien ne vole, rien ne nage ni ne vit.
Au premier regard, Stella décela chez son professeur une aura sombre qu’elle n’avait encore jamais observée chez le jeune scientifique. Rafael était à son bureau et accueillit ses étudiants en leur donnant tout de suite une triste nouvelle :
« Je viens de recevoir les résultats des analyses que nous avions effectuées sur les échantillons de cire et d’abeilles mortes des ruchers de cet hiver. Bien que nous n’ayons trouvé que très peu d’abeilles parasitées, tout indique une baisse dramatique de leur immunité. Les analyses montrent une présence d’acaricides* et de fongicides* dans la cire des ruches à des taux anormalement hauts. Or, de récents travaux tendraient à confirmer le lien entre ces substances toxiques et une baisse du système immunitaire des abeilles.
- Existe-il un moyen pour renforcer leur système immunitaire ? demanda une étudiante.
- En principe, les abeilles ont toujours été capables de trouver des substances vitales pour elles directement dans la nature. Par exemple, le miel qu’elles fabriquent est un aliment indispensable durant tout l’hiver lorsque les réserves de pollen sont épuisées. Mais de nombreux apiculteurs complètent ou remplacent le miel des ruches par du sirop de glucose. Nous savons maintenant que ce type d’aliment artificiel ne contient pas les nutriments nécessaires à la bonne santé des abeilles.
- Le miel, c’est fait par les abeilles, pour les abeilles, c’est ça ?
- Tout à fait ! De plus, de nouvelles recherches sont menées aujourd’hui sur la relation qu’entretiennent les abeilles avec le mycélium.
- Les champignons ? questionna un autre étudiant.
- Plus particulièrement leurs filaments souterrains. Des observations ont été réalisées sur des abeilles qui déterraient le mycélium pour l’exposer à la lumière. En réaction, celui-ci produit des enzymes sous forme de suc que les abeilles aspirent goulûment. En analysant ce suc, les chercheurs ont constaté que cette substance était un antiviral et un détoxifiant puissant.
Des expériences en laboratoire ont montré que les abeilles qui avaient profité d’un régime de suc de mycélium avaient éliminé 90% des virus en seulement une semaine. Il se pourrait bien que les abeilles sauvages, particulièrement à certaines périodes de l’année, effectuent des sortes de cures de mycélium.
- Le problème, c’est qu’aujourd’hui très peu d’abeilles vivent à proximité de forêts riches en champignons, ajouta un étudiant.
- Tu as raison et c’est bien là le drame, avec la déforestation massive qui est toujours en marche partout dans le monde.
- Pour sauver les abeilles, il faut sauver les arbres ! », ajouta Stella.
Décidément, les arbres étaient de véritables piliers de la biodiversité. Non seulement, ils abritaient les abeilles sauvages qui fabriquaient les ruches à l’intérieur de leurs troncs, mais les arbres prodiguaient également les aliments et les médicaments vitaux pour elles.
À la fin du cours, Stella retrouva le jeune savant pour discuter de sa dernière visite à la ferme familiale :
« Je vais retourner voir votre grand-mère prochainement, Monsieur Pietrera.
- Malheureusement Stella, tu ne pourras pas la voir, elle vient juste d’être hospitalisée. Elle a perdu connaissance près des ruches et depuis on lui fait une batterie de tests pour savoir ce qui l’affecte. »
C’était donc ça l’explication du visage triste de son professeur. Ce n’était pas seulement les analyses catastrophiques sur les abeilles mais aussi la maladie soudaine de son aïeule.
« Mais quand je l’ai vue, elle avait l’air en parfaite santé. C’est étrange !
- Je sais, je m’inquiète beaucoup pour elle, mais elle, ce sont ses abeilles qui l’inquiètent. »
Stella eut le pressentiment que tout cela était lié. Comme si la maladie des abeilles avait affecté aussi la vieille apicultrice.
« J’aimerais beaucoup vous accompagner la prochaine fois que vous lui rendrez visite.
- Bien évidemment, je suis sûr que cela lui fera plaisir. »
Le lendemain, Rafael donna rendez-vous à Stella pour se rendre ensemble à l’hôpital. En arrivant dans la chambre, la jeune femme eut un choc. Elle ne reconnaissait plus Santa qui avait l’air d’avoir vieilli brusquement. Elle essaya de ne rien laisser paraître et s’approcha du lit pour prendre la main de l’apicultrice.
« Bonjour Santa, c’est moi, Stella.
- Ah, c’est ma princesse des abeilles… Je suis heureuse que tu sois venue me voir. Vous ne devez pas vous inquiéter pour moi mais plutôt pour les ruches. C’est urgent, vous devez absolument trouver u Bugnu !
- U Bugnu ? demanda Rafael.
- Oui. Tu vas partir à la recherche de l’Essaim Sauvage avec Stella. Moi je ne suis pas capable de faire ce genre d’expédition dans mon état.
- C’est quoi encore cette histoire, mammò ?
- Stella te racontera. Nous sommes en quête, Rafael. La santé des ruches et des abeilles est en jeu. Nous avons peut-être une solution mais il faut retrouver u Bugnu. Vous allez devoir prendre avec vous une partie de la colonie et lui permettre de fusionner avec l’essaim sauvage.
- Quoi ? Mais c’est impossible ! Sans toi on sera incapable de faire essaimer une ruche et de la transporter. C’est de la folie!
- Tu devras faire confiance à Stella et aux abeilles. Elles sauront quoi faire.
- Mais Stella n’est pas apicultrice !
- Aucune importance, les abeilles l’ont choisie et elles vous suivront. Maintenant, laissez-moi me reposer, vous reviendrez demain. Je vous expliquerai comment procéder. »
Le ton de la voix de Santa n’admettait aucune contradiction. Elle embrassa Rafael en lui rappelant de ne pas s’inquiéter et que tout allait s’arranger.
Mais elle garda la main de Stella dans la sienne un long moment et la jeune femme sentit que l’apicultrice lui transmettait de nouveau toute son énergie bienfaisante. Elle chuchota :
« Quand la peur arrivera à toi, écoute sa voix mais, surtout, suis la voie de ton cœur ».
En sortant de la chambre d’hôpital, la jeune femme espéra vivement qu’elle reverrait Santa dans sa ferme, entourée de ses ruches et de ses oliviers.
Rafael et Stella passèrent revoir la vieille dame dans sa chambre le lendemain. L’apicultrice leur expliqua toutes les techniques nécessaires pour récupérer et transporter une ruche sans perturber les abeilles. Ils avaient noté les procédures, les précautions et les consignes à respecter. Il fallait absolument que cette opération ne soit pas traumatisante pour les abeilles mais que cela devienne aussi une belle aventure pour la colonie.
En arrivant à la ferme, les deux jeunes gens eurent un pincement au cœur en découvrant la demeure vide. Bizarrement, alors qu’ils s’activaient, ils sentirent, tous les deux, la présence de Santa qui les accompagnait dans leurs préparatifs. Ils restaient silencieux et accomplissaient leurs tâches comme deux professionnels aguerris.
Cependant, un « détail » trottait dans la tête de Stella et la rendait nerveuse malgré elle. La jeune femme devait approcher la ruche avec, comme seule protection, un voile d’apicultrice. Les abeilles devaient pouvoir sentir l’étudiante directement au contact de sa peau : « C’est essentiel ! » avait vivement recommandé la vieille dame.
« C’est peut-être essentiel pour les abeilles mais c’est compliqué pour moi », pensa tout haut Stella
Le moment de vérité arriva. Rafael avait revêtu sa combinaison et récupéré l’enfumoir de l’apicultrice, tandis que son élève avait disposé un peu de mélisse* dans un large panier tressé. Ce substitut de ruche était censé contenir toute la colonie qu’ils allaient transporter.
Stella s’approcha de la ruche que le jeune homme venait d’enfumer*. Cette manœuvre indiquait aux abeilles qu’elles devaient faire des provisions de miel avant d’essaimer. Elle se remémora les paroles de la vieille dame et se concentra pour être la plus calme possible, puis se présenta doucement aux abeilles en leur expliquant ce qu’elle s’apprêtait à faire. La jeune femme leur décrivit leur futur voyage vers un coin de nature sauvage. Quelques éclaireuses sortirent de la ruche et se posèrent sur elle. Stella inspira longuement comme si elle faisait pénétrer en elle la force et la sagesse de l’apicultrice. Elle ne ressentit aucune piqûre et posa sa main sur la ruche pour demander l’invitation à l’ouvrir comme le lui avait expliqué la vieille dame.
« On n’entre pas chez les gens, sans prévenir », avait-elle dit.
L’étudiante retira lentement le toit de la ruche, puis le premier cadre et vérifia que les abeilles étaient bien calmes. Il fallait qu’elles acceptent cette intrusion dans leur intimité pour que Stella puisse retirer un à un les différents éléments de la ruche. Elle devait accéder au couvain*, le récupérer et le placer dans le panier. C’était une manœuvre très délicate pour une débutante mais c’était le seul moyen qui inciterait la reine et toute la colonie à rejoindre le nouvel abri.
Tous ses gestes devaient s’effectuer avec l’accord des abeilles. Elle devait agir en parfaite communion avec la ruche. Les insectes ne devaient ressentir aucun danger, aucun stress, sans quoi ce serait l’attaque immédiate. Pendant que Stella manipulait avec précaution les différents cadres, des dizaines d’abeilles venaient se poser sur ses mains et ses bras, comme pour vérifier ses intentions pacifiques. Enfin, l’apicultrice néophyte attrapa le corps à couvain avec ses rayons* pleins d’œufs, de pollen et de miel. Elle le déposa dans le panier en priant très fort pour que sa manipulation réussisse. Toute cette opération consistait à récupérer la reine pour qu’elle donne le signal à toute la colonie de la rejoindre.
Rafael sourit à son élève pour lui signifier qu’elle pouvait être fière de son travail. Elle avait fait son maximum et, maintenant, c’était l’essaim qui déciderait de la suite de leur aventure.
Ils patientèrent en observant attentivement le comportement des abeilles qui se rassemblaient par petits groupes et rejoignaient progressivement le couvain dans son abri. Puis, le mouvement s’accéléra pour enfin créer un véritable embouteillage dans la corbeille. L’essaim formait maintenant un seul organisme qui vivait sa propre vie. Au sein de ce corps, la reine donnait sa pulsation vitale. Ils avaient accompli leur première mission.
Le jeune scientifique posa le couvercle sur le panier et Stella attrapa une des anses pour le transporter jusqu’au coffre de la voiture.
« Maintenant, nous devons nous dépêcher de récupérer la mule dans la grange et l’installer dans la remorque.»
Rafael fit entrer l’animal dans le van et l’attacha pour le voyage. Il récupéra son matériel, ferma la demeure familiale et s’engagea sur le chemin bordé d’oliviers centenaires.
« Vous feriez une excellente apicultrice, Stella. J’avais l’impression de voir ma grand-mère plus jeune quand, enfant, je l’observais travailler.
- C’est vrai, c’est étrange car malgré le stress que j’avais au départ, j’avais l’impression d’avoir toujours fait ces gestes. Mais vous n’avez jamais voulu être apiculteur, vous ?
- Bien sûr que si ! Mais ma grand-mère n’a jamais voulu m’initier à sa pratique. Elle me répétait que sa tradition devait se transmettre de femme à femme et que si je voulais l’apprendre, je devais rencontrer un autre apiculteur.
- C’est pour ça alors que vous êtes devenu entomologiste, non ?
- Peut-être bien », conclut Rafael.
Le jeune savant songea aux conversations qu’il avait eues pendant toute son enfance avec son aïeule. Des centaines de fois, il l’avait suppliée de lui enseigner son art. Mais l’apicultrice avait très vite décelé chez lui des aptitudes intellectuelles précoces et elle avait favorisé son orientation vers les sciences. C’est tout naturellement que l’étude des insectes s’était imposée à lui. Plus qu’une profession, c’était une véritable passion.
Les deux scientifiques prirent la route en direction de la haute vallée d’Ascu, point de départ du sentier vers la haute montagne et début de leur quête. Ils allaient rechercher u Bugnu et son arbre à essaims. Tenter de découvrir leur mission et le destin de l’essaim. Mais par-dessus tout, ils allaient rendre une colonie d’abeilles à la vie sauvage.
Chapitre V
A Strada vecchia
Depuis l’aube des premiers jours, vous avez cherché nos rayons de soleil
Supportant la fatigue et la douleur du venin pour enfin cueillir le miel.
Bravant tous les dangers, vous plongiez au plus profond des forêts
Repoussant la peur, le vertige et le mordant de nos épées.
Pour votre ultime et divine récompense
Nourrir vos corps et vos esprits par notre essence.
Puis de chasseurs vous êtes devenus cultivateurs
Et nous œuvrions ensemble aux fruits du bonheur.
Nous aurions dû grandir en amour chacun de notre côté.
Mais vous avez remplacé les arbres par de tristes champs
Empoisonnant le ciel et la terre, l’eau et le vent.
Aujourd’hui, nous ne pouvons ni vous aider ni nous soigner
Et si nous mourons, dans l’abime, la honte et l’oubli vous tomberez.
Après avoir roulé le long de la route sinueuse des gorges de l’Ascu, Stella et Rafael arrivèrent à la lisière de la forêt de Carozzica. Ils se garèrent près du départ du sentier qui conduisait les randonneurs vers le Monte Cintu. Ils firent descendre la mule de la remorque et attachèrent avec beaucoup de précautions la ruche en osier aux flancs de l’animal. Les deux jeunes gens, sacs à dos ajustés et animaux attachés, prirent le départ du chemin à travers la forêt. En bons naturalistes, les deux scientifiques étaient habitués aux longues randonnées en montagne. Cependant, cette fois-ci, ils étaient accompagnés d’une mule et d’un essaim d’abeilles. Ces passagères immobiles mais bourdonnantes devaient absolument rester calmes et conciliantes. Ils allaient devoir adapter leur rythme de marche à celui de la mule et prendre garde à ce que l’animal puisse les suivre sans encombre.
« J’ai l’impression de mettre mes pas dans ceux de mes ancêtres. C’est une étrange sensation, remarqua Rafael.
- La seule différence, c’est que vos ancêtres allaient chercher des essaims sauvages, alors que nous, nous allons rendre les abeilles à leur mode de vie naturel.
- C’est exact, car depuis la nuit des temps, les hommes ont pourchassé les ruches sauvages. Selon certains anthropologues*, les premières cueillettes de miel pourraient avoir commencé il y a plus de 800 000 ans. Des spécialistes de l’étude des comportements alimentaires préhistoriques pensent d’ailleurs qu’il pourrait y avoir un lien entre l’évolution de notre cerveau et la consommation de miel.
- Comment cela pourrait-il s’expliquer ?
- Tout simplement par le fait que le glucose, l’élément principal du miel, se trouve être l’aliment indispensable à l’activité de notre cerveau. D’après cette étude, nos ancêtres préhistoriques n’auraient jamais pu bénéficier d’un apport régulier en glucose dans leur environnement sans la consommation quotidienne des produits des ruches.
- Vous voulez dire que nous avons progressé dans nos performances cognitives durant toute la préhistoire, grâce au miel ?
- Cela se pourrait bien, effectivement. Jusqu’à présent, les plus vieilles traces d’utilisations du produit des ruches sont issues de poteries et de céramiques qui contenaient des traces de cire et de miel, vieilles de plus de 9000 ans. Cependant, grâce aux dernières technologies, les anthropologues ont trouvé des traces plus anciennes encore sur l’émail des dents des squelettes humains fossilisés.
- Je croyais que les êtres humains avaient évolué grâce à l’invention du feu et à la cuisson de la viande ?
- Pour le feu, c’est certain. D’ailleurs, il fallait bien calmer les abeilles pour récupérer le miel. Mais pour le régime carnivore, c’est moins sûr, car quand on réfléchit beaucoup, on n’a pas du tout envie de viande mais de sucre, non ?, plaisanta-t-il.
- C’est vrai que pendant les périodes de révisions d’examen, je dévore les canistrelli par centaines ! », confirma Stella.
Les deux scientifiques éclatèrent de rire en songeant à leurs expériences studieuses et gourmandes. Bien qu’ils soient étudiante et professeur, ils étaient de la même génération et avaient presque le même âge.
Rafael s’assura que le rythme de leurs pas n’était pas trop rapide pour la mule et que le panier n’était pas trop secoué. Il posa son oreille contre la corbeille et écouta le bourdonnement des abeilles pour vérifier que celui-ci était toujours aussi calme qu’au départ. Le sentier grimpait toujours à travers la forêt et le petit équipage s’enfonçait de plus en plus profondément sous le couvert végétal. La lumière d’été, filtrée par les branches des arbres, donnait au paysage une ambiance de cathédrale naturelle. Les fougères, les lichens et l’essence des pins làrici exhalaient un parfum de terre nourricière qui accompagnait chacune de leur respiration. Peu à peu, la forêt se fit plus clairsemée et le son d’un torrent recouvrit le chant cristallin de la sitelle*.
Le sentier longeait la rivière et surplombait par endroits une vasque ou une cascade. L’eau vive coulait joyeusement entre les rochers et les rayons du soleil donnaient aux galets des allures de tapis d’émeraudes.
Le sentier grimpa encore davantage et la forêt céda la place à l’alpage. Quelques beaux pins làrici solitaires poussaient encore et semblaient contempler le panorama en contrebas. La chaleur de cette fin de matinée faisait ressortir les odeurs de la muredda* et de la nepita* qui embaumaient les pentes escarpées du massif du Cintu.
Stella avait tous ses sens en alerte. Elle tentait de reconnaître l’arbre qu’elle avait vu dans son « voyage » mais pour l’instant aucun de ceux qu’elle apercevait ne correspondait à son souvenir. La jeune femme se demanda si la vision qu’elle avait eue au cours de cette expérience était vraiment fiable. Après tout, elle avait vu cet arbre dans un état de semi-conscience et ce souvenir pouvait être juste un fantasme. Mais elle avait également appris à mettre de côté sa logique pour se fier simplement à son intuition.
Pendant que l’étudiante observait la montagne environnante, elle remarqua que la rivière juste au-dessus se divisait en deux bras distincts. Ceci compliquait considérablement leur aventure. Ils ne pouvaient pas se séparer pour explorer chacun une partie du torrent et ils n’avaient pas assez de temps pour longer les deux parties du cours d’eau. Rafael s’immobilisa un instant devant ce croisement inattendu. Il semblait réfléchir intensément car des rides entre ses sourcils étaient apparues.
« On va faire une pause pour manger et essayer de trouver une solution à ce dilemme.»
Ils déchargèrent la mule de son fardeau pour la faire boire à la rivière. Ils lui donnèrent un peu d’orge et la félicitèrent pour sa patience et son assurance. Stella vérifia que les abeilles étaient toujours calmes en écoutant leur bourdonnement à travers le panier comme elle avait vu faire Rafael. C’était comme prendre le pouls de l’essaim ou la pulsation de leur mission.
Puis ils déballèrent leur spuntinu*. Ils mangèrent, le regard plongé dans l’eau du torrent, le pain, la tome de brebis, le prisutu et les tomates du jardin. Cette matinée avait été riche en émotions et ils devaient maintenant trouver le bon moyen de continuer leur recherche sans perdre trop de temps. Une colonie d’abeilles attendait d’être libérée et une apicultrice malade patientait et espérait.
Les deux jeunes gens étaient en train de bavarder quand un sifflement lointain retentit et ricocha sur les parois rocheuses. Un gypaète barbu fendait l’azur et planait au-dessus d’eux. Il siffla de nouveau en dessinant des circonvolutions dans les courants chauds qui remontaient sur le flanc de la montagne. Il semblait maintenant se rapprocher. Les deux scientifiques purent admirer son envergure et sa queue en ovale caractéristique. L’altore portait bien son nom, il dominait les airs et les cimes en épousant les rayons de soleil et les courants ascendants. De nouveau, le rapace fit retentir son cri et prit la direction du sommet du Cintu.
« Il nous indique notre chemin !
- Comment ça ?, questionna Rafael.
- C’est un signe. Nous devons suivre le bras de rivière dans la direction que nous indique le gypaète.
- Vous avez votre propre oiseau indicateur, maintenant ?
- C’est à dire ?
- En Afrique, les Massaï bénéficient de l’aide d’un oiseau particulier, dans leur recherche du miel sauvage. L’Indicator indicator, est un oiseau très particulier qui siffle pour alerter et se faire suivre par les chasseurs. Il vole de branches en branches, en vérifiant que les hommes sont toujours dans la bonne direction, jusqu’à se poser définitivement sur l’arbre qui cache l’essaim. Les Massaï, une fois leur récolte effectuée, laissent à l’oiseau les restes de leur butin en guise de récompense. Ce comportement mutualiste, unique en son genre, a été étudié par de nombreux éthologues*.
- Et bien nous, nous allons suivre l’altore ! »
Rafael n’était pas vraiment surpris par l’intuition de Stella. Santa aussi donnait beaucoup d’importance à ses sensations personnelles.
« Soit, suivons l’altore ! »
Les deux scientifiques remirent la ruche en osier sur la mule et poursuivirent le long de la rivière dans la direction du rapace. Après, quelques minutes de marche sur les pentes abruptes du massif, Stella ressentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Elle leva les yeux : un immense pin làriciu dominait les gorges du torrent. C’était lui !
L’arbre devait mesurer vingt mètres de haut et plusieurs mètres de circonférence. Il paraissait multi centenaire et d’énormes racines apparentes enlaçaient les rochers à sa base. Trois immenses essaims bourdonnaient sur ses branches les plus hautes. La deuxième étape de leur quête était en passe d’être franchie. Cependant, les deux apiculteurs débutants devaient encore libérer l’essaim sans accident.
« Rapprochons-nous encore un peu et équipons-nous. »
Rafael revêtit une combinaison pendant que Stella se protégeait seulement avec le voile de Santa. Elle ressentait encore de l’appréhension en présence d’un aussi grand nombre d’insectes mais elle était maintenant concentrée sur les tâches à accomplir. Ils récupérèrent la ruche en osier sur la mule et la mirent sur le sol avant de l’ouvrir délicatement. Ils observèrent quelques abeilles qui sortirent pour prendre leur envol.
« Ce sont les éclaireuses qui entrent en action ! Elles vont d’abord explorer les alentours et puis revenir vers l’essaim faire leur rapport », expliqua le jeune savant.
Quelques minutes plus tard, un curieux manège intrigua Stella :
« Regardez Rafael, on dirait que certaines abeilles dansent devant les autres !
- C’est exactement ça. Ce sont les premières éclaireuses qui communiquent les indications qu’elles ont glanées sur tout leur environnement. Maintenant, la colonie doit prendre sa décision pour son nouveau site d’essaimage. C’est ce qu’on appelle le quorum* et c’est un processus démocratique exemplaire puisque le choix se fait lorsque 80% de toutes les éclaireuses sont d’accord sur la nouvelle destination. »
Les abeilles sortirent du panier puis, répondant à une invitation mystérieuse, s’envolèrent par milliers. Le phénomène prit des allures de nuage bourdonnant, qui se dilatait et se rassemblait selon un rythme inconnu aux observateurs. Ce spectacle magique hypnotisait les deux jeunes scientifiques qui paraissaient entièrement absorbés par la scène.
Encore une fois, sans aucun signal apparent, l’essaim se dirigea vers l’arbre et s’accrocha sur une branche aux extrémités du pin.
Par hasard ou par nécessité, les abeilles s’étaient regroupées sur des ramures aux quatre points cardinaux, Est, Sud, Ouest et maintenant Nord avec le dernier essaim. Les deux scientifiques ne remarquèrent pas tout de suite ce phénomène car un autre fait attira leur attention :
« Il semblerait que plusieurs abeilles s’introduisent dans un creux de l’arbre. Il devait déjà y avoir une colonie présente dans le tronc avant l’arrivée des autres essaims, remarqua Rafael.
- C’est peut-être un congrès ?, plaisanta Stella.
- Je pense que c’est exactement ça ! Il existe vraiment une congrégation* des abeilles. C’est un nouveau champ d’étude pour les entomologistes et les dernières recherches dans ce domaine seront sans doute cruciales pour la conservation de l’espèce. On a longtemps pensé que les mâles étaient presque inutiles puisqu’ils ne récoltaient pas de pollen, ne construisaient pas de rayons, ne produisaient pas de miel et ne protégeaient pas la ruche. Bref, on les considérait un peu comme des parasites vivant aux crochets des femelles. Or, les dernières recherches démontrent, le rôle essentiel des mâles. Notamment, en étudiant ce phénomène de congrégation auquel sont associés de jeunes reines et un grand nombre de faux bourdons. Ce comportement favoriserait un important brassage génétique vital pour la colonie. »
Pendant que Rafael donnait ces explications, Stella avait remarqué que deux ou trois abeilles étaient venues se poser sur ses bras quelques secondes puis étaient reparties rejoindre leur abri dans le creux de l’arbre. Elle se souvenait que lors de sa première visite au rucher de Santa, c’est aussi par ces petites rencontres rapides que des milliers d’insectes étaient finalement venus la recouvrir.
La jeune femme pensait très fort à l’apicultrice quand elle prit sa décision. Elle fit un geste qui, a priori, était aussi irrationnel que dangereux : elle retira son voile.
« Que faites-vous Stella, vous êtes devenu folle ?
- Il faut me faire confiance et faire aussi confiance aux abeilles. Je ne risque rien, je le sais. Elles ne risquent rien non plus et elles le savent. Maintenant Rafael, nous devons franchir la prochaine étape de notre mission : rencontrer u Bugnu! »
Chapitre VI
L’Aria Sacra
Du vol nuptial des princesses à la grand messe des bourdons
Notre communion est sacrée et mystérieuse est notre union.
Les rayons du soleil illuminent nos désirs et nos caresses.
Son énergie vibre en nous et nous transporte jusqu’à l’ivresse.
Essentielles et vitales sont ces volutes et ces spirales
Nous en priver c’est cultiver des fleurs sans leurs pétales.
C’est voler notre passé, notre avenir et notre liberté
Nous qui œuvrons pour la Vie, la Terre et la Beauté.
C’est dans la Nature que nous puisons notre force et notre sagesse
C’est pour elle et avec elle que nous vivons en nous donnant sans cesse.
Il suffit simplement de nous rendre les arbres, les fleurs et les rivières
En laissant pousser le rayon, la cire, le miel pour que notre peuple grandisse et prospère.
Stella avança vers l’arbre aux essaims sous le regard inquiet de Rafael. Elle savait comment procéder pour lier le contact avec une ruche mais elle ignorait si son attitude allait pouvoir établir un lien avec celle cachée au creux du pin. Elle s’approcha encore de quelques pas. La jeune femme était maintenant devant le creux du pin làriciu. Elle posa sa main sur l’écorce, respira profondément et récita tout bas le poème que lui avait appris Santa :
« Durmiu è sunniavu chì vita era gioia.
Mi discitai è tandu m’avvidii chì vita ùn era cà serviziu.
Servii è tandu capii chì di serva era gioia. »
« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je m’éveillais et je vis que la vie n’était que service.
Je servis et je compris que le service n’était que joie. »
L’apicultrice lui avait confié, au cours de sa dernière visite, une ancienne tradition du culte des abeilles*. Chaque adepte avait sa propre prière qui se transmettait oralement, de maître à disciple, génération après génération. La vieille dame avait transmis à Stella une litanie apprise par sa propre grand-mère que celle-ci avait reçue de son aïeule.
Stella se demanda si cette démarche poétique et altruiste suffirait à convaincre une colonie d’animaux aussi différents dans leur comportement que sont les insectes et les humains. Elle patientait, immobile, et sentait Rafael l’observer par-dessus son épaule. Pour l’instant, le jeune scientifique avait décidé de respecter le plan de Santa et les intuitions de Stella mais il se tenait prêt à intervenir si par malheur l’aventure tournait mal. Il récupéra l’enfumoir pour la protéger au cas où les abeilles attaqueraient.
Quelques abeilles sortirent du tronc de l’arbre et se posèrent sur la poitrine de l’étudiante. Puis, l’une d’entre elle s’envola, tourna au-dessus de son visage avant de se poser sur son front. La jeune femme sentit l’insecte se poser entre ses sourcils et, au moment où elle se demandait comment les abeilles pouvaient connaître les points d’acupuncture, perçut la chaleur vive de la piqûre. Mais, cette fois-ci, elle resta fermement campée sur ses jambes. En quelques secondes, elle vit une succession d’images en accéléré : elle se voyait plonger sa main dans le creux de l’arbre et en retirer les rayons de miel, elle voyait Santa manger le pain de la ruche, ses yeux brillants de bonheur. Elle se vit aussi grimper tout en haut du làriciu pour récupérer un essaim sauvage et le ramener sur le dos de la mule. Enfin, elle reconnut un paysage vallonné, des oliviers, la mer au loin, des vestiges sur un sommet et des ruches partout disséminées. Puis, plus rien, seulement la lumière du soleil à travers les branches de l’arbre et la sensation de la main de Rafael sur son épaule.
« Nous devons penser à rentrer maintenant, Stella.
- Nous avons encore une chose à faire avant. Je vais grimper à l’arbre pour récupérer un des essaims et le ramener avec nous. Je vous expliquerai pourquoi ensuite, répondit la jeune femme.
- Quoi ? Mais c’est impossible d’accéder aux branches, c’est trop haut !
- J’ai pratiqué l’escalade avec mon cousin qui est un expert dans ce domaine. Depuis, je garde toujours une corde et mes chaussons dans le fond de mon sac de montagne. Vous m’aiderez à faire descendre les abeilles à l’intérieur de la ruche en osier. Vous allez aussi devoir me guider pour que j’accomplisse les bons gestes pour récupérer l’essaim.
- D’accord, mais soyez très prudente. Sachez que les abeilles regroupées en essaim ne sont pas agressives. Elles sont chargées de miel et évitent de voler.
- Tant mieux, cela fera un stress de moins ! »
Stella récupéra son sac, le vida entièrement en laissant seulement la corde à l’intérieur.
Rafael fixa le panier sur le dos de la jeune femme pour qu’elle puisse grimper sans être gênée. L’étudiante examina les ramures de l’arbre pour visualiser sa progression, comme elle le faisait sur les voies d’escalade et débuta son ascension. Elle retrouva rapidement ses automatismes de grimpeuse et avala les mètres rapidement. En quelques minutes, elle se retrouva à la cime de l’arbre. À présent, les choses difficiles commençaient. Avant tout, il fallait choisir le bon essaim, quel était celui qu’elle devait ramener avec elle ? Stella se souvint du paysage de sa vision : de toute évidence, c’était dans les Agriate. Il fallait ramener cette colonie sur la côte Ouest de l’île. Elle décida de récupérer le bugnu accroché à l’Ouest.
Elle repéra la grappe d’abeilles et se positionna.
« Stella, vous devez d’abord suspendre le panier sous la colonie.
- Très bien, je sors la corde et je l’attache.
- Voilà. Maintenant, grimpez près de la branche sur laquelle est fixé l’essaim et secouez-la fermement pour le faire tomber dans le panier. Pour garder la cohésion de la colonie, vous devez impérativement avoir la reine à l’intérieur. »
La jeune femme s’exécuta, Elle se trouvait maintenant juste sous l’essaim. Elle hésita un moment puis secoua vivement la branche. La grappe tomba dans le panier.
« Magnifique ! Vous pouvez faire glisser le panier, très lentement, jusqu’en bas. Je le récupère. »
Délicatement, Stella fit glisser la corde contre la branche. Elle contrôlait la descente de la corbeille et de sa nouvelle colonie pour la poser en douceur sur le sol.
« Bravo ! J’ai l’impression que nous avons presque toute la colonie. »
Rafael posa le couvercle sur le panier en laissant un espace pour permettre aux retardataires de rejoindre les abeilles qui s’étaient déjà reconstituées en grappe à l’intérieur. Il souriait aux anges en regardant Stella descendre souplement à travers les branches du pin.
Les deux jeunes gens fixèrent de nouveau la ruche en osier sur les flancs de la mule. Alors que Rafael s’apprêtait à rejoindre le sentier, Stella l’arrêta dans son élan.
« J’ai une dernière chose à faire avant de repartir ».
Le jeune savant la regarda, dubitatif :
« Vous avez peut être assez pris de risques pour aujourd’hui, non ?
- C’est pour Santa, je n’en n’ai pas pour longtemps. »
La jeune femme retourna près du pin làriciu, pendant que Rafael, résigné, secouait la tête. Les abeilles exécutaient un va-et-vient incessant sans piquer cette visiteuse qui leur parlait si joliment. Stella se positionna devant le creux de l’arbre, récita de nouveau le cantique secret puis raconta ce qu’elle s’apprêtait à faire. Elle remercia la colonie par avance pour ce don et plongea sa main dans la ruche. L’étudiante sentit les abeilles envelopper sa main et son bras. Elle avait la sensation de s’immerger dans l’essaim.
Pendant qu’elle cherchait à tâtons le rayon, elle continua à parler doucement. Elle conversait aussi bien pour se calmer elle-même que pour apaiser les abeilles qui chantait maintenant sur tout son corps. Stella sentit sous ses doigts la délicatesse du pain de miel. Elle referma soigneusement sa main pour ne blesser aucun insecte et retira lentement son bras du creux de l’arbre. Elle tenait un véritable rayon de lumière, de pollen et de sucre, offert par la nature et ses plus fidèles servantes. De nouveau, elle remercia la colonie pour ce cadeau, pendant que des centaines d’abeilles volaient au-dessus d’elle. Elle percevait leur bourdonnement et décelait une mélodie qu’elle reconnaissait. Cette comptine surgie de son enfance l’accompagna et la guida sur quelques pas. Elle retourna près de la mule pour déposer sa précieuse récolte sous les yeux médusés de Rafael.
« Alors là, pour une phobique des insectes vous avez fait fort !
- Je crois que j’ai réussi à appliquer la leçon des anciens apiculteurs, non ?
- Nous devons apprivoiser nos peurs pour accéder à nos trésors cachés. C’est ça ?
- Ou alors : Femme libre toujours tu chériras le miel ! »
Les deux scientifiques rirent, complices et heureux d’avoir accompli leur mission au-delà de toutes leurs espérances. Ils jetèrent un dernier regard sur l’arbre et ses essaims, avant d’entamer le retour vers la vallée. Ils allaient devoir marcher avec davantage de précautions que lors de l’ascension car, en descendant, le chemin escarpé devenait vraiment difficile. La mule, placide, avait le pas sûr mais il y avait de nombreux passages rocheux qu’elle pouvait trouver dangereux. Néanmoins, l’équipage progressait et Rafael rassurait l’animal à chaque difficulté rencontrée en la félicitant avec des paroles d’encouragements. Régulièrement, les deux jeunes faisaient une pause pour écouter l’essaim à travers le panier et vérifier que le bourdonnement des abeilles ne révélait aucune agitation.
En chemin, Stella raconta au jeune savant sa dernière expérience avec les abeilles. Elle décrivit le paysage sauvage qu’elle avait vu et les ruches dispersées selon une disposition qui semblait être ordonnée et réfléchie. Rafael continua à marcher silencieusement pendant quelques minutes. Il semblait parcourir en pensée tous ses souvenirs et ses connaissances sur les travaux scientifiques publiés ou en cours d’expérimentation. Les abeilles mellifères, Apis mellifera mellifera, étaient des sujets d’études pour de nombreux biologistes, entomologistes, ou éthologues qui cherchaient les secrets de leur évolution, de leur mode de vie et les raisons de leur déclin actuel.
« J’ai entendu parler récemment d’une nouvelle expérience d’un Conservatoire de l’abeille noire. Ce projet tenterait de préserver l’espèce en implantant des colonies dans de grands espaces naturels avec une disposition des ruches bien précise. Sur une première zone d’une surface de plusieurs kilomètres et bénéficiant d’une diversité écologique importante, les colonies seraient laissées libres et sauvages, sans aucune intervention humaine. Ce sanctuaire serait ensuite entouré par un autre périmètre plus vaste dans lequel les ruches placées bénéficieraient d’un suivi scientifique. Enfin, une troisième zone en périphérie accueillerait les ruches d’apiculture. Ce dispositif, encore expérimental, pourrait représenter le dernier espoir de préservation de l’abeille noire.
Il permettrait aux colonies de s’auto-régénérer, tout en bénéficiant d’un accompagnement scientifique. Les apiculteurs pourraient eux-aussi participer au projet, en continuant leur activité, mais en permettant aux abeilles de maintenir elles-mêmes leur patrimoine génétique et leur capital santé. »
Pour Rafael, ce n’était certainement pas une coïncidence si Stella avait eu cette vision du Conservatoire d’abeilles. Ce projet était peut-être expérimental mais il s’appuyait aussi sur l’expérience des réserves naturelles qui, partout dans le monde, en mer comme à terre, avaient prouvé leur efficacité dans la préservation des espèces menacées.
« Nous pourrions très bien créer le premier Conservatoire de l’abeille de Corse, sur les mêmes bases expérimentales. Nous avons sur notre île tous les atouts nécessaires à la réussite de ce projet », ajouta Stella.
L’équipage traversa la rivière et pénétra de nouveau dans les bois. Le sentier se fit moins raide et chaotique, ce qui permit aux deux jeunes gens d’être plus sereins. Ils avaient accompli le plus difficile de leur épopée, ils pouvaient maintenant apprécier le calme de la forêt et laisser leur esprit vagabonder. En arrivant à Ascu, les rayons de soleil de la fin d’après-midi illuminaient la chaîne de montagnes du Monte Turone à la Punta Cavallare et baignaient les aiguilles de Popalasca d’un halo doré. Les noms de Moltifau et Castifau venaient des rayons de miel, peut-être tout autant pour le bénéfice des ruches de ces deux villages que pour la lumière de leur ciel.
Rafael et Stella avaient regagné leur véhicule, ils avaient installé la mule dans la remorque et attaché la ruche en osier dans le coffre. Ils devaient maintenant retourner à la ferme pour disposer l’essaim sauvage dans une ruche temporaire, avant de l’établir sur un nouveau site.
« Vous disiez que, dans votre vision, le paysage comprenait des collines près de la mer et des vestiges sur un sommet ?
- Oui, cela ressemblait aux Agriate mais je ne reconnaissais pas le site précisément.
- Je crois que cela pourrait bien être le Monte Revincu et le dolmen de Cellucia. Si c’est bien là, alors le projet de Conservatoire des abeilles serait doublement sacré.
Une étincelle dans le regard de Stella laissa deviner à Rafael qu’il avait vu juste. Ce site mégalithique* des Agriate, vieux de 7000 ans, était un site important dans l’histoire préhistorique de la Méditerranée. Il était également un lieu de mémoire ancestrale. C’était l’endroit idéal pour être le cœur et l’âme du sanctuaire des abeilles.
« L’Aria Sacra di l’Apa*, c’est bien comme nom pour le Conservatoire, non ? »
« C’est parfait, Stella ! »
Épilogue
En arrivant à l’hôpital, Stella et Rafael avaient tous les deux la crainte de retrouver Santa plus faible encore que lorsqu’ils l’avaient quittée. Toutefois, ils pénétrèrent dans la chambre avec la joie de revoir l’apicultrice et la fierté d’avoir accompli leur quête. La vieille dame les accueillit avec son doux sourire qui ne la quittait jamais quels que soient les circonstances et les événements. Cette attitude optimiste et volontaire était pour elle plus qu’une discipline, c’était un véritable art de vivre. Avec les années de pratique, elle était devenue une seconde nature qui lui permettait de traverser les nombreuses épreuves rencontrées au cours de sa vie.
« Enfin, vous revoilà mes enfants ! Comme je suis heureuse de vous retrouver. »
Les deux jeunes se regardèrent étonnés et se sourirent. Ils se demandaient depuis quand Santa avait décidé de les réunir dans une même famille.
« Nous avons retrouvé u bugnu mammò, et nous avons rendu sa liberté à ta colonie. Mais nous avons aussi un grand projet.
- Vous allez déjà vous marier ? », répondit, espiègle, la vieille dame.
Pendant que Stella était prise de fou rire, Rafael essaya de garder son sérieux et ajouta :
« Pas tout de suite ! Nous allons d’abord créer le premier Conservatoire des abeilles corses et ce sera près de chez nous, au Monte Revincu.
- C’est une très bonne idée, mes enfants ! C’est aussi un excellent choix de site pour son implantation. Je sais que vous connaissez le caractère sacré de ce lieu.
- Nous avons pensé l’appeler l’Aria Sacra di l’Apa, ajouta Rafael
- Santa, je vous ai aussi ramené quelque chose pour vous aider à vite vous rétablir. »
La jeune femme sortit le pain de miel qu’elle avait récolté sur les pentes du massif du Cintu.
Elle prit délicatement le poignet de l’apicultrice et déposa le rayon de miel dans le creux de sa main.
Santa palpa et huma le pain dans sa paume :
« Tu as dû apprivoiser ta peur et l’essaim pour réussir à récolter ce trésor. Tu as agi avec intelligence, cœur et courage. Tu es, maintenant, une digne apicultrice ! »
La vieille dame porta le morceau de pain de miel à sa bouche et son visage s’illumina. Malgré les rides et les années, il avait comme par magie retrouvé son aspect juvénile. L’espace d’un instant, Santa était redevenue une enfant qui s’émerveille du goût délicieux d’un mets béni des dieux.
« C’est une merveille ! Je n’ai rien dégusté d’aussi bon depuis que ma grand-mère m’avait ramené du miel sauvage de Castifau. Stella, ce rayon de miel est un vrai don du ciel. »
Rafael retrouvait enfin le visage plein de vitalité de son aïeule. Effectivement le miel faisait bien des miracles et il se jura de tout faire pour protéger celles qui perpétuaient ce véritable don du ciel. Stella, quant à elle, se demanda si cette épopée n’allait pas ouvrir d’autres champs d’exploration car ce Cantu di u Bugnu avait fait vibrer, chez elle, des cordes sensibles appelant de nouvelles aventures.
FIN
Glossaire
*Acaricides et fongicides : substances actives utilisées dans l’apiculture moderne pour lutter contre les acariens et les champignons dans les ruches.
*Anthropologue : scientifique qui étudie l’être humain dans ses aspects culturels.
* L’Aria Sacra di l’Apa : Le sanctuaire de l’abeille en langue corse.
* Aventures : Voir le récit « Les enfants de Pandora » Blog Décaméron 20/2.0.
* U Bugnu : L’essaim ou la ruche en langue corse.
* Congrégation des abeilles : rassemblement de mâles de plusieurs colonies pour se reproduire avec de jeunes reines.
* Couvain : ensemble d’œufs, et de larves protégés par les abeilles nourricières dans la colonie.
* Déméter : déesse de la Terre dans la mythologie grecque.
* Enfumoir : outil de l’apiculteur qui produit de la fumée pour calmer les abeilles.
* Entomologiste : scientifique qui étudie les insectes.
* Ethologue : scientifique qui étudie les comportements des animaux.
* Essaimage : phénomène de formation d’une nouvelle colonie.
* Mégalithique : terme d’archéologie qui désigne les dolmens, menhirs, pierres levées,…
* Mazzeru : sorcier-guérisseur dans la tradition corse.
* A Murredda : Helichrysum italicum, l’immortelle d’Italie en langue corse
* Nepita : Clinopodium nepeta, la marjolaine en langue corse.
* Quorum : processus de décision du site d’essaimage
* Rayons : confectionnés par les abeilles à partir de la cire qu’elles fabriquent pour y déposer le miel et le pollen.
* Sacrifiées : une fois que l’abeille a planté son dard, elle perd une partie de son abdomen et meurt.
* Spuntinu : le casse-croûte en langue corse.
* Symbiose : association étroite en deux organismes différents.