[ Écrire pour JP Santini ] François-Xavier Renucci - « A Very happy man »

    

Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est emprisonné depuis le 10 octobre sous le régime de la détention « préventive ». Contre l’arbitraire et pour servir de chambre d’écho à l’émotion partagée par de très nombreux auteurs de Corse ou d’ailleurs, Le Nouveau Décaméron ouvre ses colonnes.

   

  

« A very happy man »

  

Monsieur Santini, je cherchais quoi vous envoyer, quelque chose qui fasse office d’amical salut et de soutien moral, dans cette période inédite (je crois) pour vous, inédite et si douloureuse. 

En attendant que vous retrouviez votre vie, dans votre village du Cap, je pensais à vous et c’est la figure de William Friese-Green qui m’est venue à l’esprit. Vous le connaissez peut-être, je ne sais pas. Il est une des innombrables personnes, plus ou moins oubliées, qui furent à l’origine de l’invention du cinéma. Il ne fit pas fortune, au contraire de Thomas Edison qui, lui, eut le succès que l’on sait. Un destin à la Méliès, d’une certaine façon. Il me semble bon de rappeler qu’une culture, une invention, une idée sont des œuvres collectives, contiennent une quantité innombrable de rêves, de désirs, d’essais et d’erreurs. Une conscience collective se doit de remémorer et d’honorer les efforts de chacun.

C’est donc le visage de Friese-Green qui hante mon imaginaire, lorsque je pense à vous. Les Anglais ont voulu honorer ce précurseur dans un film de 1951, et confièrent le rôle à Robert Donnat. Une séquence se trouve facilement sur la Toile numérique, celle de l’Euréka… Vers trois heures du matin, après une soirée et une nuit entière de travail pour développer une pellicule impressionnée dans l’après-midi à Hyde Park, William Friese-Green, transporté d’enthousiasme, court dans les rues endormies de Londres à la recherche d’un témoin de sa découverte. Ce sera un policier, joué par Laurence Olivier (une pléiade de grands acteurs anglais jouent les petits rôles de ce film).

Le policier le prend pour un fou, ou pour un criminel. Friese-Green lui dit : « Venez-voir ce que j’ai fait ! » (« Something I’ve done, you must come and see ! »)

  

Le policier le suit avec prudence, et lorsque l’obscurité se fera dans l’atelier de l’inventeur, il posera même sa main sur sa matraque ; comment en vouloir à une autorité répressive de penser d’abord que l’autre en face est toujours susceptible d’être hors la loi ? Hors de la réalité commune, hors de la raison commune, hors des valeurs communes. 

Friese-Green se heurte d’abord à l’incompréhension et à la peur. Et puis sur le drap blanc apparaissent, dans le cliquetis de la machine dont la manivelle est tournée frénétiquement par l’inventeur, des images clignotantes. Ou plutôt des fantômes. Ou mieux encore des êtres, mouvants (silencieux), souriants. Émouvants. Le policier est bouche bée. Le visage de Friese-Green dégoulinera de larmes d’épuisement, de soulagement, de joie, de souffrance lorsqu’il donnera toutes les explications mécaniques de cette stupéfiante magie. Magie noire ? Magie blanche.

Puissance des arts, et des artistes de bonne foi. Ils proposent des visions neuves, effrayantes par leur nouveauté même, qui finissent par reconstruire la maison commune. Ce que finira par comprendre le policier lui-même. Avec cette réplique magnifique, qui le plus vite possible vous sera adressée à vous aussi, Monsieur Santini : 

« You must be a… very happy man mister… Friese-Green.”

  

  

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