[ Écrire pour JP Santini ]  Barbara Panelli - Écrire à haute voix / Scrivere ad alta voce

 

Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est emprisonné depuis le 10 octobre sous le régime de la détention « préventive ». Contre l’arbitraire et pour servir de chambre d’écho à l’émotion partagée par de très nombreux auteurs de Corse ou d’ailleurs, Le Nouveau Décaméron ouvre ses colonnes.

 

      

Écrire à haute voix

   

Je veux apprendre à écrire à haute voix, à faire sonner la pensée écrite et rendre audible et reconnaissable le ton de chaque mot. Clairement doux quand il est doux, vigoureux quand il est vigoureux. Compréhensif, furieux ou attentif. Dubitatif, volontaire ou souffreteux. À condition que ce soit clair. Que la signification des termes ne soit pas ambiguë mais correctement interprétée par la modulation du timbre et de l'intonation, par les silences, par les temps de pause et de reprise. 

Ils disent que je devrais gagner ma vie avec les mots que j'écris, mais, à part le fait qu'ils sont peu nombreux et isolés, je ne saurais pas par où commencer. Comment puis-je vendre les mots, comment puis-je vendre les pages que j'écris ? Qu'ils soient lus est pour moi la juste rémunération, qu'ils soient prêtés, suggérés, donnés. Les mots doivent être donnés. Nettoyés des couches de peintures qui se chevauchent, débarrassé des inutilités, des bagatelles et des lests. Rachetés de l'intolérable marchandisation à laquelle ils sont soumis, puis donnés. Ces mots érodés, ces pièces de monnaie usées, manquant d’exactitude, exposés au ridicule, rebondissent sur le fond de nos bacs de collecte, opaques et fatigués. Ces mots courbes vont solitaires, parfois en ligne, souvent superposés, empilés, jetés au monde. Rendus méconnaissables par la tourmente hurlante qui les arrache des mains et brandit les lambeaux. Beaucoup sont abandonnés au sort d'errer dans les rues comme des femmes violées qui, bien que pardonnées pour le mal qu'elles ont subi, gardent comme seul signe distinctif le stigmate de la perte de leur pureté. Ils sont destinés à produire des effets contraires à ceux pour quoi ils sont nés. Je veux au moins essayer de protéger certains d'entre eux. Protéger leur sens, les éloigner du commerce qui en est fait, changer leurs vêtements pour qu’on ne puisse pas les utiliser, qu’on ne puisse pas tous les voler, les enlever, les enfermer, les remplacer. Je veux les cacher, les camoufler temporairement afin qu'ils puissent traverser la frontière, qu'ils puissent résister pour témoigner, qu'ils puissent se sauver pour sauver. 

Car les mots sont une nourriture, ils serviront sûrement un jour, comme cela est toujours arrivé aux survivants des temps infâmes.

Septembre 2020

  

Scrivere ad alta voce

Voglio imparare a scrivere ad alta voce, rendere sonoro il pensiero scritto, udibile e riconoscibile il tono di ogni parola. Che sia chiaramente tenue quanto è tenue, vigoroso quand'è vigoroso. Comprensivo, irato, o d'attesa. Dubitante, propositivo, sofferente. Purché sia chiaro. Che non sia equivocabile il senso dei termini ma correttamente interpretato dalla modulazione di timbro e intonazione, dai silenzi, dai tempi di pausa e ripresa. 

Dicono che dovrei guadagnarmi di che vivere con le parole che scrivo ma, a parte che sono poche e sperdute, non saprei da dove iniziare. Come si possono vendere le parole, come posso vendere le pagine che scrivo? Che vengano lette è per me il giusto corrispettivo, che vengano imprestate, suggerite, regalate, lo è. Le parole vanno donate. Ripulite degli strati di pitture sovrapposte, alleggerite di ninnoli, bagatelle, e zavorre. Riscattate dall'intollerabile mercimonio cui sono sottoposte, e donate. Queste parole consumate, erose monete di scambio, prive di giustezza, esposte al ludibrio, rimbalzano sul fondo dei nostri contenitori da questua, opache e stanche. Ricurve procedono solitarie, talvolta in fila, spesso sovrapposte, affastellate, scaraventate nel mondo. Rese irriconoscibili nella turba urlante che se le strappa di mano, brandendone brandelli. Arrese molte al destino di vagare per le vie come donne stuprate cui, se pur perdonate per il torto subito, resta quale unico segno identificativo lo stigma della perdita della propria purezza. Destinate a sortire effetti opposti a quelli per cui sono nate. Voglio almento tentare di proteggerne alcune. Proteggerne i significati, sottrarli al commercio che se ne fa, cambiargli abito così che non possano servirsene, non possano rubarli tutti, rapirli, confinarli, sostituirli. Nasconderli, camuffarli provvisoriamente per far loro passare il confine, che possano resistere per testimoniare, che possano salvarsi per salvare. 

Perché le parole sono nutrimento, ché di sicuro servirà un giorno, com'è sempre accaduto, ai sopravvissuti di epoche infami.

Settembre 2020

  

    

  

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