L'Oracle de Gaïa - Partie 2 - Cécilia Caviglioli, Maïlys Donzella, Sasha Sarti-Sauli

L'Oracle de Gaïa est un conte fantastique et écologique écrit par les élèves de 2nd de Mme Barthelemy du Lycée St Paul, dans le cadre des ateliers animés par Jean-Louis Pieraggi, auteur de la saga "Les enfants de Pandora". 

 Pour lire la partie 1 : C'est par ici ! 

 

La conque

 

 

Le soleil ne s’était même pas encore levé, que Han était déjà éveillé. Il essayait, tant bien que mal, d’ôter les griffes de son chat de son masque de plongée. Juin était arrivé et le jeune lycéen n’avait plus cours. Afin de célébrer sa nouvelle liberté, il allait se donner à son activité préférée, la plongée sous-marine. L’adolescent attacha ses longs cheveux blonds afin de ne pas être gêné lorsqu’il nagerait. Il s’empressa d’enfiler sa combinaison et de prendre ses affaires. Il claqua la porte et se mit à dévaler le sentier qui menait à la crique. Il courrait, entouré d’une nature verdoyante. Arrivé au milieu du chemin, il s’immobilisa pour admirer le paysage : le soleil venait de se lever, les vagues scintillaient d’un reflet orangé et donnaient à l’endroit l’image d’un paradis terrestre.

Han continuait à descendre le sentier tout en admirant la   beauté de l’aube. Quand il arriva sur la plage, il sentit le sable doux sous ses pieds. Il marcha tranquillement vers la mer, s’immergea et nagea en direction d’un rocher exposé    au soleil. Il s’assit sur un coussin d’algues et se mit à contempler l’horizon, se laissant bercer par le bruit des vagues.

Il avait beau voir ça tous les jours, il ne se lassait jamais du spectacle que la nature lui offrait. Il resta là, durant quelque temps avant de se décider. Il remit son masque, regarda une dernière fois le ciel orangé puis glissa vers les profondeurs.

Le jeune plongeur nageait avec l’aisance d’un mammifère marin. Il profitait de chaque tombant pour s’immiscer au sein des bancs de poissons ou admirer la faune fixée. Au cours de son exploration, Han tomba sur une grotte qu’il ne semblait pas connaître. Il se dirigea vers l’entrée de la cavité pour l’examiner. Plus il avançait, plus il sentait une force qui l’attirait vers l’intérieur. Il s’aventura de plus en plus profondément. Lorsqu’il se résigna à faire demi-tour quelque chose attira son attention : c’était un coquillage.

Il s’approcha afin de l’observer de plus près quand il entendit une voix murmurée, presque inaudible :

« Aide-moi… »

Han pensait qu’il délirait lorsqu’il entendit une seconde fois la voix. Il tendit sa main vers la conque marine mais à la seconde où sa peau effleura la coquille nacrée, une lumière blanche l’éblouit   et une vague d’images l’envahit, le paralysant. Ses membres ne répondaient plus et sa conscience, perdue dans les abysses, coulait lentement vers les profondeurs.

« Vais-je mourir ? »

Sans qu’il s’y attende, un nouveau flash le traversa. Il était dans un vaste espace blanc. A peine eut-il le temps de s'en rendre compte qu’il sentit le vent contre sa peau. La même voix l’appelait :

« Han, Haan, HAAN ! »

Il ouvrit les yeux. Il sentait la chaleur du soleil sur son corps glacé. Han essaya de se relever mais son corps engourdi l’en empêcha, il ne semblait pas décidé à bouger. N’ayant pas d’autre choix, il se résignait à attendre que ses muscles soient de nouveau opérationnels, lorsqu’un crabe le pinça et le fit se redresser. Il regarda autour de lui, l’air perdu. Il ne reconnaissait pas le paysage. A quelques mètres de distance, il aperçut quelque chose briller qui lui paraissait familier. En s’approchant, il reconnut le conque marine. Lorsqu’il la prit dans sa main, il sentit une vibration et sans qu’il s’y attende, de l’eau jaillit du coquillage. Une ombre se forma. Han distinguait une silhouette. Puis le vent se leva et une voix se fit entendre :

 

« Je suis Mona, la déesse de toutes les mers. Je fais appel à toi, jeune mortel, pour te confier une mission de la plus haute importance. La Terre va mal. Les océans succombent. Un monstre prend peu à peu possession de notre planète. Tu dois à tout prix le combattre mais pour cela il te faudra beaucoup de courage. »

Médusé, Han ne répondait pas. Il se demandait s’il était encore en train de rêver quand la voix se fit entendre de nouveau :

 

« Ta quête sera parsemée de dangers. Afin de t’aider à vaincre ce monstre, il faudra te procurer une précieuse relique, une arme créée par les dieux. Elle repose dans des ruines non loin d’ici. Va et accomplis ta destinée. »

Le vent cessa et l’ombre se dissipa. Le jeune homme ne savait pas trop quoi faire, réalisant à peine la rencontre qu’il venait de faire. Il décida, de s'asseoir face à la « Grande Bleue », comme il le faisait à chaque fois qu’il avait besoin de réfléchir. Vu les événements récents, il en avait besoin.

Han regardait le large, perdu dans ses pensées. Le vent balayait ses belles boucles blondes. Les vagues frôlaient ses pieds, il se sentait véritablement bien que dans son élément, ici au plus proche de la mer.

Derrière lui, il perçut le sable crisser sous les pas d’un promeneur. Bizarrement, Han ne fut pas surpris quand un jeune homme se laissa tomber juste à côté de lui.   Il fallait être culotté pour venir s'asseoir si près d’un inconnu. Surtout, lorsque celui-ci semblait préoccupé.

C’était un adolescent aux cheveux bruns. De nombreuses taches de   rousseurs constellaient ses joues et longeaient l'arête de son nez. Son visage était finement dessiné avec de beaux yeux en amande. D’un bleu qu’il n’avait jamais vu auparavant.

« T’es du village ? Je ne crois pas t’avoir déjà vu. » Tenta le brun.

 

Sa voix était aussi charmante que ses traits. Han voulut s’exprimer mais ses mots moururent dans sa gorge. Il était resté trop longtemps sans parler.

« T’as perdu ta langue ? » Souriait l’inconnu.

Han hocha négativement sa tête, avant de se racler la gorge pour  répondre :

« Je suis pas d’ici mais toi, t’es d’ici ou t’es un touriste ? »

 

 Le rire cristallin de l’inconnu résonna :

 

« Est-ce que vraiment, j’ai l’air d’un touriste ?

-J’sais pas, t’as le style du touriste. » Lâcha le blond, un éclat d’amusement brillant à travers ses pupilles.

 

Le garçon fronça les sourcils, laissant son regard glisser  sur le bleu de la mer :

« T’as déjà été face à un dilemme, toi ? »

 

Devant le silence de Han, il s’expliqua :

 

« Un dilemme du genre : soit tu sauves tes parents, soit tu sauves la planète.

 

Quelque chose auquel tu ne peux pas répondre et qui te  laisse dans le doute. Qu’est-ce qui serait le plus judicieux, comment je    pourrais le savoir, moi ? »

 

Laissant tomber sa tête entre ses mains, il y expira profondément. Il  semblait tourmenté et essayait de se calmer.

« Sale journée ?

- Tu peux pas imaginer à quel point. »

 

Ils restèrent un long moment silencieux, observant chaque mouvement de la mer. Comme si, en prenant le temps de la regarder, ils se rendaient compte que sa beauté dépassait l’entendement…

 

 

*******

 

« Mais qu’est-ce que tu recherches exactement ? Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un veut aller se balader dans des ruines. »

Les deux adolescents s’étaient enfoncés dans la végétation et au fil de leur conversation, Han s’était confié. Il était à la recherche d’une relique, cachée dans les ruines d’une maison perdue dans le maquis. Il désespérait de parvenir à la trouver sans passer plusieurs jours à ratisser les environs mais à son grand étonnement, le nouveau venu avait proposé de l’y conduire. D’après ses dires, il connaissait la forêt comme sa poche et il était passé plusieurs fois à côté des ruines qu’Han recherchait. Si la relique existait, il fallait lui faire confiance, ils la découvriraient.

 

« D’ailleurs, quel est ton nom ? Je ne me souviens pas te l’avoir demandé.

 -Han, je m’appelle Han.

-Moi c’est Eden, ravi de te rencontrer, Han. »

 

Ils pénétrèrent toujours plus profondément dans la forêt, les arbres se firent plus hauts, la nature dominante imposait désormais le silence. Eden marchait vite et Han le suivait de près. Ils passèrent au-dessus d’un ruisseau, esquivèrent les ronces et évitèrent les racines au sol.

Ils arrivèrent bientôt dans l’endroit le plus reculé de la forêt. Au loin, on pouvait apercevoir, entre les buissons, les restes d’une maison délabrée, abimée par l’usure des années. Ses murs en pierre étaient recouverts d’une épaisse mousse verte. Elle n’avait plus de toit et seules des petites marches en granit avaient résisté à l’assaut du temps.

Les deux adolescents s’aventurèrent à l’intérieur en empruntant ce qui restait d’un escalier. La ruine avait quelque chose d’incomparable, une sensation impossible à décrire. Alors qu’ils s’étaient faufilés dans une nouvelle pièce, Han stoppa tout mouvement, aussitôt imité par Eden. Devant eux, un trident en métal rouillé était encastré dans un rocher.

 

« C’est ce truc que tu veux récupérer ? Sans vouloir faire mon rabat-joie, ça m’étonnerait que tu y arrives, il est coincé dans la pierre et à moins d’être Superman, tu risques pas de…»

 

Eden resta bouche bée. Han venait de décrocher le trident du rocher d’un geste aussi léger que s’il avait saisi un simple brin d’herbe. Toujours muet, le brun n’en croyait pas ses yeux quand un immense jet d’eau émergea du sol pour se joindre au trident. Brusquement, le vent souffla dans la ruine, faisant danser la chevelure blonde de Han. Un tourbillon liquide recouvrait maintenant la totalité du trident. Ce n’est que lorsque l’eau regagna enfin la roche que le trident apparut entièrement aux yeux des adolescents. Son manche était d’un bleu splendide et ses piques scintillaient d’un éclat doré.

Il n’était plus le misérable bout de ferraille rouillé, il était aussi impressionnant que le trident du mythique Poséidon. Han regardait Eden, ses lèvres fendues d’un petit sourire moqueur :

 

« T’as perdu ta langue ? »

 

Il avait eu sa petite revanche sur l’incrédulité de son nouvel ami. Néanmoins, il le remercia chaleureusement pour son aide, sans lui, il serait certainement en train déambuler dans le maquis à la recherche de ce village caché et de sa précieuse relique. Les deux jeunes hommes se quittèrent en se promettant de se retrouver dès qu’ils le pourraient.

 

 

*****

 

Han marchait dans la forêt tout en contemplant les grands arbres qui plongeaient la végétation dans un clair-obscur. Il chemina ainsi quelques temps, guidé par son seul instinct.

Bientôt, il déboucha sur un sentier sableux. Sous ses pieds, le sol doux lui indiqua qu’il était bien arrivé à destination.

Il déambulait sur la plage sans but précis, en repensant à sa rencontre avec Eden. Il trouvait le jeune homme plutôt étrange tout en étant attiré par sa compagnie.

Il continuait d’avancer sur le sable qui crissait sous ses pieds quand il sentit comme une présence le traverser. Il se retourna et vit au sol des traces visqueuses qui conduisaient à la forêt. Profondément intrigué, il les suivit et pénétra sous le couvert végétal. Brusquement, l’atmosphère changea autour de lui. Il se sentait menacé, comme si une présence le surveillait. Sur ses gardes, il se mit à marcher en regardant autour de lui. Il scrutait le plus infime mouvement et le moindre son qui l'entouraient. Il continua le plus prudemment possible sa route, jusqu’à tomber sur un vieux panneau sur lequel il put déchiffrer : « Picazona, attention au sanglier ». Surpris, par cette indication, il continua en direction de ce curieux village.

En quelques minutes, il arriva près d’un mur de pierres sèches où dégoulinait l’étrange matière visqueuse. En s’approchant, une odeur pestilentielle lui sauta au visage. Il observa cette substance nauséabonde sans oser la toucher. Elle paraissait frémir. Han sentit des frissons le parcourir. Dans un élan de courage ou de folie, il posa sa main dessus et ce qu’il vit l’effraya : la matière se répandait sur lui comme un parasite.  Rapidement, sa main prit une couleur bleutée virant au violet. Han ferma les yeux et la vision d’une masse gigantesque apparut. Cette chose se mouvait et semblait prendre des formes diverses. Il ne distinguait ni tête, ni membres, juste une sorte de mollusque géant qui s’approchait dangereusement de lui...

Cela eut l'effet d’un choc électrique. Effrayé, Han ouvrit les yeux pour affronter son agresseur mais en vain. Aucune trace de monstre, seulement une nature dévastée : des végétaux asséchés, des arbres qui tombaient en lambeaux et un sol aride parcouru de fissures. Cela ne présageait rien de bon.

Han se releva mais épouvanté, il n’osait plus toucher ce qui l’entourait. Prudemment, il marcha vers le village qui semblait être abandonné depuis des siècles.

La plupart des maisons étaient écroulées sous un tas de gravats. Il pénétrât dans le hameau et se dirigea vers une fontaine où la mousse poussait. Il n’y avait plus aucune vie, aucun son, mis à part le craquement des branches qui cédaient sous ses pas et sa respiration qui devenait de plus en plus forte.

L’atmosphère était aussi lugubre que la nuit dans un cimetière, au mois de Novembre. Quand soudain, il entendit un bruit sourd provenant d’une des maisons. A contre cœur, Han se décida à aller voir ce qui l’avait provoqué.

Pour se rassurer, il serra son trident contre lui et marcha lentement jusqu’à l’entrée d’une habitation. Il scruta l’intérieur de la maison abandonnée mais ne trouva aucune explication. Il allait faire demi-tour quand, du coin de l’œil, il vit une ombre passer à toute vitesse. D’instinct, il pointa son trident vers l’endroit d'où provenait le mouvement. Sur ses gardes et tous ses sens en alerte, il se dirigea en direction de l’ombre furtive.

Il enjamba des débris qui jonchaient le sol pour se retrouver face à une pièce sombre. Han scruta chaque recoin de la chambre. Malgré l’obscurité, il parvint à identifier de vieux meubles rongés par les termites et des cadres dévoilant d’anciennes photos de famille. Sur un vieux bureau fumait une bougie. Intrigué, Han s'avança dans la pièce, le sol grinçait sous ses pas. Peu à peu, ses yeux commencèrent à s’habituer au manque de lumière. Il examina attentivement le secrétaire. Une plume et un manuscrit poussiéreux attirèrent son attention. Du revers de la main il retira les toiles d’araignées de la couverture. Il ouvrit le carnet. En parcourant les pages jaunies, son cœur se serra.

L’atmosphère devint si oppressante qu’il se précipita hors de la pièce.

A l’extérieur, ne sachant où aller, il retourna au bord de la fontaine. Il s’assit et ouvrit la première page du manuscrit :

 

 

*****

 

« Jeudi 25 janvier 1923

 

Je m'appelle Sylvestre Rocca. Je vis dans un village en bordure de forêt. Depuis que je suis enfant, je suis fasciné par la nature qui m'entoure. Je tiens ce journal afin de garder la mémoire des années passées et celles à venir mais je voudrais surtout y relater toutes mes découvertes.

 

Chaque jour, je me réveille à l’aube et je pars explorer les alentours du village. Je suis toujours émerveillé par les différentes plantes et animaux que je rencontre sur mon chemin. J'aime prendre le temps d'observer et d'en apprendre davantage sur les espèces que je découvre. Je me suis fixé pour objectif d'étudier tous les oiseaux qui vivent dans la forêt. J'ai noté dans mon carnet toutes mes observations et j’ai dessiné chaque nouvelle espèce rencontrée.

 

Mes explorations m'ont également conduit à découvrir les plantes de la forêt. J'ai étudié leurs propriétés médicinales et j'ai même réussi à préparer des remèdes à partir de certaines d'entre elles. Chaque jour, je suis de plus en plus fasciné par la richesse et la diversité de la nature. Ce carnet me permet de conserver précieusement le souvenir de toutes mes découvertes et je serai fier de pouvoir partager un jour ma passion avec une autre personne. J'espère que ce journal pourra aider un autre amoureux de la nature comme il m’a moi-même aidé."

 

Jeudi 07 mai 1942

Aujourd’hui, alors que, comme à mon habitude, j’explorais les alentours du village, j’ai remarqué quelque chose de très étrange : Plusieurs plantes semblent fanées et décolorées alors que nous somme au printemps et que la végétation devrait être normalement pleine de vitalité à cette période. J’ai

commencé à enquêter pour découvrir ce qui se passait. J’ai d’abord pensé que cela pouvait être dû à un manque d’eau ou à une maladie mais en examinant de plus près les plantes, j’ai réalisé que quelque chose de plus inquiétant se produisait.

 

Les feuilles semblent brulées, comme si elles avaient été exposées à une chaleur extrême. J’ai également remarqué que certaines plantes semblent parasitées par une substance visqueuse. J’ai fait part de mes observations aux autres habitants du village. Nous sommes très inquiets mais nous devons rester tous unis pour trouver une solution à ce problème. »

 

Vendredi 14 août 1942

Malheureusement, les choses ont pris une tournure tragique. En inspectant la partie de la forêt abimée, j’ai entendu un bruit vraiment étrange qui m’a fait sursauter. Je me suis retourné et une créature immense se dressait devant moi. Un monstre gigantesque, sans véritable forme. Je suis resté figé sur place tellement j’étais terrifié. Cette chose a tout dévasté sur son passage. Les arbres étaient comme calcinés et les oiseaux étaient tous muets de frayeur. Un silence de mort régnait sur la forêt. Tout d’un coup, le monstre a bifurqué et s’est dirigé vers le village. En quelques minutes tout ce qui se trouvait dans le village a été détruit. Le lieu où je suis né s’est transformé en cimetière. Aujourd’hui, j’ai vécu l’apocalypse.

 

Han referma le journal, il sentait son cœur battre au point qu’il se demandait s'il n’allait pas sortir de sa poitrine. Des frissons le parcouraient, il était essoufflé et la sueur coulait sur son front. Sa vision était altérée par le choc des révélations qu’il venait de lire. Il avait la sensation d’avoir été présent lors de ces événements tragiques et il lui fallut de longues minutes pour reprendre ses esprits. Quand il ouvrit de nouveau le carnet pour continuer sa lecture, il découvrit que la suite du récit avait disparu sur les pages brûlées. Han se demanda ce qui avait bien pu causer ces dégâts alors que ce journal n’avait visiblement pas été touché depuis des décennies. Il continua désespérément à feuilleter les pages à la recherche de nouvelles notes mais rien, les autres pages du carnet étaient restées vierges. Il fixa le journal en se demandant si tout cela ne pouvait pas être le fruit de son imagination. Pourtant, il devait se rendre à l’évidence, tout était bien réel.

Il avait vu de ses yeux le village en ruine et il avait touché cette chose visqueuse à laquelle il ne pouvait penser sans avoir des sueurs froides.

 

Han décida de ne pas rester dans cet endroit plus longtemps. Son esprit était hanté par les événements horribles qui s'étaient produits dans ce village. Il se leva et quitta les lieux pour se diriger vers un autre sentier qui partait dans la forêt. Il pénétra plus profondément encore pour s’éloigner de cet endroit maudit. Lorsqu’il eut atteint une distance suffisante, il s'arrêta pour constater que la végétation était intacte.

La vie semblait avoir repris son cours normal et il continua son chemin guidé par le chant des oiseaux.

Il marcha durant plusieurs heures en repensant à tous les événements qu’il venait d’affronter : du coquillage au village abandonné, de la rencontre avec Mona à celle d’Eden. Enfin, il aperçut au loin un village. Heureusement, celui-ci semblait peuplé par des habitants bien vivants et non par des fantômes.

Voyant cela, il se mit à courir. Le lieu lui apparaissait tel une oasis en plein désert. Han arriva sur la rue principale. Il se déplaçait en observant chaque habitation. Les villageois se demandaient quel était cet adolescent un peu fou. Lui, pensait être sorti de ce cauchemar.

Han arpentait les rues du village, arborant un grand sourire soulagé de la tournure des évènements. Il retrouvait sa joie de vivre en marchant dans ces ruelles, preuves vivantes qu’il n’était pas prisonnier d’un mauvais rêve. Il déboucha sur un petit port où de nombreuses barques de pêcheurs étaient amarrées. A cet instant, il se souvint de la mission que lui avait confiée Mona. La Déesse avait dû se tromper de personne. Il ne se sentait pas capable de lutter contre ce terrible monstre. Peu importe la menace qui planait sur le monde, il ne se sentait pas de taille.

Machinalement, Han avança jusqu’au bout du ponton. Il prit la conque dans ses mains. Il scruta la mer, ses yeux devinrent humides et sa voix trembla lorsqu’il s’adressa une dernière fois au précieux coquillage :

« Mona, je suis désolé, je ne suis pas ce courageux guerrier que tu attendais. Je suis juste un adolescent banal qui l’histoire d’un instant, s'est cru spécial en entendant tes mots. Je le regrette mais nos chemins doivent se séparer. »

 

Han déposa le coquillage à la surface de la mer et le regarda s’enfoncer vers le fond. Il était bouleversé. Malgré tout, il pensait avoir fait le bon choix.

La journée n’avait pas été de tout repos. Il chercha, alors, un coin tranquille bien à l’abri. Il s’assit confortablement, ferma les yeux et essaya de se persuader qu’il pourrait laisser derrière lui toutes ces menaces. Pourtant, il savait pertinemment que c’était impossible. Après de longues minutes à ressasser ses idées sombres, il se laissa finalement tomber dans les bras de Morphée.

 

Han plongea dans un sommeil profond. Dans ce songe, tout lui apparaissait merveilleux et parfait. Mais, son rêve prit une toute autre tournure lorsqu’il reconnut Eden. Le bel inconnu se tenait au milieu d’une place de village.

Han s'élança mais un horrible hurlement résonna. Eden était prisonnier du monstre informe. Il se débattait désespérément et s’enfonçait dans la créature pris dans un sable mouvant. Le corps d’Eden prisonnier de la masse visqueuse disparaissait. Il ne restait que son visage à la surface. Dans un dernier souffle, il réussit à articuler :

« Han,....aide moi ... »

 

Avant de s’enfoncer entièrement dans la créature.

 

Han se réveilla en sursaut. A ses côtés, un vieil homme semblait avoir veillé sur lui durant son sommeil :

« Je ne sais pas qui est cet Eden mais j’espère pour toi que tu le retrouveras bientôt » dit l’étranger.

 

Han ne savait quoi répondre et bafouilla un semblant de phrase.

 

« Ne te force pas à répondre, petit. Je vais te donner un conseil : continue à suivre ton cœur et tu éviteras d’avoir des remords. N’hésite pas, pars sauver cet Eden. »

Han se releva, remercia le vieil homme pour son sage conseil et courut jusqu’au port. Il plongea à l’endroit où il avait laissé la conque couler et nagea jusqu'au fond, en priant pour qu’elle y soit toujours.

Après avoir tâtonné fébrilement tout autour de lui, il distingua finalement une lumière bleutée sur le sable. Sa prière avait été entendue. Han attrapa rapidement le coquillage et remonta à la surface reprendre sa respiration. Alors qu’il s’apprêtait à regagner le ponton, il ressentit une vibration dans son estomac, puis dans sa poitrine. Quelques secondes plus tard, il entendit des sifflements qui semblaient provenir des profondeurs. En cherchant d’où provenait les sons, il aperçut, venant du large, une myriade de vaguelettes bondissantes qui nageaient à toute vitesse. Leur synchronisation et leur nage ondulée étaient reconnaissable entre toute : un banc de dauphins.

Cependant, quelque chose clochait, l’empressement des mammifères marins étaient suspects. De plus, ils se dirigeaient droit sur Han comme pour le rejoindre, ce qui était inhabituel pour des dauphins. À peine, l’adolescent avait-il entamé sa réflexion que les cétacés se mirent à virevolter autour de lui. Manifestement, ils tentaient d’attirer son attention. Brusquement, il sentit sa main chauffer. La lumière bleutée de sa conque s’intensifiait et il observa sa lueur se fondre dans les reflets des profondeurs. Curieux d’observer les dauphins nager toujours à ses côtés, Han plongea sa tête sous l’eau. L’un des cétacés vint coller son front lisse sur celui de Han. Ce contact bouleversa profondément ses perceptions et, instinctivement, le jeune homme tendit le coquillage vers l’animal. Le dauphin le récupérât dans sa mâchoire et se mit à nager vers les profondeurs en invitant Han à la rejoindre.

D’abord hésitant, il plongea pour le suivre et fut très surpris par l’extrême fluidité de ses mouvements. Certes, il ne nageait pas aussi vite que le cétacé mais il pouvait se mouvoir sans aucune contrainte, ni de pression ni d’oxygène. Il évoluait dans la mer, aussi libre qu’un poisson. Voyant que leur nouvel ami commençait à réveiller tout son potentiel, trois des mammifères marins commencèrent à le pousser de leur rostre.

L’un d’eux l’invita même à s’accrocher à sa nageoire dorsale, ce qui eut pour effet de décupler la vitesse du jeune homme. Les cétacés avaient certes une réputation d’animal joueur, mais jamais Han n’avait entendu d’histoire de plongeur apprivoisé par tout un banc de dauphins.

 

Le monstre visqueux avait complètement déserté ses pensées.

Au bout d’une période de jeux intenses, Han se rendit compte qu’il se trouvait en pleine mer, très loin des côtes. En plus d’être adopté par un groupe de dauphins, Han pouvait désormais nager librement et respirer sous l’eau. Il réalisa combien de tout cela était surnaturel.

Il comprit enfin qu’il n’était plus un adolescent banal, il était l’élu de Mona, celui qui possédait la confiance de la divinité marine.

En échange de sa mission et de sa dévotion, il avait reçu des pouvoirs qu’aucun être humain n'aurait jamais pu imaginer. La Déesse veillait sur lui à travers les capacités hors-norme qu’elle lui avait confiées et grâce aux dauphins qu’elle avait mandatés.

Han avait définitivement repris confiance en lui. Il accrocha la conque à sa combinaison de plongée, par une cordelette passant dans le coquillage. Avec l’aide de ses nouveaux amis, Han allait débusquer ce monstre démoniaque et le mettre hors d’état de nuire à tout jamais.

Les cétacés s’élancèrent et le jeune homme se cramponna à la nageoire du dauphin. Comme ce dernier avait une trace sur son dos qui ressemblait à un poisson, Han le surnomma Avril.

Ils nageaient maintenant à grande vitesse, les uns à côté des autres, guidés par leur chef. Quand soudain le grand dauphin bondit au-dessus des vagues, l’acrobatie provoqua un rire instinctif chez l’adolescent. Instantanément, les autres mammifères l’imitèrent dans un florilège de sauts et de vrilles. Han, les yeux grands ouverts devant cette attraction inattendue, riait d’excitation, criant des encouragements pour qu’Avril continue.

Ce n’est que lorsqu’il faillit tomber au bout du cinquième saut qu’il demanda à son destrier de nager plus calmement. L’animal répondit en fonçant vers une destination inconnue, plaquant le pauvre Han à son dos. Autour de lui, les autres cétacés semblaient voler. Tout cela paraissait irréel.

Avril nageait à une vitesse phénoménale, toujours suivi par ses acolytes. Finalement, Han osa relever la tête au-dessus du dos du mammifère marin et ce qu’il y vit le laissa sans voix :

Devant lui, comme sortit de ses rêves d’enfant ou des récits de l’antiquité, une cité sous-marine apparut.

Plus que jamais, Han crut à une hallucination. Pourtant, face à lui, il y avait belle et bien la mythique cité de l’Atlantide, dont il avait toujours entendu parler.

Peu impressionné par le spectacle de l’antique ville engloutie, les dauphins firent le tour de la cité. Han, ébahi, n’en ratait pas une miette. Chaque palais, chaque temple, chaque demeure même en ruine le subjuguait.

Était-ce ici, tout au fond de la mer que le monstre agissait ? Où les cétacés l’avaient-ils emmené ?

Et si des siècles auparavant, c’était déjà ce même monstre qui avait détruit l’Atlantide ? Il valait mieux s’occuper de cette chose ignoble avant qu’il détruise une autre civilisation.

Arrivés sur le marbre de la cité, Han lâcha la nageoire d’Avril.  Les dauphins passèrent devant lui pour le saluer avant de s’éloigner. Le jeune homme était ému de devoir se séparer de ces animaux auxquels il s’était attaché. Avec gratitude, il remercia l’agile Avril et regarda ses nouveaux amis disparaître dans le bleu des profondeurs. En se dirigeant vers les monumentales portes de la cité, Han s’imaginait en Persée allant combattre Céto.

 

 

******

 

Au cœur de la ville engloutie, de grands bancs de poissons défilaient dans les ruines d’un ancien amphithéâtre. Sur les murs de l’édifice subsistaient encore les gravures représentant les Dieux et les héros de la civilisation disparue. Han s’avança vers d’immenses escaliers qui s’élevaient au-dessus de l’arène antique. Arrivé au sommet, il dominait toute la ville. Quelques rares piliers de marbres demeuraient intacts alors que la plupart des monuments semblaient avoir été détruits par des combats titanesques. Toute la cité avait été dévastée en emportant dans sa tombe ses trésors et ses secrets.

Han nagea le long des murs en ruines. A plusieurs endroits, il remarqua la même matière visqueuse que celle rencontrée en forêt. Inquiet, il continua son exploration. Arrivé au centre de l’amphithéâtre, il ressentit un terrible pressentiment.

 

Tout son corps percevait un danger qui arrivait. Brutalement, il succomba sous le poids de l’horreur qu’il voyait en marche et tomba à genoux. Son cœur tressaillit lorsqu’il reconnut le monstre qui hantait ses nuits, il venait de se matérialiser devant lui.

Han essaya de se redresser, en vain. Il semblait sous l’emprise de la créature. Lorsqu’il releva la tête, le monstre ne se tenait plus qu’à quelques mètres de lui.

Han le voyait se rapprocher, prêt à l’engloutir comme dans son terrible cauchemar. Mais à sa grande surprise, la créature fut repoussée alors qu’elle tentait de le toucher. Pourtant, elle revenait encore à la charge. Han attrapa son trident et se remit sur pied, prêt à combattre. Déterminé à en finir une fois pour toute, il allait se donner corps et âme dans la bataille. Il savait que de l’issue du combat dépendrait le sort du monde. Il repensa à Eden, au village abandonné et à l’étrange manuscrit. Ce carnet aux pages vides, semblaient être le testament d’un homme qui avait tout vu avant tout le monde.

À cet instant précis, le temps n’était plus à la mélancolie mais à l’action. L’adolescent se sentait, avec son trident et la conque, plus confiant , plus puissant que jamais. La pesanteur de l’eau n’avait plus aucune emprise sur lui, et tel Mercure, il évoluait à toute vitesse. Alors que la Créature s’élançait vers lui, affreuse, difforme, Han, d’une agilité nouvelle, l’esquiva , se surélevant sur les gradins.

Surplombant désormais le monstre, le héros serrait les dents. Malgré sa supériorité,devant ce démon infâme, il ne devait pas se déconcentrer. C’était la dernière ligne droite, sa force ne pourrait durer très longtemps face à la créature séculaire.Cette chose qui avait grossi en détruisant la nature, ce poison dont avaient été victimes des milliers d’innocents, devait périr si Han et les siens voulaient survivre.

L’arme mythique brillait entre ses mains et on aurait pu croire que les Atlantes étaient revenus à la vie pour l’encourager. L’arène éternelle retenait son souffle…

Le jeune homme s’élança dans un assaut d’une violence inouïe. Au contact du monstre, son trident émit un éclair comme s’il avait trouvé le talon d’Achille de la créature.

Sa rage décuplée par l’espoir de vaincre, il assena des dizaines de coups à la bête informe. Cependant, malgré la multitude de ses attaques, la chose était toujours vivante tandis que la force de Han s’estompait. Il le sentait, ses mouvements étaient moins assurés et sa rapidité diminuait.

Autour de lui, le sol devenait visqueux. Le monstre contaminait tout. Seule l’eau, restait l’unique élément résistant encore à son empoisonnement, mais jusqu’à quand ?

Oubliant l’épuisement qui commençait à le gagner, Han continuait à ferrailler, encore et encore. La bataille avait beau être éprouvante, il se persuadait qu’elle l’était aussi pour son ennemi. D’un côté comme de l’autre, la lutte était acharnée.

Alors qu’il s’apprêtait à s’élancer de nouveau, Han se rendit compte qu’il se déplaçait au ralenti et que sa respiration devenait difficile. Son pouvoir était en train de disparaître.

Profitant d’une seconde d’inattention de l’adolescent, le monstre avait surgi dans son dos en brandissant un bras visqueux et acéré. En un éclair, il enfonça son tentacule entre les omoplates de Han. Hoquetant sous le choc, le jeune homme succomba. Il porta sa main sur le trou béant qui s’ouvrait maintenant sur sa poitrine. Sous ses doigts, la substance se répandait tel un poison.

 

Han n’était ni mort, ni vivant. Il agonisait dans un état second, au frontière de la vie et de l’au-delà. Cependant, il ne vit aucun tunnel, aucune lumière blanchâtre. Seulement la volonté de survivre, coûte que coûte. Sa mission lui donnait encore la force de tenir. Un fil aussi précieux que fragile le reliant au monde des vivants.

 

C’est à ce moment qu’il entendit des sifflements qu’il aurait reconnu, même perdu dans le royaume des morts. Le banc de dauphins avait surgi au cœur de l’arène dans un immense tourbillon de bulles. Ils avaient certainement senti leur ami en danger et ils arrivaient pour le sauver. Leur grand nombre permit de faire diversion. Le monstre ne pouvait rien faire face à la malice et la vélocité des cétacés.

Pendant que le banc virevoltaient autour de la créature, Avril et un congénère recueillirent le jeune blessé en passant leur rostre sous ses bras pour le ramener vers la surface, loin de la créature démoniaque.

Han se laissa porter par les deux dauphins dans un état de semi-conscience. Il pressait le cadeau de Mona contre son coeur, il ressentait une douleur insupportable. Son dos était touché. Il avait froid et le poison inconnu l’envahissait. Les dauphins affolés le déposèrent sur la plage.

Mais que pouvait-il faire seul sur le sable? À part mourir lentement, une conque entre les bras? Il avait perdu l’espoir de sauver l’Humanité dans les ruines de la cité engloutie.

Lorsqu’Avril l’abandonna, il se mit à ramper grâce aux dernières forces qu’il lui restaient. Il n’avait plus  la notion du temps quand il aperçut des rayons de lumière. Il entendit des pas. Quelqu’un venait. Han, les yeux éblouis par le soleil ne pouvait voir qui se dirigeait vers lui, mais il imaginait qu’il pouvait être son salut.

 

 

 

 

*****

 

 

« C’est toi qui a réalisé ce dessin, Amy ? »

 

Monsieur Andreani inspectait attentivement la feuille que la jeune fille venait de lui tendre.

 

« Non, c’est moi, monsieur. » Intervint Eden, à la surprise de son professeur.

 

Rien ne semblait changé dans leur salle de littérature, les mêmes chuchotements et petits rires étouffés s’échappaient des groupes d’élèves. Le vieux livre jauni de monsieur Andreani était toujours posé sur un coin du bureau. Le soleil s’immisçait dans la pièce, tapant sur les fenêtres tapissées de dessins et d’âneries. Théo souriait, Amy et Gloria le suivaient et comme souvent, Eden s’ennuyait.

Pourtant, quelque chose d’inéluctable allait réduire à néant leur agréable petit rituel. Aujourd’hui était le dernier cours avant les grandes vacances d’été. Et chaque groupe devait rendre le travail sur le conte écologique. Eden était le dernier à avoir terminé.

L’attention du professeur se porta sur le dessin de son élève. Il semblait presque surpris de constater que l’adolescent s’était finalement investi dans le projet.

Le croquis représentait très fidèlement le châtaignier qui avait bercé toute son enfance. Il était fripé et dépourvu de feuilles. Totalement courbé, son apparence était sinistre. Ses deux yeux béants, d’un noir obscur étaient dépourvus de lumière. Il avait l’impression qu’Eden s’était assis devant l’arbre et avait véritablement pris le temps de dessiner chaque détail.

 

« J’imaginais la larme à droite. Fit remarquer Mr Andreani.

 

-Je peux vous assurer qu’elle est à gauche, j’ai bien eu le temps de l’étudier. Et j’aurais sûrement le reste de ma vie pour le faire. »

 

Cette petite remarque passa inaperçue. Eden savait bien qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à demeurer dans ce lieu qu’il aimait tant. Mr Andreani lui jeta un coup d’oeil avant de s’emparer du manuscrit posé devant lui. Le professeur s’accouda au bureau :

 

« Vous pouvez être fiers de vous, vous avez tous fourni un travail remarquable. »

 

Il fit une pause, prenant le temps d’inspecter chaque groupe d’élèves, comme s’il voulait imprimer leur visage dans son esprit :

 

« Je suis extrêmement fier de vous. Vous avez évolué ensemble et c’est l’essentiel. Vous avez aussi été très créatifs. J’espère que vous avez pu vous rendre compte, à travers ce projet, que la créativité est l’intelligence qui s’amuse. »

 

Le professeur souriait :

 

« Même si on ne l’a pas étudiée, qui peut me dire d’où vient cette citation ? »

 

Il avait toujours eu cette manie de placer des citations dans ses discours pour faire appel à la culture générale de ses élèves. Eden leva la main :

 

« C’est d’Einstein, Monsieur. »

 

Monsieur Andreani acquiesça et lui sourit avant de poursuivre :

 

« Vos histoires seront publiées pendant les vacances, et j’appellerai vos parents pour leur offrir un exemplaire. Vous le récupérerez début Juillet à l’accueil. Je vous souhaite de bonnes vacances, en espérant vous revoir l’année prochaine. Ça va bientôt sonner, vous pouvez filer. »

 

Les élèves se ruèrent vers la porte. Des « Bonnes vacances !! » fusèrent. La classe se vidait, le professeur et Eden se retrouvèrent seuls. Le jeune homme avait envie de lui parler une dernière fois avant de le quitter.

 

« Tu ne t’enfuis pas, Eden ? »

-À vrai dire, j’avais une question, Monsieur.

-Je t’écoute.

 

Il hésita avant de commencer :

 

« J’ai lu un livre récemment. Un livre, du genre Fantastique. »

 

Son professeur l’écouta attentivement, un peu surpris.

 

« À un certain moment, le personnage principal scelle un pacte. Cet acte va le faire devenir un être supérieur mais en contrepartie, le forcera à abandonner tous ceux qu’il aime. Il le regrette mais il sait qu’il est piégé. Il ne peut pas retourner en arrière. Il se sait condamné et réalise que les gens qui ont toujours été là pour lui sont le plus important. Selon vous, il pourra être sauvé ?

 

Mr Andreani réfléchit quelques instants, les sourcils froncés.

 

« Du moment où son pacte est scellé, la seule chose à faire serait de le briser.

- Mais il ne peut pas ! Je vous l’ai dit, il est bloqué.

 - Il y a toujours un événement qui peut amener le héros à s’en sortir. »

 

Eden fixa du regard son professeur.

 

« Vous pensez alors qu’il y a un espoir ?

- Oui, il y a toujours une solution. S’il y a bien quelque chose que j’aimerais que tu retiennes de ce projet, c’est qu’il y a toujours un espoir. Quelle que soit la situation, tant qu’une personne continue d’y croire. »

 

 

 

Alors que la sonnerie retentissait donnant le signal de la sortie des classes, quelque chose venait de naître dans le cœur d’Eden. Une flamme s’était allumée. Vive, brûlante mais surtout impossible à éteindre. L’événement qui aide le héros, dans l’histoire, c’était lui : Monsieur Andreani ! L’espoir était né. L’espoir d’une vie simple. L’espoir d’un pacte que l’on pouvait briser.

 

 

*****

 

Le vent marin de Ficaghjola gifla le visage d’Eden de plein fouet. Le jeune homme venait à peine de poser le pied sur la plage. Le soleil brûlait. Il faisait chaud, très chaud. Les températures ne cessaient d’augmenter partout sur la planète. Le septième jour du mois de juillet était arrivé. La détermination d’Eden ne l’avait pas quitté. Il était décidé à renier sa promesse et à continuer de vivre sa vie d’adolescent normal, sans châtaignier, sans mission, sans magie.

L’étendue bleutée devant lui et les exclamations joviales de ses amis le confortaient dans sa décision. Ils avaient prévu de pique-niquer à la plage mais le programme du jeune homme était d’un tout autre registre.

 

« Alors, tu te bouges, Eden ? » S’exclama Théo. Lui et les deux filles étaient déjà dix mètres devant lui.

- Je reviens vite, j’ai oublié la crème solaire chez moi, ne m’attendez pas, je ne serais pas long. »

 

Avant que Théo ne puisse répliquer, Eden fila en direction de la forêt. Il savait ce qu’il lui restait à faire. Il n’avait pas arrêté d’y penser. Il avait passé des heures à imaginer ce qu’il dirait à l’homme pour rompre leur accord. Il avait revu toutes les tournures de phrases, de la plus alambiquée à la plus simple mais celle qu’il avait choisie était la plus adaptée : la vérité.

En longeant la plage pour prendre le sentier qui menait à la forêt, il regarda une dernière fois la mer. Elle semblait devenir plus agitée. Un sentiment désagréable le traversa, comme s’il avait la certitude que quelque chose de mauvais allait se passer.

 

Il essaya de refouler cette pensée mais aperçut une masse au loin, sur le sable, dans l’écume des vagues. Il plissa les paupières et distingua un corps immobile. Il courut pour s’en rapprocher et découvrit le corps sans vie de Han.

Il s’agenouilla sur la dépouille du jeune homme. Il cherchait le signe du moindre souffle sur son visage et tenta de prendre son pouls, en vain. Ses pensées fusaient, il fallait trouver une solution, très vite. Alors, il hissa le corps par-dessus son épaule et se dirigea vers la forêt.

Les branches le frappaient au visage, les ronces lui entaillaient les chevilles et les pierres sur le chemin le faisaient trébucher. Il avançait entre les grands buissons et s’engouffra dans la clairière. Là-bas, l’homme l’attendait. Quand il déposa Han au sol, essoufflé et meurtri, l’homme haussa les sourcils :

 

« Tu sais, nous n’avons pas besoin d’un sacrifice pour sceller notre pacte.

- Je ne l’ai pas tué ! Sauve-le s’il te plaît ! Il ne respire… »

 

Pris de vertige, Eden s’effondra sur le sol. L’homme surplombait les deux adolescents de toute sa hauteur. Ses yeux obscurs les observaient fixement.

 

« Tu sais ce qu’il te reste à faire, Eden. Accepte le pacte et je sauverai ton ami. »

 

L’homme s’accroupît face à lui et tendit la main. Eden la saisit.

La forêt trembla. Une énorme bourrasque les cingla. Les arbres s’agitèrent et les buissons s’animèrent. L’adolescent faillit être projeté mais l’homme ne lâchait pas sa main. Son visage s’anima et ses yeux clignèrent. Quand le vent s’arrêta, le tronc du châtaignier s’était redressé. Une multitude de bourgeons et des milliers de feuilles avaient poussé. Son écorce semblait pleine de vie et les grands yeux sombres s’étaient refermés. Etourdi par cet épisode surnaturel, Eden, se releva difficilement. Han paraissait respirer mais il était toujours inconscient. Eden devait rapidement trouver de l’aide. Il courut aussi vite que possible jusqu’à ce qu’il atteignit la plage.

 

En arrivant près de ses amis, il se précipita sur Théo en tombant à genoux. Il l’agrippait, désespéré. Sa voix déraillait :

 

« Théo, j’ai fait une bêtise ! Une grosse bêtise ! Je ne sais plus quoi faire, aide-moi s’il te plaît. J’ai besoin de toi. Aide-moi ! »

 

Gloria et Amy accouraient pour les rejoindre :

 

« Que se passe-t-il Théo ? Qu’est-ce que… ? »

 

Gloria se figea en voyant les deux garçons. Eden continuait de supplier Théo :

« J’ai été fou d’accepter le pacte de ce châtaignier. Je vais être bloqué avec lui mais je veux pas, je veux pas! Je veux rester avec vous, avec Monsieur Andreani. Je vous aime, ne partez pas!” Eden lâcha finalement son ami et s’écroula, épuisé. Le teint plus pâle que jamais, il sentit des sueurs froides couler le long de son dos quand il croisa le regard plein d’incompréhension de Théo. Gloria le fit reculer en se plaçant au milieu d’eux. Elle fixait Eden en fronçant les sourcils :

 

« Tu es qui, toi ? »

Les yeux d’Eden s’assombrirent et sa gorge se serra.

 

« Mais Gloria, c’est moi, Eden ! 

- On ne connaît pas d’Eden. Maintenant laisse nous tranquille, tu fais peur. »

 

La jeune fille fit signe aux autres et tourna le dos. Eden eut un geste pour la retenir. Comme il attrapait un bout de son t-shirt, elle poussa un cri strident.

 

« Mais c’est quoi ton problème ?!  »

 

 

 

 

 

Eden ne bougeait plus, la bouche ouverte et les yeux exorbités. Sa main, toujours tendue, pendait dans le vide. L’univers, son univers venait de s’effondrer. Le regard embué, il regarda ses amis s’éloigner définitivement de lui. Désespéré, il ne sentit pas tout suite la main sur son épaule. Néanmoins, il reconnut immédiatement la douce voix de Han. Le jeune homme se tenait au-dessus de lui :

 

« Suis-moi Eden. Il faut y aller, il t’attend. »

 

Le monde sembla s’immobiliser autour d’eux. Une larme roula le long de sa joue. Ce n’était pas la première mais la dernière de toute son existence. Han lui tendit la main. Ensemble, ils regagnèrent le cœur de la forêt.

 

 

*****

 

Depuis des années, les forêts sont vierges de tous déchets. Les villes ne sont plus les villes que nous avons connues. Le monde n’est plus celui d’autrefois. Les océans sont vides de toute pollution plastique et la banquise a retrouvé sa forme initiale. Notre civilisation n’est plus mais la Terre est de nouveau.

 

 

*****

 

Pour la première fois depuis longtemps, les feuillages de la clairière remuent. Les grands buissons ne bougent pas à cause du vent mais grâce à une présence. Une chose inéluctable arrive, un nouveau cycle, une boucle recommence. Les feuillages craquent. Quelqu’un est là, il le sent.

Un jeune garçon vient de pénétrer dans un lieu, où normalement, il n’aurait jamais dû s’aventurer. Ses yeux innocents s’émerveillent. L’endroit est magnifique, la végétation luxuriante et sauvage. Les feuilles des grands arbres empêchent la lumière du soleil d’y pénétrer complètement. L’herbe haute et les fleurs sauvages arrivent aux genoux de l’enfant.

Au milieu de la clairière, trône un châtaignier. Il semble régner sur la forêt. Gigantesque et majestueux, il surplombe les autres arbres. Ses longues branches, pleines de vie, habillées de feuilles vertes, contrastent avec son imposante carrure. Son écorce est magnifiquement tracée et rien ne le parasite.

L’enfant s’approche de l’arbre, curieux et fasciné. Tout près de lui, il entend un bruissement. Un cri de stupeur s’échappe de sa bouche. Un grand homme vêtu de noir vient d’apparaître. Il est brun lui aussi. Ses yeux azur rencontrent ceux du petit garçon et son regard s’illumine. Le géant dégage une aura bienveillante qui le rassure :

 

« Tu es perdu, petit ? »

 

L’enfant ne peut détacher son regard de l’homme.

 

« Oui. Je cherche ma mère. »

 

L’homme s’accroupît devant lui.

 

« Quel est ton nom ? 

-Ghjaseppu, Monsieur. »

 

L’homme lui sourit :

 

« Moi, c’est Eden. »

 

Autour d’eux, la nature les observe. Les oiseaux chuchotent, les brins d’herbe se hérissent. Tous savent ce qui va se passer :

 

« Dis-moi Ghjaseppu, est-ce qu’il y a quelque chose que tu désires plus que tout ? »

 

Sans aucune hésitation, le garçon répond :

 

« J’aimerais avoir un ami. »

 

Eden sourit. Comme lui confiant un secret, il chuchote :

 

« Ne le dis à personne, mais j’ai un ami qui exauce les souhaits.

- Ah bon ?!

- Oui, mais il n’est pas là aujourd’hui. Moi, je ne peux pas exaucer les vœux mais je peux te promettre qu’à partir de ce jour, je serai ton ami.  Tu devrais filer maintenant. Les enfants n’ont pas à trainer par ici, c’est dangereux, tu sais.”

L’enfant opine de la tête et reprenant son chemin, se retourne une dernière fois pour saluer son nouvel ami. Quand il franchit les buissons, une chose se produit : Eden, de sa démarche gracieuse, se dirige vers le tronc du châtaignier. Son sourire ne l’abandonne plus. Il sait que ce jeune garçon se rappellera de lui. Il y croyait.

 

 

FIN

Cécilia Caviglioli

Maïlys Donzella

Sasha Sarti-Sauli

 

avec la complicité de

 

Louis Canard-Sinsaine

Julie Cerutti

Ghjulia Crispu

Pierre-Antoine Istria

Marie Labarussias

Mathieu Leandri

Enzo Marais

Thomas Pergola

Ana-Rose Pozzo Di Borgo

Jordane Rancon

Aileen Rocchi

Marc-Antoine Ziller

Sous  la direction de Pascale Barthélemy et Jean-Louis Pieraggi

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