L'Oracle de Gaïa - Partie 1 - Cécilia Caviglioli, Maïlys Donzella, Sasha Sarti-Sauli

L'Oracle de Gaïa est un conte fantastique et écologique écrit par les élèves de 2nd de Mme Barthelemy du Lycée St Paul, dans le cadre des ateliers animés par Jean-Louis Pieraggi, auteur de la saga "Les enfanstde pandora". 

*****

L’Oracle de Gaïa

 

 

« Et si au-delà des villes, au milieu des forêts, se cachait ce brin d’espoir que vous aviez toujours recherché ? »

 

Depuis quelques semaines déjà, le soleil commençait à se faire moins timide sur les rivages de la Corse. L’habituelle brise fraîche du matin qui caractérisait si bien le printemps, se réchauffait au fil des jours et annonçait bientôt l’été. Une saison qui malgré tous ses plaisirs, apportait de plus en plus de menaces. En effet, chaque mois de Juillet, la chaleur se faisait de plus en plus intense. Tourmentés par ces canicules à répétitions, les écosystèmes s’appauvrissaient et s’embrasaient. Les humains, cause de tous ces bouleversements, ne s’étaient remis en question que depuis peu temps.   

En août 2024, la plus grande sécheresse mondiale, avait finalement mis fin au déni collectif qui durait depuis longtemps. Dès lors, l’écologie était devenue le maître mot de l’humanité qui espérait réparer ses dégâts alors que le point de non-retour semblait atteint.

Et si tu y croyais

 

Mai 2025, Piana, Corse. 

 

En ce début d’après-midi, tous les élèves du petit lycée de Vico se hâtaient de rejoindre leur classe en entendant la sonnerie retentir. Dans tous ce brouhaha, Eden pressait le pas afin de retrouver ses amis le plus vite possible. Le jeune homme fendait la foule à la recherche d’une silhouette familière. D’un geste, il dégagea la mèche brune qui lui obstruait la vue. Après quelques secondes d’affût, il se faufila rapidement en direction d’une chevelure rousse et bouclée qu’il connaissait bien. Deux autres acolytes l’entouraient et discutaient « à bâtons rompus » d’un sujet qui semblait les passionner.

« Ça fait combien de temps qu’elles parlent comme ça ? » Chuchota Eden

« Au moins, une heure et demi. J’ai arrêté de suivre quand elles ont commencé à parler de Doctor Who. » Répondit l’adolescent, habitué à ces débats à rallonge entre les deux filles.

Le garçon à la crinière orangée et aux yeux dorés se prénommait Théo, un ami d’enfance d’Eden, au même titre que les deux jolies pipelettes : Gloria, une petite blonde aux yeux vert-pomme et Amy, une grande brune aux yeux sombres. Tous les quatre étaient de Piana et se connaissaient depuis leur plus jeune âge. Eden se décala et donna une tape amicale sur la tête de la petite blonde.

« Vous voyez, c’est ça votre problème. Vous parlez tellement que vous ne me remarquez même pas. » Se moqua gentiment le retardataire.

-  Eden !? S’étonna Gloria.  

-  Qu’est-ce que tu avais ? » Renchérit Amy. 

Surprises de le voir, après trois jours sans nouvelles, elles l’accablèrent de questions. Le groupe d’amis fut pris de court par l’arrivée de Mr Andreani, qui interrompit leur discussion pour les faire entrer en classe. Soulagé de ne pas avoir à se justifier, Eden sourit brièvement à son professeur avant d’aller s’installer.

« Aujourd'hui les enfants, j'ai le plaisir de vous annoncer que nous n'allons pas étudier de textes, je sais que vous ne trouvez pas ça passionnant ». 

Quelques exclamations se firent entendre. Les élèves reconnaissaient à leur professeur le don de leur faire aimer la littérature. 

 

« Je pense que vous allez apprécier ma proposition, j’en suis même convaincu. Nous allons écrire un conte, plus précisément un conte sur l’écologie. Un intervenant viendra nous aider à donner forme à ce projet ».

Tous avaient l’air enthousiastes, sauf Eden qui ne pouvait pas cacher sa déception. Il n’aimait pas les contes ni le Fantastique. Il aurait préféré écrire un roman policier ou quelque chose de plus réaliste qu’une « fable » pour enfants.

« Vous ferez quatre groupes et chacun disposera d’un symbole en lien avec la culture corse : le Châtaignier, le Fleuve, le Coquillage et l'Aigle.

Chaque équipe écrira une partie de ce conte et nous regrouperons ensuite vos écrits en une seule histoire. Laissez parler votre créativité, vous avez carte blanche. Est-ce que vous avez des questions ? » 

Personne n’eut l’air d’avoir envie d’en poser.

« Très bien, alors soyez imaginatifs. Je vous laisse choisir votre symbole, bonne chance ! » 

 

 

Lorsque le professeur eut fini de parler, les élèves se hâtèrent pour choisir leur symbole. Il n’y avait que Eden et ses amis qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord. 

 

« On devrait prendre le coquillage !  S’exclama Gloria,

-Et on pourrait parler de la pollution marine avec ça.

Théo désapprouvait :

« L’aigle est mille fois plus classe. Y’a pas photo.

- Je préfère la rivière, c’est plus doux. Argumentait Amy. 

-   Doux ? » S’étonna Eden. 

Gloria soufflait, devinant déjà comment le comportement d’Eden risquait d’évoluer : 

« Ne sois pas aigri Eden, tout le monde sait ici que tu préférerais être chez toi à regarder tes programmes du dimanche genre Joséphine Ange Gardien, mais faut être coopératif là. 

-  Je ne suis pas aigri, je suis réaliste. Comment tu veux rendre un coquillage magique alors que ça n’existe pas ? » 

Alors que Gloria levait les yeux au ciel, exaspérée, Théo souriait discrètement à Eden. Il connaissait le rapport que son ami entretenait avec tout ce qui touchait à l’inexplicable et savait à quel point cela lui pesait. Eden était le parfait exemple du genre d’enfants, qui dans les cours de récréation, avaient asséné que le père Noël n’existait pas. Le fait d’être si rationnel n’avait pas dû être facile à vivre, surtout durant l’enfance. 

« Tu sais… commença Théo, on comprend que tu sois cartésien, mais cette fois mets-y du tien Eden ! Même si t’es pas trop réceptif, on est un groupe et on doit coopérer. »

L’adolescent ne semblait pas vouloir être raisonné. Il fronçait encore les sourcils. Amy prononça quelques mots afin que son ami se décrispe. 

« Tu nous es indispensable, Éden. » Dit-elle, en rougissant ;

Son regard rencontra celui d’Amy et il se sentit flatté. Finalement, rien de mieux pour amadouer Eden que de caresser son ego.

 

 

« Oui, on ne ferait rien sans toi ! Renchérit Théo, ayant compris le subterfuge. Tu es l’âme de ce groupe, mon pote. »

Esquissant un bref sourire, notre cartésien se résigna. 

« Si vous y tenez tant… »

 

 

 

*****

 

Dans un chahut phénoménal, les élèves concrétisaient leurs idées. Chaque petit groupe avait réussi à élaborer un plan plus ou moins peaufiné mettant en scène le thème principal de leur histoire. L’équipe d’Eden avait finalement hérité du châtaignier.

Gloria et Théo discutaient afin d’élaborer l’ébauche d’un personnage principal. Amy griffonnait l’apparence de leur châtaignier sur une feuille A4, tandis qu’Eden lui lançait de brefs coups d’œil. Il évaluait la probabilité de se retrouver nez à nez à un châtaignier à visage humain, en plein milieu d’une forêt. Il avait pour tâche de faire des recherches en extérieur afin d’étudier ces arbres emblématiques. Après les cours, il irait sûrement faire un tour en forêt à la recherche de spécimens particuliers pour illustrer un peu mieux leurs écrits. 

« Des yeux rouges, sérieusement ?  Persiffla le brun. 

- Occupe-toi de tes affaires, Scrooge ! »

L’adolescent fit mine de s’offusquer. 

« Pour ta gouverne, j’aime Noël.

- Mais tu es aigri de toute façon. »

Feignant le dédain, il laissa son regard traîner à travers la fenêtre aux carreaux usés. Il y lisait quelques âneries inscrites au blanco par des élèves avant lui. Il se demandait quel intérêt il pouvait y avoir à énumérer tous les synonymes du mot « péripatéticienne » sur chaque centimètre carré de cette pauvre fenêtre qu’on ne pouvait même plus fermer correctement. 

 

« À quoi rime cette histoire de conte ? »

Il se demandait si leur professeur avait pensé à tous ces élèves qui n’avaient pas de goût pour le fantastique. Il devait y avoir d’autres personnes, comme lui, qui n’avaient jamais cru en rien.

Il regardait rêveusement les montagnes qu’il apercevait au loin. Les grandes étendues d’arbustes laissaient parfois entrevoir la silhouette d’une chèvre, d’un chien ou celle d’un berger simplement heureux de parcourir les terres de son île.

« Pourquoi personne ne semble prendre la peine d’admirer un paysage aussi magnifique ? »

Eden était plutôt satisfait de pouvoir travailler en extérieur, il trouvait que cette tâche était une des plus simples mais il ne se rendait pas encore compte du travail qu’elle lui imposerait…

 

La sonnerie retentit, les élèves se ruèrent vers la porte, tels un troupeau d’animaux sauvages. Théo avait suivi la foule, ainsi que Gloria et bientôt Amy.

Eden, lui, lambinait. Une idée lui était venue au sujet de l’apparence de leur fameux châtaignier et il s’était permis de finaliser rapidement son œuvre. 

Il l’avait dessiné de manière à ce qu’il inspire la peur : l’arbre était fripé dans son intégralité, deux creux béants figuraient ses yeux dénués de pupilles, aussi noirs que son crayon le permettait. Il avait un nez crochu et proéminent, ainsi qu’une fine bouche dessinée sur l’écorce de son tronc. Il était affreux mais Eden était persuadé que les filles l’obligeraient à changer son apparence, la jugeant trop effrayante à leur goût. 

L’adolescent pensait enfin être sorti d’affaire. Il remballa ses classeurs et fourra sa trousse dans son sac. Il fit passer la sangle sur son épaule et dans une démarche assurée, se dirigea vers la porte. Il allait enfin passer le seuil quand son professeur l’interpella. Dommage, il n’allait pas être tranquille tout de suite : 

« Tu as une minute Eden ? »

 

Il hésita à faire celui qui ne l’avait pas entendu, histoire de partir en récréation mais à son grand désespoir, sa politesse le rattrapa :

« Évidemment, monsieur. »

Il s’avança vers le bureau. Mr Andreani lui avait toujours inspiré de la sympathie. Ses yeux rieurs, s’animaient quand il donnait un cours. Son sourire bienveillant ne le quittait jamais, comme son vieil exemplaire des « Fleurs du mal » aux pages jaunies, toujours posé sur un coin du bureau. 

Si Eden n’avait pas cette aversion pour la littérature, Mr Andreani serait à la première place du classement des professeurs.

Même s’il était très difficile de détrôner Mme Bartoli, sa professeure de Physique-Chimie, qui détenait le titre de « meilleure-prof-de-l’année » depuis son arrivée au collège.

 

« Tout à l’heure, j’ai remarqué que vous aviez du mal à vous entendre tous les quatre. Tu me paraissais vraiment mis à l’écart. Tout se passe bien avec tes amis, Eden ? S’il y a un problème, il faut me le dire, vous êtes censés vous amuser et coopérer, je ne voudrais pas que ça se passe mal. »

Voilà pourquoi ce professeur était si apprécié : il se souciait de ses élèves et de leur bien-être. Il échangeait beaucoup avec eux et prenait toujours quelques minutes à la fin de ses cours pour parler de la vie de la classe. Il n’hésitait pas à les guider pour leur orientation. Ses élèves l’adoraient.

 

« Ce n’est pas de leur faute, Monsieur. C’est moi qui me mets à l’écart. Au contraire, ils essayaient de me faire participer. Avoua Eden, un peu honteux. 

- Alors qu’est-ce qui ne va pas ? Tu n’es pas satisfait du symbole qui vous avait choisi ? »

Les mains d’Eden se crispèrent autour des lanières de son sac :

 

« Je ne suis simplement pas réceptif à ce genre d’histoires. Le Fantastique n’est pas mon registre de prédilection, j’en ai même horreur. Monsieur, sérieusement, qui a déjà vu un châtaignier humain aux yeux rouges, débitant en prime, de longues tirades sur l’écologie ? »

Son professeur l’écoutait attentivement. Le regard d’Eden se perdait par-delà la fenêtre. Il mit quelques secondes avant de poursuivre : 

 

« Écoutez, je suis désolé d’être désabusé à ce point mais je n’y arrive vraiment pas. Ça paraît facile pour Amy, Théo ou Gloria, qui ont une imagination débordante et une créativité sans limites mais moi, ça colle pas. C’est viscéral, je suis comme ça, j’ai beau faire tous les efforts du monde, y’a rien qui sort. 

 

- Je comprends, répondit le professeur. Je devrais pouvoir te donner une tâche qui ne requerra aucune créativité, ni imagination. Tu devras seulement faire preuve d’esprit critique et de courage. Tu penses pouvoir y arriver ? »

Eden n’hésita pas une seconde et acquiesça. Tout ce qui pouvait lui permettre de ne pas participer aux réunions du storyboard sur le « châtaignier-laid-et-fripé » serait le bienvenu. 

 

 

 

 

« Tu devras rendre visite à un vieux spécimen, près de la plage de Ficaghjola. Quand j’étais enfant, j’avais l’habitude de passer tout mon temps avec ma grand-mère. Mes parents rentraient tard le soir, et c’est elle qui m’aidait à m’endormir. Mina me racontait souvent la même histoire, je la réclamais à chaque fois… »

 

*****

 

Profondément emmitouflé dans ses couvertures de laine, décorées de broderies, un petit garçon à la tignasse ébouriffée et au yeux bleus tripote ses doigts d’impatience. Il fixe la vieille porte en bois de sa chambre, des pas résonnent dans le couloir avant qu’elle ne s’ouvre. Une femme aux cheveux blancs vient s’asseoir sur le bord du lit. Elle se courbe difficilement pour atteindre les petites lunettes noires sur la table de chevet. Elle adresse un regard tendre à l’enfant en se penchant vers lui :

 

« U mo figliolu, chì storia voli chì ti dicu sta sera ? 

- U castagnu per piacè, Mina. 

- Sempre a stessa storia ? 

-  Iè, per piace »

 

La vielle femme sourit et commence son récit : 

 

« Il était une fois un homme qui voulait devenir le plus riche de tous les hommes. Il se vantait toujours et disait qu’il connaissait un moyen de réaliser son rêve, mais personne ne le croyait. Un jour, il arriva au village avec des habits de marquis, une calèche, et des chevaux.

Il avait fait construire une maison tellement luxueuse que certains disaient que le sol était d’or fondu et les fenêtres de cristal. 

Près de ce manoir, un grand châtaignier avait poussé et chaque jour les gens qui passaient par le sentier entendaient l’homme parler à l’arbre. Et plus étrange encore, le végétal lui répondait. Il était d’une beauté sans égal. Ses feuilles resplendissaient d’un vert sublime, ses branches étaient tellement longues et hautes qu’on avait du mal à en voir la fin.

Un matin, alors que l’homme était au village, un jeune garçon, pas plus âgé que toi, s’était introduit dans son jardin. Il voulait savoir si ces rumeurs étaient fondées et il fut surpris quand il entendît l’arbre le saluer d’une voix grave :

« Bonjour, mon enfant. »

Le garçon resta bouche bée, l’arbre continua :

« Dis-moi, Ghjaseppu, quel est ton plus grand souhait ? »

Il fut encore plus surpris d’entendre le châtaignier l’appeler par son prénom. Il resta figé sans pouvoir dire un mot. Il sursauta de nouveau lorsqu’il entendit des bruits effrayants et un bruissement sur le sol. Devant le petit garçon, se dressait maintenant un homme d’une grandeur inouïe. Ses yeux, aussi noirs que du charbon, le fixaient si intensément qu’il en eut la chair de poule. Il s’abaissa à sa hauteur et réitéra :

« Quel est ton plus grand souhait, Ghjaseppu ? ». 

Le garçon était paralysé mais pour une raison qu’il ignorait, il se mit à parler sans même l’avoir décidé, comme si la seule demande de cet étrange personnage avait poussé sa bouche à répondre :

« J’aimerais être immortel, Monsieur. »

Le visage de l’homme se fendit d’un sourire carnassier :

« Que serais-tu prêt à m’offrir pour le devenir ? »

Ghjaseppu lui répondit sans hésitation :

« Mon amitié, Monsieur »

Contre toute attente, l’homme accepta l’offre. C’est ainsi que chaque jour, le garçon revenait voir l’arbre et s’asseyait près de lui pour lui parler. 

Les années passèrent, Ghjaseppu devint un jeune homme puis un adulte mais aucune journée ne finissait sans qu’il ne rende visite au châtaignier.

Jusqu’au jour où il ne vint pas. L’arbre, inquiet, prit l’initiative de se rendre au village sous sa forme humaine. Il se dirigea vers la place de l’église, là où il savait que se trouvait son ami. Il le découvrit endormi sur un drôle de lit. Son cœur ne battait plus. 

On raconte que l’homme versa une larme ce jour-là, la première et la dernière de toute son existence. Finalement, il prit son ami dans ses bras et le ramena au cœur de la forêt. Plus jamais on ne les revit. Dès lors, le châtaignier se fripa et devint si laid que personne ne l’approcha plus jamais. Un visage presque humain semblait gravé dans son écorce, affreux au premier abord, ce n’est qu’en le regardant attentivement qu’on pouvait remarquer une larme gravée sous son œil creux. »

 

Le petit garçon, blotti au fond de ses draps, s’est doucement assoupi. Sa grand-mère dépose un baiser sur son front et se relève avec difficulté :

 

« Bona notte Ghjaseppu, ti tengu caru figliolu. »

 

 

 

 

 

 

 

*******

 

« Vous portez le même prénom que le petit garçon immortel ? s’étonna Eden. 

- Oui. Mon grand-père s’appelait Ghjaseppu et je le porte par tradition. Ma grand-mère aimait aussi me faire croire que le petit garçon était mon grand-père. Enfant, j’y ai toujours cru. »

Eden fronça les sourcils. 

 

« Mais comment est-ce qu’il a pu mourir ? Il était immortel, non ? Ce n’est pas logique. »

Son professeur enfila son manteau et récupéra ses affaires. Il se dirigea vers la porte :

« Il y a des choses que l’on n’explique pas, Eden. »

L’adolescent s’obstina :

« Tout s’explique, Monsieur. »

Mr Andreani verrouilla la porte de sa salle de classe, amusé par la remarque :

 

« Explique moi l’immortalité, alors.

- Ça n’existe pas. 

- Ce n’est pas une explication, ça, mon garçon. »

Il se renfrogna, prit à son propre jeu. Son professeur sourit : 

« Et si tu y croyais ? 

- Je suis incapable d’y croire. Répliqua Eden. 

- Ça, c’est ce que tu penses.

 

 

 

 

*****

 

« Qu’est-ce que j’ai fait pour en arriver là, sérieusement ? »

Une odeur d’herbe mouillée chatouillait son nez. Autour de lui, une infinité de pins se dressaient. À ses pieds, un long sentier détrempé maculait de boue ses nouvelles chaussures. Eden avait décidé de faire confiance à son professeur et avait suivi ses indications.

Il avait pensé que la balade pouvait être agréable. Même sans avoir vu ce fameux châtaignier, façon génie de la lampe, il passerait un bon moment. Quelle erreur il avait faite !

À peine venait-il de franchir l’entrée de la forêt qu’il avait déjà envie de s’enfuir. Le paysage était désolant : des mégots de cigarettes, des cadavres de bouteilles et des débris de voitures accidentées jonchaient les fourrés. Une odeur putride lui parvint aux narines et lui donna envie de vomir.

Il se demandait ce qu’il allait trouver quand il commencerait à s’engouffrer plus profondément.  Il ne serait pas surpris s’il tombait sur une charogne. Eden décida, malgré tout, de suivre le sentier mais stoppa net quelques mètres plus loin lorsqu’ il entendit près de lui un bruissement qui semblait parvenir d’une épaisse couche de feuillages. Il s’approcha, réticent à y trouver un animal errant et fut surpris quand il se trouva face à un immense buisson. Un espace se dessinait sur toute la longueur, assez grand pour laisser passer un adolescent de son gabarit. 

« Je sens que cette histoire va mal finir ! » 

Les feuilles et les branches pleines d’épines le griffaient et lui lacéraient la peau, il se glissa difficilement à travers l’étrange passage. Après avoir poussé quelques jurons, il se trouva de l’autre côté. Il épousseta son t-shirt et lança un regard dégoûté à ses chaussures en piteux état : 

« Et comment je suis censé expliquer ça à ma mère ?»

Le jeune homme tentait de remettre son t-shirt en ordre, lorsqu’ il se rendit compte du panorama qui l’entourait. Il cessa immédiatement de se plaindre, la bouche entrouverte, émerveillé. 

Autour de lui s’étendait un paysage splendide. Des arbres immenses aux feuilles aussi vertes que l’émeraude dont les racines s’étiraient sur l’herbe luisante. Des rochers recouverts de mousse s’égrenaient près d’un ruisseau. Une clairière parsemée de marguerites et de coquelicots dégageait une ambiance bucolique. Les oiseaux chantaient sous la lumière tamisée de la forêt. Le reflet de la végétation sur la rivière évoquait un paradis perdu. Tout n’était que beauté. Un paysage du premier jour de la création du monde.

Eden qui, au quotidien, était difficilement impressionnable se tenait immobile, l’air béat, dans une expression extatique. Il était époustouflé par la majesté de cette nature. Reprenant lentement ses esprits, il se remit en chemin. Il aperçut au loin un châtaignier :

« Ò basta un châtaignier à Piana, c’est impossible ! »

L’arbre avait une forme humaine. Il était très différent des autres châtaigniers qu’il avait pu voir sur l’île.

Curieux, il le fixa attentivement : deux trous béants lui faisaient office d’yeux, son tronc était courbé et son écorce rugueuse. Il était là, l’arbre qu’il avait dessiné quelques heures auparavant. Celui dont son professeur lui avait parlé. L’objet de l’histoire fantastique de Ghjaseppu. Eden s’approcha. Sous son œil gauche, on devinait une petite excroissance. C’était la larme, celle qu’il avait laissé couler avant sa métamorphose. Le jeune homme caressa l’écorce du bout des doigts. Instantanément, un grondement, suivi d’un rire rauque et glaçant retentit. Le châtaignier se mit à parler. Eden terrorisé, se mit à courir, trébucha sur une racine et repartit à toute vitesse. Dans son affolement, il eut beaucoup de mal à retrouver son chemin. Il n’en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles ! Il se demandait même, s’il n’était pas en train d’halluciner :

« Madonna, comment c’est possible ?! »

 

 

*****

 

« Bah alors, c’est quoi cette tête ? Me dis pas que tu boudes encore à cause de cette histoire de série.

-Je réfléchis simplement, Théo »

Assis sur un banc dans la cour du lycée, notre quatuor discutait. Gloria racontait à Amy les théories   qu’elle avait élaborées à propos d’une de leur série du moment. Théo s’incrustait dans la conversation de temps en temps. Eden prenait un malin plaisir à démonter un par un les arguments de Gloria mais avait    fini par se lasser.

Il était encore en train de penser à l’étrange rencontre qu’il avait faite dans la forêt. Ce châtaignier aux allures de faucheuse lui avait vraiment fichu la trouille. Il se demandait si retourner le voir ne serait pas de la folie. Cette idée l’avait travaillé toute la semaine. Son comportement, déjà désagréable, avait viré à l’insupportable, amenant ses amis à prendre leurs distances.

Il avait besoin de parler, mais son inconscient lui conseillait de ne pas le faire. Il avait peur de passer pour un idiot, un menteur ou un fou. Alors que Gloria se levait accompagnée d’Amy, Eden mit son pied au milieu de la trajectoire des deux filles.

Gloria le heurta sans trébucher, mais dès que ses yeux furent à hauteur de ceux d’Eden, elle explosa :

« C’est quoi ton problème ? »

Le brun resta muet, la mine impassible. Gloria enchaîna, prise     par un excès de fureur :

« T’es décidé à gâcher mes journées encore longtemps ?! T’acharner sur moi, c’est ton passe-temps, hein ?

Ça fait deux mois que je laisse passer parce    qu’on sait tous ici que tu ne vas pas bien et j’essaye de te comprendre. Et toi, toi, tu t’en fiches royalement. Y a que ta pomme qui compte. Tes amis tu t’en fous ! Je vais pas jouer l’hypocrite, tu m’exaspères. Tu me tapes sur le système. Tes remarques tu te les gardes ! Ne me considère plus comme ton amie ou alors, redeviens le garçon attentionné que tu étais. »

Dans le silence de mort que cette déclaration avait semé, Eden   se leva immédiatement. Il ne prit même pas la peine de s’adresser à ses amis lorsqu’il contourna Gloria et se dirigea d’un pas rapide vers les escaliers. Il monta les marches deux à deux avant de s’engouffrer dans un long couloir vide.

Devant la salle de littérature, il se laissa glisser le long de la porte. Il se recroquevilla sur lui-même avant d’éclater en sanglots, sa tête entre ses mains. Elle avait raison et il le savait. Alors qu’il essayait de calmer sa respiration saccadée et qu’il séchait ses yeux, il entendit des pas résonner. Théo accourait, le visage rouge et le souffle court. Il n’hésita pas à s’asseoir près de lui, fixant le mur.

« Je suis désolé, mon pote.

-         Je le méritais. »

Eden tourna la tête vers son ami, Théo lui tapota   gentiment l’épaule, se voulant rassurant :

« Tu sais comment elle est, elle dit ça mais elle ne le pense pas vraiment, c’était sous le coup de la colère. »

Eden soupira :

« Sauf que c’est sous le coup de la colère qu’on est le plus honnête.

- Ça s’arrangera. »

- Je l’espère. »

La sonnerie venait de retentir. Théo se redressa et aida Eden à faire  de même. Il le regarda quelques secondes, inspectant ses yeux rougis :

« Si tu as besoin de parler, je suis là. »

 

*****

 

C’était un après-midi après le lycée. Eden avait hésité longuement mais sa curiosité avait pris le dessus. En cheminant sous le couvert des arbres, il entendit des craquements tout près de lui. Des branches se brisèrent. Apeuré, il se retourna. C’était juste une vache errante qui traversait un bosquet. Soulagé, il   continua sa marche à la recherche du châtaignier. Il ne retrouva pas tout de suite le chemin. Enfin, après plus de deux heures d’errance, il l’aperçut et se rapprocha pour le toucher. Le châtaignier n’apprécia pas ce contact et ronchonna. Éden sursauta. Effrayé, il allait s’enfuir, mais se ravisa :

« Moi une poule mouillée ? Pas du tout ! Je ne suis pas venu ici pour faire mon peureux ».

Il se campa devant le châtaignier :

« Mon bon monsieur, vous ne m’impressionnez pas, j’ai fait du judo quand j’étais en 6ème ! »

Le châtaignier se mit à rire :

« Toi, faire du judo, vraiment ? Ò basta !  Ça ne se voit pas du tout. »

 

Éden s’approcha prudemment :

« Tu es bien vivant ?

- Oui, je suis vivant, quelle question idiote. 

- Mais comment c’est possible ?

 - Et bien jeune homme, il y a plein de choses dans ce monde que tu ne connais pas ! »  

Le châtaignier plaisantait mais l’adolescent qui était susceptible le prenait mal. Le châtaignier lui rétorqua d’un air dépité :

« Mon petit, tu ne connais donc pas la macagna ?

- J’ai horreur de ça, surtout venant d’un châtaignier aussi laid !

- Laid moi ? Alors là, n’importe quoi !». 

A cet instant un homme apparut. Ses yeux étaient d’un noir intense. Sa hauteur était prodigieuse. Ses cheveux d’un noir de jais faisaient ressortir son teint cireux. Il s’approcha et lui susurra :

« Qu’est-ce que tu désires le plus au monde, Eden ?

Sans aucune hésitation répondit :

« Je veux y croire. »

 

Ils se disputèrent quelques temps mais malgré leurs échauffourées ils s’entendaient plutôt bien. À la nuit tombée, Eden rentra chez lui, sans réaliser qu’il avait discuté tout un après-midi avec un châtaignier. Le lendemain, il décida de raconter toute l’histoire à ses amis.  Malgré la crainte de leurs réactions, il se lança : 

 

« Les amis, hier, il m’est arrivé quelque chose de vraiment étrange.

 

-Qu’est-ce qu’il y a encore ?! » Ricanait Théo

Gloria et Amy lui demandèrent d’arrêter immédiatement ses moqueries. Éden reprit :

« J’ai discuté avec un châtaignier !» 

Théo ne put s’empêcher de s’esclaffer :

« Ah non, mais là ! Un châtaignier qui parle ?! On aura tout entendu ! Aìo aìo !»

 

Éden les supplia de le croire :

« Mais oui, c’est vrai ! Je vous le jure !  

-Chi tontu Eden. » conclut Théo

Amy et Gloria avaient envie de le croire, mais Théo, lui, continuait de rire en se moquant de son camarade :

« Vous n’allez quand même pas gober son histoire ! » 

- Et pourquoi pas ? » répondirent-elles, déçues par tant de sarcasme.

 

 

******

 

Les feuilles s’écrasaient sous ses pas pressés. Le chemin de terre était sec, il n’avait pas plu depuis deux semaines. Eden remettait ses cheveux en place alors qu’il venait de passer entre les buissons pour accéder à la clairière. Malgré le ciel bleu, les yeux noirs et béants, gravés dans l’écorce du vieil arbre lui rappelaient que l’obscurité existait toujours. Il ne tarderait pas à être dans son élément : la nuit.

“Les jours de pluie lui vont mieux”, songeait-il.

« Bien le bonjour, Eden

Bonjour… Monsieur Le Châtaignier »

 

Le rire triste et monotone résonna dans la forêt.

« Monsieur ?

-…Je ne connais pas votre nom… »

Le grand homme à l’allure pâlotte apparut. Ses yeux intenses fixaient ceux d’Eden.

« Je n’en ai pas. »

L’homme s’assit sur le sol. Il fit signe à Eden de l’imiter :

« Tu as passé une bonne journée ?

-      Depuis quand ça vous intéresse ?

-      Ne sois pas insolent, tu n’as qu’à répondre ! »

 

Un silence s’installa entre les deux. L’un fixait le ciel à travers les feuilles alors que l’autre inspectait la nature. Eden se demandait si c’était simplement par curiosité ou par pitié qu’il venait voir le châtaignier.

Il le sentait abandonné. Est-il le seul à venir le voir ?

« J’aimerais que tu acceptes mon aide, Eden. »

 

L’adolescent ne répondit pas. L’homme se tourna vers lui :

« Tu sais, je peux t’aider à retrouver la foi. Je l’ai déjà fait auparavant.

-Je ne veux pas croire. »

- Pourtant tu me l’as demandé.

 

L’homme s’esclaffa :

« Tu parles à un arbre tous les jours et tu ne réalises toujours pas. Ton cas est grave.

-Je me passe de vos réflexions.

- Si tu ne veux pas croire, alors dis-moi ce que tu veux. »

 

Eden ferma les yeux. Il ne pouvait accepter que l’homme puisse avoir raison. Évidemment qu’il voulait croire, croire à tout ce que l’on n’explique pas, y compris croire en lui. Cependant, il n’admettait ni le surnaturel, ni la magie.

Il sentit une brise effleurer son visage qui souleva ses cheveux. Il ouvrit les yeux et vit la forêt comme jamais il ne l’avait vue auparavant :

Sous la lumière du soleil, les brins d’herbe avaient l’air d’êtres vivants. Ils dansaient avec le vent et cette pensée fit sourire Eden. C’est à ce moment-là qu’il sut.

« Je veux redonner vie à la Terre. »

L’homme comprit immédiatement sa prière.

« Je peux t’aider pour cela. »

Une lueur d’espoir traversa ses yeux tristes :

« Mais il faudra que tu me cèdes quelque chose en échange. »

Eden se souvint qu’un pacte avec les divinités s’établissaient sur du donnant-donnant. Elles accordaient des vœux mais exigeaient toujours une monnaie d’échange en retour. Il eut l’air d’hésiter avant de répondre :

« Mon amitié ?

-         Non, je veux que tu prennes ma place. »

Le jeune homme se raidit instinctivement. L’autre lui souriait de toutes ses dents.

« Pour tout te dire, j’ai besoin d’un successeur. Quelqu’un qui resterait ici pour l’éternité. Quelqu’un qui veillerait sur la forêt et exaucerait les vœux. Qu’en dis-tu, Eden ? 

-         Je ne peux pas accepter !

L’homme se renfrogna instantanément, ses pupilles reprirent leur couleur obscure et leur expression maussade :

« Et pourquoi ça ? C’est un bon marché.

-         J’ai toute la vie devant moi. J’ai envie de grandir, de rester avec mes amis. Des trucs normaux, d’adolescent.

L’homme ricana.

« Ils n’ont pas l’air de ton avis, tes amis.

- Comment ça ?

- Vu ton comportement, ils commencent à en avoir assez. Même Théo qui joue les médiateurs, commence à se demander si cela vaut vraiment la peine de continuer à te défendre.

Eden reçut ces paroles comme un coup de couteau dans le dos.

« Vous mentez. Je ne vous ai jamais parlé d’eux !

-Quand est-ce que tu vas prendre conscience que je sais tout sur tout ? »

Le cœur d’Eden venait de se serrer.

« Même Théo. » Pensa-t-il.

« Je refuse d’être votre remplaçant… »

Il fit une pause avant de prendre :

« Mais, si vous réalisez mon souhait, j’accepterais de devenir votre subordonné. Je ne veux pas être bloqué ici, je vous aiderai à réaliser les vœux. Et surtout, je trouverai un successeur digne de ce nom. »

 

Il regarda l’homme se redresser devant lui. Quand il lui tendit la main pour l’aider à se relever, Eden le fixa intensément. Si Ghjaseppu avait pu choisir, il en ferait de même. Il saisit la main tendue. Il ne la lâcha pas et la serra même plus fort, redonnant des couleurs à cette peau si pâle.

Un rictus se dessina sur les lèvres de l’homme :

« J’accepte, tu as trente jours. Le septième du mois prochain, tu reviendras me voir et nous scellerons notre pacte.

-         Vous pouvez compter sur moi. »

 

*****

 

« Qu’est-ce que je peux être naïf parfois. »

Sorti de la forêt, Eden n’arrêtait pas de penser à ce qu’il avait proposé au châtaignier. Sur le coup, il pensait avoir eu l’idée du siècle. Mais il se fit le serment de ne plus s’écouter lorsqu’on viendrait lui faire des promesses. Sur le sol, les déchets foisonnaient. Au moins, en devenant le disciple du « psychopathe de la forêt », il allait pouvoir enfin agir. Il s’était toujours senti concerné par les problèmes de pollution et voir la Terre s’épanouir de nouveau lui tenait vraiment à cœur. Mais, est- ce que cela en valait la peine ?

Il se rapprochait de la plage située près de la forêt, lorsqu’il sentit ses pieds s’enfoncer dans le sable. Il réalisa où il se trouvait. Il était surpris d’être arrivé jusque-là sans s’en rendre compte. Il contemplait la mer qui s’étendait à perte de vue, irisée par la lumière du soleil. Ce spectacle le fascinait. Au bout d’un moment, il aperçut un garçon assis face au large. C’était un jeune d’environ son âge, blond. Il hésita un instant avant de s’approcher et de s’asseoir à côté de l’inconnu. Après tout, qu’est-ce qu’il avait à perdre ?

 Ce dernier se retourna vers Éden.

« T’es du village ? » Tenta le brun.

 

À suivre...

 

 Cécilia Caviglioli

Maïlys Donzella

Sasha Sarti-Sauli

 

avec la complicité de

 

Louis Canard-Sinsaine

Julie Cerutti

Ghjulia Crispu

Pierre-Antoine Istria

Marie Labarussias

Mathieu Leandri

Enzo Marais

Thomas Pergola

Ana-Rose Pozzo Di Borgo

Jordane Rancon

Aileen Rocchi

Marc-Antoine Ziller

Sous  la direction de Pascale Barthélemy et Jean-Louis Pieraggi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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