Journal - Philippe Castellin

Du 23 mars Philippe Castellin au 11 mai 2020, Philippe Castellin a tenu un journal quotidien consacré aux événements vécus depuis Ajaccio, son lieu de confinement. Journal complet

    

  

Lundi 23 Mars 

J'aurais du le faire depuis longtemps mais. A partir d'aujourd'hui je vais tenter d'enregistrer tout ce qui se dit, se passe, se fait concernant l'épidémie du corona virus autour de moi; pour l'heure, à part nous annoncer, nième fois, que le pire est à venir, les journaux télévisés (les autres soit ne nous arrivent plus soit les points de vente sont fermés et peut-être ne sont-ils plus imprimés?) nous ont bien peu appris. Un second médecin est mort, à Mulhouse. Les Italiens continuent de battre les records de décès, les Espagnols les talonnent, les Allemands eux réagissent avec discipline et ne se rassemblent plus qu'à moins de 3.Un couple c'est un rassemblement, je n'y avais jamais songé, c'est important. En Corse les chiffres ne font qu'augmenter: plus de 200 cas ce soir à Ajaccio. Questionnée par un téléspectateur une présentatrice – improvisée spécialiste – affirme, ce qui paraît sensé, que le virus peut se transmettre en touchant une poignée de porte ou quelque surface métallique que ce soit. Comme je suis descendu au super marché pour faire trois courses je me suis demandé si le clavier de la machine que me tend (avec des gants) la caissière (masquée) rentre dans cette catégorie. Ou plus généralement une pièce de monnaie. L'argent, vecteur viral, ah.... Quelle est la durée de vie du virus sur ce genre de surfaces (ou autres), on m'a tout répondu, depuis quinze minutes jusqu'à 24 heures. Apparemment on ne le sait pas. En remontant chez moi (6 étages) je suis surpris de voir des chaussures et des habits sur les paliers, devant les portes des appartements. Ca n'est pourtant pas petit papa noël. On m'a expliqué que lorsque l'on sort dans la rue on risque de marcher sur un virus qu'on ramènerait chez soi: prudence. Dehors, si on regarde par la fenêtre ou si l'on monte sur la terrasse on voit la sihouette du Tonnerre, porte hélicoptères massif et gris qui est venu chercher une dizaine de malades. Je me demande si un avion n'aurait pas été plus adapté. Je me demande aussi pourquoi les mesures de dépistage ne sont pas généralisées: comme apparemment c'est le cas en Corée. Tout à la fin du journal j'apprends que des associations caritatives ont rassemblé plus de 50000€ pour acheter des respirateurs à destination de l'Hôpital d'Ajaccio. C'est très bien. Mais est ce normal que des citoyens lambda aient à payer ces respirateurs? - Et au fait où sont-ils achetés? Fabriqués?

  

Mardi 24 Mars

Au tour des Américains: En cause le « négationnisme » fanfaron de Trump (le 22 février, premier tweet : «Le Coronavirus est très bien maîtrisé aux États-Unis», ajoutant: «La bourse commence à me sembler vraiment en très bonne forme!» -  autre tweet le 8 Mars :« Donc, l'année dernière 37.000 Américains sont morts de la grippe... en ce moment il y a 546 cas confirmés de Coronavirus, et 22 morts. Pensez-y! ». Via un tel discours on mesure et comprend l'origine de l'ampleur du retard pris aux USA, dans tous les domaines, par rapport à la pandémie. Le virus qualifié naguère « d'étranger » - sous entendu « Chinois » se déchaine à New York. Je redoute qu'il en aille bientôt de même en Amérique Latine, à commencer par le Brésil dont le Président multiplie les déclarations et les comportements les plus aberrants. Mais La Paz ou Mexico, on n'ose pas imaginer. l'Afrique n'en parlons pas. Pour l'Inde la cause est déjà entendue, tout ceci résultant de la globalisation (transports, voyages...) couplée avec l'absence ou l'impuissance d'instances mondiales aptes à répliquer de façon unifiée et cohérente. Nous concernant, alors que le premier décès en Chine datait de mi-Novembre et que dans les quinze jours qui suivirent on pouvait voir sur YouTube des videos qui montraient l'ampleur et la violence de la catastrophe, je me souviens très bien d'avoir lu et entendu des discours lénifiants où les Spécialistes évoquaient une « grippette » qui passait en quelques jours, avec du repos. Fin Janvier ces propos ont disparu, un temps remplacés par l'assertion que les formes graves étaient liées à des sujets très âgés ou présentant des pathologies antérieures. Depuis quelques jours l'on est susceptible de mourir bien plus jeune et en bonne santé: j'apprends qu'à Mulhouse la moyenne d'âge des malades gravement atteints tourne autour de cinquante ans. En tout ceci s'agit-il du souci, orchestré au plus haut niveau, de rassurer, d'éviter la panique? D'une véritable inconscience? Je ne sais. Ce que je sais et qui continue est que les medias portent une lourde responsabilité; les propos que j'évoque ce sont eux qui les ont répandus jusqu'au moment de la volte face marquée par le discours va-t-en-guerre de Macron, discours  non exempt d'idéologie et d'arrière pensées politiques. Ralliez-vous à mon panache, blanc encore faudrait-il qu'il le soit. Et le coup de « l'Unité nationale »  qui en serait dupe après 14/18? - Que la situation soit grave,  susceptible d'empirer à brève échéance, il était temps de le reconnaître, soit, mais cela ne justifie pas le recours à ces métaphores militaires hors de propos: non une épidémie ça n'est pas la guerre, la vraie. Et ne mélangeons pas les choses SVP. Il sera toujours temps de crier au loup lorsqu'il sera là pour de bon. Quand, au cours de la grève des éboueurs, on fit appel à la troupe pour déblayer les poubelles, nul n'a songé à emboucher le clairon et à battre tambour. Métaphores belliqueuses qui en outre s'articulent sur  l'appel, lequel ne tarda pas, à la mobilisation générale et aux forces armées. Il flotte en tout cela des relents totalitaires et les images qui montrent l'armée déployée dans les rues en Espagne rappelent celles d'un putsch, passé ou à venir, répétition générale. Qu'on envoie des porte-hélicoptères à la Réunion ou à la Martinique afin de mettre au service de la population les moyens médicaux qui sont les leurs relève du bon sens et du pragmatisme. Apprend-on, au même moment que dans ces lieux l'eau est coupée parfois plusieurs jours durant et y compris dans les structures hospitalières, comment s'empêcher de songer que l'intervention de l'Armée et le tintamarre dont cela s'entoure vient à point nommé pour masquer une longue incurie? - A Ajaccio que l'Hôpital de la Miséricorde tombe en ruine depuis des années et des années l'ignorait-on donc? - Partout, que les services de réanimation, que les Urgences soient en crise les infirmières et les Médecins ne l'avaient ils pas dénoncé tout au long de l'année?

 

Mercredi 25 Mars

Depuis 3 semaines le cas de ce Docteur Marseillais (Raoult je crois) qui prône le recours à une molécule existante et déjà utilisée pour soigner la malaria (si je me souviens bien) est régulièrement évoqué; les Spécialistes se cabrent, ils dénoncent le peu de rigueur scientfique des études faites à ce propos, par les chinois à l'origine. D'une trentaine de cas on ne peut rien conclure; c'est exact mais ce qui s'en déduit est (aurait dû l'être): élargissons l'étude en question et voyons ce que cela donne.... Apparemment les malades volontaires pour tester les effets de ce traitement ne manqueraient pas, il suffit de regarder la longueur de la queue à l'entrée de l'Institut Marseillais pour s'en convaincre. Je me demande ce que marque l'indignation des spécialistes qui eux n'ont strictement rien à proposer à part le confinement et les gestes barrière, j'y soupçonne de la jalousie et peut être même des rivalités rancies. Il est possible que le Docteur Marseillais se trompe. Certains dressent de lui un portrait peu flatteur, d'un homme autoritaire et capable de falsifier des recherches. Qu'en sais je?- Pour en avoir le cœur net quoi d'autre que ce qu'il dit et fait: tester. L'enjeu en vaut tout de même la chandelle. A plusieurs reprises il a été annoncé que des études étaient encours et que des conclusions allaient être rendues. L'ont elles été? - En tout cas les résultats ont fait l'objet de peu de communication et je ne constate aucune volonté de traiter le sujet avec soin de la part des medias. Il est certes plus profitable, du point de vue de l'audimat d'organiser et diffuser des soirées au cours desquelles les vedettes du show business vont pouvoir afficher leur « mobilisation » et leur solidarité en chantant chez eux derrière leur téléphone portable, instrument qui, ces temps ci a gagné une place capitale. Symbolique, oui, puisque son utilisation signifie que l'on est chez soi et que l'on respecte le confinement mais plus que symbolique car au fond et probablement à l'insu des journalistes et présentateurs qui s'en servent s'en  affirme la puissance des réseaux et des individus: les grands studios de la télé peuvent fermer, l'information continue ou du moins pourrait continuer. Il y a longtemps que le processus (naguère très critiqué après avoir été encensé au moment du « printemps arabe ») est en route, il se manifeste là au grand jour. Tout individu devient un émetteur potentiel, c'est une leçon qui ne se perdra pas, espérons le! - Fake news, vous avez dit Fake News?

 

Jeudi 26 Mars 

Et les gens? - Certes, il y a toujours des pyromanes ou des malades mentaux, comme Trump ou le le Président du Brésil, pour nier l'évidence voire pour favoriser l'extension de la maladie par des comportements irresponsables: à Ajaccio certains malades dont l'état n'avait pas été jugé grave ont ainsi été invités à rester chez eux et parmi ceux-ci quelques uns en ont conclu à la possibilité de se promener dans la rue comme si de rien n'était. Le civisme, dans sa défintion la plus simple, consiste  en la capacité de s'appliquer une règle que l'on croit bonne pour tous. C'est très kantien, ou très rousseauiste mais c'est à la base de ce que nous nommons démocratie. Il faut s'appeler Sade ou Mesrine, ce qui se mérite et se paie, pour le refuser et courir le risque de justifier la dictature, forme molle (paternalisme) ou rigide (garde à vous) - Bonheur, pour la très grande majorité « les gens », malgré les discours rassurants longtemps prodigués, ils se sont montrés bien plus clairvoyants, plus lucides par rapport aux sirènes propagandistes. Depuis plus d'une semaine j'en vois qui constituent des stocks de nourriture, j'en observe qui dévalisent les super marchés; que ce comportement puisse être critiqué, que l'on puisse entendre en haut lieu des discours le considérant comme idiot ou insensé, je veux bien, mais il exprime en tout cas une forme de résistance au discours officiel, il marque que l'on pense que « ça ne va pas s'arranger de sitôt » ce qui est extrémement probable, depuis lurette. On ne parle pas de « guerre » sans que des conséquences ne soient tirées par « les gens » - Ils ont vu les images de WuHan, celles de Codomio, le confinement ne les a nullement surpris et ils s'attendent même à ce qu'il dure bien au delà des quinze jours annoncés. C'est la même forme de sagesse qui les conduit d'ailleurs à accepter aisément le confinement. Non qu'ils croient en sa vertu thérapeutique absolue mais simplement parce qu'ils jugent qu'en tout cas ça ne peut pas faire de mal, conclusion à laquelle ceux qui au Moyen-âge ont connu la peste étaient eux aussi parvenus et sinon on fait quoi? - Peut être serait-il temps de relire le Décameron et de conclure, avec Bocacce qu'en temps de peste on fait précisément ce qu'on n'aurait pas fait en d'autre temps. On baise avec la cousine, on écrit comme on rêvait de la faire, on peint, on joue de la musique et on cesse de regarder Sacrée Soirée, même si « exceptionnellement » l'émisission sera dédiée au Corona virus, star absolue.

 

Vendredi 27 Mars

Aujourd'hui à la une du journal télévisé (que je n'ai jamais regardé avec autant de régularité et cela fait partie des questions) la mort d'une jeune fille de 16 ans, par laquelle le virus réplique d'un pied de nez à tous les propos hâtifs ou approximatifs que l'on a colportés à son sujet. Interrogé par un reporter un Spécialiste, depuis son téléphone portable, déclare qu'au fond cela n'a rien de surprenant et que 35% des sujets hospitalisés sont des patients jeunes. Comme on le savait ou ne le savait pas et plutôt ne le disait pas, c'est moi qui rajoute et précise qu'aux Philippines le premier cas repéré était celui d'une fillette de 5 ans. On n'en finit pas de mesurer l'incroyable niveau de flou, d'incertitudes ou de contradictions qui enveloppe l'épidémie dont, en Europe et plus précisément dans l'Italie du Nord, j'apprends dans la même émission qu'elle a commencé en Janvier et pas en février, les victimes de cette période ayant été diagnostiqués comme atteints de pneumonie, en dehors de toute référence au virus et alors que l'OMS, sur la base de ce qui se passait en Chine avait d'ores et déjà tiré la sonnette d'alarme et évoqué le spectre d'une pandémie. Aujoud'hui on a testé les survivants de cette première vague et rendu au Corona ce qui lui appartient. Avec pour conséquence que le premier contaminé de Codonio, le fameux patient zero, était bien loin de l'être et que durant toute cette période la contagion a pu se répandre à son aise et incognito. Depuis, les test de dépistage auraient mis fin à cette situation. Les tests, parlons en. Pour dire en premier lieu qu'ils ont été mis au point d'abord en Chine et en Corée, pays où des leçons avaient été tirées des épidémies antérieures, le SRAS par exemple et pays qui loin de garder leurs résultats pour eux les ont sur le champ transmis à la Communauté scientifique mondiale. Ces résultats ont entre autres choses permis de balayer l'une des premières hypothèses, concernant Wu Han, que les malades auraient été contaminés par certains animaux. Non ont affirmé les Chinois, vers la mi-Janvier, si cela a été le cas au départ nous avons depuis toutes les preuves d'une transmission interhumaine. S'en suivirent, comme divers reportages l'ont alors montré, des mesures de confinement drastiques et des tests de dépistage à l'échelle de masse, à Séoul notamment. Plus, les mêmes scientifiques asiatiques déclaraient que cette pratique avait permis d'établir l'existence de nombreux sujets « porteurs sains » qui, tout en étant touchés par la contagion et susceptibles de la transmettre ne présentaient que peu voire aucun des symptômes caractéristiques de l'infection. Aurait du alors s'effondrer d'elle même toute stratégie basée sur la volonté d'emprisonner le virus ou de le localiser. C'est pourtant  à ce genre de stratégie, digne de la ligne Maginot et d'une certaine façon généré par les métaphores belliqueuses, que renvoyait, en France, la fameuse théorie du « cluster » qui a envahi les medias au moment où démarre l'épisode de Mulhouse et de la réunion des Evangélistes qui ne s'est traduite par aucune mesure de dépistage massif, ce alors même que le confinement n'avait pas été décrété. On ne peut s'empêcher de penser « Que de temps perdu !», force  de constater que depuis le dépistage massif n'est toujours pas pratiqué en France, sauf à Marseille. Changera-t-on de position ? - Sans doute et de même que l'on est passé brutalement de discours lénifiants ou minimalistes à des haussements de menton guerriers, de même déclarera-t-on demain que le dépistage massif s'impose. Nous n'en sommes plus à une contradiction près. Mais il y a déjà trois semaines que Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclarait : « Nous avons un message simple à tous les pays : testez, testez, testez les gens ! Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. » Fin Février la Corée avait réalisé 300 000 tests de dépistage. Depuis une dizaine de jours l'Allemagne a emboité le pas. Quant à la France c'est le contraire. On y marche à reculons. Tandis qu'au début, dans le cadre des recherches sur la chaine de contamination, des tests de dépistage ont été pratiqués concernant des sujets a priori non malades, aujourd'hui de tels tests ne concernent de façon restrictive que les malades déjà hospitalisés et dans un état grave... Le voudrait-on que l'on ne pourrait pas faire mieux : nous n'avons pas les moyens de dépister plus de quelques milliers de personnes par jour. Derrière cette affirmation un constat bien affligeant. Les tests supposent des produits qui ne sont plus fabriqués en France, mais aux USA et en Chine, qui estiment en avoir bien besoin pour eux-mêmes. Là aussi une leçon est à tirer mais laquelle ? - Celle d'une re-localisation (qui fait écho à la foudre des nationalisations brandie par Macron) que le fonctionnement général rend bien utopique ou bien celle – tout aussi utopique ! - de la constitution de moyens mondiaux dans le domaine pharmaceutique ou médical , quelque chose comme les Casques Bleus de l'ONU? - Et l'Europe dans tout cela ? - Oh, l'Europe... On n'en parle plus guère. Elle pourrait bien être en train de signer son arrêt de mort. Symbole: les tchèques qui ont volé 400000 masques envoyés par les chinois aux Italiens, livrés à eux mêmes. Cependant qu'outre Manche, après le Prince Charles, le Trump local annonce derrière son téléphone portable qu'il est atteint du CoVid 19. Quelques jours auparavant il plastronnait « Que rien ne l'empêcherait d'aller se boire une pinte au pub avec des amis » - . Le virus peut se frotter les mains : il a devant lui un fantastique terrain de manœuvre et d'expansion.

 

Samedi 28 Mars

Le Journal télévisé, celui de 13 h comme celui de 20h, est précédé par la publicité. S'il a depuis toujours existé un décalage entre la vie (qui n'est hélas pas la vraie) et ces images euphorisantes et esthétisantes, jamais me semble-t-il il n'a été aussi flagrant. Non pas tant par leur caractère idéologique que par les comportements concrets, les attitudes physiques qu'elles mettent en scène: des amis qui se réunissent dans leur salon pour assister en commun à un match de foot tout en mangeant le produit qu'il s'agit de vanter, les voici qui s'embrassent, se congratulent, se sautent les uns sur les autres au mépris de tous les gestes barrière dont quelques minutes auparavant la même chaine rappelait l'importance en diffusant un communiqué de l'agence nationale de santé. C'est d'un autre monde. Et l'on hésite à savoir si ce genre de clips doivent être qualifiés de ridicules ou d'obscènes. Ce qui est sûr est que la réalité de l'épidémie agit comme un analyseur impitoyable de tout le tissu social. Elle en exhibe la complexité et la fragilité, elle souligne les interdépendances et contraint à penser de façon systémique, elle force à peser ce qu'on affirme et à savoir ce dont on parle, ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas sous peine de mettre à jour des contradictions flagrantes et des « solidarités » aussi concrètes qu'insoupçonnées. Doivent être fermés tous les négoces qui ne jouent pas un rôle essentiel. Soit, mais quels sont ils? - On les liste. Réchappent ainsi à l'hécatombe les commerces ou industries liés à l'alimentation. Sauf que ces commerces doivent être ravitaillés d'une façon ou d'une autre et que cela signifie « transports ». Or pas de transport sans énergie, sans chauffeurs de train ou de poids lourds, sans cargos, sans marins, sans dockers etc. Et encore faut-il qu'il y aie quelque chose à transporter et qu'il s'agisse de produits agricoles frais, de pâtes ou de boites de conserves, cela implique une autre chaine, de producteurs comme de produits. Plus la possibilité, loin d'être à tout coup évidente, de protéger les producteurs aussi bien que les marins ou les dockers vis-à-vis du virus. En est on incapable (comme c'est souvent le cas dans la grande industrie) à cause des conditions matérielles qui créent de la promiscuité au sein de centaines ou milliers de personnes comme aussi bien de la pénurie des gants, des masques ou des gels que surgissent l'incohérence et le tissu des paradoxes et des contradictions mentionnées. Encore n'ai je relevé que quelques maillons grossiers de la chaine des solidarités concrètes. Il est clair par exemple que si les gens continuent de manger ils continueront à remplir les poubelles qu'en circonstance pareille il est impensable de laisser s'accumuler dans la rue: aux éboueurs de s'ajouter à cette chaine « essentielle » aussi difficile à définir de façon immédiate que celle qui unit, dans un écosytème, une plante, un insecte et un oiseau. Parmi les fameuses « leçons » que nous aurons, paraît il, à tirer j'ajoute celle ci: il est rare que l'un aille sans l'autre. Nous sommes tant habitués à penser verticalement que ce genre de transversalité d'ordinaire nous échappe, enfoui dans l'ombre. L'éboueur, ça n'est plus la dernière roue de la charrette et d'ailleurs, dans ce schéma, premier et dernier ne signifient pas grand chose. L'infirmière sans nul doute est-elle « en première ligne » mais elle mange comme tous les autres, se déplace plus que pas mal d'autres, et dépend pour finir de l'éboueur ou de la femme de ménage qui nettoie les murs, les ascenseurs et les monte-charge de l'hôpital. Sinon, quoi de neuf aujourd'hui? - Que le confinement va être renforcé et maintenu pour quinze jours. Qui en eût douté? - Et que PSA va reprendre son activité « en toute sécurité ». On attend de voir. Avant hier les entreprises de BTP (« Essentielles? » devaient poursuivre; hier elles étaient invités à stopper. « Futiles? » - En Espagne (il ne faut tout de même pas oublier « le reste du monde ») le chiffre des décès est en train d'égaler celui de l'Italie. Aux Etats Unis, principalement New York, le virus se déchaine. Dans l'Illinois un bébé de 6 mois, contaminé, est mort. Mais bonne nouvelle: à l'invitation de Trump General Motors va fabriquer des respirateurs. Quelques images montrent des robots en train de gesticuler, c'est rassurant, ils n'attraperont pas le virus. En France ou en Europe on a confié cette tâche à un spécialiste des aspirateurs, le choix semble plus cohérent.

 

Dimanche 29 Mars

L'une de mes sœurs, médecin, à qui j'envoie ce journal, me déclare par mail que l'Ebola continue tranquillement à ravager la RdC; si elle veut dire par là que l'information qui nous est transmise est largement franco-centrée, elle a raison; cela fait des jours et des jours que l'Europe, ou ce qu'il en reste, n'occupe que la portion congrue et, sauf à pratiquer une veille sur le web, on n'aurait aucune idée de ce qu'il en peut advenir dans certains pays, le Portugal par exemple, ou la Belgique. La fermeture des frontières, quasi systématique, semble avoir pour conséquence un rétrécissement des esprits et le développement d'une pathologie secondaire: chacun chez soi chacun pour soi. Position bien sûr intenable car la fin de la pandémie, quand qu'elle advienne, ne pourra être atteinte que par tous. Les chinois en font l'expérience. Alors que la maladie paraît jugulée, y compris à Wuhan, ce que les chinois sont en train de redouter est qu'elle leur revienne de pays voisins. Une fois de plus l'absence d'une réponse coordonnée (elle n'a rien de contradictoire avec la fermeture des frontières) et au moins à l'échelle européenne produit ses effets les plus négatifs;  alors que le bon sens le dit: il ne sert à rien de fermer la porte si la fenêtre reste ouverte. Pour en revenir à ma sœur et à l'Ebola, je ne crois pas, par contre à un raisonnement où l'on opposerait une gravité à une autre, les 30 000 morts de Kinchasa d'un côté aux morts européens victimes du COVid, je crois au contraire que ce type de démarche risque de contribuer, au final, à une vision édulcorée ou minimaliste de la situation. Au bar, chez Paul-André, nous avons eu (nous, les clients habituels) une discusssion aussi absurde (à mes yeux) qu'acharnée. L'enjeu en était de savoir si Hitler et la shoa avaient fait plus de victimes que Staline et le goulag. Ebola contre CoVid (le Sida, 30 millions de morts, pourrait s'inviter) relève, entre peste et cholera, de la même absurdité et, comme j'essayais de le dire hier, l'urgence est d'apprendre à penser en termes d'interdépendances et solidarités concrètes. La pandémie nous y force. Sa foudroyante expansion à des milliers de kilomètres de distance trouve son fondement objectif dans la globalisation, elle même liée au libéralisme. Il ne faudrait pas qu'aujourd'hui la même pandémie serve d'alibi à la résurgence des nationalismes et à l'essor des populismes les plus nauséabonds, avec par exemple pour conséquence la sortie de l'Italie hors de l'UE, sortie qui n'est pas du tout inenvisageable. Dans une tribune libre de l’ambassadeur italien auprès de l’UE, Maurizio Massari, publiée sur le site Politico, mardi 10 mars, le diplomate y racontait que son pays avait demandé des masques à ses partenaires, mais sans succès. « Seule la Chine a répondu. Ce n’est pas bon signe en ce qui concerne la solidarité européenne » Que va répondre l'Europe quand l'Italie, déjà endettée jusqu'au cou, va demander de l'aide en termes financiers en arguant de ce qui la ravage et du désastre économique engendré? - La nature politique de l'actuel pouvoir en Italie, après tout d'où provient elle?- De ce qu'il est convenu d'appeler la « crise des migrants », à cet égard très comparable à la pandémie: les deux s'inscrivent dans la globalisation planétaire et le libéralisme économique et dans les deux cas on tente de répondre par le « chacun pour soi ». Aux Italiens l'on demandera ainsi d'accueillir charitablement les migrants tout en s'empressant de verrouiller l'accès à l'UE, France en tête. Au final on a bien raison de dire (comme le déclare Edouard Philippe) que nous sommes loin d'être arrivés au terme, sinon que lui ne songe qu'à la pandémie et semble ne pas voir le chantier qui va suivre, d'où, si l'on veut sortir par le haut, il va bien falloir se livrer à la remise en cause d'un ensemble effrayant de schémas de fonctionnement et de pensée dont la pandémie aura révélé-accéléré l'implosion. Reconstruire, sans doute, sur la base cette déconstruction implacable qui a pour effet nécessaire d'exclure toutes les formes du « comme si de rien n'avait été ». Non le « confinement » n'est pas une simple parenthèse qui se refermera on ne sait quand, Mai, Juin? Juillet? (et les vacances alors? - et il y a de toutes autres questions à poser que celles qui concernent la façon psychologique de le (bien-mal) vivre et les conseils débités par les incontournables Spécialistes avant que l'on ne passe au principal sujet du jour: la mort de Patrick Devedjan emporté par le corona.

 

Lundi 30 Mars

Passe aux informations un médecin, urgentiste dans le 93 et occupant des responsabiltés syndicales; j'aimerais me souvenir de son nom, dommage ce n'est pas le cas, mais pour une fois nous avons écouté quelqu'un qui disait tout haut et avec force pas mal de ces choses dont nous parlons mon fils, sa compagne et moi même: que le Tonnerre et les avions médicaux de l'armée (on vient de les voir à l'oeuvre dans le reportage précédent, noria entre le grand Est et l'Aquitaine) c'était du gâchis, qu'il aurait bien mieux valu assembler-transporter du matériel respiratoire et l'installer dans des locaux aisés à trouver comme cet hôpital qui tout près de chez lui, dit-il, vient de fermer ses portes suite à la désastreuse gestion des structures médicales depuis plusieurs années. Un peu interloquée, la journaliste tente de noyer le poisson. Mais l'animal tient bon, il enchaine avec les tests de dépistage qui d'après lui auraient du être généralisés dès le début, il poursuit en évoquant l'invraisemblable pénurie des masques et le temps perdu à trouver des solutions, locales ou pas. Nouveau changement de sujet. « Et la chloroquine vous en pensez quoi? » - Que bien entendu comme tout médicament il est nécessaire qu'il soit prescrit fonction de l'état du malade, que l'auto-médication est à exclure, mais que pour le reste il faut essayer et là aussi tester comme le fait Raoult à Marseille. Que risque-t-on à part être déçu? Ou mécontenter quelques pontes médicaux et lobbies pharmaceutiques... Un discours sans complaisance. En voici un qu'ils n'inviteront pas de sitôt, merci. Maintenant du concret. Les vacances de Pâques? Seront-elles maintenues ou supprimées? - Le Ministre a tranché: maintenues. Car voyez-vous le confinement ce n'est pas du repos et grâce aux technologies virtuelles le contact a été assuré avec 90% des élèves auxquels désormais il est demandé non « du travail » mais du « télé-travail », expression très en vogue et au delà de l'univers scolaire: j'en reparlerai un des ces quatre, quelque chose d'important est en train de se jouer là. De s'y esquisser. Comme si la communication virtuelle était en train de se substituer officiellement à la communication tout court. Un nouveau modèle des relations sociales aujourd'hui justifié par le confinement qui, lui même... Bon, on verra ça plus tard. Pour l'heure je tiens simplement à dire qu'ayant (trop) longtemps exercé la fonction d'enseignant, télé-travail ou visio conférence ne sont pas des choses que je découvre. J'en ai eu l'usage, j'en connais l'histoire d'ailleurs assez rocambolesque et tortueuse, depuis l'époque où l'on prônait ce type d'enseignement, en Afrique, en Australie, comme panacée moderne à l'absence des structures classiques, il est vrai plus coûteuses. Plus récemment aussi, quand le Ministère de l'Education Nationale, soucieux de revenir aux « fondamentaux » (entendre par là des disciplines comme le français, la lecture ou les maths mais aussi des pédagogies que je qualifierai par charité de régressives) dénonçait l'empire des écrans rendu responsable de la catastrophique « baisse de niveau ». Changement de contexte: ce sont ces mêmes écrans qui désormais vont sauver l'année scolaire en cours grâce au télé-travail et à un « distantiel » dont l'expérience a montré depuis longtemps les limites. D'ailleurs, je suis très sceptique quant au fait que le choix du « maintien des vacances » résulte du labeur accompli durant le confinement, labeur méritant repos. Regardons les dates: nous sommes fin Mars, le confinement a été prolongé jusqu'à la mi Avril, où commencent les vacances de Pâques. Or, dès maintenant l'on sait bien que le confinement durera au delà et au moins jusqu'en Mai. Les fameuses vacances seront donc du confinement ou se passeront dans le cadre du confinement et dire qu'on les maintient n'a strictement aucun sens. C'est se payer de mots ou si l'on préfère vendre du vent. Juste après Blaquer: une publicité du boncoin.fr où nous sommes invités à réserver nos locations, au meilleur prix. En ce moment Mulhouse c'est donné, profitez-en. Et Madrid... Pour finir en images et sur le même thème, l'une de ces boites à chaussures flottantes « pour croisiéristes » en panne devant le Canal de Panama, avec à son bord 1400 personnes (« dont des français ») et une vingtaine de malades du corona. Il est parti de Buenos Aires le 8 Mars et appartient au Groupe Carnival, entre carnaval et carnivore. Un voyage inoubliable.

 

Mercredi 1 Avril 

Le nombre des femmes victimes de violences domestiques a augmenté de 30% et il est évident que le confinement en est la cause. Certes une majorité de femmes, aujourd'hui, travaillent mais elles sont toujours nombreuses à être « au foyer »: aux alentours de 10% en France et, en Corse, selon l'INSEE quelques 18%. Vieil héritage et longue histoire (je ne la raconterai pas!) qui correspond à un « partage de l'espace » entre les sexes. Au mâle l'Agora et le bar, le public et la Polis, à « sa » femme le foyer, la domus, le privé. Chacun chez soi. Pour peu que l'appartement soit petit, la passion amoureuse émoussée, les mioches nombreux et insupportables, ceux du voisin toujours à brailler - on les entend à travers la putain de cloison en placo - Monsieur aura vite les nerfs et la bouteille de Casa ( il faudrait tout de même qu' elle pense à en racheter) ne suffira pas à le calmer et c'est Elle qui va prendre. De ce côté, je n'ai pas à me plaindre: l'appartement est grand, mon fils Elie continue, épisodiquement, à travailler à l'extérieur et sa compagne Ophélie, si elle sort rarement, est très occupée par son ordinateur et son smartphone. Quant à moi, vieux solitaire, le confinement a peu changé ma vie, du moins dans la journée, où j'écris comme je l'ai toujours fait sinon que, le soir venu, le JT a remplacé le bar et que les activités que j'avais en commun avec Jean Torregrosa sont bien sûr en stand by. De temps à autre je descends les étages, traverse le boulevard ou la place, vais faire quelques courses et voilà. Le vide et le silence ne me dérangent pas du tout. L'absence des rugissements et des pétarades des frimeurs en Harley Davidson, tant mieux. D'ailleurs c'est, à Ajaccio, comme c'est tous les dimanches, ville morte à partir de 13 heures et, si l'on oublie un instant le virus, il y là une forme de poésie étrange qui me fait songer à ce qui se dégage de ce vieux (1925) film en noir et blanc de René Clair où Albert, gardien de la Tour Eiffel, découvre une ville dont tous les habitants sont plongés dans une sorte de coma anesthésique. A l'occasion du confinement regardez Paris qui dort, vous ne regretterez pas! - C'est bien plus beau que la Belle au bois Dormant, version Disney. A traverser la place, à longer les arcades des immeubles Diamant sous un ciel à peu près bleu, on pourrait se croire dans un tableau de Chirico. Cette impression d'étrangeté me frappe. Elle me parait proche de ce que je ressens en voyant les publicités à la télé, l'intuition d'un décalage qui va au delà d'un temps suspendu. J'ai regardé les affiches aux murs, sur la colonnes Morris, sur les panneaux électoraux; on y parle de « mobilisation », on y annonce des meetings, des réunions, des manifestations ou des spectacles qui n'auront jamais lieu. Ces affiches il faudrait les décoller et les garder précieusement, comme des pièces de musée, des fresques pompéiennes d'une vie qui s'est soudain figée. Celle qui continue sous le confinement semble s'en situer à des années lumière. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » écrivait Valery il y a cent ans; nous le ré-apprenons. Quel miroir avons nous donc traversé? - J'ai regardé le JT, il ne m'a pas répondu. Plus: pour la première fois il m'a semblé poussif, vieillot, du ressassé. Est-ce le format choisi (le « spécial Corona »), qui exclut par définition toute actualité autre (Et la Syrie, que s'y passe-t-il? Les Kurdes ont ils été liquidés par les Turcs et Bachard et Poutine? Ou bien ont-ils tous décidé d'une trêve le temps de la pandémie?), est-ce que le rythme du feuilleton viral est insuffisamment spectaculaire?- Que la tentative de créer un crescendo (le « pic ») se heurte à la sournoiserie du virus ou à son apathie? Est-ce que d'une certaine manière nous savons ou croyons savoir déjà tout? - Sinon la fin? Est ce que rien ne ressemble plus à une image de TGV sanitaire qu'une image de TGV sanitaire? Est-ce que la volonté de l'Unité et du Consensus, celle d'exclure toute polémique « hors de propos » ne génère pas nécessairement la platitude? L'ennui? - Ou mieux: l'indifférence par le manque de différentiation?- Le virus eut-il été un véritable ennemi et serions-nous pour de bon en guerre, il est aisé de se représenter que l'information aurait toute autre allure, des explosions ici, des massacres en veux-tu en voilà, des images atroces et bref: des événements. L'arrivée d'un milliard de masques depuis la Chine, l'annonce que nous allons être capable d'en produire nous mêmes quelques millions d'ici trois mois, item s'agissant des respirateurs ne font guère le poids par rapport à cette spectacularité dont l'information se nourrit. Ah, j'allais oublier, pour la première fois j'ai vu une pub qui a pris le tournant: un fabriquant de plats « livrés à domicile » (il y en a 8, tous différents, du moins en apparence) et vendus -18%  durant toute la durée du confinement.

 

Jeudi 2 avril

Comme j'envoie ce « journal de bord » à quelques amis, j'ai des retours. L'un d'entre eux (J.M) me dit que lui se tait, à propos du virus, comme il s'est tu à propos du Bataclan ou du 11 Septembre. Sur les deux derniers, je puis comprendre, ou imaginer des raisons. Mais le virus  me semble poser-réveiller des questions très différentes et bien que l'Etat de guerre de Macron puisse être jugé un fac-simile des propos de Hollande au moment du Bataclan ou de Charlie-Hebdo, l'implosion discursive provoquée par la pandémie va bien au-delà: elle ne partage pas entre ceux qui sont « pour » et ceux qui sont « contre »: être « contre » l'Islam radical a un sens, et être « pour » également, fût-il très minoritaire en France. Etre pour le virus n'a aucun sens, contre est tout aussi absurde. Le virus n'est pas un combattant, fanatique ou pas. Il ne brandit aucun drapeau. Espagnole, la grippe ne le fut pas plus que la siphylis n'était Napolitaine (comme le voulaient les français, précurseurs de Trump et du virus « Chinois ») ou « Gallique » comme le prétendaient les Napolitains victimes du « mal français ». Il est liiibre Max, il se déplace à son caprice, gazeux comme le pollen. Il se contente d'être lui-même et, persévérant dans son être de nous renvoyer à toutes ces contradictions systémiques vis-à-vis desquelles il joue, je l'ai déjà dit, le rôle d'analyseur. Et implacablement. Comment concilie-t on le libéralisme planétaire avec le nationalisme en matière de production sans procéder à des nationalisations? - Où commence en ce domaine cet « essentiel » qui n'a jamais autant préoccupé sans être pour autant plus clair? - Les médicaments, soit; et l'agriculture?- et la culture? - et la recherche, et l'élevage, et l'école? Longue la compagnie! - Il est (assez) facile de mettre des soldats dans les aérogares et lieux publics ou d'activer les cellules anti-terrorisme et les services secrets idoines. Il est bien plus difficile de fabriquer à feu vif les milliards de masques nécessaires quand on laissé la production s'extra-localiser, depuis des années. Ou même de les acheter: comme me l'apprend aujourd'hui un autre lecteur, Elie, mon fils,  savoir que les américains ont tenté et partiellement réussi d'acheter les commandes effectuées par les français, en proposant aux vendeurs des pris deux ou trois fois plus élevés que prévu. Vous n'y croyez pas, d'accord, lisez: « Des masques commandés en Chine par la France sont rachetés par les Américains sur le tarmac des aéroports chinois d’où doivent partir les avions de livraison, qui se dirigent ensuite vers les Etats-Unis au lieu de la France, a regretté ce mercredi 1er avril Jean Rottner, le président de la région Grand Est, particulièrement exposée au coronavirus. « C’est compliqué, on se bat 24 heures sur 24 « Pour que les masques soient livrés », a déclaré à ce sujet Jean Rottner au micro de RTL. « Moi, j’ai une petite cellule au niveau de la région qui travaille d’arrache-pied pour, avec les commanditaires, pouvoir gagner ces marchés. Et effectivement, sur le tarmac, les Américains sortent le cash et payent trois ou quatre fois les commandes que nous avons faites, donc il faut vraiment se battre. Et moi, j’ai été très heureux de voir arriver cet avion chez nous hier soir”, a-t-il ajouté. Rottner ne donne pas plus de détails. Qui étaient ces « américains »? Qui étaient ou sont leurs commanditaires? Qu'avaient ils à voir avec Trump  et ses volte face, du négationnisme radical (le virus comme «bobard ») à l'actuelle stature de Sauveur via General Motors? - Analyseur; le rôle de l'argent dans le cadre de Bush & co, en Irak ou ailleurs, on s'en doutait, on était traité de « complotiste » si l'on s'en doutait. Là c'est à plat et là c'est clair. Notre monde montre son cul.

 

Vendredi 3 avril

Au fond, écrire de la sorte, en temps réel et jour après jour, c'est une performance; je ne m'en étais pas rendu compte au départ, maintenant j'en tremblerais presque. Vais-je tenir la distance? - Et si je tombais malade? D'une grippette, même? Ou si j'étais pris de l'envie d'écrire, programmer autre chose que ce quotidien? - C'est ce que j'ai fait aujourd'hui, bonne partie du temps, une application java au sujet du virus, elle interagit avec un son qui pour l'instant ne me plait pas: j'ai demandé à A.G, c'est son métier après tout, d'écrire une musique. Il m'a répondu que oui mais qu' il était dans son Massif Central, qu'il n'avait pas ses outils, que le Centre Multimedia était fermé ; dommage, j'attendrai. Le temps. Pour ceux qui ont cessé de travailler et vivent confinés (les autres tout à coup je me dis que je n'ai aucune idée de leur nombre) il se transforme. Il se dépouille, d'une façon similaire mais bien plus radicale au changement induit par le fait de prendre sa retraite. Confiné, il n'est pas celui qu'on prend, fait sien d'un geste actif qui ouvre-ferme une parenthèse, répit, repos. Ni celui que l'on n'a jamais, de la course haletante de bus en métro ou pointeuse. A quoi bon mettre un réveil à sonner ? Plus d'enfants à conduire ou chercher à l'école. Entre les montres molles de Dali et le Désert des Tartares, et loin de tout affairement, de tout emploi, il s'allonge dans une platitude désorientée et vide, où ne subsistent que quelques repères, il fait nuit, il fait jour, il est heure d'aller faire des courses, celle de manger, celle des infos. Il y aura un terme, oui, sans doute que oui, mais comme nul ne saurait le fixer, il s'échappe à mesure que l'on avance vers lui. L'attente y est sans date. Rien à voir avec le prisonnier qui entaille le mur de sa cellule pour y compter les jours. Cette nouvelle forme du temps, probable qu'elle contienne quelque chose d'insupportable pour certains qui y tournent en rond avec l'envie de le tuer, mais sans succès car le temps, quoi qu'il en soit, il passe et n'est mort que pour nous, à nous ronger les ongles. Nous qui ne pouvons faire autrement, au mieux, que d'imaginer de nouveaux affairements : tiens ! Si j'apprenais le chinois ? Si j'achevais ce roman que j'ai laissé depuis des années dormir dans un tiroir ? Si je reprenais ma guitare ? Si j'écrivais un journal ? - Nous sommes incorrigibles. Et c'est tant mieux. Ceux qui dénoncent le divertissement, ils le dénoncent, le pensent, en écrivent. Ils ont des nuits de feu. L'épreuve du Spleen ou de l'Ennui est-ce en bâillant « à quoi bon » que Baudelaire la traverse? -  Absurde, que de pages noircies en ton nom ! - Pour ce qui me concerne je préfère voir le temps dépouillé comme un temps libéré des impératifs et des scansions du travail, celui de l'otium latin, qui s'oppose au negotium : oisiveté vs négoce. Au temps de Ciceron, il s'agit clairement d'un privilège réservé aux patriciens, au temps du confinement ce n'est plus un privilège c'est une expérience paradoxalement collective, pour ceux et celles qui ne sont pas « en première ligne » - Quant à ces derniers, dont les heures de travail s'alourdissent, s'enfièvrent et angoissent, il paraît plausible que les modalités de leur rapport au temps se trouvent également modifiées par le séisme. Qui aurait  songé de « travailler » 60 heures par semaine il y a quinze jours ? Mais ce « travail », volontairement assumé voire recherché, dans quelle mesure est-il comparable au travail ordinaire ? - En tout cas ne faudrait-il pas que l'on en vienne à le considérer comme tel et demain, à clamer travailler plus pour gagner plus, transformant ainsi l'exception en norme dans le cadre de la « répétition générale ». Certains en rêvent, je n'en doute pas, ils testent. Tel le patron d'Amazon, entreprise absolument « essentielle » où tout continue de tourner, comme avant, avec cependant moitié de personnel. J'ai vu cela hier soir, dans l'émission d'Envoyé Spécial que j'ai regardée, presque par devoir mais au final avec intérêt ; pour la première partie notamment, qui restituait l'historique des déclarations de l'OMS et celles des responsables politiques... En un parfait décalage et absolue « transparence » s'y exhibaient les « contradictions » et contorsions discursives  déjà soulignées, elles trouvent leur apogée dans la bouche d'Edouard Philippe « Je ne laisserai personne dire qu'il y a eu du retard sur les prises de décision ». L'un de mes lecteurs, J.B, m'écrit à juste titre :  « Ah ! -Je ne vais pas me gêner: le vendredi 13 mars à 13 heures, il interdit tous les lieux de rassemblement : théâtres, cinémas, musées, galeries, cafés, restaurants, etc. On ferme jusqu’à nouvel ordre.

Et le dimanche 15 mars il convoque des centaines de milliers de Français aux urnes. Combien de maires infectés? Combien d’assesseurs ? Combien de scrutateurs ? Combien d’électeurs ? Et on commence à compter les morts parmi ces maires, ces assesseurs, ces scrutateurs, ces électeurs…». C'est vrai, les élections j'ai omis d'en parler : je ne suis pas allé voter, non par principe ou nonchalance mais parce que je jugeais (je n'étais pas le seul) ridicule qu'on maintienne l'isoloir à la veille de l'isolement. Paradoxe de ces jours où il n'y a (aurait!) plus qu'une actualité: difficile le lendemain de passer l'éponge sur ce que l'on a solennellement déclaré la veille. L'ardoise médiatique est bien moins amnésique qu'à l'habitude.

 

Samedi 4 avril

Autre retour (ils commencent à se faire nombreux, et, en général, je m'en félicite, ils proviennent de gens qui ne sont pas dans le listing « standard » de DOC(K)S; les poètes seraient ils frappés du corona, seraient-ils devenus muets?); Le dernier retour m'est adressé par J-F.B, qui, actuellement « confiné » au Canada, habite ordinairement à Washington. Ce qui le fait tiquer? - Le Docteur Raoult, dont il souligne à juste titre les positions climato-sceptiques et dont surtout il voit, aux USA, le discours concernant la chloroquine comme susceptible de faire le jeu du clown inénarrablement distrayant qui sert de Président à ce pays. Après des mois de « négationnisme » et alors que désormais l'urgence s'impose, pouvoir sortir de son chapeau une médecine miracle tombe à point nommé. Evidemment, ça serait encore mieux si Raoult avait eu la bonne idée de naître au Texas. Qu'à cela ne tienne, les Etats Unis possèdent un alias en la personne du Dr. Vladimir Zelenko, personne dont j'ignorais tout jusqu'à présent. En Mars, alors que le virus est en train de flamber à New York et que la Bourse y dégringole, ce médecin, barbu et bien en chair, qui vit non loin du centre, annonce qu'il a découvert un traitement simple et efficace, la chloroquine. D'où l'idée lui est-elle venue? - A t-il entendu parler de Raoult? Des expériences chinoises? Impossible pour moi de répondre. En tout cas le 21 Mars, Vladimir (belle coïncidence!) annonce avoir obtenu sur une centaine de patients des résultats extraordinairement positifs et envoie la Bonne Nouvelle à Donald. La suite ne tarde pas: la Fox News relaie le scoop et la Maison Blanche appelle le Docteur, tandis que Trump se hâte d'annoncer que cette découverte est « un tournant majeur dans l'histoire de la médecine ». Zelenko, à son dire, est alors assailli au téléphone par les dirigeants de diverses nations, le Brésil, la Russie, Israël... Cependant , se font entendre quelques voix chloroquino-sceptiques, dont celle du Dr. Anthony S. Fauci, responsable en chef (depuis Reagan) de l'institut National des maladies infectieuse et allergiques. Fauci a, depuis le début, souligné le danger du corona virus. Un premier tweet de Trump le met en cause, violemment, l'accusant de calculs politiques. D'innombrables suivront avec comme hashTag #FauciFraud. Le New York Times les décortique: 70 personnes ont suffi à les envoyer, certaines ont posté 800 fois par jour... Ainsi accrédita-t-on l'idée du Fauci « complotiste ». Le même journal conclut en des termes qui me plaisent, forme et fond : « Ce qui s’est passé ensuite est une parabole moderne, pandémique à sa façon, qui illustre la rencontre entre le coronavirus et la fragilité de notre système d’information : un méli-mélo de faits vrais ou faux et de rumeurs virales ramassés dans des tweets ou des épluchures d'informations online, amplifiés par des soi-disant experts et les prétendus journalistes qui ne sont que des propagandistes politiques, tout cela projeté à la vitesse du son par les media sociaux. » - A J-F.B j'ai répondu que je n'avais jamais dit que la chloroquine était la panacée. Simplement que la question posée était celle d'une recherche (urgente!) et d'un ensemble de tests, encadrés, à mener à ce sujet. Je n'en démords pas. D'autant qu'aujourd'hui, je l'apprends, des personnes peu susceptibles de parti-pris anti-Macron, Douste-Blazy et d'autres, ont adopté collectivement et publiquement une position similaire. Hier, dans l'émission évoquée (Envoyé Special) le sujet était abordé, certes: mais sans que Raoult (brêve photo) n'y soit présent et interviewé. Pourquoi? - Longue l'histoire des relations des sciences avec la politique, les pouvoirs politiques. A chaque fois que le politique et l'idéologie ont prétendu imposer leur loi (cf. la fameuse affaire Lyssenko-Staline) ce fut une catastrophe, pour le politique s'entend. Les rythmes des sciences ne sont pas scandées par les élections ou l'actualité, soit. Il n'empêche qu'il faut indroduire le contexte, lequel peut intimer l'urgence et celle à bousculer des rythmes qui ne sont d'ailleurs pas seulement dictés par la rigueur mais aussi par les congés, par les vacances, par les crédits alloués, par la convergence entre intérêt scientifique et profit économique etc. Nombre des découvertes de l'Institut Pasteur sont inséparables de l'expansion coloniale. Les plus importants progrès dans le cadre de la médecine anesthésique, des greffes ou des prothèses ont été accomplis lors de la guerre de 14/18, les « cobayes » étant alors les célèbres Gueules Cassées. Etait-on certain alors ? Les techniques utilisées étaient elles anciennes, rodées? - Pas plus ni moins qu'aujourd'hui avec la chloroquine, c'est tout. Où le process scientifique et les règles déontologiques (ou morales) s'avèrent impossibles à séparer d'un contexte. Tu ne tueras point, sauf quand on te dira de le faire et te décorera pour l'avoir fait. Le père du docteur Raoult était médecin militaire, en Afrique... Sinon, l'actualité n'a guère changé, en Corse cela fait 344 personnes testées positives au COVID, la plupart (267) en Corse du Sud dans la zone ajaccienne. L'épidémie flambe aux USA, elle « semble » stabilisée en Italie, elle progresse en Espagne et, en France, investit les Erpad : 884 morts depuis le début de l'épidémie mais « le chiffre n'a rien de définitif » - Soudain, dans ce paysage assez peu « spectaculaire » une autre forme d'actualité a refait son apparition, Romans sur Isère où un Soudanais, armé d'un couteau a tué deux personnes dans un bureau de tabac, une boucherie et une boulangerie. Arrêté, l'homme s'avère être un migrant récemment (2017) installé en France. Dans des documents manuscrits « à connotation religieuse » il se plaindrait de vivre « dans un pays de mécréants ». Pour bousculer-renforcer le corona et son empire absolu sur les informations il n'en fallait pas moins que cela, le Retour du Djihad à sceller l'Alliance entre (axe du) mal et maladie et re-militariser un discours qui avait tendance à s'enliser dans un morne productivisme. Nous sommes « en guerre », l'avez-vous oublié? - Et à Bagdad i's' passe quoi à Bagdad, i s'est passé quoi depuis 2 mois à Bagdad ? - Rien, pas d'attentats à la voiture piégée, pas de manifestatnts tués par balles, rien, un vrai paradis.

 

Dimanche 5 Avril 

Il ne se passe rien le dimanche.

En cas d'ennui regarder le Pape prononçant la messe des rameaux dans la Cathédrale Saint-Pierre, déserte. Si vous avez manqué le live, le différé est en ligne, ici : https://www.youtube.com/watch?v=s_L6Kg2ZEO8

A Ajaccio nous ne sommes pas surpris ; les cérémonies et  processions publiques de la Maddunuccia, qui ont lieu chaque année le 17 et 18 Mars ont été anullées ; le hasard (la Providence ?) veut que ces cérémonies instaurées par les Gênois soient dévolues à la Vierge Miraculeuse de Savone, Notre-Dame de la Miséricorde et trouvent leur origine historique(1656) dans le rôle que celle-ci aurait joué pour protéger les Ajacciens de la peste. Compte tenu du rôle joué par les Evangelistes de Mulhouse dans la propagation du virus à Ajaccio on pressent en tout ceci l'intervention sinon l'intercession du côté Obscur de la Force.

 

Lundi 6 Avril

Les masques étaient naguère inefficaces sauf les FFP2 parcimonieusment réservés à la Première Ligne; ils sont désormais vivement conseillés (et demain obligatoires partout comme certains l'ont déjà décidé, ainsi à Nice avec Estrosi) pour tout Planqué de l'arrière qui sort de chez soi ; comme, en pharmacie, tardent les livraisons, y compris de masques bêtement chirurgicaux, il est conseillé d'avoir recours à des « masques alternatifs »; des patrons sont diffusés et finalement c'est à la portée de tous, moi excepté, célibataire ignare en couture. Même si, de l'avis des Spécialistes, ces masques ne servent à rien ou presque, admettons qu'ils ne font pas de mal. Même Trump conseille qu'on en porte, précisant qu'il ne le ferait pas lui même : il est vrai qu'il n'en pas besoin. La nature fait bien les choses. Je trouve étonnante cette nouvelle volte face ou plutôt estime qu'elle anticipe les records de vente qui seront atteints dès que les vrais masques (enfin pas vraiment vrais, non, pas FFP2) seront mis sur le marché, dans les semaines qui viennent. Répétition générale, une fois de plus. Que nous prenions le pli, l'habitude, l'habitus, c'est l'objectif. En attendant, les rues vont bientôt offrir un spectacle carnavalesque tout à fait bariolé si, espèrons, l'imagination prend  le pouvoir ; il y aura des masques de toutes les formes et de toutes les couleurs, à pois, à rayures, à carreaux, tendance léopard (ce modèle fera fureur en Corse) ou Aubade ou DisneyLand. Devant sortir pour quelques courses je me demande comment faire et farfouille, en hâte, dans les greniers pour finalement y dénicher trois solutions. a) une cagoule qui sent encore les lacrymos b) un masque de Dark Wador, en plastique c) un masque de plongée et le tuba qui va avec. Lequel choisir ? - Hésitant je me fais 3 selfies. Aucun ne me convainc vraiment, pour des raisons diverses, esthétiques ou politiques. C'est alors que m'est venue, lumineuse, une idée : la burqa. Plus besoin de rien, on est protégé à 100% des pieds à la tête. Mais il ne suffit pas d'avoir des idées, il faut les mettre en pratique : google acheter+burqa ne donne rien, Conforama (les masques FFP2 y sont en rupture de stock) ne connait pas ce modèle, déception. On peut par contre se rabattre sur un « One Layer Niqab Black with Flap (Hidden Eyes) Long £21,99 », bonne solution si je savais exactement à combien se négocie la livre/l'€, mais je l'ignore et cela montre que nous ne savons plus grand chose de ce qui se passe, y compris sur le marché des changes, du CAC 40, du DOW Jones ou du prix du baril de brut, bien que la Bourse, tout de même, soit une activité « Essentielle ». A l'aveuglette j'ai ignoré le taux de change et commandé mon  Niqab Black with Flap (Hidden Eyes) Long qu'Amazon se fait fort de me livrer dans les meilleurs délais. Pour l'heure, nécessité ayant force de loi, mes courses je les ferai avec cette cagoule dont le port, naguère, me désignait comme un black block potentiel, sinon un terroriste :L'article 1 de la Loi du 11 octobre 2010 disposant, en France, que « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » et ailleurs, à Hong Kong, on se souvient du furieux combat mené par le pouvoir contre les manifestants masqués.  Si, dans la rue, ils me contrôlent, je refuserai le prélévement d' ADN. Me voyant sortir mon fils Elie me propose d'utiliser son casque de moto. J'ai dit non ; casque n'est pas masque. Et pourquoi pas une de ces cagoules en soie noire comme en mettent, à moto, les tueurs professionnels. Il ne faut pas tricher avec la loi. Comme il insiste en me disant « Tu cours à l'abattoir », j'ai opté pour mon masque de plongée et mon tuba prêt à sortir ainsi mascaradé. Vous riez? - Il n'y a pas de quoi. Surtout que le clone anglais de Trump se porte de plus en plus mal et que la Reine s'apprête à chevroter un discours que je veux écouter, je pose la plume tandis que la Royal Joyau apparaît à l'écran, momie crémeuse préparée avec un art quasi thanatologique. Vagabond céleste, l'esprit suit son cours, « masque de beauté » me vient en tête, songeant à la croûte plâtreuse dont certaines se tartinent pour se purifier la peau. Mais l'expression s'inverse: beauté du masque. Comme la Reine parle en anglais et que c'est à peu près inaudible les monteurs et graphistes se sont hâtés de glisser quelques images d'elle qui datent de la guerre de 40, ça n'a pas suffi pour en faire un Churchill. Ne galvanise pas qui veut. L'esprit poursuivant sa dérive, d'une guerre l'autre  je pense aux masques de 14/18 que nous avons trouvés au village et avons pendus à côté d'un crâne de vache. Efficaces contre le gaz moutarde, nantis d'une cartouche filtrante, le seraient-ils contre le corona? - Il faudrait que je me renseigne sur l'histoire de ce genre de masques, en tout cas liée comme prévu à celle des guerres, de celle de 14 à celle de Bachar el Assad. Mais au-delà, bien au-delà, et bien plus loin: masque et fêtes, masque et sexe, masque et séduction, masque et transgression, masque et châtiment, masque et art, masque et ethnologie, ouf... Sous ses aspects scientifiques  et positivistes, le corona a aussi cette bizarre propriété de réanimer une foule d'images, une quasi mythologie. « Larvatus prodeo » disait Descartes, « je m'avance masqué ». Mais traduire  larvatus par masqué, c'est aller vite et, restant dans le même champ, passer en quelque sorte du blanc au noir. Masque provient d'une racine attestée aussi bien dans la zone ibérique que latine (mascara, maskara etc) et désigne le masque au sens propre mais surtout les démons et sorciers, l'alliance des deux sens se produisant au niveau de la couleur noire et peut être de la boue noire dont on s'enduisait le visage en guise de masque. Or larvatus, lui, renvoie à larva, dont hérite le français « larve » et rassemble aussi bien la blancheur qu'une apparence (voire une apparition) fantômatique, ce deuxième aspect manifestant que derrière la larve se profilent les Dieux lares, âmes des ancêtres. « Larva » dans le contexte du carnaval de Venise est le masque blanc qui s'oppose au tabarro, longue cape noire. Bref, on n'impose ou interdit le port du masque sans que tout un tréfond ne se soulève et, descendu pour finir faire mes courses à visage découvert je me suis senti trop nu et trop vivant au milieu d'un peuple de spectres aux grands yeux désapprobateurs. Pas si méchants que cela ces spectres. Une petite vieille dame m'a souri parce que son masque pendouillait, un élastique cassé, elle s'efforçait de le maintenir en le tenant de la main, ce qui n'a rien de pratique quand on pousse un caddie pour faire ses courses, et j'ai trouvé que oui, elle ressemblait à Casper plutôt qu'à Fantomas. Le sérieux m'est revenu en remontant mes six étages. Plutôt que Descartes j'aurais du mentionner Nietzsche, « tout ce qui est profond aime le masque » ou quelque chose de ce genre, c'est dans Par delà le Bien et le Mal. Non loin de la Naissance de la Tragédie, Apollon et Dionysos, l'un non pas opposé à l'autre mais l'impliquant, le masquant. Mais je deviens trop sérieux, Friedrich ne le pardonnerait pas. Ce soir je regarde Spiderman, quand il pose le masque et pour ainsi dire se défroque.

 

Mardi 7 avril

Retour au temps. On dit « trouver le temps long », et trouver ici signifie « ressentir »; mais on ne trouve jamais le temps court, on dit: (ces heures...) « je ne les ai pas senti passer » . Aujourd'hui conversation téléphonique avec Julien, un autre de mes fils. Sa femme est médecin, lui il est instituteur, pardon, professeur des Ecoles. Il commence par me raconter la situation ubuesque dans laquelle il se trouve. Des enseignants ont été réquisitionnés pour accueillir, à l'école, des enfants de soignants et il en fait partie; sinon que lui -même a trois enfants, qui sont à la maison et dont il faut bien qu'il s'occupe, mettant à profit qu'il a un jardin. Marié à une soignante il a le droit de rester chez lui. On s'en sort comment? - Il a transporté l'école dans sa maison et son jardin, et toute la marmaille semble s'en trouver bien. Evidemment ça n'est pas une sinecure, « Allo, je t'entends mal » - « Oui, ça braille, attends! » - Par la suite la conversation a très vite tourné à des questions plus ordinaires, celles que chacun se pose. Ca va s'arrêter quand cette histoire? - Mardi prochain (fin de la seconde quinzaine), non il n'en croit rien, moi non plus. Ce qui me met en colère est qu'ils le savent tous, « ils », je veux dire l'agence Nationale de Santé, le gouvernement Philippe en tête, le Comité Scientifique et certainement bcp d'autres. Au dire de Julien, on a une chance de toucher le port vers la fin Mai-début Juin, c'est du moins ce que lui souffle son épouse, très remontée en ce moment (mais elle l'est toujours un peu). Sinon – vous imaginez un été sans vacances?-, en Septembre. Et encore;  supposant qu'il n'y aie pas de « deuxième vague » comme c'est en train de se produire en Asie où la première conséquence de l'assouplissement des mesures a été l'augmentation des retours ou des voyages, supposant également que le virus ne décide pas, « brutalement » (adverbe qui vient souvent pour qualifier son comportement capricieux et inadmissible) de muter, ce qui, tout de même fait partie des droits du Virus depuis des temps immémoriaux. D'ici là un vaccin? - « La course contre la montre » - et surtout entre les labos et les Nations, pour le pactole – est engagée nous dit-on, oui-da! --La fameuse enquête concernant les bienfaits de la chloroquine et des quelques autres molécules testées, on en est  où? - Elle a été lancée, sous le doux nom de Discovery, le 22 Mars, jour que le rouquin de Nanterre jugerait propice pour nous garantir un Joli Mois de Mai mais Discovery s'est probablement perdue dans l'espace-temps inter-stellaire. Je ne m'appelle pas Cassandre, seulement Castellin et ne possède pas l'art des boules de cristal. Et que tt soit fini mardi prochain, je le souhaite autant que quiconque. Mais suis sûr que c'est faux. Ce que je ne supporte pas et je crois bien n'être pas seul, c'est qu'on me mêne en bâteau et qu'on ne me dise pas a) ça finira quand ça finira et on sait pas quand b) d'abord il faut qu'on aie des masques c) ensuite il faut qu'on aie des tests – pour ces deux derniers points cf. les post précédents. Pourquoi ne le dit-on pas? - Pour réserver la primeur de l'annonce à Macron (il parlera Lundi prochain)? -  Parce que par définition le Pouvoir doit Savoir ? -Parce que si l'on disait la vérité on aurait peur que les gens ne le supportent plus ce confinement « indéfini » -Ah, indéfini... Rien de pire que l'indéfini, à vivre comme à penser. Supposons qu'une personne (qui vous est chêre) vous dise « je viendrai par la suite » comment se satisfaire de ce type de rancart  qui pourrait se réaliser aussi bien demain que dans 360000 jours... ou bien plus, sans que pour autant le propos (la proposition) puisse être qualifiée de « non-sensical ». Bizarrement l'interminable, l'illimité en viennent vite (et depuis longtemps, de Zénon à Cantor en passant par Descartes) à nous poser des problème de pensée, ou de vie, insolubles. Nous voulons du quand et, tout aussi bien, du où. En tel lieu, à telle heure. On se lasse vite de marcher vers l'absence de terme, autant rester sur place ce qui revient peut-être au même ?. Un Confinement sans fin... Mais c'est Kafka ! - D'où les chiffres, les courbes et tout un arsenal de nombres qui voudraient rassurer bien que nul ne sache au fond avec certitude ce qu'ils indiquent. Le fameux « pic » par exemple, qu'on n'a jamais atteint, ou franchi sans s'en rendre compte, à tel point qu'il tend désormais à disparaître, au profit du « plateau ». Plutôt que supputer et naviguer (slalomer...) entre les métaphores il vaudrait mieux, d'abord, et pour ne pas re-commencer, constater que la pandémie déconfine l'humain pour le resituer dans un espace-temps illimité aussi terrible que magnifique, fondamental surtout. Apprendre cela ne s'oppose pas à cultiver son jardin, au contraire, mais à le faire avec modestie et reconnaissance. Dans une île ce sont des choses qu'il n'y a guère besoin d'expliquer, l'indépendance dans l'inter-dépendance. Pythagore, découvrant qu'il n'est pas facile d'exprimer la valeur numérique de l'hypothénuse pour un carré de côté 1, s'est, d'après Proclus, suicidé. D'autres prétendent qu'il aurait fait périr dans un naufrage certains de ses disciples décidés à répandre l'affreuse nouvelle des « irrationnels ». Cantor est mort fou dans un asile psychiatrique, victime de l'apeiron. Aucune nouvelle de Boris Johnson.

 

Mercredi 8 Avril 

De plus en plus de lecteurs et de retours. L'un deux (C.L) me signale qu'il n'a pas très bien compris ce que j'ai dit hier, de l'indéfini. Lui me parle de l'infini, puisque en mathématiques c'est lui qui intervient et que c'est à ce propos que Cantor a travaillé. Infini, indéfini, quelle différence ? - Je voudrais bien pouvoir répondre en deux ou trois lignes mais brrrr ! J'essaie cependant :  Aristote (ça commence mal) distingue entre deux « acceptions » de l'infini, d'un côté l'infini en acte, de l'autre l'infini en puissance. L'indéfini se situe du côté de la puissance, « je puis toujours ajouter + 1 à un nombre pour obtenir un nombre plus grand que lui », en l'occurence son successeur dans l'ensemble des entiers naturels. Sans que pour autant l'expression « le plus grand de tous les entiers naturels » aie le moindre sens, au contraire. Dans ce cas l'infini (« et ainsi de suite à l'infini ») s'il intervient nominalement ne correspond qu'à un certain symbole (le 8 couché que je ne sais pas écrire sur mon clavier) comme cardinal de cet ensemble et basta – Sitôt par contre qu'on veut parler d'un infini « en acte », on sort des mathématiques, on sort de la règle et de son application réitérée on entre en Platonisme ou Religion, et l'infini s'écrit avec une majuscule, il désigne Dieu. Or je tiens à tenir Dieu hors du coup même si je reconnais qu'il est difficile de le faire, parce que la possibilité de réiterer n fois + 1 une opération semble inviter naturellement, ou converger, à l'horizon si l'on préfère, vers l'acception pleine et positive. Raison pour laquelle Descartes, comme on sait, après avoir posé la même distinction, déclare que ce que je nomme l'indéfini renvoie à la présence en nous de l'autre Infini, « en acte », marque que dieu aurait laissée en son ouvrage. Difficile ne veut pas dire impossible. Le nombre PI est un irrationnel , il contient un nombre dit infini de chiffres après la vigule et sans périodicité. Soit ; mais ceci ne veut pas dire que PI existe « quelque part », « idéalité » pleinement et parfaitement réalisée dans un absolu par dieu seul connaissable, seulement qu'on peut le construire et augmenter en calculant. Aujourd'hui par exemple nous pourrions dire que le résultat de cette construction (par J. Yee et Shigeru Kondo + un ordinateur de 3,3ghz) donne, après 371 jours de calcul 10 000 000 000 050 décimales. Ce qui n'a rien à voir avec « l'infini » mais avec un calcul opéré dans un certain contexte. Je ne sais si j'ai été clair et si C.L s'estimera satisfait... Il est vrai, j'ai laissé Cantor de côté. Je ne veux pas perdre tous mes lecteurs!- Nombres. Pâques approche. Seigneur donne nous chaque jour notre pain quotidien. Nombres. Nous les demandons, nous les demandons à la fois parce que nous voulons savoir et que pour nous occidentaux qui dit nombre dit science, en outre parce que leur évolution, en plus ou en moins, nous protège contre le sentiment que d'un jour à l'autre c'est du pareil au même. Hier les Nombres indiquaient un « féchissement » et l'on pouvait y lire des « signes encourageants » ; aujourd'hui c'est moins sûr, peu importe, la variation, la différence maintiennent l'essentiel, le suspense. On nous les fournit pour les mêmes raisons. Que le Pouvoir sait (Il est Celui qui Sait), qu'il agit selon ce savoir, celui des Nombres. Que Quelque Chose se passe. Et dans un cas comme dans l'autre on ne s'inquiète pas, en deça de leur signification, de leur degré d'exactitude. Quand ainsi on apprend que le nombre de décès mondiaux dus au coronavirus est de 103581 par exemple, ou de 20608 aux USA (progrès seulement 1920 aujourd'hui, 2108 hier...): il est de la prudence que l'on ajoute :   « autant que nous puissions le savoir », restriction qui éclairerait d'un autre jour cette « information » : mais bien sûr en invaliderait la scientificité. Aux alentours de... n'est pas un nombre ou ne peut désigner qu'une plage admissible de nombres, un tableau, encadré par des valeurs min et max. Nombres. Il y a pis. Que non seulement on puisse discuter de leur « exactitude » (« le nombre de décès ne comprend pas celui des décès en Ehpad, que nous ne connaissons que partiellement : 884 »), qu'on puisse également les interpréter de telle ou telle façon, (comme on le voit dans n'importe lequel de ces débats politiques – oui, cela exista!- télévisé où chacun sort « ses chiffres »), mais surtout que derrière eux, et particulièrement dans le cas qui nous concerne il y a des personnes et des vies. A New York hier on a « passé la barre des 10000 décès », admettons, peut être l'avait-on déjà passée avant hier ; mais surtout 10000 morts cela veut dire quoi ? - Joseph Staline, éminent spécialiste en la matière  l'a très bien résumé : «La mort d'un homme, c'est une tragédie; la disparition de millions de gens, c'est  de la statistique »- De celle ci, de l'inévitable abstraction liée aux Nombres, l'on ne sortira qu'en regardant les images, à New York, des cercueils placés dans l'île de Hart, une fosse commune où naguère (« avant ») l'on déposait les corps des personnes décédées dont nul, parents ou enfants, ne se réclamait. La tranchée est vaste,  c'est, à ciel ouvert, un fleuve  rectiligne creusé à la pelle mécanique, la terre est meuble, noire, et les cercueils-larves ne sont pas en chêne. En contreplaqué ? -  Manipulés par des robots-grues, on prend soin de les ranger de façon rationnelle, économique, industrielle. On inhume à la chaine. Quelques individus à manier des pelles archaïques, ce sont des noirs. Ce n'est pas un charnier, où l'on jette et entasse en vrac. A «l'enterrement » nul ne viendra, n'assisteront que les employés municipaux, en blouses et masques. Certains de ces enfouissements ne sont que « temporaires » ajoute le même reportage, sans préciser l'issue. Revival ? -  Ce n'est, me fait, mail, savoir une lectrice, pas très différent de ce qui se passe chez nous. Elle vient de perdre sa tante. Obsèques sans effusions et embrassades. « Figure  toi que les cimetières sont fermés à clé avant et après l’inhumation » - Les rites comme vecteurs viraux. Ceux-là mêmes que les anthropologues considèrent comme un des signes caractéristiques de l'émergence de l'humanité. A n'être plus que des nombres nous ne sommes plus que cadavres. Potentiels. Actuels. Est-ce bien nouveau ? L'analyseur ex-hume, il ne crée pas. Si cela va reprendre, demain, après demain, dans quinze jours ou plus, est une question (à mes yeux) légitime ; tout le monde n'a pas une résidence secondaire à Jersey ou un jardin ou un parc. Par contre, en tous les cas, cela va reprendre comment est une question. Et « comment » ne veut pas dire « selon quelles règles » progressives, différenciées ou pas. Mais je m'arrête, je ne veux pas déflorer le discours de Macron, Lundi. Macron s'en va t'en guerre miroton miroton mirontaine..Ne sait qu'en reviendraaaaa....Ne sait qu'en reviendraaaa... Mais lui il sait. La guerre, c'est pour les autres. Classique.

 

 

Jeudi 9 avril

Sur Facebook, une personne (je la connais, au moins de nom) fait savoir qu'elle en a marre qu'on ne lui parle que du COVID ; cela me met en rogne ; d'abord bien sûr parce que ce journal tombe ipso facto dans la classe des choses qui la bassinent et que je me sens concerné, ensuite et surtout parce que ne dire que cela (c'est le cas) n'est qu'un un très pauvre mouvement d'humeur, avec un zeste de provocation élégamment puérile, bobo rive gauche pour le dire autrement. J'ai suffisamment dit que le COVID fonctionnait aussi comme un masque vis-à-vis de toutes les autres informations, je n'y reviens pas. Si c'est cela qu'elle évoque, soit, je puis être d'accord. Encore faut-il l'énoncer et encore moins est-ce à mes yeux une raison suffisante pour se détourner non de parler mais de penser, de s'efforcer de le faire du moins. Et de ce qui est mis à jour, exhumé par l'épidémie au sujet de notre monde en général et en particulier de la manière dont cette image nous est construite-transmise par la mediasphère. Tant qu'on ne fait que les écouter les laius journalistiques (j'y inclus les réseaux sociaux...) peuvent être lassants, tout change lorsqu'on les entend, c'est à dire les réfléchit, détecte leur rhétorique, leur soumission. Ou leur volatilité clownesque. D'ailleurs, au fond, de quoi voudrait-elle qu'on lui parle ? - Du prochain ou dernier Prix Goncourt ? Du résultat de l'OM-PSG ? De la mode d'été ? De la dernière façon de résoudre la question de la Grande Unification entre physique quantique et théories d'Einstein ? - Tous sujets qui peuvent être intéressants à penser, et aussi lassants que le COVID  si l'on ne fait qu'en parler, dans le cadre de l'universel bavardage et de la consommation généralisée, où l'on saute de branche en branche, y grapille un fruit et passe à autre chose. Mais peut-être voudrait-elle, cette personne, qu'on ne lui parle plus de rien ; peut être aspirerait-elle au silence et à la solitude, pour se retrouver elle-même. En ce cas rien de mieux que le confinement. Fastoche : on éteint la télé, on se débranche de Facebook, de Twitter ou d'Instagram et on y va. On ouvre la fenêtre, on regarde le ciel, c'est le printemps, il est bleu, les oiseaux chantent et comme il n'y a plus de voitures sauf de pompiers ou ambulancs, merveille, on les entend. C'est au reste ce que me dit un autre lecteur, O.M ; que cette étrange période lui permet de faire le point sur lui-même, ses ambitions et sa vie. Le confinement vécu non comme une cellulle carcérale mais comme une cellule monastique, un cloitre, une retraite spirituelle, une lamasserie thibétaine, un monastère zen, pourquoi pas. Le confinement comme un tonneau dans lequel Diogène est en train de se branler pour démontrer qu'on peut se passer de tout sauf d'eau fraiche, cas envisageable ? - Bien que, selon moi, le mouvement par lequel on se détache ne prend sens que lorsque on se projette, ultérieurement, dans sa vie, pas dans un autre monde et pas même sur soi parce qu'on est pas des escargots. Et puis aussi, bien que je trouve dans cette attitude quelque chose qui ne la rend accessible qu'à des privilégiés. Vivez à 5 ou 6 dans 20m carrés, croupissez dans la boue d'un bidonville à Calcutta et vous aurez du mal à la mettre en pratique. Les femmes de Mayotte que j'ai vues à la télé se ruer en masse pour récupérer des sacs de céréales livrés par un bâteau de la Marine, qui pourrait leur expliquer qu'elles ont tort de sortir du confinement et de ne pas respecter les gestes barrière ? Le garçonnet, la petite fille en train de fouiller dans la décharge de New Delhi pour en extraire un quignon de pain et le voler aux charognards, il me semble difficile de leur sermonner qu'ils sont en train de gâcher la possibilité de se recentrer sur eux mêmes et d'élever leur spiritualité. Au journaliste qui demande au garçonnet s'il a « peur du corona virus » le gamin répond « Oui, mais bah, on mourra tous un jour ou l'autre...» - Il a dix ans, le fondement de la sagesse, inutile de le lui apprendre. Depuis qu'il est né ou presque c'est tous les jours et inlassablement qu'il arrache sa survie à la montagne des détritus. PS : à un autre lecteur qui me dit que je « colle trop à l'actualité » et que « tout ça on le sait » je réponds on le sait, tu crois qu'on le sait, on le sait jusqu'où et on le sait jusqu'à quand. L'oubli peut venir vite. Indépendamment de mes « réflexions » qui me paraitront sans doute un jour ridicules, les faits je les aurai enregistrés jour après jour et tels que. Non pas un « souvenir », bon ou mauvais, mais une entaille. Il est arrivé à Paul Verlaine de regarder le ciel, les arbres, d'écouter les oiseaux. C'est quand il était en prison, en Belgique. Tout le monde connait le poème. La cloche qui tinte me dérange un peu. Du glas on ne dit pas qu'il tinte et il y aurait peu de sens à dire qu'on s'en lasse. A la fin d' « Una vita violente » la dernière phrase, je ne l'oublierai jamais : le héros (un petit voyou des rives du Tibre) crache du sange et il va crever. Pasolini écrit « et enfin hop, plus de Tommaso ».

 

Vendredi 10 Avril

Lieu moins Pasolinien, le Vatican (oh, P.P le regarde mais depuis sa crasseuse borgata de Gelsomino) ; place Saint Pierre, vide avec l'estrade à baldaquin où le Pape bientôt va s'adresser, urbi et orbi ; pour l'instant on ne le voit pas, il s'échauffe. Vide la place, déserte, comme beaucoup d'autres places au monde, comme beaucoup d'autres boulevards, rues.... Y règne un silence d'une qualité très particulière. Je cherche un mot pour l'évoquer, me vient à l'esprit que d'habitude, en ville, ce genre de silence ne se  rencontre que dans les cimetières. On parle de leur paix. On dit un silence de mort. Oui. C'est là que le mot  pointe le museau: un silence tombal. Dans la nature, dans le maquis, jamais n'existe pareil silence, il suffit d'une brise pour que les arbres froissent nerveusement leurs feuilles tandis que les oiseaux s'envolent ou se reposent, et ils pépient, roucoulent, gazouillent. Ici un sanglier qui grogne. Au loin un âne, à moins qu'une vache. L'aboi d'un chien de battue, le tintement de sa clochette. Au sol le crissement des sauterelles et autres insectes, en l'air des bourdonnements, des zézaiements d'élytres, on n'est jamais tranquille, sauf quand survient la neige, elle ensevelira tout et elle aussi elle tombe. L'analyseur n'est pas que conceptuel ou systémique, il est aussi sensible, sensoriel. Plus questions de nombres ou de quantités, c'est de qualité qu'il s'agit. Il y a une nouvelle d'H. James que j'aime beaucoup. Le titre m'échappe, elle raconte l'histoire d'une fillette qui voudrait à tout prix savoir ce qui se passe dans sa chambre quand elle n'y est pas. Quand je monte sur la terrasse et laisse planer un regard sur la place, c'est - hormis le petit car blanc avec sa botte de CRS en train de jouer aux cartes - la même chose ; voici un monde incontestablement humain mais humain sans les hommes. Exclus de lui. Publique et lieu de tous les commerces elle ne nous appartient plus sans pour autant cesser d'être et s'étendre, bien plus vaste et libre aujourd'hui qu'avant. Tapis dans leurs appartements on pourrait s'imaginer les anciens locataires en train de guetter et se préparer à partir à l'assaut pour reconquérir leur territoire, je ne le ressens pas de cette façon. Qu'ils éprouvent le désir de « prendre l'air », de bouger ou courir, sans doute ; que parfois une sorte de nostalgie, furtive les caresse de son aile, certes aussi. Mais la plupart du temps ce qui domine est qu'ils s'enfoncent, se recroquevillent, s'éloignent indéfiniment, laissant derrière eux ce silence, la nappe de ce silence, en fait trace de leur absence tandis qu'eux sont tournés vers la télévision ou les écrans de leur smartphone où se réfugie   une communication désormais virtuelle. Télétravail pour les uns, échanges avec les amis ou les parents, maintien d'une présence sur les réseaux sociaux, peu importe. Au parallèle d'une dictature mondiale totalitaire dont nous vivrions les prémisses, répétition générale me semble s'appliquer à ce repli (retournement) brutal de la communication dans le virtuel, déjà entamé certes, mais connaissant en ce moment une accélération prodigieuse que l'analyseur exhume. Oui, il est exact que la pandémie peut-être (qu'elle est) utilisée comme argument afin d'augmenter tous les moyens de contrôle et surveillance et que les mêmes smartphones où la communication se replie étant par nature connectés via des terminaux, la liberté individuelle qui les accompagne, celle que vante la publicité, se dédouble aussitôt en servitude et dépendance. On peut frémir, en Chine ou en Corée de la manière dont, au prétexte du corona, ces objets ont servi très concrétement à la mise au point et à l'obligation d'utiliser des applications permettant la géolocalisation en temps réel, le tri (sélectif!) entre les individus, sains, ou porteurs, et bref le fichage et l'enrichissement des data banks, si ce n'est le fliquage généralisé. On peut sourire de Castaner déclarant, péremptoire, le 26 Mars , que ce genre d'application « N'était pas dans la culture française » pour déclarer, aussi péremptoire, le 5 avril, sa conviction « Que c'est un outil qui sera retenu et soutenu par l'ensemble des Français » et appuyer le projet français StopCovid, conçu sur le modèle de l'application de tracing utilisée à Singapour. Nouveau ? Pas du tout, intervient ici la seule accélération d'une tendance présente et à l'oeuvre depuis longtemps, auparavant source de méfiance et de débats qui désormais s'éteignent au nom de l'Intérêt collectif ou de ce qui, remplaçant le Salut Public est devenu, en peu de temps, la Santé Publique. Changé ce qui doit l'être j'ai la même intuition quant aux fameux gestes barrière ou au confinement. Les termes utilisés pour les évoquer et pour les implanter dans les comportements parlent d'eux mêmes ; il en va d'un processus de distantiation où le prochain, loin d'être objet d'amour devient source de circonspection sitôt qu'il est à moins d'un mètre – Ou deux, c'est selon les pays et en Chine une étude la porte à 4m... Qui n'a pas peur de qui ? - Eviter toute embrassade. En cette veille de Pâques je songe au baiser au lépreux. Au Saint-Père de donner l'exemple. Diviser pour régner est un vieil adage. La pandémie comme implosion au sein des relations sociales entendues au sens le plus radical, celui des corps qu'elle atomise, des liens qu'elle tranche, ils ne retrouveront une unité problématique que dans le Terminal et sous forme de connections par lui médiées et contrôlées. Epidémie, en grec, cela veut dire qui s'abat sur le peuple, j'aurais envie de dire qui le pulvérise, y compris dans son concept, un peu vieillot n'est-ce pas vs populations. De ces gestes implantés je redoute qu'il nous soit bien difficile de les oublier, plus tard, parce que précisément il s'agit de gestes. Inscription d'une nouvelle morale, on peut penser à Nietzsche pour ce dressage des corps. Suis-je pessimiste ? - Que non : dans 5 minutes je vais ouvrir la fenêtre, Elie prendra la corne (un culombu serait mieux) et moi je secouerai la cloche pour le rituel de 20 heures, que je respecte, parce qu'il a été inventé à la base et par elle, parce qu'il est un rituel et que par lui le silence se mue en charivari peer to peer. IL a dit que nous étions en guerre. Mais pas contre le Corona Virus. La guerre est entre deux modèles du corps social, celui du rhizome (c'est à dire de l'Association Libre) et celui de la pyramide, l'un dans l'autre enchevêtrés comme deux lutteurs sumo.

 

 

Samedi 11 Avril

Une de mes lectrices, M.B, m'envoie un lien, « Tu en penses quoi » ? - Je clique et débarque, YouTube, sur une video, longue de 45', concernant le Corona . Filmé gros plan et dans un décor très « root » (un sentier de montagne qui, enneigé, ne conduit probablement nulle part) ecce homo, longue chevelure bouclée, un look entre Tarzan (C.Lambert) et Jésus Christ (?), Pier-Paolo eut apprécié. Il sourit à la camera. Clap ! - Start.  Micca nomi ! Bien que le sien apparaisse à l'écan je ne vous le donnerai pas, ni même le lien. Plus que sapiens cet homo est loquax, il ne lit pas, il connait son sujet, il peut improviser et même si, de prime abord l'on pourrait croire que l'on passe du coq à l'âne, nenni, l'ensemble obéit à une logique de fer. Je n'avais jamais été confronté à un discours qu'en moi-même j'ai vite ( IL le savait!) qualifié de « conspirationniste ». C'était l'occasion de s'instruire, j'ai donc écouté, bout en bout. On commencera par des notations « savantes » ; Impossible de ne pas être d'accord (j'ai tort, impossible ne s'applique pas à certains tenants US du New Age pour qui Darwin c'est du pipeau, à conspirationniste conspirationniste et demi) : que les virus ont des milliards d'années d'existence derrière eux, que l'humain est une créature bien plus récente, à peine dans les langes. J'opine. Que, dans ces conditions, nous ayions à cohabiter avec les virus et ne puissions guère faire autrement, j'accepte, encore que toute cohabitation ne soit pas pacifique. Quelques coloc m'ont joué des tours pendables. Qu'enfin une « Bonne hygiène de vie et d'alimentation puisse y contribuer », je gogobe  - Leçon n°1, comme dirait Aubade : noyer, sans les établir, les thèses fondatrices au sein d'un flot d'assertions qui sembleront anodines, sympathiques, allant de soi etc. Le décor est planté, passons aux choses sérieuses : « Il y a quelques jours encore jamais je n'aurais imaginé que les dirigeants de ce monde puissent mettre à l'arrêt 3 miliards de personnes sur cette terre et orchestrer un mensonge aussi énorme que cette pseudo pandémie » - Mensonge, pseudo, orchestrer, oh oh, ça envoie du lourd, voici des mots qui promettent... On attend la suite ! - Comment ? La « pandémie », seulement « pseudo », les services de réanimation surchargés, les fosses communes à New York seulement des images, de la mise en scène, un film réalisé dans le plus secret des studios de la Warner, celui qui a inventé le 11 Septembre et qui a fait marcher les américains sur la lune ? - Naïf (naïf = qui n'est pas conspirationniste) je coupe, je questionne. Pas de réponse, on se met à votre place, on avoue son propre doute, on narre le mal de chien et le long travail sur soi pour se convaincre, alors que, scientifique de formation et sceptique de nature, l'on ne pouvait se résoudre à y croire ; leçon n°2: un conspirationniste ne dit jamais que ce qu'il énonce il l'a toujours su; au contraire il a été comme nous-vous, dans la naïveté de la négation. Donc: « J'ai cherché, j'ai creusé » « parmi les chiffres officiels » - lesquels? - et pour finir crac ! S'impose l'affirmation (devant laquelle on recule d'horreur!) que tout ceci est une vaste manipulation, en même temps, (ce qui tout de même paraît un peu contradictoire mais bon), que les scientifiques qui ont « fabriqué » ce virus dans leur laboratoire ont « réussi leur coup ». La  déclaration a toutes les allures d'un scoop mais elle est glissée, glissée comme une incise... En tout cas nous y sommes, sans savoir très bien par quel chemin nous y sommes nous y sommes, « prouvé » que c'est bien un mensonge, prouvé(?) qu'il a été « orchestré », il s'agit maintenant de savoir à quelle fin....  Qui est le chef d'orchestre ? - Cela ne sera jamais véritablement explicité, mais, de toute évidence il est « mondial » et de plus la Chine (« miroir de notre avenir ») y a joué et y joue un grand rôle. Mobile ? Il a déjà été énoncé : « Mettre 3 milliards d'hommes à l'arrêt » , le confinement n'étant plus une conséquence de la pandémie mais l'objectif même visé à travers elle, son mensonge instillé, diffusé par les conspirateurs, en vue de l'établissement d'une dictature totalitaire mondiale. Ici, si vous êtes comme moi, à nouveau vous tiquerez : il est tout de même assez clair que la pandémie fonctionne, à l'échelle internationale,  plutôt comme un diviseur entre les nations que comme un unificateur. C'est oublier, « naïvement » le nouveau lapin que le prestidigitateur va sortir de sa poche : le vaccin que l'on va rendre « obligatoire » pour pouvoir sortir du confinement, vaccin qui « existe déjà », vaccin totalement « inutile » mais à la faveur duquel, incise bis, on vous implantera « une puce RFID »... Qu'es aco? Pas d' ça chez moi ! -  Et comment i vont m'l'inplanter cte saloperie, comment ça va marcher, inutile de demander, ce qui compte c'est que, hormis  les partisans du transhumanisme, qui ne se cabrerait devant cette perspective, trop atroce pour ne remuer tout un « cluster » de fantasmes? Soudain, au détour d'une phrase, vous êtes dans Matrix, vous êtes Neo. On ne vous a manipulés idéologiquement que pour pouvoir vous manipuler corporellement. Toute morale s'inscrit dans et par le corps, je l'ai dit en référence à Nitetzche, j'aurais pu dire Pascal, mais là on va bien bien plus loin. La réalité passe la philosophie. C'est d'un implant externe, pas d'un habitus qu'il s'agit, et d'un téléguidage plus que d'une manipulation, corporelle ou pas. D'où le flot des fantasmes qui se déversent en raz-de-marée…  - « Mes »(chers) neurones, cablés. « Mes » désirs, « mes » vouloirs, mes mouvements, machinés par des processeurs et des programmes. Horreur, vertige. Mais aussi: doute ; après tout Matrix, c'est du cinéma. Et la puce RFID enfilée comme un suppositoire, non, ça tient pas debout. On se déprend. IL l'a senti venir et anticipe, IL vous répond. Changement de terrain (leçon n°3 : savoir toujours passer à autre chose)  le scientifique, adepte des chiffres et des preuves, se transforme brutalement en « Spécialiste es manipulation » auquel le Royaume de Belgique et ses services secrets (J'avoue, en la matière ils ne sont pas terribles terribles) auraient fait appel, naguère, se heurtant à un refus éthique et radical de Notre Héros, auto-promu lanceur d'alerte... Ce n'était qu'une parenthèse. Personnelle. Avant une nouvelle rafale de « preuves », bien faibles à vrai dire, l'utilisation en Chine de la géolocalisation et du tracing (avec au passage - incise++- que le code vert est obtenu « Parce qu'on est favorable au Parti », à démontrer, n'importe) puis, tout à trac un nouveau lapin noir, « la 5G » qui,  comme de juste surgit et se déploie à la faveur du corona; sans que l'on se demande un instant « La 5 G l'aurions nous acceptée hormis le corona et la (pseudo) pandémie ? » - Comme nous avons accepté tt ce qui la précède et comme nous accepterons tout ce qui la suivra, à tort ou à raison, tenu pour un progrès technologique.... Et voilà, c'est fini, ou presque, la 5G c'est les chinois et ce sont eux qui ont inventé le virus et eux qui représentent notre futur : tout se tient, cqfd. Ne resteront que 2 choses, d'abord à en appeler à la révolte ou plutôt à la désobéissance civile, pourquoi pas, la neige dans le chemin invite à penser Thoreau, d'autre part à désamorcer tout soupçon en se mettant à la place de l'autre : « Je ne suis pas un conspirationniste » - Et pourquoi tu le serais pas, mec ? - Parce que le « conspirationnisme » a été inventée par les nazis et la CIA ( qui a récupéré les savants allemands après la 2° guerre mondiale.... ) et que donc taxer tt ce discours de « conspirationniste » c'est se réclamer de Goebbels... Quand on taxe de conspirationnisme un conspirationniste on est un conspirationniste, génial non ? - Leçon n°4 ; Bon, peut-être que je suis un disciple de Goebbels et de la CIA mais, en tant que spécialiste désormais titré et patenté, on ne me la fera pas comme ça. Question essentielle: pourquoi les gens ils vont pas descendre dans la rue, sortir du confinement en secouant des casseroles, comme tu le demandes, mec. Parce qu'ils pensent que la pandémie c'est pas une pseudo-pandémie, et qu'ils veulent vivre. Les vrais mouvements de masse ils se font toujours au nom de la vie et de l'impossibilité de vivre. Et les martiens dans tt ça ? - Tu les as oubliés. Or, qui manipule les dirigeants chinois ? - On peut à la fois penser que l'analyseur exhume des structures, esquisse un futurible et pourtant que l'ensemble échappe à tous, gouvernants compris. Soit, que les hommes font l'histoire mais ne savent pas ce qu'ils font pour dire presque comme Marx. Ibant obscuri... Pris dans les fils de leur propre bave et les bugs d'un programme que nul n'écrit mais dont certains profitent, et ça dure, a duré. Durera?- Naïf, j'ai voulu en savoir un peu plus sur l'auteur de la video. Son nom dans Google ne renvoie étrangement à rien ou presque, youTube, ses videos, quelques ouvrages ; « les données personnelles ont été effacées ». Parmi les rares informations, la référence à un livre qu'IL a écrit, défense et Illustration d'un médecin allemand, plus que controversé, emprisonné en Allemagne et et en France, antisémite proclamé et pourfendeur du complot juif et francmac. Plus de détails ici, pour les sceptiques: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ryke_Geerd_Hamer. En dessous de la video les commentaires des internautes, des like à en pleuvoir, « Vous êtes une bonne personne, cela se voit sur votre visage », et parfois des restrictions comme celle-ci : on ne peut pas dire que Goebbels & alter sont à l'origine du concept de « conspirationnisme » parce qu'en vérité ils ont été (et sont) victimes du complot ourdi par les communistes, les juifs et les américains réunis.

 

Dimanche 12 Avril

Dimanche c'est Dimanche et en plus celui-ci est de Pâques. Le Pape, c'est fini, il a déjà prononcé son homélie devant la place Saint Pierre, déserte. Pas une ouaille en vue sauf un journaliste là-bas à faire le cierge. Parfait, voici pour le Saint-Père l'occasion de méditer la dernière parole du Christ, selon St Mathieu & St Marc : « Mon dieu, mon dieu, pourquoi m'as tu abandonné », qu'il clama juste avant qu'on lui tende l'éponge avec le vinaigre. Le Pape se fait un selfie, le selfie, huitre narcissique, est la forme moderne du baiser au lépreux. Cependant, au grand dam des Maires de la Baule et du Touquet, des vacanciers rebelles-débrouillards ont réussi, depuis Paris, à franchir barrages de police et ligne de démarcation. Il suffit de regarder les façades des immeubles en bordure de mer pour le constater, ces fenêtres étaient fermées, elles sont ouvertes. Il fait beau. Des enfants jouent dans la rue, profitent de la fin du confinement puisque c'est les vacances. Les parents vont chercher des légumes frais chez les producteurs locaux, c'est moins cher qu'à Paris, un geste solidaire et plus-que-français. Comment ils ont fait ? Arrivés en pleine nuit en prenant par les petites routes, on peut pas mettre un flic à chaque carrefour et en plus les flics ce sont des hommes, ils ont besoin de sommeil, ils sont en « première ligne ». Les maires se désolent ; une fois que les vacanciers sont là on peut plus rien faire, c'était déjà la même chose il y a un mois, juste avant le confinement quand 12% des France-Iliens ont émigré vers leurs résidences secondaires. E.S, une lectrice, bretonne, me confirme la chose. Chez elle on a trouvé plein de voitures les pneux crevés. Les Bretons n'ont pas le sens de l'hospitalité. Ils ne sont pas des Corses.

 

 

Lundi 13 Avril 

Ce soir,  Macron. De la bombe. Tout le monde attend en avalant son souffle, geste barrière à pratiquer sous contrôle thérapeutique. La Française des Jeux manque d'imagination. On peut même pas jouer en ligne en pariant sur la durée du confinement qu'IL va annoncer.  A midi, aux infos, pain sec, gruau; des chiffres, ils montent en Angleterre et en Espagne, ils stagnent en Italie et en France, tout en restant très haut ce n'est pas rassurant. On vous l'avait bien dit, plus de pic, on est sur un plateau, c'est encourageant, attention à la deuxième vague, une vague solitaire c'est un tsunami. Devant l'Elysée, sous un parapluie, une journaliste, elle a accepté le rôle, très ingrat, de dire qu'elle n'a rien à dire sauf que le « Chef de l'Etat » va le dire. D'après ce qu'elle sait ça va être long, on en aura pour notre redevance. Chic, on commençait à s'ennuyer ferme devant l'écran. Chef de l'Etat m'arrête vs Président de la République ; il faudrait que je cherche: je vois bien la différence, tous les chefs d'état ne sont pas des présidents de la république et tous les présidents de la république sont des Chefs d'Etat, mais quand disent-ils Chef de l'Etat et quand Président de la République et quelle différence entre Chef de l'Etat et Duce ou Furher ?- Kaputt. Je vais tout de même pas me taper tous les avant discours pour saisir la logique, s'il en est une, de la mise-en-bouche. Plutôt que de perdre mon temps, j'ai décidé d'aller faire un tour sur legiFrance, je n'y vais jamais, j'ai bien tort. Mon idée: voir les décrets ou lois qui touchent à la situation actuelle. A l'arrière-plan, mais je ne fais ici que l'indiquer, la relation entre politique et santé, elle me travaille depuis quelques jours. Donc, immersion dans les eaux troubles du Code de la santé Publique. C'est un  domaine dans lequel je ne connais rien, et une visite que je ne conseille qu'à des personnes souffrant de graves troubles du sommeil. Les lois, dans ce domaine et sans doute d'autres,  je me les imaginais comme relativement claires et stables, elles sont loin de correspondre à cette image. Claires, peut-être pour un juriste professionnel, je ne le suis pas. Stables, que non, je puis le constater aisément, compte tenu du nombre de modifications qu'on leur apporte au point que l'on peut avoir l'impression qu'elles ne sont qu'ad hoc, du rabibochage. Assez vite cependant, engagé sans coupe coupe dans le maquis, j'achoppe sur une loi qui me semble correspondre à certains aspects de la situation. Il s'agit de l'article L1413-4, concernant les rôles et responsabilités de l'ARS. Je lis : «A la demande du ministre chargé de la santé, l'agence procède à l'acquisition, la fabrication, l'importation, le stockage, le transport, la distribution et l'exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves. Elle assure, dans les mêmes conditions, leur renouvellement et leur éventuelle destruction.» - Vieille loi, elle date de 2016 et je pense qu'il faudrait vite la modifier pour l'adapter au contexte. Sans quoi diverses responsabilités, par rapport à la question des tests, des masques etc. risqueraient fort d'être engagées, sachant que « menaces sanitaires graves » est, antérieurement bien défini, notamment par l'utilisation du mot « épidémie ». Bêtement j'en déduis « si moi pas avoir de masques toi pas avoir fait ton boulot ». On the road again. Cette fois je tombe sur une loi bien plus contextualisée, du 23 Mars, 7 jours après le début du confinement. Cette loi en modifie une autre, L. 3131-1 qui elle-même a subi diverses interventions. Les lois sont des palimpsestes. Celle-ci dit, version initiale : «En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l'objet d'une information du procureur de la République. Le représentant de l'Etat dans le département et les personnes placées sous son autorité sont tenus de préserver la confidentialité des données recueillies à l'égard des tiers. Le représentant de l'Etat rend compte au ministre chargé de la santé des actions entreprises et des résultats obtenus en application du présent article» - Bien, si l'on peut dire. Maintenant, ayant appris à naviguer, voyons au 23 Mars ce qu'il en est. Modifications (il en est pas mal...) : «Le premier alinéa de l'article L. 3131-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire» - « Après la fin de l'état d'urgence...afin de... » - Je lis et relis et ne vois pas d'autre interprétation que celle-ci «Même si c'est fini, ça peut recommencer et donc... » - Si ce n'est pas nous plonger dans l'indéfini, je ne comprends pas. « Durable », combien de jours, de mois, d'années ? - Selon les caprices du nouveau Dieu Virus, inlassablement décrit comme « fourbe, mystérieux, imprévisible » ? - Pas tout à fait : «La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19.


« Art. L. 3131-14.- La loi autorisant la prorogation au delà d'un mois de l'état d'urgence sanitaire fixe sa durée. » Il y a donc une limite : 30 jours. Sinon que l'article 4 de la même loi corrige : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi » - J'avais dit ad hoc, il me semble que c'est un peu le cas, et qu'il y a gros à parier que le Président-Chef jouisse de la latitude accordée pour prolonger comme il le voudra l'actuel confinement et tout ou partie des mesures réglementaires, concernant activités, déplacements etc. On verra bien demain. Par contre, une question me vient dès maintenant ; cette loi a été promulguée le 23 Mars. Je ne sais pas combien de temps cela prend d'écrire et promulguer une telle loi mais il me paraît plausible que cela ne se fasse pas en quelques minutes ou quelques heures : au moins des jours. Ce qui signifie que la loi en cause a été élaborée début Mars. Elle a été présentée au conseil des Ministres le Mercredi 18. Pourquoi ce délai ? - Le 15, ce sont les élections Municipales, voilà pourquoi. Impossible de les maintenir ET promulguer la loi qui reconnait l'Etat d'Urgence Sanitaire avec l'ensemble des mesures et conséquences que cela implique et, en fait, le report des élections. Dont on sait (contaminations et morts, je ne trouve aucune statistique globale) quelles furent les conséquences. On dira que je chipote, ou pire que de quoi je me mêle et qu'en sais-tu. Possible, je vois par contre, me concernant, que dès maintenant certaines dates se brouillent dans ma mémoire et que, ne tiendrais-je ce journal, elles disparaitraient corps et bien comme avec elles les lignes de force, la charpente de ce que nous vivons. Je l'ai dit dans le post d'hier, je ne suis pas un conspirationniste. Avec humour une lectrice, F.G.L, me signale, reprenant la dernière phrase que certains juifs ne sont pas communistes. Tiens, une idée, plus créative. Là, en attendant Macron, j'ai bien envie de me distraire.

Tous les communistes ne sont pas des juifs

quelques juifs sont des communistes

certains ne sont ni juifs ni communistes ni américains

il existe des communistes américains qui ne sont pas juifs

il existe des juifs américains qui ne sont pas communistes

il existe des noirs américains qui ne sont pas juifs et qui sont communistes

certains noirs américains sont des noires

certaines noires ne sont pas américaines

il existe des mexicains et des arabes

quelques mexicains sont des arabes et sont shizophrènes

certains mexicains sont des américains anti-communistes

la plupart des arabes ne sont pas des juifs

il existe des femmes arabes qui ne sont pas communistes ni noires

ils existe des noirs américains qui sont communistes et n'aiment pas les femmes blanches qui sont juives

il existe des femmes blanches qui sont américaines et qui n'aiment pas les noirs surtout s'ils sont communistes et sauf ceux qui sont juifs ou américains

quelques chinois sont catholiques et sont paranoïaques

il n'existe pas de catholiques qui soient juifs et chinois ou ils sont schizophrènes

il existe des communistes noirs qui ne sont pas chinois ou mexicains et sont américains et n'aiment pas les femmes arabes sauf si elles sont américaines ou mexicaines et catholiques

// To do:

//......contaminé, contaminés, contaminée,contaminées, bruns, brunes, //grosses, obèses, sveltes, blondes, porteurs sains, porteuses saines, //roux, rousses, vieux, jeunes, vieilles...

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IL va parler. Je tords le cou au poème qui vagit.

 

Mardi 14 avril

IL a parlé. Elie, Ophélie et moi avons fait hémicycle autour de la télé; je me suis servi un whisky, eux une bière. Comme je me suis interdit de « revoir » le discours, les lignes qui suivent ne peuvent prétendre qu'à décrire quelques impressions, mais peut-être cette procédure est-elle aussi intéressante que celle qui aurait consisté à dépiauter, pour autopsie, chacune des phrases. Le premier sentiment, début du discours, est que le ton général a changé. Bien sûr, ça et là, émergent des lambeaux de la rhétorique guerrière, première ligne, seconde ligne, troisième ligne, front, tenir etc. Mais, sourdine au clairon, il ne s'agit plus d'un Appel à la Mobilisation Générale, plutôt d'un discours empathique, quant aux efforts consentis dont « JE» (JE c'est lui...) est parfaitement conscient ; ainsi IL sait et il souffre avec nous, qui avons accepté d'appliquer les mesures qu'IL a prises et dont NOUS (NOUS=JE+NOUS) devons constater l'efficacité, puisque les Chiffres montrent que l'épidémie régresse et que le nombre des  patients hospitalisés et des lits libérés dans les structures hospitalières diminue. De combien ? - ON ne s'attardera pas à ce détail. Certes, il a pu constater qu'il y avait eu des ratés, (ON le lui accordera!) : sauf que ces ratés (présents partout au monde, c'est faux) IL les met au compte du même NOUS, et de la perversité du virus, « invisible et imprévisible », ça rime joliment, bien que peu de virus se remarquent à l'oeil nu. Là, pour le coup, c'est JE qu'il devrait dire et nous expliquer ce qu'IL a fait pour corriger les ratés, sinon les anticiper; ce passage, aux allures d'avoeu, il est sans doute habile, politiquement, je veux dire rhétoriquement, pour échanger l'image et la distance du Grand Timonier contre celle de la proximité. Errare humanum est... Suffit-il à habiller le roi quand il est nu? Tel, il m'intéresse, en tant que poète: la poésie commence où l'on cesse de jouer, tantôt pour inclure, tantôt pour s'exclure, sur les pronoms personnels, JE, NOUS, IL, ILS, ELLES. Et que l'on reconnaît une autre puissance, celle du truc, du machin ou du ça, qui s'impose, fait silence. Mais la poésie on s'en fout: NOUS sommes sur la bonne voie sans être pour autant sortis d'affaire. Là va survenir la première annonce, car IL sait aussi que l'on ne peut continuer indéfiniment et qu'un « jusqu'à quand » est inévitable. Je me sers un autre whisky, attendant la sentence. Elle arrive : « Jusqu'au 11 Mai ». Pourquoi ce terme? - Il ne s'y arrêtera pas, mais il est facile de deviner. IL est placé pour savoir que masques et tests ne seront pas disponibles auparavant en masse, et qu'il s'agit d'un préalable obligatoire à la fin du confinement: enfin! on pourra faire ce qu'on aurait du pouvoir faire depuis un ou deux mois (et que les Allemands font, avec succès), tel est le sens, ou plutôt le non-dit et , background, qu'à la date en question fin du confinement et fin de l'épidémie ne coincideront pas du tout. Exploit de parvenir « en même temps » à dire que l'on « déconfine » sans que l'épidémie n'ait disparu alors que depuis un mois le confinement a été présenté comme la mesure essentielle (la seule en fait) pour lutter contre elle.... Donc l'on va déconfiner, oui, mais progressivement, piano piano, et quasiment au cas par cas. Exemples qui suivent, les écoles et nombre d'activités économiques industrielles ou commerciales. Là, je tique. Les écoles, qu'IL a fermées en premier, pourquoi les réouvrir le 11 Mai ? - IL répond, souci de justice sociale, fracture numérique, inégalités de logement ou inégalités en général. C'est louable. Cela n'était-il pas valable il y a un mois, et bien plus, ajouterais-je? - Et pourquoi ceci vaudrait-il pour les crêches et les écoles, maternelles, élémentaires et pas pour le supérieur ajouterais-je encore? - Réponse simple, connue depuis longtemps (au moins le XVII° siècle): l'existence de structures pour accueillir les enfants (petits) est la condition minimale pour qu'il y aie des travailleurs et surtout des travailleuses. En d'autres termes: si l'on veut que reprenne la production, l'école doit être ouverte, le reste c'est du vent. L'analyseur fonctionne. Il met à nu le socle, le soubassement. Quant à savoir comment on concilie la maternelle avec les gestes barrière, IL s'en sort, élégamment : «Au ministre de voir», je lui souhaite bien du plaisir. J''imagine une classe avec huit ou dix bambins porteurs d'un masque et dispersés à 3 mètres les uns des autres tandis que Maître ou Maîtresse, eux-aussi masqués (il y en a une de trois ans que ça terrorise, les autres rigolent en faisant coin-coin) officie en respectant la distantiation. Une petite lève le doigt, elle veut aller pisser, on fait comment pour l'accompagner? - Et la récré? - Non, plus de récré; faut bosser dur pour rattraper le temps perdu, le brevet et le bac s'approchent. Reste ceux qui demeureront confinés. Suit une liste de catégories, bars, restaurants, hôtels, musées, cinémas, théâtres, lieux de culture... Suit une liste d'événements, gros festivals, rassemblements variés etc. Plus une classe bien plus problématique à tous égards, elle rassemble aussi bien des personnes atteintes de maladies chroniques ou atteintes de handicaps que des personnes « âgées », tous sous le chapeau commun de « personnes les plus vulnérables » -Là je ne tique plus, je m'étouffe. Et par scrupule de logicien demande à Elie et Ophélie s'ils ont entendu comme moi, soit « personnes atteintes etc OU personnes sévérement handicapées OU personnes âgées » , ou bien s'ils ont entendu (je suis un peu sourd, par bonheur non sévèrement) (« personnes atteintes etc. OU personnes handicapées) && (âgées) », distinction qui n'a rien de secondaire. Non, ils ont entendu comme moi: OU, OU, OU... M'étant déjà bien ét-ou-ffé, je bondis. T-ou-t âgé que je sois j'en trouve la force. Cela fait plus d'un mois que je sors pour aller faire des courses, comme bien d'autres « personnes âgées » que je croise au super-marché et là ce qui ne posait pas problème naguère en devient un tout à trac? Et pourquoi donc? Parce que j'ai vieilli d'un mois? Et ça va se passer comment? Au facies? A la date de naissance portée par ma carte d'identité que j'aurais à présenter dans une rue qui ne sera plus déserte, et sur réquisition de quel Garde Champêtre? - Tant qu'on y est va-t-on prétendre me faire coudre sur mes vêtements une étoile, et de quelle couleur, grise? - Aidé par une suggestion d'un ami-lecteur, J.J.A, me revient en mémoire ce qui se passait, il y a quelques siècles, entre 1000 et 1700, s'agissant des lépreux. Sur repérage d'après les symptômes caractéristiques de cette maladie ou sur dénonciation par un tiers, le lépreux passait devant une sorte de tribunal où figuraient un prêtre, le prévost et un médecin. S'ils le jugeaient bon, ceux-ci condamnaient le lépreux à rejoindre une « maladrerie », une messe des morts était dite et l'on recouvrait la tête du condamné d'une poignée de terre en provenance du cimetière. Pas encore mort mais presque. De la « maladrerie » interdiction absolue de sortir, sauf pour les jours de fête. Auquel cas, comme dit, à Rodez, un décret de 1541 "Les dimanches et jours de fêtes et autres jours accoutumés, les dits maladres viendront dans la ville de Rodez et autres lieux accoutumés pour faire la quête; et ils seront tenus de se retirer et demeurer séparés et non se mélanger aux autres ; et quand ils passeront par les rues, ils sonneront les crécelles afin que les passants s’éloignent d’eux et de leur haleine." - Qualifiées par la liturgie catholique « d'instruments des ténèbres », les crécelles pour les vieux voici une idée simple à soumettre au conseil scientifique et au gouvernement, efficace à condition bien sûr que l'on puisse en trouver suffisamment dans les stocks français sans avoir à les commander en Chine. Quant à la fin du discours présidentiel, j'avoue, j'ai un peu décroché, notant seulement qu'au moment où il était question de « construire le futur de l'après » celui ou celle qui doublait, en bas de l'écran, avait écrit « fouto » à la place de futur. Il est vrai que le futur, en ce moment du moins, c'est souvent un foutoir.

   

Mercredi 15 avril

A la télé, sur le web, nous avons tous vu des photos du « Corona » ; prises au microscope éléctronique, joliment colorées (mais ces couleurs, ici rouges et noires, là jaunes incandescent d'où viennent elles, sont-elles réalistes?) elles nous livrent le visage de l'Ennemi. Pas vaiment inquiétant et même pas étrange. Une sorte de choux-fleur. La rotondité fait partie archaîque des attributs du Divin et la disposition symétrique des minuscules excroissances comme un bouquet d'oeillets rajoute à la perfection rationnelle de la figure. En le contemplant on ne songe pas à rien. A quoi ? En premier lieu me vient l'image d'un oursin, créature assez rudimentaire mais plutôt sympathique, sauf les gros noirs et tant qu'on n'y pose le pied. A déguster, au soleil, sur un rocher, fraichement pêchés et accompagnés d'un verre de vermentinu. A Pâques, en Corse, il est coutumier de s'adonner, amis et famille, à cette fantaisie gastronomique, dont l'Autre nous aura férocement privés, au moins pour cette année. A cette première image une seconde se superpose : une fleur de pissenlit, très précisément celle que l'on trouve comme logo pour Larousse, ou, de façon plus naturelle, dans les champs printanniers. Les enfants les cueillent et ils soufflent, libérant de petits parachutes qui tombent en une pluie hésitante et fragile. Je sème à tout vent. La légende, le slogan, s'applique bien au Corona, postillons à la place des parachutes. Ayant scanné le logo de mon vieux Larousse et récupéré une image du Corona j'ai vérifié, un petit stage sur Photoshop le tour est joué, un poème visuel que j'envoie à un ami J.B, poète lui aussi. Il me répond, tiens ça c'est drôle, j'ai fait la même chose avec un « vrai » pissenlit. Les images connotent autant que les mots, elles sont des agrégats comme aurait dit Lucrèce à propos des réunions d'atomes « crochus », ensemble molaires qui dérivent dans le vide et constituent le tissu non-compact des mondes. J'ai réfléchi à la « proposition » de J.B ; un « vrai » pisentlit est-ce mieux que le logo de Larousse ? - J'en ai conclu que non, les vrais pissenlits n'impliquent pas les mots, eux aussi réunions de graphèmes crochetés les uns aux autres et toujours prêts à disjoindre pour générer de nouveaux assemblages. Les mots comme virus. C'est Burroughs, c'est la révolution électronique, à relire comme le dit et le fait E.B, autre lecteur qui m'envoie une video. Oursins, pissenlits, pas de quoi frémir. Le Corona se serait-il doté d'une figure aussi débonnaire pour mieux nous abuser ? Ou se pourrait-il que cette figure ne soit qu'un déguisement pour une troisième image, beaucoup plus menaçante et que je sens, proche, il va falloir s'en saisir. Elle me frôle. J'ai déjà vu cela. Mais où? Mais quand? - Ca m'est revenu au cours de la nuit. Plongeur, il m'est arrivé de tomber sur des mines immergées depuis la 2° guerre mondiale. L'engin se présente comme une sphère en métal nantie d'une champignonnière d'appendices courtauds répartis régulièrement à la surface de la sphère, des détonateurs je pense. Ordinairement enchainées au fond par une chaine, elles ne dérivent pas, restent les unes auprès des autres (à bonne distance cependant), se balancent au grè des courants et forment ainsi ce que l'on nomme un « champ de mines ». En tout cas voici que le Corona révèle sa vraie nature, son potentiel d'agressivité explosive... Des mines de ce genre, rares en Corse, abondent en d'autres lieux, notamment Brest, dans la rade où régulièrement la Marine Nationale et ses plongeurs démineurs en font exploser une. Brest, bingo! - Les medias viennent d'annoncer que le virus s'est invité à bord du Charles de Gaulle, porte-avions atomique « fleuron » de la flotte française, unique exemplaire en Europe. On vient juste de le rénover, c'est un monstre gris et racé, fourmillant d'antennes et de tourelles. Bourré d'électronique il est capable de rester des mois en mer. Là, parti le 21 Janvier, il était posté au Moyen Orient et il est revenu, escale à Malte, escale à Brest le 13 Mars pour 3 jours avant de reprendre la mer vers l'Atlantique Nord. A Brest, le virus était à l'attendre. « Nous sommes en guerre », il ne fallait pas le provoquer. Les civils étant presque tous planqués, il s'est détourné d'eux et refusé le combat en rase campagne ou dans ces villes que l'on détrempe au désinfectant. Frapper là où l'on ne vous attend pas, c'est vieux comme l'art de la Guerre et les ruses de Sun Tzu. Comment s'est-il transporté à Brest, mystère. La nuit, sans doute, par des routes départementales, dissimulé dans le coffre d'un vacancier fuyard qui, depuis l'Ile de France a regagné victorieusement sa résidence secondaire, sise sur une île, avec une vue imprenable sur le large et le bon air. Auparavant, comme les enfants sont fatigués ou vomissent, on s'arrêtera à Brest, une nuit à l'hôtel dans le Triangle d'or, nom donné au quartier qui domine les remparts, le port, la rade. Le virus n'en demandait pas plus. Désormais il ne lui reste qu'à patienter et guetter l'orgueilleuse arrivée du porte-avions dans la rade, les ancres impeccablement larguées, les signaux de mouillage hissés au pavoi, les chaloupes mises à la mer et les marins qui débarquent pour fêter ça. Beaucoup d'entre eux sont des bretons, ils connaissent Brest, et le Triangle d'or et Recouvrance, ses bars, ses boites, ses restaurants.Tous lieux où retrouver amis, amies, familles. On les entend chanter, plus tard ils déchanteront. A Toulon quand ils débarqueront cette fois en ambulance et sous escorte, les 2/3 d'entre eux contaminés par le virus qui s'est répandu très exactement selon l'expression de Bocacce « tel un feu dans du bois sec ». Deux mille hommes, circulant dans un dédale de coursives étroites, travaillant aux machines dans une nécessaire promiscuité, prenant leurs repas et dormant en commun, le Corona s'est lêché les babines et précipité, le loup dans la bergerie. Dès le l'escale à Brest certains cas positifs auraient été détectés et le commandant en aurait averti l'état-major demandant qu'on annulle la mission: vrai ou faux ? - Une enquête est en cours, en «totale transparence» et nous en connaitrons les résultats. Bientôt. Cela fait 52 ans que les familles des victimes (95) du krash de la Caravelle Ajaccio-Nice réclament, du Ministère de la Défense, que toute la lumière soit faite concernant un éventuel tir de missile par l'Armée. Depuis 2018 le juge en charge du dossier estime cette hypothèse « à prendre très au sérieux » et demande la déclassification des documents militaires qui la concernent. De visite en Corse E. Macron (Elie mon fils l'a baptisé « Manu militari ») a plus récemment annoncé cette déclassification. Depuis lors, comme on dit, l'affaire suit son cours... Pianu pianu... ou si l'on préfère : « Plan-Plan ».

 

 

Jeudi 16 avril

Journée studieuse. Les photos dont j'ai parlé hier plaisent aux medias et parlent à l'imagination mais si l'on veut savoir à quoi l'on a affaire, il faut aller un peu plus loin. Soudain, quelle honte, je constate qu'au fond des virus, je ne sais pas grand chose. Vous si? - Moi, ça me dérange de constater que je pourrais mourir de je ne sais quoi. Bizarrement, susceptible en quelques mots d'expliquer ce qu'est un virus informatique je suis bien incapable de répondre à des questions, même rudimentaires, concernant les « vrais » virus. Je m'informe auprès d'Elie et d'Ophélie tandis que la télé nous apprend que le Corona a provoqué plus de 7000 morts (chiffre non consolidé) dans les Ehpad. Elle pense que c'est « une sorte de bactérie », lui n'est pas d'accord « c'est un microbe, mais plus petit » et je ne suis pas très convaincu. Dans un repli de sa mémoire éléphantesque, énorme éponge gorgée de dates, de chiffres, de faits, de discours, de propos, de chats photographiés sous tous les angles, de formules pour fabriquer un cocktail molotov ou une tarte au citron, Google doit avoir stocké la réponse. Interroger l'Oracle sis sur son Nuage. Tout sur les virus, après tout nous avons le temps, attachons nos ceintures. Très vite je tombe sur la « définition » que propose l'un des Maîtres es virologie, A. Lwoff. « un virus  c'est un virus » ; tautologie déconcertante et dont j'ai mis quelque temps à saisir la portée, savoir qu'on ne peut définir le virus que par lui-même, ou, si l'on préfère qu'il y a un monde viral à aborder non via une « définition » mais en mettant à jour ses propriétés. Vulgairement parlant, de mon chien je puis dire qu'il « appartient » aux canidés, lesquels appartiennent aux mammifères, êtres vivants multicellulaires dont chacune des cellules comporte un noyau et est capable de se dupliquer d'une manière ou d'une autre, meiose, mitose, et pas mal d'autres mots qui rappellent de mauvais souvenirs. Parlant d'une bactérie on peut procéder de la même façon, sinon qu'elle n'aura pas de noyau et se dupliquera autrement, par scissiparité. Or voici une classe qui n'appartient à rien sinon à l'être, ce qui n'avance pas à grand chose ou ne permet d'établir, assez pauvre proposition que les virus sont des entités qui existent. Dire, comme certains, que les virus sont des agents infectieux ne revient qu'à noyer le poisson, car il y a de nombreux « agents infectieux » et l'on voit bien qu'à souhaiter distinguer les virus on va retrouver la tautologie de Lwoff : les virus sont des agents infectieux viraux. Ceci admis (tant bien que mal) porte à penser que les virus, monde à part, ni ne s'inscrivent dans l'ensemble des êtres vivants, ni dans celui des objets matériels, sans même que l'on puisse dire qu'ils constituent un intermédiaire. Mille questions s'élèvent. La tête me tourne. Sont-ils nés avant les organismes vivants les plus rudimentaires? - Certains le disent. Sommes nous leurs arrière-arrière petits-fils? Sont-ils au contraire des sous-produits de la vie, apparus après elle? - Certains le croient. Ou, pourquoi pas, en même temps et flottant de concert dans la même soupe primordiale? - Certains l'envisagent. Enfin comment les insérer dans la théorie qui, en biologie, du temps où j'ai passé le bac et même un peu après, occupait une place majeure, celle de l'évolution? Tout ceci est bien mystérieux et l'on se rend vite compte qu'y sont impliquées des notions aussi générales que celle d'êtres vivants et des critères par lesquels les vivants ou le vivant se caractérisent. Les biologistes, dès Claude Bernard, ont perçu ce genre de difficultés qu'ils résolvent de la même façon que l'on résout celle de la marche: en marchant. « La méthode qui consiste à définir et à tout déduire d'une définition peut convenir aux sciences de l'esprit, mais elle est contraire à l'esprit même des sciences expérimentales. En conséquence, il suffit que l'on s'entende sur le mot vie pour l'employer et il est illusoire et chimérique, contraire à l'esprit même de la science, d'en chercher une définition absolue » - C'est Claude Bernard qui parle, dans ses leçons de 1878; Lwoff serait sans doute d'accord avec lui. Tout en ignorant si les virus sont ou ne sont pas des vivants, on peut les étudier, les décrire, les classer. Montrer par exemple qu'ils sont, par eux-mêmes et bien que nantis d'un génome, incapables de se repliquer et d'atteindre, comme disait Jacob, au rêve de « toute cellule, devenir deux » ; pour cela ils ont besoin d'une cellule hôte qu'ils parasitent en détournant sa machinerie cellulaire de façon plus ou moins agressive. Le virus, en ce sens c'est un cheval de Troie, antique, ou un Trojan Horse, version contemporaine dans l'univers informatique. Difficile alors de considérer les virus comme des «vivants» tant la question de la reproduction est importante dans le contexte de la théorie de l'évolution et tant la structure des virus, ce génome grossièrement emballé, peut sembler rudimentaire. Mais aussi difficile de considérer qu'ils ne s'accordent pas au règne des vivants et que leur monde est en quelque sorte un monde parallèle au nôtre, dans lequel ils ne pénétreraient que par effraction. D'autant plus que ce monde, très différencié (ADN, ARN, virus à enveloppes, virus nus...) est aussi un monde surpeuplé (on estime à 1031 le nombre de virus présents sur terre...) et omniprésent: dans les océans, dans l'air, dans les grains de sable que les vents charrient d'un continent à un autre, dans la banquise, et jusque dans l'organisme humain, où en chacun de ces cas leur rôle est très éloigné de ce que le mot virus et la pandémie actuelle suggèrent. Le « détournement de la machinerie cellulaire » peut aller jusqu'à la destruction de la cellule et du système cellulaire global, mais les choses ne se passent pas toujours, et de loin, de la sorte; plus que d'une agression « violente » il s'agit d'une véritable symbiose où le virus s'installe et persiste dans la cellule-hôte en la colonisant jusqu'à s'intégrer au patrimoine génétique, chacun des 2 partenaires trouvant son compte. Un bel exemple en serait donné par le placenta sans lequel le bébé humain ne peut se développer mais qui, lié à l'embryon, est « vécu » par l'organisme maternel comme une intrusion déclenchant des réactions de rejet immunitaire. Or une certaine catégorie de virus intégrés sous forme « dormante » depuis des millions d'années au génome humain (Human Endogenous Retrovirusses) est extrémement présente dans le placenta et ils ont la propriété de « neutraliser » ces réactions de rejet, ce qui permet à l'embryon de se développer paisiblement. On pourrait en dire tout autant à propos des virus « bactériophages » qui, en permanence présents dans les organes digestifs humains comme dans bien d'autres lieux riches en bactéries, y assurent le rôle de nettoyeurs en éliminant celles-ci et, de façon plus générale que si les virus ne sont pas des êtres vivants ils font partie avec eux d'un écosystème largement inconnu de nos jours: entrer en guerre contre « les virus » serait ainsi, bien plus qu'une impossibilité, une forme de suicide ou de guerre contre soi. Qu'il soit difficile, pour l'humain, d'établir un pacte de non agression avec le corona est une autre affaire. Lui ne dort ni ne chôme et la validité de la stratégie « cohabitative » développée en Suède reste à démontrer. Que certains virus soient dévastateurs ne fait pas de leur peuple une horde de croquemitaines et il me semble inutile d'ajouter au large éventail du racisme une cible de plus. Justice pour les virus, nous sommes dans le même panier. Dans la Peste ce sont des rats titubant le sang au museau qui marquent le début de l'épidémie, ils meurent en masse, les chats les suivent. Mais c'est aussi la réapparition de rats trottinant et forniquant dans les greniers d'Oran qui annoncent la fin du fléau et le retour des chats. Quant à savoir qui était LUCA (our « Last Universal Common Ancestor ») sorry... Dans une autre vie, au risque d'échouer, je passerai mon bac série SVT. - N.B pour Ophélie: il existe des dizaines de virus géants, bien plus gros que des bactéries.

 

Vendredi 17 avril

180000 (j'arrondis...) morts dans le monde, américains en tête, puis les italiens, les espagnols, 21000 français (en chiffres non consolidés) les anglais qui connaissent une remontée fulgurante... Les Allemands s'en sortent, ils vont déconfiner, tout en redoutant une seconde vague qu'ils se déclarent prêts à affronter. Exceptés les Anglais tout le monde scrute les statistiques pour y déceler des « signes encourageants », le dépassement du « pic », l'advenue du « plateau », lequel, quand on y regarde de plus près, s'avère très accidenté, avec des dents de scie d'un jour à l'autre et de grandes variations selon les lieux. En vérité, bien plus qu'optimisme, ou même pessimisme, c'est l'incertitude, le doute qui semblent dominer. Oui, l'on déconfinera, c'est annoncé, il y a même une date, et comment faire autrement, on ne va pas tout de même rester cloîtrés toute notre vie, mais, outre le flou qui accompagne les modalités de la « reprise » et l'éventualité d'un retour de flammes de l'épidémie, d'autres chiffres surgissent, ils tendent insidieusement à remplacer ceux des hospitalisations ou des décès. Insistant sur la facture économique ils contribuent fortement à ce climat, morose d'incertitude. Le patron du Medef enfonce le clou. Il dit tout haut ce que chacun redoute tout bas. Que l'on n'espère pas que tous les emplois soient préservés, qu’il faudra se poser la question « du temps de travail, des jours fériés et des congés payés » a-t-il déjà déclaré. Car il faudra bien que quelqu'un la règle, cette facture, ce total de faillites et d'aides, en clair qu'après les « efforts » liés au confinement, l'ère qui s'ouvrira le 11 Mai sera celle du sacrifice. Retroussez-vous les manches et crachez dans vos mains. De quoi se réjouir. On avait le confinement sans le travail; on aura le travail et le maintien atténué du confinement et, surtout l'assaut donné à un ensemble de droits qui naguère semblaient acquis ou difficiles à rogner. Non pas (hier) au nom de la « compétitivité » mais du redémarrage de l'économie, la plus sainte des lois demeurant celle du profit. « Résilience » dira-t-on, bonheur d'utiliser un mot à la mode... Demain sera « reconstructif » ou ne sera pas. On reprendra, certes, mais pas dans l'enthousiasme, ce genre d'enthousiasme qui a suivi la Libération,  on reprendra, que faire d'autre, dans cet état d'esprit qui suit une grêve soldée par un échec. On reprendra avec la mort dans l'âme, sans même que « le fléau », dirait Camus, ait cessé de siffler au dessus des têtes, des échines que l'on courbe. La nouvelle Etape, vue par le Medef, ne marquera pas un monde nouveau mais le retour du même, en pire, au nom de la Nouvelle Urgence: produire plus pour compenser le retard, ce qui signifie que les « leçons » concernant la pandémie et le contexte, je veux dire le complexe au sein duquel elle se situe, au lieu d'être tirées, l'on va les occulter en invoquant cette même Urgence. Exemple: le réchauffement climatique, hier souci (affirmé!) majeur sinon prioritaire, et qui est corrélé à la pandémie par de multiples facteurs. Va-t-on le mettre au centre de la Nouvelle Etape ou au contraire le reléguer en marge ? - En tout cas le patron du Medef qui nous parle de mettre les bouchées doubles ne semble guère s'en souvenir, pas plus que les Tchèques qui ne trouvent rien de mieux à faire qu'à demander l'abandon du Green Deal européen, car « Il faut mettre le focus sur l'épidémie », pas plus que les USA où Trump argue du corona pour demander qu'on assouplisse les règles des contrôles anti-pollution sur les véhicules... Vue sous cet angle l'analyseur-pandémique révèle la forme exacerbée et fondamentale d'un chantage à la soumission économique, qui, d'ordinaire semi-vécu, s'exprime comme un « c'est ainsi parce qu'on ne peut faire autrement », celle d'un pseudo-réalisme. Arme de destruction ou dissuasion massive vis-à-vis de toute alternative, de tout possible, n'admettant le futur que castré par les règles en place. Je me souviens, le « bio », il y a 20-30 ans, n'était qu'une utopie fumeuse générée par des cerveaux ramollis au haschich. Depuis que Casino & co. s'en sont emparés et l'ont phagocyté, le tournant à leur sauce et en remplissant leurs rayons, l'impossible est devenu plus que possible, une banalité, une néo-normalité même. Bien sûr il ne faut pas faire comme Ophélie, jouer aux épileurs de chenilles, scruter les emballages, regarder le détail des ingrédients, tracer l'origine et s'informer des conditions de production, ça c'est de l'extrémisme: il faut savoir raison garder. Les pieds sur terre tant qu'elle tourne. Cependant que les journaux télévisés vantent l'imagination des « petits producteurs » qui, délaissés par leurs anciens clients, mettent en place des circuits de distribution transversaux et pratiquent la vente directe, avant et après l'émission, -je ne rêve pas, je constate-, une foule croissante de publicités recyclent ces initiatives dans la promotion de leurs nouveaux produits, frais, vertueusement respectueux de la Nature et salutairement plus-que-français. On a vu des rorquals dans la baie d'Ajaccio. C'est assez fréquent, passons. Quelqu'un a fait un film. Je suggère à l'Office du Tourisme de l'utiliser pour promouvoir la Corse comme destination (alternative) cet été, quand le patron du Medef aura tourné la manivelle afin de redémarrer la machine. Au départ elle fumera un peu mais c'est pas grave, l'émission des gaz à effets de serre a baissé de 70% ces temps-ci, il y a de la marge. En arrière toute !

   

Samedi 18  avril

Le confinement et les mesures qui l'accompagnent ont été placés sous le signe d'une transcendance absolue où la valeur des valeurs, la vie, la (bonne) santé, son maintien forment un joug  sous lequel tous doivent se plier, y compris le pouvoir et le politique. Pour le politique l'affaire n'est pas seulement éthique, elle est légale. On peut se référer à l'un des articles que j'ai cité précédemment, du Code de la Santé Publique. On peut aller vite, ne voir ici qu'une évidence – A tort. Si évidence, elle n'est que récente. A reparcourir, à grands pas certes, les textes qui jalonnent la philosophie politique, depuis l'antiquité grecque, Platon, Aristote, les stoiciens ou les Epicuriens, jusqu'aux théoriciens du Contrat, Hobbes, Locke, Hume ou Rousseau je ne vois pas trace de la santé comme clef de voûte du politique ou même le dominant. Il arrive souvent (Platon) que la cité soit pensée à l'aide de la métaphore du corps et que le Législateur s'apparente à un thérapeute établissant les rapports justes entre les organes constitutifs d'un équilibre et d'un ordre quasi cosmique. Mais cela demeure une métaphore. Entendue comme nous l'entendons (l'entendons-nous?), rapportée à la vie et à son maintien biologique, la santé, santé du corps, ne relève pas du Politique et encore moins le surplombe-t-elle. Présente sans doute, mais présente comme souci individuel et « soin de soi » au reste bien plus centré sur l'âme que sur le corps, une auto-thérapie dont  stoïciens et épicuriens livrent l'expression la plus frappante. Difficile de ne pas songer au « soin » dans tout son sens et son histoire alors que chaque jour on nous parle des « soignants », difficile de ne pas penser à Chrysippe déclarant dans son Traité des Passions que le philosophe, par rapport à l'âme se trouve dans la même position que le médecin par rapport au corps, sinon qu'avant de soigner il se soigne. De même Epicure, pour lui l'accès au bonheur, défini comme paix, passe par la mise en oeuvre du « quadruple-remède », tetrapharmakos. Et médecine, remède, ne sont pas ici seulement des images: comme le soulignent Hadot et Foucault le soin de soi passe par des « techniques de soi », des « exercices spirituels», une pratique ou un quasi-régime visant à la transformation de celui qui les effectue. En vue, l'acquisition d'une maîtrise et d'un pouvoir sur soi que rien ne saurait vaincre, souffrance, maladie, mort. On mesure ici la distance entre ces formes « d'auto-thérapie » et si l'on peut dire « d'auto-confinement » et l'affirmation contemporaine du primat de la vie et de la santé. La distance n'est pas moins grande  quand on oublie l'antiquité pour référer aux théoriciens du Contrat. Parmi les clauses fondatrices on trouvera chez les uns la propriété, chez d'autres l'égalité, chez d'autres la sûreté mais la santé n'apparait chez aucun. L'Etat n'est pas institué afin de la préserver et le terme qui semble le plus s'en approcher (la sécurité, la sûreté) fondent l'existence des forces de l'ordre et non d'une politique de la santé publique. Pendant longtemps ce ne sera qu'en cas d'épidémie que le pouvoir investit ce domaine de façon autoritaire. Cependant, seconde partie du XVIII° siècle émerge lentement à l'échelle européenne que la santé collective forme un champ duquel l'état ne doit pas se désintéresser, avec une prise en charge spécifique des malades et la volonté explicite d'améliorer la santé des « populations ». Foucault a décrit en détail, dans ses Leçons auCollège de France, ce « tournant » et les modalités selon lesquelles il s'effectue, souci de l'enfance, règles de vie hygiénique, attention portée à la « propreté » dans les villes, mutation de l'hôpital de lieu d'enfermement des « pauvres » en lieu thérapeutique, connection entre médecine et administration, statistiques concernant natalité et mortalité... Mais il faudra encore bien plus d'un siècle pour que se mette en place le socle de la situation actuelle. Jusqu'en 1915 la Santé n'apparait pas dans les structures ministérielles et lorsqu'elle fait son entrée c'est comme un sous-secrétariat au Ministère de la Guerre. On aurait pu s'en douter. Par la suite et jusqu'en 1930 la santé est prise en charge au sein d'un Ministère bien plus vaste, du Travail notamment. Sous Pétain ? - de la Famille et de la Jeunesse. Là aussi on aurait pu ! C'est en 1946 seulement, après la création de la Sécurité Sociale, que le Préambule de la Constitution affirme les responsabilités des pouvoirs publics en matière de santé; selon son 11° alinéa, « la Nation  garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Sans que pour autant cesse la valse des étiquettes et des statuts (Ministère, Secrétariat) puisque la Santé se retrouvera tantôt associée à la Famille, tantôt à l'Emploi et à la Solidarité ou à la Sécurité sociale, différences à travers lesquelles il serait sans doute possible de repérer l'évolution des priorités et, surtout, de saisir que la « gestion » de la Santé débordant très amplement celle des structures médicales, publiques ou privées, il y a grand risque à ce qu'elle s'hypertrophie ou au contraire se dilue, vaste nuage qui tendrait à tout recouvrir, ou addition de domaines d'action aussi variés que peu coordonnés et manquant de moyens. Situation que l'affaire du sang contamimé va mettre à jour et que stigmatisera de façon cinglante le rapport de l'IGAS effectué à son propos en 1992 : « une administration réduite à l’état de « squelette » et n’ayant « ni le centre nerveux - une capacité d’expertise digne de ce nom - ni les muscles - des relais déconcentrés suffisants - indispensables pour assurer convenablement et de façon permanente les missions qui lui sont assignées ». Je ne sais si les choses ont vraiment changé depuis lors. Ce que chacun peut constater par contre est que les dernières décennies n'ont fait qu'accroitre la liste des mesures et des domaines liés à la santé ; interdiction de fumer dans les lieux publics, interdiction de la publicité pour l'alcool ou le tabac, contrôles anti-dopages, port obligatoire de la ceinture de sécurité et limitations de vitesse... Pour archaïques que soient le confinement et le port du masque, c'est dans ce cadre général qu'ils sont, d'après moi, à envisager : la santé au poste de commande du politique, la Santé d'abord ! - Le plus curieux étant que nul ne saurait exactement définir cette Santé. Sinon de façon négative, comme le fait Leriche : « c'est la vie dans le silence des organes » ou même Kant (pour une fois il a de l'humour) : « On peut se sentir bien portant mais l'on ne peut jamais savoir si l'on est bien portant » - En l'état de confinés sommes nous « bien portants » ? Ce qui est sûr (ou presque...) c'est que nous ne sommes pas morts et que, du coup, autant et même plus qu'au corps biologique et à son maintien, c'est de la mort et de son statut ou non statut dans nos sociétés contemporaines qu'il est ici question. Plus on insiste sur la Santé et plus on oublie la Mort, étrange paradoxe qui veut que l'on soit prêt à accepter le statut de confinés indéfinis parce que sinon, la mort. On aura enfin une pensée pour Nietzsche, santé peut s'entendre de deux façons, la seule (et impossible) conservation indéfinie de soi ou bien la recherche de ce qui l'étend, d'un côté la petite, la frileuse santé, qu'il qualifie de « cadavérique et spectrale » de l'autre ce qu'il nomme « la Grande Santé ». Le « philosophe-médecin » qu'il se veut être est un « convalescent » qui ne cesse de le devenir.

   

Dimanche 19 Avril 

Retour de l'un de mes fins lecteurs, J-J.A. Lapidaire, il résume ce que j'ai dit hier : « Oui, on peut être en vie sans être vivant » - Ce à quoi, tout aussi lapidaire et (trop) vite emporté par le plaisir du trait, que le mail titille, je rétorque « Oui mais il suffit d'être mort pour l'être ». Et là, réponse « instantanée » : « Et Shakespeare ? » - A ce sujet, celui si l'on veut de la gloire et de l'histoire littéraire-artistique j'aurais beaucoup à dire, mais je vais passer, il me semble que cela nous éloignerait bien trop du Corona, ou même de la mort, pensée à laquelle le virus redonne une certaine actualité. Une présence. Par contre, oui, ma réponse était bien trop « légère ». Au minimum (et encore!) aurais-je du dire « pour soi », mort « pour soi ». Car pour les autres, et sans parler littérature, il est absurde de tenir la mort biologique d'un proche comme équivalente à « la mort ». L'outre-tombe, en ce cas, existe au moins sous la forme de la mémoire, consciente, inconsciente, je ne sais, peu importe : ces morts, ces proches, absents physiquement, ils n'en gardent pas moins une présence aussi bien individuelle que collective. Ils font référence et l'on réfère à eux , le cas échéant sans vénération, et même avec humour. « Il aurait dit quoi ? » « Elle aurait fait quoi ? » - Je ne suis pas du tout mystique, je ne vous parle pas d'une Autre Réalité (celle-ci ne la trouvez vous pas assez complexe ? assez mystérieuse ?) ni de quelque croyance religieuse, mais il me semble que dans ce cas le mot d'âme trouve son sens, d'ailleurs énigmatique, car le processus au travers duquel nous admettons qu'il-elle est mort-morte, ce qu'on appelle deuil, est tout aussi bien celui d'une distance que d'une espèce d'incorporation. Or l'incorporation, son processus, celui par lequel le corps perdu devient incorporel (une âme ai-je dit) il est aussi une transformation. Tout n'est pas conservé, seulement une idéalité quasiment platonicienne – comme Idéalité fait peur, sauf en mathématiques je dirais quintessence -sinon qu'elle ne se constitue pas par l'extraction de caractères essentiels mais par sélection éngmatique et variable, celle d'une expression de visage, d'une inflexion de la voix, d'un propos, celle d'une gestualité et de l'ensemble des images qui sont liées et qui s'enchevêtrent telles un collage hétéroclite, continuant en permanence et à jamais de s'agencer, c'est à dire de vivre. Avec ces morts nous dialoguons et ce dialogue est infini. Si le deuil est, tout au moins dans les cas ordinaires parmi lesquels je me situe, relativement limité dans le temps (les bonnes – mœurs la précisent en cas de veuvage...) l'incorporation que j'évoque ne l'est pas. Goethe : « Nous mourrons deux fois : premièrement quand nous mourrons, puis quand ceux qui nous ont connus et aimés meurent. ». Si Goethe m'avait envoyé cette phrase par mail, instruit pat J-J. A. je lui aurais sans doute répondu que « Ceux qui nous ont connus et aimés » meurent rarement sans avoir parlé. De nous. Et, aurais-je ajouté : « Quid de ceux qui nous ont connus et haïs » ? Les fantômes mettent longtemps à disparaître. Je n'y vois nul signe pathologique et je sais bien qu'on vit mal dans un Mausolée. Je ne hais pas les familles mais j'abhorre leurs photos. Je soupçonne par contre le traitement de la mort par le monde contemporain d'être profondément pathogène. Et ceci me ramène à la phrase initiale: on peut être en vie sans être vivant. Cette fois pour la rapporter à une série de débats que chacun connait, liés à la bio-éthique dit-on, expression que je trouve stupide, mais dont on se sert, en général pour désigner des questions qui relèvent de la déontologie médicale, de l'acharnement thérapeutique ou de l'euthanasie. Aucun rapport avec le Corona? - Mais si! D'abord parce que celui-ci trace la mort comme un possible, pour on ne sait qui (j'y reviendrai) et avec d'autant plus de puissance que nous n'avons pas d'autres moyens que ceux très archaîques ( 1300, Florence, et Thucydide?) du confinement ou des masques et autres gestes-barrières. Nous avons été élevés dans l'idée de la toute-puissance de la Médecine-Scientifique et de la morale (Jogging tous les matins?) conjuguées pour venir à bout de la mort et de quoi l'anticipe, en dehors même de quelque maladie, les multiples signes de la sénescence, les rides, les seins qui tombent etc. Un bon lifting, une greffe d'organes, il n'y paraitra plus. A la fin de la Recherche Proust cite Saint Paul « Qu'as tu fait de ton Talent ? - A l'extrémité de notre monde –  A  l'entrée de son Enfer - il y a écrit « Qu'as tu fait de ton capital Santé ? - Qui va de pair avec la définition de la vie comme vie biologique et bien sûr avec le consumérisme libéral. Voici – Analyseur ! - que le virus nous ramène à des considérations plus terre-à-terre (là, je souris et rebondis : résilience eh oh !) - Demain je parlerai des Ehpad, s'Iddiu u vuoli, « è u bove » m'ajouterait sans doute D-A.G avant de me raconter l'histoire de cet homme, corse, qui part de son vaillage pour aller je ne sais plus où et pour faire je ne sais plus quoi, mais c'est très important, et il tombe sur une rivière qu'il se sent capable de traverser « Grâce à dieu » mais sur la rive il y a un bœuf, enfin un taureau, pas très avenant, et le corse fait demi tour, Dieu l'a voulu mais pas le boeuf. D-A G je le voyais presque tous les jours avant le confinement. La séparation c'est comme le deuil, ou presque. Là dans ma tête je lui dis « Saluta o DumenicAnto, chi ti pigli ? » - Dans sa Quintessence il me répond « Un Fiscu ! » - Listessa cosa pà me...

  

Lundi 20 avril

Trois retours ; l'un (Ph.B, ironique ) « ah tu reviens à tes anciennes amours, la philo ? », le second « depuis deux ou trois jours tu oublies les faits » et le troisième (J.M) qui lui entend établir (me demande de respecter?) un cahier des charges pour un discours philosophique en temps de détresse. Je ne répondrai pas au troisième (J.M) aujourd'hui, car certains des points du programme qu'il esquisse, sous forme de questions vastes et générales me semblent impossibles à envisager dans le contexte en ce moment mien. Quant au second je puis aller vite : les chiffres liés à la pandémie n'apparaissent plus que pour mémoire, désormais remplacés par ceux liés à l'économie, au chômage partiel, aux aides consenties à telle ou telle catégorie selon des critères assez troubles, ainsi s'agissant des compagnies aériennes - généreusement arrosées alors que le kérosène n'est pas taxé – enfin à l'addition qu'il faudra bien régler, c'est sûr. A l'arrière-plan un cliquetis de tiroir-caisse. Les 3 retours cependant, ils convergent vers le statut de ce journal et sur son étiquettage. Où je retrouve un autre mail reçu, il date de je ne sais plus quand,  je crois l'avoir mentionné, en provenance d'un poète et éditeur que je connais et qui, à réception du texte, me renvoie : « je ne publie que de la poésie » - Je lui ai répondu que je ne lui demandais rien d'autre que de lire d'une part et qu'en outre je ne savais pas ce qu'il fallait entendre par poésie, terme qu'il m'est souvent arrivé d'écrire ainsi : poésie. Avec une barre, parce que la poésie est toujours barrée. Mal ? - Philosophie, poésie, prose, prose narrative, historique, essais, toutes les rubriques du genre me semblent renvoyer seulement aux « collections » et aux « catalogues » commerciaux de la machinerie éditoriale plus ou moins relayés par des départements universitaires, voire, en dernière analyse à des postes administratifs, chacun  avant tout soucieux de préserver son précarré contre toute intrusion. Au delà, me semble impossible de considérer qu'un texte, une œuvre ou un auteur de quelque intérêt créatif, se laisse ainsi étiquetter. Mort aux cloisons surtout étanches. Dans la réalité tout philosophe masque un poète et tout poète un philosophe, masque en ce cas comme en bien d'autres désignant la procédure par laquelle se montre ce qui est dissimulé. L'Ethique est à mes yeux une mécanique « à la façon des géomètres » (un masque de plus!) dont l'effet est de rendre d'autant plus sensible un certain affect poétique que résume « sentimus experimurque nos aeternos esse », nous sentons et faisons l'expérience que nous sommes éternels, sentence que j'ai citée en latin car à l'entendre dans cette langue impossible de ne pas y remarquer le jeu des assonances et la rythmique qui la constituent: poésie. Vice versa comment lire la Divine Comédie d'un point de vue qui serait uniquement celui d'un certain formalisme poétique (endécasyllabes etc) et ne pas y repérer ce qui relève de la philosophie, de la théologie, et même de l'histoire la plus vivement contemporaine et proche de son auteur? - Schelling, dans l'Essai qu'il voue à la Divine, 1803, commence par une série de négations : ni un poème, ni une épopée, ni un roman ni... pour conclure « Elle est un mélange de ces genres tout à fait particulier, organique pour ainsi dire, impossible à recréer à l’aide de quelque art art arbitraire, elle est individualité absolue, comparable à elle-même seulement et à rien d’autre. » En d'autres termes, pour reprendre le titre d'une exposition jadis organisée par un autre de mes lecteurs-poètes,  J.B, elle fait partie des « Inclassables », soit de la classe des animaux qui ne rentrent dans aucune classe et qui me semble à peu près correspondre à ce continuum océanique et plissé que forment les œuvres de l'esprit humain, celles du moins qui relèvent d'une écriture nécessaire. Je dis du moins. Dans le même essai Schelling déclare que le Paradis est de la pure musique... Dans cet ensemble infini quelle place pour un « journal », celui-ci en particulier ? - Il y a une grosse ambiguïté, et  je m'en rends compte aujourd'hui seulement, elle tourne autour du mot « Journal ». Dans bien des cas ce terme désigne un type d'écrit où la fonction principale est d'enregistrer des affects ou des pensées au fil de la vie, qu'il s'agisse par exemple de surmonter telle ou telle difficulté (Pavese), de réagir à ou préparer une autre entreprise d'écriture (les Carnets de Camus...), de se connaître ou mieux connaître soi-même, par exemple en notant ses exploits sexuels et ses fantasmes les plus personnels (Stendhal, qui s'y attendrait?. Etc. En ces cas et en bien d'autres le qualificatif qui vient est « intime ». Ce n'est pas dans ce sens que j'ai utilisé le terme de « Journal », pas la moindre dimension de l'avoeu, narcissique ou pas, mais en référence directe à la situation actuelle et à la place que tient l'information dans ce qui est devenu le sort commun lié au confinement. Se détournerait-on radicalement de cette « actualité » pour procéder à un recentrement sur soi ou bien mettre à profit la vacance indéfinie pour avancer tel ou tel projet que ce détour (cette conversion) resterait tout entier soumis au contexte. « Journal » je ne l'entends donc pas de cette manière intime, mais en référence directe à la presse, écrite ou pas, et à ce que ce mot y désigne. Ceux qui me « reprochent » de ne pas parler assez de « ma vie » n'ont pas compris cela et voici pourquoi j'aurais peut-être dû (le ferai-je?) le nommer Chronique et pas Journal. Avec pour conséquence que les « faits » tels qu'ils nous sont transmis sont le socle. « Prendre de la distance » ou de la « hauteur », soit, mais en prenant appui sur eux pour faire le bond. Je sais bien que ces faits, aujourd'hui, sont connus d'à peu près tous, et alors?  - Alors au contraire : au moins chacun peut-il savoir de quoi je parle et me juger sur ce que j'en dis. D'ailleurs (je radote) l'enregistrement chronique  des faits n'en garde pas moins un certain intérêt.  D'autant - là surgit sinon l'intime, du moins le personnel- qu'au paralléle de leur énoncé inévitablement sélectif, j'entends noter et archiver comment j'y ai, de façon intelligente ou stupide, raisonnée ou immédiate, naïve ou culte, réagi à vif, au jour le jour. Peut-être s'avérera-t-il, au final, que le conspirationniste que j'ai évoqué il y a une semaine ou deux, avait parfaitement raison : que le virus a été fabriqué dans un laboratoire, thèse que Donald Trump a fait aujourd'hui sienne en désignant le berceau du monstre, Wuhan , et un laboratoire de virologie qui s'y trouve. Frankenstein?- Pire: le docteur n'avait pas fait exprès. La Chine, si, pour détruire les USA sans doute. Assertion lourde, elle a l'avantage majeur de faire porter à la Chine la responsabilité des milliers de morts que comptent aujourd'hui les USA.Vieille théorie et pratique rhétorique, le bouc émissaire. Tel est mon avis, aujourd'hui ; il n'est que le mien, peu importe et si je me suis trompé, tant pis, je ne « corrigerai rien ». Entre « enregistrement des faits » et notation des pensées qu'ils ont suscitées en moi et parfois dans mon microcosme, la chronique ne peut qu'osciller et elle le doit. Comme, autre forme d'obligation, harassante, de suivre effectivement la chronologie des faits et des pensées et d'être fidèle à cet impératif en un sens impossible et pourtant à mes yeux nécessaire: une réflexion en live. Et une réflexion qui se traduit par une écriture où l'on passera d'un ton à un autre, d'un domaine à un autre sous la guillotine du temps. Pour prendre le masque du philosophe, la chouette de la Sagesse que fait-elle pendant le jour ? - Elle attend que les châtaignes tombent pour pouvoir les ramasser, facile ! - Le vrai est : Meunier tu dors ton moulin ton moulin va trop vite, Meunier... Meunier... réveille toi . Et souviens-toi de tes rêves.

   

Mardi 21 Avril 

Quarantaine, confinement, masques, gestes barrière, gel, couvre-feu... Tous ces termes qui s'agrègent à propos de la pandémie comme moyens de s'en défendre, ils peuvent être rabâchés par des Autorités médicales les plus compétentes, n'empêche: ce dont avant tout il témoignent est d'une impuissance, ils ne représentent que des solutions de fortune. En elles-mêmes très archaïques quelle que soit leur efficacité. C'est ancien tout ça, le lavabo, la claustration etc. Ces solutions on les trouve aussi bien dans le Décameron que dans la Peste, elles constituent l'arsenal basique, à compléter, le cas échéant par la prière ou le sacrifice aux Dieux. En cas de guerre, d'invasion, d'attentats, de bombardements, on peut identifier un ennemi, pactiser avec lui, s'opposer à lui.. Même engagés dans un combat sans merci le massacre se passe en famille. Le corona, à cet égard, marque rappel d'un autre ordre, d'une puissance qui excède tous nos pouvoirs et pour commencer ceux qui nous semblaient définitivement les mieux assurés, médicaux, technologiques. Plus que politiques, le politique s'abritant derrière la Science alors même que celle-ci, avec raison, avoue ses limites. A preuve, c'est dans les lieux les plus orgueilleusement urbains que le virus se déchaîne, à partir d'eux qu'il épand sa puissance. Non pas Wallis et Futuna  ou en Guyane (là-bas une épidémie nous aurait semblé presque naturelle...) mais à Londres, Paris, New York. Ou notre monde gratte le ciel. Nous étions sans Dieu, les bénitiers ont été vidés de leur eau, même le pape s'incline devant le corona, en voici un, tout nouveau, qui n'a noué aucune alliance avec l'humain. L'on ne peut le tutoyer, de lui nulle pitié n'est à implorer. Il règne et voilà tout. Invisible, aveugle, fantasque, mystérieux, comme tout dieu de cette espèce, anti-chétien au possible, super-supra-contemporain, dans une forme de transcendance absolue qui outrepasse y compris les catégories du nombre. Car le Néo-Dieu n'est ni Un ni dénombrable, c'est un essaim sans roi ni reine, une horde sans chef de meute, une armée sans Combien. Maimonide dit « Mon dieu, écarte de moi l'idée que je puis tout » - Le nouveau Dieu n'a nul besoin qu'on le prie pour accomplir ce vœu. Si, encore, il était juste et soucieux d'égalité... Mais non. Un tel mourra, un autre tel sortira vivant de l'hôpital, un troisième ne saura jamais qu'il a été malade et ce dernier, comme je l'apprends aujourd'hui, on ne sait même pas s'il est immunisé pour longtemps, toujours ou pas du tout. Selon son Bon-Plaisir. Que ces disparités puissent un jour être rationnellement expliquées, d'accord : aujourd'hui elles nourrissent tout un imaginaire et substituent à tous nos Dieux de plus en plus absents le Néo-Dieu de plus en plus présent. Un homme politique américain,  Andrew Cuomo je crois, qualifie le virus de « grand égaliseur », voulant sans doute dire que devant lui nous sommes tous égaux, comme devant la mort. Un propos très chrêtien. L'examen des chiffres de la maladie ou des décès à New York, chiffres qui ne cessent d'augmenter, le dément avec ironie. C'est dans le Bronx ou le Queens, les quartiers pauvres (noirs, latinos...) qu'ils sont ostensiblement les plus importants, comme ici dans le 93. D'après les données de l'Insee, on y rencontre un record de surmortalité : +61,60% de décès entre le 1er et le 30 mars 2020 par rapport à la même période en 2019. Le chiffre le plus élevé de France. De ce Dieu (sinon de tout autre!) les pauvres n'ont rien à espérer. Peut-être naissons nous-libres et égaux en droit. Ca ne dure pas. Analyseur d'une espèce inconnue de théologie négative, révélateur de la seule espèce de Dieu qui puisse se cacher et grandir au verso de notre univers, le virus fonctionne aussi, de façon plus prosaïque et crue comme analyseur social. Plus nous sommes nombreux, plus nous sommes pauvres (et obèses, ou diabétiques, cela va avec depuis les fast food) et plus cette nuée de dieux nous aiment, d'un amour  vorace qui ressemble à celui des martiens dans la Guerre des Mondes de Wells quand nous en sommes à nous terrer dans les caves. Encore marquent-ils une préférence pour les gens de couleur, comme disent ceux qui pensent ne pas en avoir. En tout cas saisit-on mieux pourquoi le Ministère de la Santé Publique ne parvient guère, ou très mal, à définir son extension, ce de façon chronique, soigner ne signifiant pas seulement construire les institutions ou services médicaux adéquats mais d'abord modifier les conditions de vie, ce qui veut dire, ce qui veut dire tellement tellement de choses que les bras en tombent. Et le reste. Quant à « nos aînés », aux vieux (ils sont surtout des vieilles), les chiffres des décès dans les Ehpad,  non comptabilisés jusqu'au 1° avril (884) ils grimpent à toute vitesse, 7000 et quelques, un bon tiers du total aujourd'hui. Brutaux et avant tout prévisibles. Qu'il s'agisse là par nature d'une « population  à risque », soit, mais ce qui joue d'abord est qu'on a affaire à des groupes, de collectivités où l'on retrouve les facteurs présents dans les quartiers pauvres, nombre, promiscuité, le terrain de prédilection du virus.  - Gouverner, est-ce ou pas prévoir? - Dans la première semaine d'Avril Elie Semoun, dont le père se trouve dans un Ehpad lyonnais découvre qu'on y manque de tout, masques, gel, blouses etc, il lance un appel aux dons, qui sera entendu ; je ne mentionne le fait que pour citer le commentaire d'E.S: « On n'est quand même pas un pays sous-développé ! Je sais que l'Etat ne peut pas tout, mais être obligé de faire appel à la solidarité des gens pour protéger nos anciens, comme ça, c'est fou. » - Mais le corona ne se limite pas, en ce cas comme en bien d'autres à exhiber le manque de moyens et l'imprévoyance, il contraint à s'interroger sur la gestion des populations « vieilles » dans le système actuel. Qu'il s'agisse des structures hospitalières publiques ou des structures privées, désormais entre les mains de quelques grands groupes, l'évolution depuis les années 1950 consiste à l'évidence dans un vaste transfert depuis les familles jusqu'à ces lieux spécialisés. Causes, raisons, inutile de les détailler, parfois médicales (nécessité d'une prise encharge) le plus souvent sociales ou économiques, elles aboutissent à la reconfiguration de ce qu'on entendait par famille et à sa réduction concrète, dans nos Etats les plus Modernes à une ou deux générations partageant le même toit, les autres en étant expulsées comme sous l'effet d'une gigantesque centrifugeuse. Au centre ceux qui travaillent, qui produisen et rapportent. Aux marges ceux dont on n'attend plus rien, sinon, quand ils en ont les moyens, qu'ils paient. Ce qui est normal, vu ce qu'ils coûtent. J'ai mentionné, je ne sais quand, comment il me semblait que l'analyseur exhumait certains problèmes qu'on nomme bioéthiques. Je me souviens maintenant de  phrases prononcées comme en confession par des médecins « du Grand Est », quand les services de réanimation étaient saturés. Savoir, que la situation leur imposait de faire « des choix parfois difficiles », entendre que l'accès aux respirateurs et autres machines à intuber devait être attribué fonction de l'âge. « Les femmes et les enfants d'abord » disait-on il y a pas mal de siècles. A  juste titre on me rétorquera que depuis le naufrage du Titanic cet adage a fait son temps. Les New Yorkais pauvres et malades, dénués de couverture sociale, partageront l'objection. Nous y deviendrons plus sensibles après les prochaines réformes de la Sécurité sociale et des retraites. Pour l'heure « On n'est quand même pas un pays sous-développé », ainsi parlait Elie Semoun. Restant à voir ce qu'il en est de la solidarité dans les pays « sous-développés », de ses formes, de ses degrès, de ses limites. Vaste programme ! - Où il s'agirait, dans la vie quotidienne, des procédures d'entraide collective, pour le travail, pour la survie, pour la chasse, pour les  récoltes, pour l'intégration des vieux, des handicapés et bref de tous les aspects de l'alliance. En Corse, c'était quoi un operata ?

 

Mercredi 22 Avril 

Hourra ! - Finalement, le 11 Mai, les « vieux »  auront droit eux aussi à se déconfiner. A l'opposé de ce qui avait été annoncé par le Chef de l'Etat. Une fois de plus j'ai du mal à comprendre que ce qui était hier justifié cesse de l'être aujourd'hui, même si le changement de cap, personnellement, me réjouit. Dans un cas comme dans l'autre il s'agit de décisions lourdes mais, si lourdes qu'elles soient, prises à la légère. C'est ce que dit la raison, la mienne, du moins. Sauf qu'une telle volte face ne relève pas de la raison, et qu'il faut la voir autrement. En toile de fond il y a que la pandémie, jugulée par le confinement, n'a nullement disparu, qu'aucun traitement ne s'est imposé, que le vaccin n'est pas pour demain et que tout ceci risque de durer très au delà du 11 Mai, comme il se le murmure, soyons-sûrs, au sein du fameux Conseil Scientifique. A ce fait se heurte ce qui est présenté désormais comme une nécessité, la reprise du travail et la remise en route de l'économie, à écrire avec un E majuscule. Or, si l'économie a besoin des travailleurs et des travailleuses, elle n'a pas besoin des vieux, eux resteront donc confinés. Voilà ce qui a été pensé au départ. C'est très exactement le symétrique du motif qui a conduit à annoncer la réouverture des Ecoles maternelles ou élémentaires afin de permettre aux parents de reprendre le chemin de la production. Quant à savoir comment on aurait pu mettre en œuvre la première de ces décisions et comment on le pourra pour la seconde, bouteille à l'encre. Résultat ? On renonce à l'une et on refile la gestion de l'autre aux directeurs d'écoles, aux enseignants et pour finir aux maires et aux pouvoirs locaux: débrouillez-vous donc. Ce qui ne manque pas d'humour lorsque l'on se souvient de la façon dont ces « élus locaux » ont été traités par l'actuel gouvernement dans sa première période, avec globalement augmentation des charges, diminution des recettes et restrictions budgétaires imposées. Exemple majeur, la suppression de la taxe d'habitation, ce dont le gouvernement peut se garagariser en toute immodestie puisque ça n'est pas dans son budget qu'il a taillé pour « alléger la pression fiscale » mais dans celui des communes ou des territoires, amputé de quelques 22 milliards d'euros, mazette ! - En résumé pour les « locaux », faire plus avec moins de moyens, quadrature du cercle. Se décharger d'un pouvoir qu'on est incapable d'utiliser n'est pas le déléguer. Parmi les « leçons » à tirer celle-ci n'est pas la moindre: les « locaux », voire les simples citoyens, ont montré dans bien des cas plus de réactivité et d'imagination que les instances de l'état, qui, souvent hélas, non contentes de briller par leur lenteur congénitale et leur incapacité à se dégager des lourdeurs administratives ont joué le rôle de frein. Les commandes et livraison de masques plusieurs maires (Collomb à Lyon) et plusieurs responsables de région (dont l'exécutif de la CdC) se sont attelés au problème bien avant que cela soit fait au niveau de l'Etat central : 700 000 masques en provenance de Chine sont arrivés le 14 Avril à Ajaccio, date à laquelle Macron parlait pour annoncer que la pénurie des masques cesserait bientôt, commande et production nationale conjuguées, bientôt voulant dire: avant le 15 Mai... Nationaliste de dire cela ? - Pas du tout, et que je sache, G. Simeoni et le Préfet de Corse ont su collaborer pour le succès de la commande. Au demeurant et au risque de me tromper je crois, (j'espère!) que la pandémie aura relégué au magasin des accessoires un certain type de débats purement conceptuels desquels, c'est certain, les corses et leurs élus en premier se sont délectés lune après lune, au profit d'une approche autre, et autrement plus concrète. La « crise des déchets » en Corse, n'a pas été résolue par le corona. Nul n'en doute, pas plus, au niveau mondial, que le réchauffement climatique et les gaz à effets de serre. Choses en suspens. Peut-être cependant que la manière de se rapporter à un problème précis aura changé. Que si un nationaliste propose « ceci » on ne le refusera pas parce qu'il est nationaliste et que si un partisan du centralisme jacobin propose « cela » on ne le refusera pas parce qu'il est jacobin. Que l'on examinera ce qui est de fait proposé et que l'on acceptera, besoin étant, les conséquences qui en découlent, y compris  institutionnelles : là il nous faut plus de pouvoir, c'est clair et chacun peut comprendre-admettre. Le corona, parmi ses caractéristiques, frappe aussi bien ceux de gauche que ceux de droite, et les nationalistes indépendantistes autant que les autres, alliés ou opposants. Hier est mort, du Corona, Henri Weber, acteur majeur de Mai 68 et fondateur de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Ce que j'écris paraitra sans doute à certains trop modeste, manquant de souffle, d'idéal de trompettes et de drapeaux. Les bandere ne me font pas bander. Ce temps là, très XIX° siècle, non seulement il est clos mais il ferme la vue aux possibles. Comme se l'est tatoué sur le crâne l'un de mes amis, lecteur, G.G, « sur la terre pas de frontières, dans la tête pas de limites »- N'eut-il écrit que la première sentence on aurait pu le quailfier (sans gêne ! Sur les réseaux sociaux) de mondialiste à tout crin. Avec la seconde tout change: quelles sont les règles de ce qu'on nomme mondialisation et quel possible avons-nous à opposer. Quelle alternative à proposer en sorte que Economie perde son E majuscule.Tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de répondre : une fois pour chaque milliard d'individus sur terre (le chiffre change à chaque instant à cause du corona et pas seulement lui), répartis dans des zônes géographiquement, culturellement, socialement, historiquement et politiquement très diverses. Opposés par leurs intérêts à court terme. Hostiles voire. Une lectrice, V.H-C, me demande si nous envisageons la production de masques en peau de chêvre frappés à la tête de Maure. Je lui ai répondu que je préférais encore mourir du corona qu'étouffé par une allergie aux acariens et que Pasquale Paoli, redivivus, il porterait un masque made in china, comme tout le monde et avec la bénédiction de G. Simeoni. Bon, il y a aussi J.M et sa maudite salve de questions dont celle-ci, la première : c'est quoi un principe en philosophie ? - Eiiiiih ! PaulAndria servimi un fiscu, piacè ! - E po, a bona sera a tutti, salve ! - Ce sont des phrases que j'aimerais à nouveau prononcer. La solution, s'il en est une - pas sûr ! pourquoi tous les problèmes auraient-ils des solutions - passera de toutes les façons par l'échange. Il n'y a pas de messie. Je te répondrai demain, cher Jean, nous avons le temps. Non ?- Population mondiale à 19h46: 7781215286, naissances 4789990, morts 132758...

    

Jeudi 23 Avril 

Post difficile et long à écrire, mais promis c'est promis. Seulement je le partagerai en deux. La question de J.M, la première de la liste qu'il établit, porte sur la notion de « principe ». « En philosophie » ajoute-t-il. Cela semble une restriction qui permettrait de simplifier. Hélas, il n'en est rien. Les premiers exemples qui me viennent à l'esprit, « principe de non-contradiction », « principe des indiscernables », « principe du tiers-exclu », « principe de raison suffisante », ils sont à mettre au compte de philosophes (Leibniz par exemple) mais ces mêmes philosophes sont aussi bien des scientifiques, logiciens ou mathématiciens et même juristes, ou bien.... Tenons nous en aux sciences et à l'Organon logique. Ce domaine ne peut être exclu, a posteriori du moins. Sans doute même a priori: impossible il me semble, de concevoir le terme de principe sans le rapporter à une forme ou à une autre de rationalité - Je veux dire par là que l'énoncé où le principe s'inscrit aura toujours une forme de généralité sinon d'universalité, qu'on le lise au ciel, dans le fond de son cœur ou dans le Grand Livre de la Nature, s'opposant ainsi à l'infinité des cas singuliers qui se présentent. Le désir du pricipe c'est, soupçonnable autant sans doute qu'inévitable, le désir de l'un. Puis: quelles distinctions établir entre « principe » et une « famille » de termes qui le jouxtent: règle, axiome, valeur, fondement, commandement voire cause, commencement, origine ? - Sachant en outre que selon les auteurs tel terme pourra désigner le même concept que tel autre désignera d'un autre mot? - Quand Russell et Whitehead écrivent leur « Principia mathématica » c'est (notamment!) en réponse aux « Fondements de l'arithmétique » de Frege. Inutile de dire que je n 'ai pas l'intention de m'aventurer dans cette jungle – ou, couleur locale, ce maquis terminologique. Plus modestement, en quoi d'abord cette notion de « principe » concerne-t-elle le corona en général et ce journal en particulier? - Je me suis relu cette question en tête. Un premier constat me vient à l'esprit, il relève de l'ordre discursif et met en jeu, doublement, le principe de non-contradiction: doublement parce que d'une part je m'efforce de me l'appliquer à moi-même et que, de l'autre, le fais intervenir de façon critique concernant des énoncés effectués par un tel ou une telle et démentis un autre jour par ce même tel ou cette même telle. En un sens cette procédure est à l'oeuvre dans mille occurrences de la vie courante et de l'échange verbal; la logique formelle n'a pas inventé connecteurs ou  quantificateurs, elle les trouve dans la langue « à l'état sauvage ». Procédure qui n'en  reste pas moins très intéressante. En quoi consiste-t-elle? - D'abord dans un passage plus ou moins explicité de l'énoncé au discours, passage qui s'accompagne d'une décontextalisation et plus exactement d'un trait tiré sur la date 1 à laquelle l'énoncé 1 a été effectué, la date 2 à laquelle l'énoncé 2 l'a été , ainsi se constituant une nappe continue là où de fait il n'y a que des discontinuités épisodiques. Sans ce geste d'abstraction vis-à-vis du quand, du qui, ou du où, le principe de non contradiction ne s'applique plus, ou pas. Après tout, on peut changer d'avis selon les circonstances. C'est même recommandé, il n'y a que les imbéciles etc. On s'en sortira d'une pirouette, je l'ai dit mais depuis j'ai changé d'avis, on a le droit non? - Eh bien non, on n'a pas le droit quand on est dans l'ordre du pouvoir, de la politique et du savoir rationnel. On en a le droit ou on le prend quand on est dans l'ordre de la communication médiatique où précisément le « jour-le-jour » fait office d'éponge et où la nappe discursive ne cesse d'être émiettée en rhapsodie: c'est ce que j'ai désigné comme « l'ardoise médiatique ». Alors on compte sur -et même on joue avec- le temps et on efface la mémoire pour mieux retourner sa veste. En ce sens la position proprement philosophique s'identifie à l'intention de soumettre le discours (et ici le politique) à la rationalité, et je ne vois pas de cas, dans l'histoire de la philosophie occidentale, qui ne relève de cette intention, aussi bien pour les grands cartésiens et leurs « systèmes » que pour des « styles » philosophiques très différents, Nietzsche et ses aphorismes entre autres. En ce sens également on peut considérer qu'il n'y a pas de philosophie sans un corps de principes formels (un Organon, une logique, une axiomatique, un formalisme qui ne se limite pas bien entendu au principe de non contradiction et qui n'a rien de figé ou de dogmatique) qui au final la surplombe, quelles qu'aient pu être les conditions affectives, passionnelles, intuitives, religieuses ou culturelles de sa génèse. Sans jamais cesser de l'irriguer: oui, c'est sûr, Platon  hérite de l'orphisme ou d'un fond égyptien, comme Spinoza de la mystique hébraïque et, de façon générale « Rien de grand ne s'est jamais fait sans passion » c'est Hegel qui parle. Le même qui disait que « La lecture du journal est la prière du matin du philosophe moderne ». Ce qui nous ramène, ouf, au corona. Et à poser comme un principe qu'au temps de la communication de masse et de toutes les manipulations, l'enregistrement et l'analyse critique des énoncés constitue l'urgence philosophique. Je suis bien incapable de trancher si tel ou tel type de masque (FFP2, chirurgicaux... J'ai vu aujourd'hui que quelqu'un se proposait d'en fabriquer en bois, pourquoi pas en fer?) est utile pour se prémunir du corona. Je puis par contre relever "Vous savez quoi ? Moi je ne sais pas utiliser un masque. Parce que l'utilisation d'un masque, ce sont des gestes techniques précis, et ça peut même être contre-productif", phrase prononcée par la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, le 20 mars. La suite on la connait: « les masques grand public pour tous et obligatoires dans tel ou tel lieu... » -  Insuffisante cette critique? Je ne crois pas, insatisfaisante oui. Le syllogisme aristotélicien peut bien me démontrer que « si socrate est un homme alors il est mortel », il ne me dit pas grand chose sur le rapport de Socrate à sa mort. Les aspirations et questions de l'âme humaine excèdent cette critique et il est facile de voir, y compris d'un point de vue logique, que la critique ainsi entendue, de la manière la plus froide qui soit, elle ne peut tenir sans se revendiquer, implicitement ou pas, d'un autre univers, celui, si l'on veut, des Idées transcendantales kantiennes. Ou de ce que l'on aurait jadis nommé « métaphysique » et qui débouche sur une certaine manière d'être dans le monde, d'y conduire sa vie et de se rapporter aux autres, à la nature et à la mort en fonction de telle ou telle valeur. Après tout qu'en ai -je, qu'en en avons nous à foutre d'une contradiction flagrante? - Si l'on n'ajoute pas, in petto, la vérité comme idéal positif? Voire une certaine place et définition de la parole? Et de la mémoire? -Autre usage, bien plus majuscule, du terme de « principe ». Ici parvenu je re-songe à J.M et, le connaissant un peu, je l'imagine bien me sourire : « Enfin, nous y voilà ! Pourrais-tu développer? » - Je n'y manquerai pas, demain... L'Organon n'est pas la sagesse, mais il en est le vestibule.

   

Vendredi 24 Avril 

Je suis monté sur la terrasse pour m'y déconfiner au moins la vue.

Depuis quelques jours le temps a viré au beau. Un ciel d'azur, pas un souffle de vent. Tiens me suis-je dit, c'est drôle ça, tant qu'il y a le ciel et la vue on n'est pas complétement confinés et je me suis souvenu d'un fragment de poème que j'ai écrit, il y a longtemps : « c'est par les trous que l'on respire ». Ici je passe la série de pensées un peu incohérentes qui m'ont traversé. Que le silence et l'immobilité dont la pandémie nous fournit l'expérience et qui vont si bien avec elle (impossible pour moi de l'allier avec un orage, des éclairs et une nuit déchirée par des coups de tonnerre) ne pèsent pas sur nous comme une chappe, un couvercle aurait dit Baudelaire. Changement de plan. Ce qui était derrière vient en avant, comme l'inverse et la claustration se double d'une ouverture. Mais c'est peut-être à cause de la terrasse. Tout le monde n'en a pas une. Et les fenêtres ? - Plus importantes que jamais les fenêtres. De ma terrasse je vois une jeune voisine qui assise sur le rebord de la sienne est en train de se peindre les ongles. Je m'ébroue. Bof. Et toujours de là haut je regarde la mer elle aussi ouverte, filante par la trouée entre les pinces du golfe-crabe. D'en bas quelqu'un me crie « elle est comment la mer ? » - je réponds « furieusement calme » - « Eh! Oh, j'ai pas bien entendu ! Elle est comment ? » - Je répète : « furieusement calme ». Silence. « Arrête de déconner, je t'ai pas demandé un poème, elle est comment ? » … Cette fable a plusieurs morales. D'abord elle montre la puissance du principe de non-contradiction dans l'échange le plus banal, bien au delà d'une dispute entre théologiens de Salamanque ou logiciens du Cercle de Vienne. Ensuite, mais je ne veux pas m'attarder là-dessus, la fantastique capacité de l'humain a trouver du sens, en l'occurrence par un acrobatique changement d' hypothèse et de registre : « je t'ai pas demndé un poème », où s'inscrit une certaine définition du poétique comme extérieur au principe de non contradiction. Ici les contraires pourraient fusionner. Héraclite, Reverdy, Char et Breton s'en réjouissent. Je remplace « furieusement calme » par « follement jaune » est-ce que c'est pareil, je crois pas. L'expression n'est plus contradictoire en soi et si elle garde encore quelque valeur « poétique » c'est à cause de « follement » ; à mettre en son lieu « complétement » ou même à supprimer l'adverbe qu'advient-il ? Que la phrase perd toute possibilité d'êre entendue selon la poésie, elle devient matériellement fausse et ne peut indiquer qu'une pathologie visuelle ou mentale d'une espève inédite, dans le contexte d'une planète comme la nôtre où nous savons tous de manière empirique et inductive qu'aucune mer jaune n'existe. Ailleurs peut-être deviendrait elle vraie cette phrase, mais pas plus poétique, alors que « furieusement calme » y conserverait dans cet autre contexte et sa contradiction et sa valeur poétique. Qui, pour finir, ne tient pourtant pas seulement à sa structure transgressive vis à vis du principe de non-contradiction: elle désigne en effet qu'à partir d'un certain point de vue (poésie) apparaît la possibilité que la mer puisse effectivement être vue comme « furieusement calme » ou que le logos (la logique) vient aussi à correspondre à une vision possible de cette chose qui est la mer. Autrement dit, la fusion des contraires ne s'effectue pas seulement selon la forme mais dans la réalité sans que l'on puisse séparer d'aucune façon ces deux aspects. D'où sa vérité, d'un type autre que celui d'une tautologie ou celui d'un constat d'expérience. Intuitive, subjective, susceptible d'être la condensation d'un ensemble complexe de raisonnements, apte à transmettre à d'autres la singularité de son expérience, cette vérité d'un autre type ? - Je laisse à chacun le soin d'y réfléchir. Il me suffit de considérer et poser que le domaine du vrai ne s'identifie pas à celui des sciences exactes, ou qu'il est d'autres manières de se rapporter au monde qu'en le plaçant face à soi, à mesurer, calculer et  connaître « objectivement », comme chez nous la connaissance et la rationalité se définissent, se sont définies, jusqu'à s'épanouir à l'âge classique Depuis, depuis longtemps. Des siècles. Toujours et partout ? - S'il est une possibilité d'entendre le mot principe autrement que comme « premier selon l'ordre des raisons et de leur exposition » je la situe ici. Un ici difficile à évoquer. Car il ne s'agit, dans ce rapport autre que j'ai qualifié de « poétique » ni d'un en-deça, ni d'un au-delà. Tantqu'à faire ici-bas me plairait davantage.Tel alors ce « Principe » que le nom même de principe semble mal lui convenir, parce que le « en premier » qui s'y donne n'est pas un en premier discursif  rationnel (pour cela nous avons le mot postulat) et qu'il ne « fonde » rien, qu'il se situe si l'on veut au-delà ou en-deçà de toute base et  tout sommet. Un principe de cet ordre nous ne sommes pas en dehors de lui ni ne pouvons nous poser en face de lui (théoria) nous sommes dedans, il nous englobe, tous et tout ensemble dans la même arche (j'aurais envie d'écrire archée!) - Nulle épiphanie, révélation mystique mais le sentiment immédiat et évident d'une inhérence et d'une dette (première forme du « devoir ») à l'égard de qui nous inclut. Reconnaissance bien plus que connaissance. Et exprimée à chaque instant par des pratiques. Ecrivant ceci je songe à certains exemples que j'ai pu vivre et qui sont comme l'ombre pâlie de ces pratiques. Le premier serait de ces lavandièress que j'ai vues, enfant, battre le linge dans les eaux « chiare e fresche » d'une rivière. En ligne, elles battaient et chantaient ou riaient, formant comme un choeur dont les eaux devant lesquelles elles étaient agenouillées semblaient participer. Le second, souvenir plus récent, quand, au détour d'un chemin, on tombe sur une source grossièrement encastrée dans une vasque de granit. Près d'elle sous un chêne, un verre à moutarde et une bouteille de pastis (je n'en dirai pas la marque) les deux offerts à personne et à tous. Chêne, source, ombre, verre et bouteille en attente dans une espèce étrange de connivence qui correspond à un savoir vivre. Maintenant deux remarques: mise à part l'intention érudite de pister comme à la trace l'écho de ce principe aussi bien dans l'histoire que ce qui la précède, d'en repérer la présence active dans la philosophie compris la plus rationaliste, d'opérer en quelque sorte un vaste retour amont jusqu'à l'aurore humaine, par quoi le principe en question s'exprime-t-il aujourd'hui ? - Par le corona. Il nous rappelle flegmatiquement à cet ordre que je dirai « confinant », sachant que « finis » désigne aussi bien la limite (la frontière) que, dans l'ordre éthique, les « fins », leur « règne » formule de Kant. Serait-il entendu ce rappel, qu'y aurait-il à en conclure ? - Grande en tout cas la tentation, que je ne prête pas à J.M, d'adopter un mode de pensée où entrerait en jeu la notion de faute et la recherche d'un coupable, la connaissance scientifique et rationnelle en offrant un facile à désigner et accabler dès lors qu'on lui attribuera un complice : la technique. « Devenir maitres et possesseurs de la nature », Ubris et Némesis, mort à Descartes, nouveau Prométhée franchouillard des techno-sciences... Possible, probable même que jadis, en tel ou tel lieu, pour tel ou tel peuple, où les Humains se comptaient par centaines ou milliers mais pas en milliards, ait régné un Age d'or fertilisé par ce Principe qui n'en est pas un. Ce temps quoi qu'il en soit est révolu et nous en sommes ou nous en sommes. Pas de nostalgie.Nous avons mordu dans la pomme. Inculper Descartes (ou Denis Papin!) ne sert strictement de rien et ne constitue qu'un prêche au mieux inaudible. En outre et cela sera ma seconde remarque, le visage qui est alors accordé aux sciences me semble pour le moins caricatural. Dans bien des cas l'on constate que la co-appartenance de l'humain à tout ce qui l'entoure, dans notre univers ce sont les sciences qui l'ont établie et recodifiée, de Galilée posant que la terre et l'homme ne sont pas le centre du monde, jusqu'à Planck et à la mise en évidence des limites de nos capacités représentationnelles ou imaginatives en passant par Darwin et à l'humain pris comme un moment de la vie et de son évolution. Loin également que les sciences, depuis déjà longtemps, se soient opposées à d'autres formes de savoir que je qualifierais d'empiriques, elles se sont employées à jouer le rôle de « traducteur » de ces savoirs autres à l'intérieur du nôtre : voir la pharmacologie et ce qu'elle a extrait de ces savoirs empiriques. J'en déduis quoi ? - Que du Principe nous ne tirerons rien d'utile en l'opposant aux sciences et à la rationalité. Que depuis De Broglie nous savons qu'un seul et même phénomène peut être décrit en termes superficiellement contradictoires, onde, corpuscule. Que le Principe est à formuler dans des termes actuels. Que c'est le développement même des sciences qui force à les soumettre à une forme de rationalité supérieure comme à examiner de façon critique l'ensemble des liaisons dangereuses et non nécessairement amoureuses qu'elles entretienent avec d'autres instances : l'armée, l'industrie, la finance, j'en oublie. Et à poser des limites. Fonction par exemple d'un visage actuel du Principe : celui, plus modeste mais efficace du Principe de Précaution, autour duquel (et de la loi qui lui correspond) gronde comme on le sait une sourde bataille, on ne peut plus économique.

   

Samedi 25 Avril 

Ce n'est pas hasard si j'ai achevé le billet précédent par la mention du Principe de Précaution. D'une part certes parce qu'il me paraissait fournir un exemple de la « recodification » du Principe très philosophique qui pose que l'humain est inséparable de la nature, d'où il provient et de laquelle il dépend, mais aussi à cause d'un « retour », par mail où B.L m'envoie un texte concernant ce Principe, dont je connaissais l'existence mais sur lequel je ne m'étais jamais penché avec l'attention nécéssaire. S'agissant du Corona j'ai mentionné (citant même la loi qui lui correspond) un autre Principe, celui de Prévention, qui me semblait bien plus adéquat à souligner que celui de Précaution. Je continue d'ailleurs à le penser, si on ne va pas à la racine des choses et s'en tient à la situation telle qu'elle est aujourd'hui (ou demain, car la pandémie est toujours présente et très active, aussi bien au Royaume Uni qu'aux USA, plus maintenant, comme c'était prévisible, au Brésil). Ces deux Principes sont proches; dans la mesure où l'un comme l'autre tournent autour de la notion de risque et visent sa gestion anticipée : on n'attend pas que la catastrophe se produise, on s'efforce d'agir amont. Dans le cas de la Prévention cependant, le risque et sa gravité sont considérés comme identifiés et prévisibles et il est fait, par loi, injonction aux autorités de l'Etat de mettre en place les mesures et moyens nécessaires à l'endiguer. Dans la pratique et sur la base de certains événements majeurs comme Seveso -ville  où le rejet de dioxine par l'usine Icmesa a provoqué la mort de plusieurs dizaines de personnes - ce principe, énoncé dès 1982, se traduit par le repérage d'activités  susceptibles de générer de tels effets (la pétrochimie, la manipulation et le stockage de gaz toxiques,les centrales nucléaires etc), par l'exigence au sein de ces activités de la mise en place d'un plan visant à les prévenir ou enrayer, par des dispositions d'urbanisme, par des moyens d'évacuation, par la diffusion d'informations à destination du public etc. En clair c'est le même genre de principe qui impose la présence dans un lieu collectif d'un extincteur et d'un parcours de sortie en cas d'incendie. Malgré tout ce dispositif, on a pu constater lors de l'explosion de l'usine AZF-Groupe Total à Toulouse, 2001, à quel point son application pouvait donner lieu à débats; il n'y a guère lieu à s'en étonner lorsqu'on regarde de plus près l'historique des procés qui ont succédé à cette explosion, de 2009 à 2017, toute la question étant d'établir la responsabilité de l'usine, de sa direction ou de son personnel, alors que différents éléments permettent d'envisager d'autres hypothèses, depuis celle d'un attentat jusqu'à celle mettant en cause une autre usine, située à proximité et placée sous secret-défense car dédiée à l'élaboration de carburants très spéciaux, à usage militaire ou astronautique. Chance, le Principe de Prévention mentionnant en toutes lettres le risque épidémique, et celui ci ne pouvant guère être mis au compte de quelque geste intentionnel (sauf à s'appeler Donald Trump, qui réitère en ce moment son accusation à l'égard des Chinois, menace l'OMS de cesser de verser ses subventions et même exige, autre pantalonnade, de l'Etat chinois des compensations financières) il est clair que le Principe de Prévention s'applique bien au corona. Autre et bien plus complexe, aussi bien dans son histoire que dans son intégration au corps législatif et dans sa mise en œuvre, le cas du Principe de Précaution. D'un point de vue simplement historique il en est allé de lui comme dans bien d'autres occurrences: c'est la race argutieuse, fumeuse et improductive des intellectuels qui l'a énoncé, dans les années 70-80, sous la plume de Hans Jonas, un philosophe. Fût il « le premier » à le faire, on peut largement en douter et songer par exemple à Heidegger, voire Aristote, à la notion de « prudence » ou pour parler grec de « phronesis », éminente qualité du Gouvernant. Derrière un prédécesseur un autre se cache ; on peut même se dire que « cela était dans l'air » et que Jonas n'a fait que condenser un nuage de propos déjà diffus on ne sait depuis quand. Dès 68 le club de Rome lance l'alerte avec son rapport Meadows qui pointe la fin prochaine d'un ensemble de ressources non renouvellables. Les verts Allemands émergent en 72 etc.  Jonas disons vite, il n'est qu'un symbole. Ce qui n'est pas le minimiser, mais le relativiser. Que dit-il dans son Principe Responsabilité ? - Que, compte tenu des sciences et des techniques dont il dispose, l'humain contemporain (tous et chacun) est devenu « responsable » de la planète, de l'ensemble des formes de vie qui la peuplent, de leur avenir en général et en particulier des générations humaines à venir. Avenir qu'il qualifie de « fragile et périssable ». Nous sommes héritiers et nous léguons. La jeune personne qui intervient désormais dans pas mal d'occasions de la vie publique, voix rousseauiste de la conscience et de la vérité, ne fait que reprendre ce propos, vieux de pas mal d'années. Entre temps, multiples les textes qui l'ont repris, officiellement du moins et sans doute pour certains cas, du bout des lêvres. Il est vrai que les textes en question, issus de conférences internationales n'ayant « aucune valeur contraignante », cela facilite l'unanimité autour de « Principes » qui en soi très louables et sensés ressemblent pourtant à des vœux pieux. Ainsi les 27 « principes » qui ouvrent la Conférence de Rio de 92 « Reconnaissant que la Terre, foyer de l'humanité, constitue un tout marqué par l'interdépendance ». Parmi les 27 le quinzième s'énonce ainsi : « Pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement. » - A peu de détails près, ce sont les termes que l'on retrouvera dans la loi Barnier de 95 en France ainsi que dans l'article 5 de la Charte pour l'environnement, intégrée à la constitution en 2005 à la suite d'un vote poussif des 2 chambres, 400 parlementaires n'ayant pas voté... Quant au sens général (et au champ d'application) du Principe de Précaution, il a été clairement posé en 2000  par le Rapport de P. Kourilsky et G. Viney au premier ministre : le Principe de précaution.
 « Le principe de précaution définit l'attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu'elle comporte un danger grave pour la santé et la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l'environnement. Il s'impose spécialement aux pouvoirs publics qui doivent faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre Etats. » (https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/004000402.pdf) – On voit alors clairement et que le Principe de Précaution concerne avant tout le pouvoir politique à qui il est demandé de l'imposer aux intérêts économiques particuliers, et que son champ n'est pas limité à l'environnement au sens strict, qu'il comprend aussi bien les groupes humains tant « actuels » que « futurs ». Par la suite, et encore aujourd'hui, le Principe de Précaution, bien à tort, a été rendu synonyme à peu près de « Dans le doute abstiens- toi ». En relisant le texte on constate qu'il n'en est rien ; ou plutôt que c'est l'inverse. D'abord il est nécessaire qu'on aie des raisons raisonnablement fortes (l'usage du mot « raisonnablement m'étonnera toujours dans les textes juridiques) de soupçonner que telle ou telle activité, tel ou tel produit représente un danger grave, sans que l'on puisse l'affirmer en toute certitude ; ensuite,  de ce soupçon ne découle pas un « non-agir » mais l'invitation formelle à engager les travaux et recherches visant à établir scientifiquement ce qu'il en est. Un exemple récent a été fourni par la pandémie quand il s'est agi de valider ou invalider un traitement, la chloroquine entre autres, ce qui a débouché sur le projet Discovery. Dont on attend toujours les conclusions...! - Auparavant, songer au Gaucho et au Regent, deux produits insecticides autour desquels se sont déroulés un long et âpre combat et plusieurs revirements de bord. Au travers dequels on constate que le principe de précaution, entre les pressions corporatistes, les affirmations « catastrophistes », les lenteurs administratives ou juridiques et les intérêts industriels en jeu a bien du mal à frayer son passage... On se doute que des groupes aussi puissants que Bayer (fabricant du Gaucho) ont tout moyen de diligenter des études scientifiques qui leur sont favorables et de s'entourer d'une armée d'avocats à l'échelle européenne ou plus. Me frappe dans tout cela surtout la manière dont les thèses « éthiques » de Jonas se sont trouvées recyclées en peu de temps dans l'ordre du juridique et des « Déclarations » ou « Proclamations » des instances politiques internationale. Alors que, et indépendamment de toute la sympathie que l'on peut avoir pour ces thèses, elles n'en restent pas moins, comme toute philosophie et toute éthique, sous l'égide d'assertions métaphysiques nécessairement singulières, et contestables. La plus générale qui me vienne à l'esprit est celle-ci : admis qu'il « Y a de l'être » (et pas « rien ») en quoi ceci m'assigne-t-il des limites ? Le Gaucho n'est il pas ? Il est. Inclu et interdépendant, soit mais il est. On peut s'opposer à son usage, soit. Mais pourquoi le devrait-on ? - Certainement pas au nom de l'être, sans qu'on ajoute à cette expression pas mal de choses, qui aboutissent à distinguer un sur-être (sacré), et des sous êtres (profanes). Après tout, à quelqu'un qui vous dirait « 2000 espèces vont disparaître dans les 20 ans, la biodiversité je m'en fous, les dinosaures ont disparu et alors ? » - Que répondriez-vous ? Que vous êtes « gardiens de la planète » ? - Hi ! Ferait-il, c'est tout de même assez prétentieux !, au fond du Descartes à l'envers - Sans compter qu'il en est pas mal d'autres, de planètes et pas mal qui existaient il y a une seconde et qui viennent de disparaître, alors... » - Quant aux « générations à venir » je laisse à imaginer combien il serait facile d'ironiser sur les obligations qui me nouent vis-à-vis des humains de l'an 3000, supposés qu'il en reste après la chute d'une météorite que le Principe de Précaution n'a pas suffi à écarter. Il n'y a pas de Principe qui ne relève d'un choix. Dont rien ne dit qu'il soit unanimement partagé. Le Beau ? - Sans les humains la planète serait elle plus ou moins belle ? Le Bien ? - Oui, celui de qui ? - Pour Aristote l'incarnation de la Phronésis dans l'Ethique à Nicomaque, porte le nom de Periclès, homme qui a su « choisir raisonnablement » parmi l'ensemble des possibles de ce monde « sublunaire » où aucune certitude absolue n'est donnée, le meilleur chemin vers le Bien commun de la cité. Quelques temps auparavant Platon se moquait du même Periclès, incapable d'avoir transmis sa prétendue sagesse à ses enfants. Ce qu'il aurait fallu ? Que tous les citoyens deviennent philosophes ou que le philosophe devienne Roi. C'est la solution de Platon. Celle de Jonas aussi car on ne peut compter sur la  « minorité mondiale dévergondée des sociétés démocratiques et libérales où règne l’abondance pour prendre des mesures autoritaires et impopulaires qui s’imposent ». Vive qui ?

 

Dimanche 26 avril

On peut se tromper dans des choix, tâtonner, corriger... Le problème dans les décisions prises, en France comme en d'autres cas, est qu'on n'y trouve l'empreinte d'aucun choix « raisonnablement » effectué. Le simili déconfinement pour le 11, s'il découlait du constat que la pandémie a disparu ou va disparaître, pourquoi pas; il n'en est rien: il provient seulement de la nécessité de remettre les citoyens au travail. En d'autres termes: « Le choix c'est: on n'a pas le choix... » et l'urgence, naguère qualifiée de sanitaire, la voici économique. Je me suis amusé à regarder de plus près ce qu'il en était sur ce plan, au delà des chiffres plus ou moins terrifiants dont nous sommes abreuvés, le chômage qui augmente de 10%, le nombre de millions de personnes en chômage partiel, la chute du PIB etc. Détourner les yeux de tous ces chiffres, regarder ailleurs, du côté de la Bourse: du sérieux. De Mars à aujourd'hui, elle a globalement plongé, cela ne surprendra personne. Globalement, mais pas de manière indifférenciée. Il est même des secteurs, liés au NASDAQ et aux nouvelles technologies qui ont progressé et continuent de le faire. Si vous avez de l'argent à placer je conseille d'investir dans les applications liées au télé-travail, télé-enseignement, télé-loisir ou au traçage. Comme il est des secteurs,  tourisme, compagnies aériennes, qui ont chuté de 80 ou 90%. Ce qui n'est rien à côté du pétrole, dont le baril se négocie désormais pour une misère et qui, aux alentours du 20 Avril est même tombé à des valeurs négatives, -37$, du jamais vu! - Pourquoi? Par la conjugaison de deux facteurs, d'un côté les difficiles accords entre Américains et Saoudiens pour la réduction de la production, de l'autre, bien sûr, la chute vertigineuse de la consommation suite au corona. Pour mieux comprendre il faut savoir que les « commandes » passées au producteur ne se font pas au jour le jour mais plusieurs mois à l'avance, elles l'ont donc été avant la crise du corona ou de ses effets. Quand arrive la livraison, vers le 20 Mars, les stocks sont saturés: du pétrole personne n'en veut et voici que les  acheteurs cherchent désespérément où stocker, quitte à revendre à perte. Or ceci concerne avant tout les compagnies américaines qui, depuis la 2° guerre mondiale ont fait main basse sur les ressources pétrolières de l'Arabie Saoudite en échange d'un soutien militaire et politique face aux puissances voisines et, actuellement, l'Iran d'abord. Dernière pièce du puzzle: l'industrie du gaz de schiste, essentiellement américaine et récente dans son développement. Industrie (controversée!) coûteuse qui pour atteindre un seuil de compétitivité face au brut « standard » a besoin de cours élevés, au moins 50$. En quelques semaines le nombre d'exploitations en activité a chûté de plus de 60% et beaucoup d'entre elles sont désormais au bord de la faillite avec un endettement colossal de 200 milliards de $, une paille. La lenteur de Trump a reconnaître l'importance de la pandémie on se l'explique mieux à la lumière de ces quelques faits, comme aussi bien sa volonté de « relancer » au plus vite la machine productive, alors même que les chiffres de décès, d'hospitalisés et de contaminés aux USA augmentent sans cesse. 80 000 morts aujourd'hui. De même s'agissant des prestations ubuesques où il proclame urbi et orbi que le virus peut être aisément soigné, par ingestion-injection (on ne sait pas très bien mais lui le sait) de gel hydroalccolique ou par usage de rayons ultraviolets, ainsi qu'il l'a déclaré lors d'une conférence de presse devant des journalistes ébahis... Et hilares! - Néron jouant au poète dans la Rome antique, passe encore, mais Trump enfilant le rôle de professeur de médecine, est-ce imaginable? - Non, mais c'est bêtement vrai. Item pour les tweets par lesquels il prend la défense des « honnêtes citoyens » américains, des miliciens qui partent à l'assaut du palais du gouverneur (une gouverneuse et une démocrate...) du Michigan pour exiger la levée des mesures de confinement. Débarqués de pick ups abondamment décorés aux couleurs et insignes de Trump ou de la National Rifle Association regardez-les, en armes, fusils d'assaut et tenues de rangers, ils envahissent et occupent les bâtiments à l'entrée desquels ils apposent une banderole, « FREEDOM ». Pour les sceptiques : https://photogallery.indiatimes.com/news/world/in-pics-armed-protesters-storm-michigan-state-house-against-covid-19-lockdown/In-pics-Armed-protesters-storm-Michigan-State-House-over-COVID-19-lockdown/articleshow/75528670.cms L'on voudrait faire croire que le « Reopening » est exigé par un nombre croissant d'américains (et bien sûr d'autres manifestations du même tonneau sont programmées à travers les Etats Unis, notamment au Texas) et qu'il exprime une aspiration démocratique à laquelle le Président consent, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Oubliée la Task Force (c'est le nom ultra guerrier donné au comité entourant Trump pour la croisade contre le corona), négligés ou discrédités les avis des scientifiques, priorité désormais à « l'économie ».“Once we OPEN UP OUR GREAT COUNTRY, and it will be sooner rather than later, the horror of the Invisible Enemy, except for those that sadly lost a family member or friend, must be quickly forgotten, our Economy will BOOM, perhaps like never before!!!” devinez qui tweette en regardant droit devant: les élections c'est pour bientôt.

 

Vendredi 1 Mai

Aujourd'hui levé comme d'habitude vers les 8-9 heures (pas vraiment de raison de se précipiter) j'avais des courbatures dans les jambes. Un peu normal, à rester assis toute la journée ou presque devant mon ordinateur sur  la table de la cuisine pour écrire ce journal. Et si je descendais faire 3 courses, marcher un peu ? Il me faut du tabac, je pourrais aller le long du cours, peut-être jusqu'à l'atelier, la boite aux lettres doit être remplie à ras bord, les factures n'ont pas été payées, ils auront coupé l'électricité et même le web. Quand les lettres arrivent le délai de paiement est déjà dépassé. Ce rappel vous sera facturé 30€. Si je me souviens bien ma voiture doit être garée dans le coin. Je la ferai démarrer si la batterie n'est pas à plat, comme je redoute. Et au cas où ?- Au cas où, rien, je saurai qu'elle est toujours là-bas (j'ai un doute, dans ma mémoire elle est en tain de s'effacer, à peine un fantôme de voiture, la peau d'un serpent après la mue) et qu'elle ne démarre pas. Dans le vide on s'accroche comme on peut. Et j'aurais marché. Dans l'infâme circulaire que des « experts » ont rédigée, au moment du « Pic » dans le Grand Est, pour « faciliter les prises de décision » concernant l'admission des malades du corona en soins intensifs et réanimation au lieu de les diriger vers des soins palliatifs, il y a un tableau, avec des critères, des questions à adresser au patient. La première concerne l'âge. Au delà de 70 ans vous encombrez et il faut de la place. Chance, il reste une place dans le couloir, on vous y véhicule. La seconde est une question à adresser à l'inculpé, avant le « triage » : « Avez- vous une activité physique régulière ». Répondre oui, il faut que je m'y prépare. « Vous faites quoi ? » - « Je vais à mon atelier, à pied ». Evidemment si on me demande à quelle distance se trouve  cet atelier je saurai répondre « Un peu moins d'un kilomètre ». Et j'ajouterai que j'ai mon attestation. C'est en descendant les étages que j'ai ressenti les premiers symptômes. A cause des courbatures j'avais pris la rampe, de la main gauche. D'abord en bois, puis en métal. Je la laissais glisser sous ma paume. Tout à coup je l'ai lâchée, me disant que ça pouvait être très dangereux une rampe, que c'est le genre de choses que n'importe qui peut toucher et que les autres habitants de l'immeuble je n'ai aucune idée de leur état. La voisine d'en dessous qui se peint les ongles sur le rebord de sa fenêtre m'a l'air en bonne forme, mais il y a des contaminés asymptomatiques et ils sont aussi contaminants que les autres, ou peut-être plus. Ceux du second je suis tranquille: outre les chaussures ils ont placé un matelas devant leur porte. Ils ne sortent plus du tout. Peut être sont-ils morts de faim ? Les autorités devraient y songer, on mettrait une affichette ou un flyer sur la porte des immeubles, ici pas de cas, ici 1, ou deux. Trois l'immeuble serait condamné, un grand scotch rouge et blanc en travers de l'entrée, STOP CORONA ! - Mais les autorités... Sans la rampe les courbatures se sont réveillées et elles l'ont emporté, j'ai tiré ma manche sur ma main et j'ai réempoigné la rampe, rassuré. Un pull ça se lave et à 60°C , le virus Kaput, sauf celui du premier rinçage, à l'eau froide, mais lui il est évacué vers les eaux usées, on lui fera la fête au terminus. La porte, tout en bas, quelqu'un a détraqué la fermeture automatique, maintenant on peut l'ouvrir d'un coup de pied, c'est plus sûr. Dehors. Dehors, bien que le ciel soit impitoyablement bleu et l'air paisible, il n'y a pas grand monde. Quelques survivants du quartier, qui se saluent d'un hochement de tête. Quelques attroupements où l'on discute comme maintenant l'on discute, plantés à distance, masqués, avec beaucoup de gestes, de loin on dirait une pièce de théâtre,  ce qui me donne une idée pour une requête créative que m'a forwardée B.L, « relire les classiques à la lumière du corona », lui il a pensé à Beckett. Moi, Huis-clos, Sartre. Sans m'arrêter j'ai poursuivi mon chemin. Direction le tabac. Un bar-tabac en fait, et une quasi institution ajaccienne, ouvert tous les jours et d'ordinaire très fréquenté. J'y vais assez souvent le dimanche quand il fait beau, boire un café ou une bière en terrasse, lire le journal, mais on ne peut pas dire que je fasse partie des habitués. La patronne est sur le seuil, en train de fumer mélancoliquement devant la terrasse siphonnée de ses tables et de ses chaises. Je m'approche (pas trop!) et elle me fait signe de la suivre tandis qu'elle regagne son poste, derrière le comptoir et près du tiroir caisse où d'ordinaire elle trône, plutôt renfrognée à cause de l'affluence, vous voulez quoi? - ça fait tant.Tiens, je me dis, c'est la première fois que je la vois « en pied », avec un pantalon très mode et des escarpins. Rondelette. La première fois aussi qu'ayant pris position, elle me regarde et me dit « bonjour » avec un franc sourire. Un peu surpris je réponds de même. De la drague dans l'air ? - Pas du tout ; une sorte d'amabilité et de complicité de personne à personne et la substitution d'une relation directe aux rapports commerciaux coutumiers. Effet paradoxal de la distanciation et de l'expansion des échanges virtuels, la pandémie peut aussi redonner valeur à une forme de reconnaissance de l'humain d'ordinaire ensevelie par les rôles et les fonctions que chacun endosse. Elle dépouille et met à nu ce que j'ai envie de nommer la simple faim d'un autre qui, désormais apparaissant au loin, n'en devient que plus visible, comme la terre ferme vue du large. Dans le métro, aux heures de pointe où l'on s'entasse et agglutine je n'ai jamais ressenti cela. Les regards se détournent et les corps forcés à la promiscuité semblent secréter une coque répulsive. On est en garde, sur son quant à soi. Plus on se colle, plus on s'ignore et il suffit d'ajuster une paire d'écouteurs dans ses oreilles pour que le tour soit joué et qu'on se fasse monde, clos, cadenassé comme une noix. Avec ma buraliste nous avons bien passé une dizaine de minutes à parler de tout et n'importe quoi, des banalités sans doute, mais dont nous ne nous lassions pas, ni elle ni moi. Que ça commençait à faire long et qu'on en avait marre mais qu'on n'y pouvait rien. A la fin me montrant le comptoir désert, les spots éteints, les chaises et les tables remisées, « Vous vous rendez compte ce que ça me fait... » bafouille-t-elle, sans pouvoir expliquer davantage. Elle en avait presque les larmes aux yeux. J'ai secoué la tête et je suis parti en lui disant au revoir. J'ai repris le cours, vers l'atelier. C'est, en ligne droite, un vaste trottoir bordé d'arbres on y a vue quasiment sur les 600 mètres où il file. Pas âme qui vive, un désert. J'avance. Soudain, de là-bas, au bout, une silhouette qui vient vers moi. Stanley va-t-il rencontrer Livingstone ? - Au fur et à mesure que nous nous approchons l'un de l'autre, je la reconnais. En tenue de ville et masquée de bleu-touareg c'est ma caissière, celle du supermarché où je vais faire les courses. Avec elle je n'ai jamais échangé plus de deux ou trois mots. Mais là, alors que nous ne sommes plus qu'à quelques mètres l'un de l'autre et allons nous croiser, je la vois qui me regarde et moi aussi je la regarde et je finis par lui dire « Bonjour... » à quoi elle répond  d'un petit signe de la main et d'un sourire, invisible à cause du masque, il se devine à un bref plissement de la peau à gauche et à droite des yeux, deux minuscules étoiles. Peut-être est-ce naturel, un substitut réflexe de sourire inventé par le visage pour compenser l'effacement de la bouche, ou peut-être ma caissière s'est elle entrainée avec soin devant le miroir, qui sait? - Ragaillardi, je reprends ma route, songeant à un mail que m'a envoyé J-J.A. Il me dit « Essaie de tousser dans un supermarché , tu vas voir... » Il a raison, ça doit faire autant d'effet que de sortir un revolver dans une banque. Mais je répondrai à J-J.A que la forêt ne doit pas cacher l'arbre, je lui raconterai la buraliste et le feu d'artifice au coin des yeux de la caissière au masque bleu. Pour l'instant voici la voiture. Décorée de toiles d'araignée elle n'a pas bougé d'un pouce depuis deux mois et ce n'est pas aujourd'hui qu'elle bougera comme j'ai tôt fait de le constater, batterie à plat, bien sûr. Laissons tomber. Elle est comme tout, elle a pris un coup de vieux. J'ai continué jusqu'à l'atelier. Ils n'ont pas coupé l'électricité, pas encore. Les courbatures avaient repris de plus belle et je me suis laissé tomber dans un fauteuil devant un ordinateur que je n'avais pas envie d'allumer. Autour de moi tout était exactement dans l'état antérieur. Figé, comme ces appartements quittés par les occupants, la vaisselle est encore sur la table, en hâte sur certains meubles on a jeté des housses sinon qu'ici il n'y a pas de housses ou plutôt qu'il n'y en a qu'une, aussi transparente que le temps. Inutile de m'attarder, je vais rentrer chez moi, je vais aller me confiner. Ca va être dur d'en sortir. Comme d'un lieu où l'on s'enlise. Torpeur. Le confinement agit comme un poison qui se répand lentement par les veines, un narcotique, il engourdit tout, peu à peu on s'habitue à lui, on en redemanderait presque, c'est une addiction. De retour j'ai noté l'idée à envoyer à B.L:

 

« Huis clos de Sartre (scénographie)

 

les différents acteurs sont chez eux derrière leur téléphone portable

reliés à un terminal

qui redispatche (UDP-muticast) les répliques à tout connecté

 

les différents acteurs peuvent choisir leur arrière plan

selon leur fantaisie

mur blanc

étagères avec boites de conserve ou photos de famille

....

les différents acteurs peuvent choisir leur masque

selon leur fantaisie

masque blanc FFP2

masque blanc grand public ou même

un moule en plâtre de leur propre visage. »

    

Mardi 5 Mai 

Presque immédiatement après le dernier billet, J.B, poète et lecteur sagace, (deux qualités rarement réunies, la plupart des artistes que je connais sont incapables de sortir d'eux-mêmes comme une vraie lecture l'exige) m'envoie un mail pour me dire qu'il s'inquiète de ma santé et particulièrement de ma santé mentale : « Cher Ph.C » me dit-il « revenons à nos amours, à nos projets, à nos activités... » Il est vrai que l'heure et le jour du « déconfinement » sont désormais proches et que toutes les choses que j'ai laissées en plan, un roman achevé, à relire, un numero de DOC(K)S achevé lui aussi et en l'attente d'une décision du CNL(en télétravail) pour être imprimé, une performance en Espagne, une autre en Hongrie, deux ou trois expositions etc... je devrais en ressentir le besoin et le désir de m'y remettre. Eh bien NON, je ne le ressens pas, bien que je puisse rationnelement admettre-comprendre qu'il le faudrait. Sinon que la bizarre créature que je suis et à l'énigme de quoi je suis soumis (comme tout un chacun!) capable d'être passionnée de sciences, de logique et même d'écrire des pages et des pages de code pour programmer une application pour téléphone, si elle se sert de la « raison » elle n'entend pas s'y asservir. C'est d'ailleurs qu'elle tire ses ordres et ses règles. Un ailleurs que j'ai bien du mal à localiser ou définir. Il s'exprime, se murmure, en moi comme une voix « va par ici, va par là » et même plutôt que de s'exprimer il se vit comme l'obligation de suivre ce que je ressens. Un humus qui me semble à la fois corporel et mental. Tous mes actes y trouvent leurs racines, c'est de là qu'ils germent. Suis-je « un cas », je ne crois pas et, le serais-je, voudrait-on me dire qui n'en est pas un et quel est le modèle « type » de la normalité qu'il me faudrait rejoindre. Et comment ? Boire plus de whisky ? Moins ? Manger vegan ? Faire du jogging ? Acheter un vélo électrique (à Ajaccio il y a plein de côtes...) ? Prendre des « vacances », et où, ici c'est une île, on ne bouge pas comme on veut, et cette île elle se situe à bien plus de cent kilomètres du nouveau périmètre de liberté que E. Philippe vient de nous allouer avec la carte que les medias affichent, absurde comme d'hab : la Corse du Nord en rouge et celle du Sud en vert, où toute l'épidémie a démarré et prospéré, un couac de plus, c'est à vos informaticiens, c'est à vos statisticien que nous devons cette ânerie vous ne devez pas les payer assez, passons passons, venere de moi !!!) - Passons, parce que d'abord le fameux « déconfinement » ne sera qu'un copié-collé de ce qui règne actuellement et que tous les chiffres que je vois le démontrent. Aurions-nous, par le confinement, jugulé la pandémie en Europe (au Royaume-Uni ça continue, en Allemagne ça repart), aurions -nous le bonheur de découvir que le virus est « saisonnier » en quoi cela nous avancerait-il ? - Nous aurions « sauvé » l'industrie du tourisme pour l'été ? On nous décorerait pour cela ? - Une « prime » ? On nous imposera le port du masque parce que désormais on en a ? On nous testera parce que désormais on le peut ? Tristesse et colère ! - Voici mon « sentiment » dont je ne sais s'il est « partagé » par 2000, 200000, 20000000 followers, ce dont je me fous : il est le mien, c'est à lui que je (me) dois d'être fidèle. Je le résume : nous ne sommes pas allés vraiment au fond et ne pouvons pas remonter d'un coup de pied. Nous sommes dans le Même, leur date n'en est pas une. Et leur « reprise » qui n'est qu'une poursuite, en pire et en pitre de ce qui était, n'a aucun sens. Le virus est un kairos : occasion ou jamais de remettre en cause et penser. Ceux qui rêvent d'accélérer le déconfinement, qu'ils me disent quel monde ils veulent. Si c'est « le même », il faut qu'ils sachent de quel prix cela se paie, un tas de morts, combien, dites-le ? - A 3000000 on discute. A 5000000 on s'accorde. Bien sûr un tas de morts dans lequel on n'est pas vaut moins qu'une paillotte dans laquelle on s'asseoit : garçon un 51 - Vous nous avez appris à regarder la réalité en face pour que nous oubliions nos désirs et nos rêves. Eh bien OUI, regardez LA en face, la vôtre, et surtout ne nous chantez plus de chansons. Enlevez votre canotier Maurice.  Comme je sais que vous ne le ferez pas, stop. Je préfère me consacrer à ce que je sens, dans mon esprit et dans mon corps et surtout entre-au-delà des deux. On peut dire, comme Elie, mon fils, -de plus en plus « conspirationniste »- que toute cette histoire vise à nous préparer (à créer) à un monde télésurveillé etc., celui de la dictature mondiale à venir. Que des gens incapables de dresser une carte en trois couleurs soient capables d'un tel plan machiavélique, excuses, Elie, je ne le crois pas. Ils ne font qu'obéir aux règles du système dans lequel nous sommes et qu'ils servent. Tu leur prêtes une qualité qu'ils n'auront jamais : l'imagination et ce monde il y a longtemps qu'il est en gestation. Comme J.M on peut en appeler à la Résistance !; à mes yeux c'est sous-estimer les transformations qui résultent du confinement et la marque qu'elles laissent dans les corps, les esprits et les comportements, d'autant que le « déconfinement » n'en est un que partiel et que la pandémie persiste. Les gens n'ont pas simplement subi le confinement en restant identiques à eux-mêmes, ils se sont adaptés à lui, ils ont oublié un ensemble de règles ou d'habitudes pour en adopter de nouvelles, ils ont modifié leur perception du temps et de l'espace, ils se sont moulés dans le cadre (framework) du confinement. Peu à peu. A la manière dont Hans Castorp, le héros de la Montagne Magique, se fond jour après jour dans les us et coutumes du sanatorium de Berghof, processus dont Thomas Mann rend admirablement compte, comme des changements dans l'ordre de l'espace (Castorp à partir de quelques jours n'éprouve plus le besoin d'aller se promener librement) ou du temps que chacun là-haut jauge très autrement que « ceux de la plaine » : on n'y compte d'ailleurs plus en jours mais en mois. Le temps, c'est le vrai sujet de la Montagne, pures répétitions sans différence, entre repas et repos. « ...Que chacun se souvienne avec quelle rapidité une série, voire une « longue » série de jours s’écoule, lorsqu’on les passe au lit, comme malade : c’est le même jour qui se répète sans cesse. Mais comme c’est toujours le même, il est au fond peu correct de parler de «répétition» ; il faudrait parler d’identité, d’un présent immobile, ou d’éternité. On t’apporte le potage à déjeuner, tel qu’on te l’a apporté hier, et tel qu’on te l’apportera demain. Et au même instant, un souffle t’effleure, tu ne sais ni comment ni où ; tu es pris de vertige, tandis que tu vois venir ce potage, les formes du temps se perdent, et ce qui se dévoile à toi comme la véritable forme de l’être, c’est un présent fixe où l’on t’apporte éternellement le potage... » -Et Castorp s'y fait, comme son corps se fait à la chaise longue et finit par la réclamer. En attendant lui-même de tomber malade. Quand, fin du billet précédent, j'ai utilisé le mot d'addiction c'est à cela que je pensais et, au fond, que si le corona est une maladie, le confinement lui aussi en est une. Que nous avons tous attrapée. Qui nous a mis tous dans sa trappe. De quel genre cette maladie et comment se fait-il qu'elle puisse aussi aisément s'installer et qu'on ne puisse s'en « remettre » guère plus facilement que l'on ne se « remet » de 30 ans d'incarcération ou d'hôpital psychiatrique ? - Chronicité, chronos. Telles les questions qui me travaillent et auxquelles je n'ai guère de réponse claire. Sinon que cette « maladie », elle doit bien s'établir sur un terrain, qu'elle doit exagérer ce qui était déjà collectivement présent; l'analyseur toujours l'analyseur. Une forme de pathologie où il s'agirait de rituels hygiéniques, de phobies du contact et du refus des proximités, de ruptures des liens sociaux voire d'anthropophobie, syndrome que l'on pourrait avoir idée de nommer névrose obsessionnelle, cette pathologie où l'on se lave souvent les mains. Sauf que cette expression évacuerait trop vite à mes yeux la dimension collective et structurelle que je souhaite indiquer, celle qui résulte de l'histoire bien plus (ou autant, par branchement) que de l'histoire individuelle. Plus précisément, du processus par lequel en deux siècles à peu près la médecine et tout ce qui l'accompagne (vaccination, prévention des maladies etc) a pris dans notre univers une place majeure aussi bien pour la prescription de comportements politically corrects que pour la constitution d'un imaginaire redoutable: tous ces microbes, toutes ces bactéries qui nous entourent, que nous ne pouvons voir, qui nous plongent dans une insécurité chronique dont nous attendons que le Médecin chef du sanatorium nous protège. « Deux mois de plus cher Mr Castorp, et nous ferons le point, deux mois ça n'est rien... Au bout d'un certain temps, vous verrez on en redemande... » - Au Japon dans les années 90 a été inventé le terme d'Hikikomoris pour désigner un groupe croissant d'individus qui développent un comportement assez étrange pour ne rentrer dans aucune catégorie analytique ou psychiatrique existante. «Hiki» veut dire «se désister» et «komori»  «enfermé» ; Les hihikomoris ne sont ni schizos ni paranos, ils pratiquent la claustration volontaire, ils ne sortent plus de chez eux ou de leur chambre quand ils habitent chez leurs parents, sans manifester aucune forme de révolte ou protestation. S'ennuient-ils ? Pas du tout : ils passent leur temps devant leurs écrans et leurs jeux videos, ils communiquent via facebook, le monde « extérieur » nenni, la second life est ailleurs et elle est vraie... Depuis 1990 le phénomène a contaminé l'ensemble des pays occidentaux. On peut y voir une forme de désertion sociale par impuissance à agir sur ce que nous nommons, nous qui ne sommes pas des hikikomoris, le réel. Un auto-confinement qui précède et fonde symboliquement (sinon structurellement) celui que nous avons vécu et dont nous ne sommes pas prêts de sortir. Autre poète (et publié dans DOC(K)S) - ayant fait une mauvaise fin (il est devenu président de son pays) - Vaclav Havel déclare en 1991 « Sans révolution globale de la sphère de la conscience humain, rien ne peut changer positivement même dans la sphère de l’existence humaine, et la marche de notre monde vers la catastrophe sociale, écologique, et culturelle est irréversible » ; c'est devant le congrès américain que Vaclav parle, il ne semble pas que Trump s'en soit souvenu. Demain je me « déconfinerai », à petits pas, toujours des courbatures, des séquelles, tout le monde en aura. Allez Maurice, reprends ton canotier et dis-nous comment elle va, la marquise.

 

 Vendredi 8 Mai 

B.B, le cher éditeur d'Albiana qui met ce journal en ligne m'envoie un mail me disant qu'il serait temps d'arrêter. Il n'a pas envie de m'apprendre mort à la tâche. Et oui, il a raison. Déconfinement: occasion de clôre. Même si il y a quelques thèmes que je regrette de n'avoir pas approfondis,  celui des « grandes » religions, étrangement soumises, et surtout des sectes; nombreuses à nous annoncer la fin du monde comme châtiment divin, je m'étonne qu'elles ne fassent pas plus parler d'elles en ce moment, en France du moins, puisque, en Corée et ailleurs, elles n'ont pas manqué de sauter sur l'aubaine. Certaines n'hésitant pas à rallier les milices d'extrême droite hostiles au confinement, ainsi aux USA. l'Apocalypse, joli sujet pour finir, tant pis. Me reste en travers de la gorge que le déconfinement ne marque aucun tournant réel. Le virus est toujours là et s'il stagne en France, Espagne ou Italie, aux USA, au Brésil, en Amérique Laine et en Afrique les chiffres continuent de s'envoler. Que l'on rétablisse les transports aériens et maritimes, réouvre les plages, les hôtels, les campings, il est à craindre que chassé par la fenêtre il nous revienne par la porte. Revigoré. Ayant muté peut-être, droit accordé à tout virus. Une fois de plus, nous n'avons aucune certitude et celles qui, ici, devaient être établies s'effondrent au jour le jour. Traitements? - Discovery a disparu des radars, quelque part au dessus du marécage européen sans que les boites noires aient livré leur secret et des divers remèdes envisagés, saurons-nous jamais lequel ou lesquels ont été validés…  Ou aucun. Et le vers breton, où en est-on du vers breton, surabondant et suroxygéné, et la transfusion de plasma?  Tests? Avec le déconfinement Macron nous les avait promis généralisés mais apparemment c'était un Gascon qui parlait. Vaccin. il était pour demain, on l'annonce maintenant pour l'année prochaine. A moins que et sait-on jamais. Conclusion, la seule, le déconfinement n'exprime rien d'autre que l'impossibilité de maintenir le confinement tout en relançant l'économie selon des bases identiques à celles d'hier: produire pour consommer, consommer pour produire, épuiser les ressources et scier la branche sur laquelle on est assis. Morose ce déconfinement, comme une gueule de bois dans la cellule d'un commissariat. Je ne vois aucune raison de pavoiser. Au contraire parce que je devine bien quels mots vont reprendre du service: « sacrifices », « efforts » à consentir, licenciements à accepter, salaires en berne, chômage à la hausse, dégraissages en tout genre, on connait la chanson, elle n'a rien de neuf hormis l'augmentation du télétravail. Avant, tout cela se faisait au nom de la "compétivité", aujourd'hui cela sera au nom de la reprise. Et dans les deux cas pour un système, le capitalisme néo-libéral, qui vient de démontrer toutes ses limites en même temps d'avouer qu'il constitue le socle intangible de nos sociétés occidentales. Face à lui les pouvoirs n'ont pu et ne peuvent rien faire sinon étalage de leur incompétence et de leur imprévoyance congénitales. Avides, oui, et attachés à leurs prébendes mais pas vraiment méchants ni machiaveliques et pas même spécialement idiots. Conscients-inconscients, ils ne sont que des marionnetttes ou des agents. Alors certes, ça va reprendre, mais dans un climat on ne peut moins festif, celui d'une résignation et pas du tout d'une libération avec flons-flons et bals populaires. Sauf si rassemblant moins de 10 personnes, elles se trémoussent masquées à 1m 50 l'une de l'autre. D'autant que, par la multiplication des appels à la "prudence", au respect des gestes barrière, de la distanciation et du marquage au sol comme par l'expansion de l'arsenal sécuritaire, la différence entre confinement et déconfinement se soldera par la possibilité de prendre sa voiture pour aller à 100km de chez soi... Se sentir libéré sous l'oeil des cameras de surveillance, des drones et des applications de géolocalisation, ce serait tout de même un comble! Se sentir libéré alors que chacun sait que le virus, aurait-il la suprême gentillesse de disparaitre avec les vacances et l'été, n'a été qu'un coup de semonce avant une suite difficile à éluder et excédant de loin l'actuelle pandémie. Suite qu'évoque Vaclav Havel dans la phrase que je citais à la fin du billet précédent, celle de cette "catastrophe" qu'il dit irréversible si ne s'opère une transformation des consciences. Laquelle hélas me semble aujourd'hui très improbable. Parce que je ne vois pas comment ceux qui tirent profit du collapsus planétaire se convertiraient foudroyés par la grâce. Miracle, le feraient-ils, ils s'emploiraient alors à construire quelque arche dans laquelle embarquer eux et leurs proches. Quant aux autres, les plus nombreux, il y a déjà longtemps que le pouvoir, de peuple les a fait passer au rang de population, journellement exposés au rayonnement des mass médias et quinquennalement (ici) appelés à voter pour un changement qui ne s'est avéré et ne s'avérera que répétition du même, en un peu pire. Ces "populations" peut-on les imaginer entrer tout à trac en ébullition? - Vus d'aujourd'hui les débats et combats d'hier, retraites, gilets jaunes, les affaires les plus scandaleuses, les procès en cours, tout parait désormais situé à des années lumières comme filtré par le corona. Zoom arrière. Du navire reprenant sa route  nous les regardons s'éloigner sur le quai, comme les images en noir et blanc d'un film anachronique. Tant que durera le « déconfinement » renouer les fils sera bien difficile. Et après? Après nous voguerons vers une zone périlleuse où l'on annonce de nombreux icebergs à la dérive mais il n'y aura rien à craindre, on peut faire confiance au Capitaine et, au cas où, on nous distribuerait des gilets de sauvetage. A moins qu'il n'y en aie pas assez?

 

Lundi 11 Mai  - « C'est le bouquet » - tiré depuis les jardins de la Mairie

 


Comme disait Apollinaire : « Ah dieu que la guerre est jolie... »

   

  

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