Pierre Lieutaud - L'intelligence artificielle

Pierre Lieutaud rend à l’humain et à ses capacités créatrices leurs lettres de noblesses. De l’intelligence artificielle, il ne reste plus que l’artificialité… bien fade, face à l’humanité.

 

L’intelligence artificielle est-elle une intelligence ?

Réflexions sur la création

 

L’intelligence artificielle ou l’ensemble des procédures auxquelles on a donné ce nom, a pour objectif de remplacer l’intelligence humaine, mais aussi d’en dépasser les limites, d’aller plus loin, de créer.

Son système de fonctionnement, sous forme de réponses à des questionnements, s'appuie sur les croisements ou les alignements quasi instantanés de milliards de mots, de données et de situations préexistantes ce qui lui donne une rapidité bien plus grande que celle du cerveau humain. Travaillant par compilations, déductions, rapprochements de données éparses sur un thème donné, elle vise au départ à être une aide efficace qui remplacera l’homme dans tous les gestes et raisonnements de base de sa vie habituelle.

Fascinés par les performances, la richesse, la complexité et la logique du cerveau humain, les concepteurs de l’intelligence artificielle ont effectué un espèce de copier/coller de l’organisation de base de ce cerveau, la dotant d’une architecture qui imite les réseaux neuronaux de cet organe dont une grande partie reste pourtant encore inconnue. Une terra incognita qui est le réceptacle de tout ce qu’a reçu génétiquement et reçoit au cours de son existence « l’homme neuronal » et aussi l’espace décisionnel qui oriente ou supplante la logique. Cette mystérieuse partie est celle qui fait de l’homme une créature unique dans le monde des vivants. À côté, l’intelligence artificielle, simple imitation et amplification de l’activité de la seule partie du cerveau que l’on connaisse, ne semble qu’un ensemble aux performances mécaniques et logiques certes infinies, mais qui n’a pas, comme nous allons le voir, la possibilité de créer.

La création, en effet, est une action qui fait appel à bien d’autres éléments que ceux qu’utilise dans son fonctionnement l’intelligence artificielle… Elle est le fruit d’une recherche chez un être humain à partir d’une impression, d’une volonté, d’une envie, d’un besoin que son cerveau met en place et articule dans un ensemble imprévisible, qui varie sans cesse et dont l’origine, en partie issue de cette terra incognita, lui échappe.

Dans ce domaine foisonnant et inexploré, des connexions multiples se mettent en place pour faire accéder à la conscience les éléments de la création future dans un balayage qui brasse tout ce qui peut se rapprocher de l’idée de près ou de loin. Elles jaillissent parfois spontanément, inconsciemment, sans lien apparent avec la recherche, parfois « appelées » par la conscience. Elles obéissent à des « priorités », reflet profond de l’être qui cherche et se manifestent au départ en hiérarchisant ces connexions en fonction de leur importance respective dans le « catalogue personnel » de chaque humain avec une priorité donnée aux caractéristiques personnelles aux cotations les plus fortes. Des seuils de déclenchement qui sont fonction du moment (état des lieux instantané de l’environnement, de l’idée en cours, de l’importance de la motivation personnelle, de la recherche d’adéquation avec les souvenirs…) modifient en permanence l’importance relative de ces connexions. À cela s’ajoutent des phénomènes inconscients de censure ou de facilitation qui interviennent en même temps et obéissent encore à des caractéristiques propres à chaque individu dans le domaine qui constitue le socle de base de sa réactivité « sociale » (éducation, religion, statut social…).

Chaque humain va chercher avec ses caractéristiques propres qui le rendent unique et lui permettront de créer ce que lui seul peut concevoir.La création est donc le résultat de l’action d’un ensemble différent pour chacun. Un ensemble fluctuant, enrichi en permanence de connexions nouvelles, amputé de connexions devenues inutiles, de circuits de réflexion devenus sans issue, remplacés par d’autres, plus fluides, plus adaptés. Ceux qui vont permettre le grand écart de la création entre l’existant et la nouveauté, effleurant l’admis, le décortiquant par petites touches, mettant à jour un manque, comblé peu à peu chez le créateur par une évidence autre, l’idée créatrice, lumineuse pour lui, iconoclaste pour les autres.

Aucun algorithme ne peut ordonner le cheminement de ce processus chaque fois différent. Aucune formule ne peut mettre en équation ce qui résulte du fonctionnement mystérieux du cerveau de l’homme, cet être paradoxal, hypersensible, poétique, musical, nostalgique, résigné, révolté, pleutre, orgueilleux, infantile, imaginatif, borné, suicidaire, conquérant, solitaire, grégaire, pacifiste, guerrier, masculin et féminin à la fois…

Ainsi, l’intelligence humaine est capable de créer, d’élaborer des idées nouvelles, des concepts nouveaux qui ne sont pas le résultat de croisements de données existantes et d’applications d’algorithmes, mais de l’utilisation de l’intégralité du fonctionnement de son cerveau, y compris de sa partie encore mystérieuse et inconnue.

Dépourvue de Terra incognita, d’illogisme, d’affectivité, d’humanité, trainant avec elle la logique qui l’oblige, l’intelligence artificielle est porteuse d’un handicap dont elle ne guérira pas. Même pourvue au même instant de toutes les informations et données imaginables, elle ne pourra que les « mouliner » dans tous les sens, sans franchir le pas de quelque chose d’inconcevable pour elle : la création, l’idée originale, nouvelle, l’invention… Les chercheurs qui disent que l’évolution prévisible de l’intelligence artificielle sera de concevoir des instruments nouveaux qui aideront à la création se trompent. Ils guideront de façon obligée une création qui n’en sera pas une, puisque ces « créations » existent déjà dans toutes les milliards de combinaisons qu’elle pourra effectuer. Elle ne fera que révéler ce qui existe déjà, lever le voile sur un existant caché. Ce qui s’appelle une découverte, mais qui n’a rien à voir avec la création. Découvrir et créer sont deux démarches différentes.

Quand les créateurs, les novateurs, auront trouvé une nouvelle explication du monde, un nouveau système, l’intelligence artificielle aidera les humains en accomplissant à leur place les tâches d’un nouveau programme, comme elle le fait maintenant, avec la rapidité d’une mécanique qu’elle est… Mais elle n’aura pas sa place en ce qui concerne la création, l’idée originale, nouvelle, l’invention.

Cette prise de position un peu inconfortable au regard de la certitude de plus en plus répandue que l’intelligence artificielle supplantera très vite l’intelligence humaine a voulu mettre en évidence l’immense variété de tous les éléments qui font la création. On ne les retrouve que chez l’homme, ce rien du tout à l’échelle de l’univers. Et dans son cerveau qui garde ses secrets et a depuis longtemps compris ce que le corps ignore…

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