Un cri d’amour, par Sylvette Pietri Couderc
Le tilleul
(Mon amour)
« Tais-toi ».
Elle ne reconnaît plus sa propre voix. Elle se bouche les oreilles, se retourne, regarde à travers la vitre le tilleul, dont les branches bougent au gré du vent. Le jour tombe.
« Tais-toi, tais-toi, je ne veux pas entendre, tu sais que je t aime. Pourquoi me faire souffrir... et oui, je t’aime, et tes mots, " tu veux rompre", me déchirent ! Attends, j'ai mal. »
Silence.
Elle se retourne, oppressée, soupire profondément.
« Écoute, je t'aime, pas un peu, pas en passant, (avec véhémence) je t'aime avec force, je t'aime encore et toujours, tu comprends. (Elle murmure) Je tremble, je bafouille, je me sens ridicule mais c'est un sentiment qui me submerge. Alors, oui, pars, fuis, mais laisse-moi avec mon sentiment. Pour toi, j'ai toujours eu envie de soulever des montagnes pour t’aider, être près de toi lorsque tu as été si malade, oui, je sais, je ne suis pas ta mère, mais, je t'en prie, pars, pars... pas de discussion, impossible. J'ai toujours accepté tes absences, tes colères, mais ne me demande pas de ne plus t’aimer.
Je suis folle, névrosée, j aime le malheur? c'est ce que tu dis ? »
Silence.
Elle se masse le cou et le regarde.
« Je suis pleine de toi, de nos étreintes, de nos odeurs, de ces soirées à parler, de nos voyages lointains, dangereux, tu te souviens ?... de tes mains douces et carrées, de tes yeux brillants qui se posent sur moi, et qui se posent souvent sur les autres sans que tu te caches, douloureux pour moi à chaque fois. Oui.
Elle se frotte les mains, elle a mal partout, un goût de cendre dans la bouche et ce corps si lourd ! Exténuée, elle reprend :
« Je t’en supplie, pars, tout de suite. Je suis habituée à tes absences, alors... Je te demande de laisser des choses, à toi, quelques vêtements, des journaux, de laisser notre lieu intact, que je ne souffre pas. »
Elle détourne son regard.
« On ne peut pas arrêter d'aimer, à l'instant, parce que l'autre le veut, non, je ne suis pas en colère. Je suis désolée, mais... pars vite, et laisse moi t'aimer, comme je le veux, aussi longtemps que je le veux. Je ne peux pas faire autrement. C'est une enveloppe, c'est ce qui m'habite depuis trop longtemps... laisse, laisse-moi ce sentiment. Ainsi tu ne pars pas vraiment, tu resteras en moi. Je souffrirai, bien-sûr, je serai ta veuve, en deuil de la séparation, mais avec le maintien du souvenir, avec tes objets autour de moi, ton gilet sur mes épaules. Je t'aime et ce sentiment m’aidera à me sentir vivante. »
Elle se retourne vers la fenêtre, s'y appuie et s'accroche du regard à l'arbre, compagnon fidèle, éclairé par le réverbère. Il fait nuit. Aucun bruit, aucun passant. Juste le mouvement des feuilles qui tourbillonnent, fragiles, au gré du vent. Il fait si froid maintenant. La vie semble s'endormir et l'enveloppe d'une étoffe rugueuse.
« (en chuchotant )... tes dents qui attrapent mes lèvres, tes mains agrippant mes cheveux sur la nuque, m'obligeant à m'incliner, à m'offrir, toi dominateur... et changement... tu deviens doux, presque intimidé et tu me laisses faire. Jeux érotiques si singuliers... qui n'appartiennent qu'à nous, à nous... »
Des pas au rez-de-chaussée, un grincement. Ses mains sur le rebord de la fenêtre se mettent à trembler. Un silence, une hésitation, peut-être... Sa respiration devient difficile. Puis...
La porte d’entrée claque.
Ce texte répond à l’une des propositions de l’atelier d’écriture de Racines de Ciel. Le thème de l’édition 2023 était « les réécritures », soulignant le lien entre lecture et écriture. Les propositions s’appuyaient sur des textes de Sheila Watt-Cloutier (Le droit au froid), Albert Cohen (Le Livre de ma mère), Antoine Ciosi (Peut-être qu’un jour), Baudelaire (La Chevelure).
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