Jean-Louis Ozsvath - Le Paradis

  

Échappée « polynésienne » sur les traces de Gauguin le « sauvage », le sensuel… par Jean-Louis Ozsvath

 

 

Le Paradis

  

Je ne sais pas si c’est vraiment beau. En fait, cette femme est trop figée, peu naturelle. Son bras gauche surtout. Il m’apparaît gras, sans relief et rougeâtre. Je me surprends à murmurer pour moi-même le mot « enfantin ». Je sens alors autour de moi la foule, recueillie dans un silence pesant, que l’on dirait sacré si chacun décidait d’arrêter soudain de déambuler dans cette salle trop blanche, trop grande. 

En cette fin d’après-midi humide, je suis venu uniquement pour étudier cette série de tableaux, bien décidé à redécouvrir cet étonnant personnage qu’est Gauguin. Une lecture peu avant Noël m’avait emmené en Polynésie, sur les traces du « sauvage ». Nul besoin d’un lointain voyage, une simple traversée du bois de Boulogne suffira. Il me faut seulement patauger dans la boue avant d’accéder à l’immense bâtiment dont les étranges pétales transparents surplombent les visiteurs devenus minuscules. 

Enfantin ? Je regarde les yeux de cette femme à la peau safran. Ses sourcils sont animés d’un léger froncement. M’aurait-elle entendu ? Ses cheveux noirs tirés en arrière, sans excès. Une simple fleur de tiaré, et un pagne, rouge et or pour seul apparat. J’étais sur le point de continuer ma visite d’homme pressé, et voilà qu’elle semble m’inviter à déguster avec elle ce fruit lourd et pulpeux qu’elle tient d’une main, dans cette paume que je devine large et réconfortante. 

Un même regard oriental. C’était à quelques pas de l’institut Pasteur de Tunis. J’avais fait le déplacement tout exprès, une seule semaine de vacances, pour pousser la porte de chez elle. Comment allait-elle m’accueillir ? Trouver ridicule cette visite impromptue ? Surtout, ne préviens jamais avait-elle coutume de dire. Alors, ce léger mouvement de sourcils, était-ce une invitation ? ou bien plus simplement, un étonnement ? Un reproche ? Elle se tenait droite, s’était même cambrée quand elle m’avait entendu dire ce bonjour que j’avais répété depuis des heures et que je voulais le plus décontracté possible.

Derrière elle, les arbres à la mine sombre paraissent ployer sous la chaleur écrasante du mois d’août. La terre est sèche, proche de l’évanouissement. Pas le moindre nuage dans le ciel. Il est tout bleu. Lourd comme le lapis-lazuli, sans respiration possible. Mais, ce que je reconnais, ce que je ressens, caressante et enivrante, c’est cette lumière insolente, celle qui dès l’aube me transportait et qui faisait scintiller comme un diamant le noir de ses yeux. 

Nul besoin de s’approcher davantage. Je sais déjà le titre de ce tableau. Le paradis. 

 

 

Paul Gauguin, la femme au fruit (Exposition Morosov, Fondation Louis Vuitton)

  

  

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La première proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« L'effet miroir (chaque participant choisit un tableau qui lui ressemble)

 

  

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