Édito de juin 2022

  

 

Écrire sous la contrainte

  

Je suis en train de lire Les bienfaits de l’écriture, les bienfaits des mots de la psychanalyste Nayla Chidiac. Je me dis qu’écrire n’est pas si simple. Je veux dire l’écriture de commande. Je voudrais par exemple écrire un bel édito là, maintenant…, mais il faut reconnaître que ce n’est pas si simple. Je me dis qu’en plus je vais devoir réfléchir très sérieusement à la question car bientôt j’ai promis de participer à une rencontre (Racines de Ciel) qui justement s’interroge sur la contrainte dans ateliers d’écriture et l’émergence de la littérature…  

Je me dis que la contrainte est le contraire de la liberté et que donc il s’agit au fond d’un oxymore. Contrainte et littérature ne vont pas dans le même sens… Mais quand même il me faudrait développer (c’est donc une contrainte…). Ce n’est pas si simple. Avec l’écriture il est si facile de rester bloqué… et si stimulant de relever les défis, surmonter les obstacles (j’allais dire « contraintes »).

La toute première injonction, bien connue, de Dieu à l’endroit du prophète Mahomet, par l’entremise de l’archange Gabriel, est : « Lis ! ».  Il ne s’agit pas pour le prophète d’écrire, certainement pas, mais de lire. C'est-à-dire que ce qui est – le monde tel que créé divinement et intentionnellement – n’est qu’à lire, à déchiffrer. Rien d’autre… 

D’ailleurs comment aurait-il pu écrire, lui le prophète illettré ? Il n’a « qu’à » lire.

Lire est plus sage et surtout plus profond qu’écrire semble-t-on nous dire. 

Mais on n’est pas obligé d’obéir… On peut choisir sa liberté. Le bon dieu n’est pas forcément contre d’ailleurs, juste un peu fâché, parfois, quand on exagère.

L’homme qui écrit est donc un poète… pas un prophète. Il a son propre langage et essaie de lire le monde laissé par le bon dieu et de… le réécrire comme il le peut, comme il le veut. C’est sa liberté. Sa contrainte est toute personnelle… Mais elle n’a rien de divin. Elle en serait même le contraire si on poussait un peu le raisonnement. Lire ou écrire, il faut choisir !

[Je retiens au passage que lire est donc « divin » ! Je ne suis pas loin d’être d’accord, finalement… à condition que ce soit en toute liberté !]

Je crois que toute cette histoire n’est qu’une tentative de résolution « parabolique » d’un mystère. Celui de l’idée biscornue – très humaine donc –  de vouloir à tout prix écrire, de faire trace [tentative antinomique quasi désespérée d’échapper à  « poussière tu es et à la poussière tu retourneras ! »]. Les religions et leurs zélotes cherchent à s’emparer des mystères humains pour les résoudre à leur façon et, fournissant la solution miracle, de calmer les douleurs, les « pourquoi ?» lancinants, les tourments des « comment ? ».

L’archéologue, l’anthropologue, l’historien,  le philosophe, le psychologue, l’animateur culturel et beaucoup d’autres, eux, constatent, observent, stimulent parfois cette étincelle créatrice qui git en chaque être humain et qui consiste à désirer « dire quelque chose qui ne soit pas éphémère ». Et donc laisser un peu de soi aux autres, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. Ces autres que l’on chérit alors, sans les connaître forcément… eux qui sont de l’autre côté de la page, de l’autre côté de l’écran. Nos amis pour l’éternité, nos lecteurs…

« J’aimerai que quelqu’un quelque part m’écoute… », semble implorer l’écrivant (un peu comme Dieu, donc). 

«Nous sommes là…, répond le lecteur. Tu peux écrire, car nous sommes là… pour toi.»

 

[et là, je me dis que j’ai peut-être surmonté la contrainte de mon édito du mois… que je n’ai pas réussi à placer la belle citation de René Char sur la « trace du poète » comme je m’étais promis de le faire – contrainte encore, personnelle et surtout prétentieuse à souhait – et que je peux enfin retourner à mes oignons qui n’attendent eux qu’un peu d’eau et de soleil pour se sentir exister].

 

 

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