Dominique Gaudin - ensimismada

 

Elle entre au musée, suis son petit chemin à elle et finit par tout repeindre, de fond en comble…  Une rêverie de Dominique Gaudin.

  

 

Ensimismada

  

À défaut du Musée Fesch d’Ajaccio, je parcours les salles bien silencieuses du Musée des Beaux-arts de Pau en quête d’un tableau qui me surprendrait, qui m’intriguerait, qui m’inspirerait.

C’est dans la salle numéro 6, consacrée aux peintres "pyrénéens", que je vais le trouver : un petit tableau représentant une piste forestière bordée d’arbres, des pins sans nul doute... Sans prendre la peine de m’approcher, je m’assieds par terre : cette piste mais ... c’est celle d’Arbouty !... à Issarbe ! 

Et je laisse les souvenirs m’envahir, se chevaucher, s’empiler ; c’est une avalanche d’images, de senteurs, d’air pur, de neige, de silences aussi... c’est bien en hiver que je l’ai le plus souvent parcourue.

Je m’enferme dans ma bulle pour me lancer sur cette piste, ma préférée, à Issarbe, en Baretous.

J’y serai seule avec moi-même, ensimismada.

De très rares voitures stationnent sur le parking ; pas étonnant, comme annoncé... il neige ! Et ça, j’adore ; les flocons, virevoltant, me fouetteront le visage, renforceront l’isolement que je suis venue chercher et créeront cette ambiance feutrée si particulière, si indéfinisable dont je ressens si fort le besoin... finalement je suis une solitaire à mes heures.

Après avoir échangé quelques mots avec le gars de l’accueil, je démarre. Au premier lacet, comme d’habitude, je m’arrête, je respire à pleins poumons, savourant ce grand bol d’air et mettant tous mes sens en alerte... ça y est ! j’ai coupé, et comme Alice, je suis dans un autre univers.. qui n’appartient qu’à moi. Serai-je un tantinet égoïste? 

J’arrive bientôt dans la partie où je m’attarde toujours si volontiers : la traversée de la forêt de sapins qui n’est à chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre... les branches croulent sous le poids de la neige, un paquet de neige glisse et splash s’écrase au sol, seul bruit avec le crissement de mes skis dans la neige fraîche... silence apaisant... j’avance lentement pour m’imprégner de ces instants diamants... la piste vierge de tout passage, la trace que mes skis y impriment, cette qualité de l’air que je ne saurais définir, quel luxe ! Jouisseuse aussi ? J’assume !

À l’instant, il me prend l’envie de déchausser et de me rouler dans la poudreuse – comme j’aurais bien volontiers brouté les fritillaires sur le chemin de la Mâture au printemps dernier – quelle liberté de s’imaginer en chèvre, en brebis ou encore en isard ici ... mon côté animal sauvage n’est pas loin !

Soudain, un remue-ménage au-dessus des sapins vient troubler la quiétude dans laquelle j’étais installée ; un tintamarre incessant de "KRROU", de "KROO"... Je rêve ou quoi ? Nous sommes en février... Un vol de grues, bien sûr !! Et l’image de leur vol en V s’affiche : une merveille d’organisation, les plus fatiguées à l’intérieur du V, et on se relaie pour que le vol tienne et avance... La neige tombe maintenant en abondance, elles sont au-dessus du nuage épais, au soleil, quel contraste ! Elles en pleine lumière, moi dans la pénombre... Tintamarre au-dessus, silence profond en-dessous... Le vol passe, le silence revient, je reprends la piste.

  La forêt traversée, je vais plus loin que toi l’artiste, c’est la montée ; je prends mon temps, j’arrive à découvert. Une nouvelle image se projette sur mon écran : celle du milan royal de la semaine dernière, tournoyant sur fond de ciel bleu, montant, descendant, m’accompagnant un bout de chemin, à l’évidence il cherche une proie... Ce ne sera pas moi, l’ami, désolée ... "Fiiiiiiiiiiiiiii" tu n’es pas sympa... Prudente/méfiante serait plus juste !

Quelque chose alors, sur le rebord de la piste, attire mon attention : une magnifique plume sur la neige ! Serait-ce toi le milan qui me l’envoie ?... Pas rancunier ?... Tu me connais bien semble-t-il, tu sais que je ramène toujours une "trouvaille" : brindille, lichen, feuille, petite pierre, plume, chacune venant compléter mes trésors de randonnées... Curieuse ?? Avide de découverte ? Oui.... Mais pas prédatrice !

Là, la semaine dernière souviens-t-en, je suis restée un bon quart d’heure à me remplir de ce paysage, à le faire entrer par tous les pores de ma peau, ne me lassant pas de scruter l’horizon et laissant un flot de pensées et d’images m’envahir... Contemplative, oui!

Mon attrape-rêve s’est, aujourd’hui encore, enrichi.

MERCI Gaïa, cette nuit, sûr, je dormirai bien.

Le grincement d’une porte, ma bulle éclate : je suis bien dans la salle numéro 6, devant ce paysage de Victor Galos. Je m’avance plus près du tableau pour en lire l’intitulé « Oh! Non! Les sapins du Cerisey ? à Cauterets ? J’aurais juré...... »

Excuse-moi, Victor, j’ai pris la liberté de tout changer : lieu et saison et j’ai spontanément tout repeint en blanc !

  

  

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La première proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« L'effet miroir (chaque participant choisit un tableau qui lui ressemble)

 

  

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