Yves Rebouillat - Soulèvement (Chroniques Ukrainiennes - n° 7-1)

 

L’action pour l’Ukraine, agressée par Vlad Pitoune, devient urgente. Un commando se forme pour porter la guerre en Russie… Un « petit » roman de guerre en deux parties, par Yves Rebouillat.

  

 

Chroniques ukrainiennes 7-1

  

Soulèvement

   

- I - Révoltés

La colline de Pech David surplombant Toulouse

Fin de printemps soleil couchant sur la ville rose

Quatre femmes et six hommes autour d’un barbecue : Louis, Victoire, Gloria, Tom, Serge, Julien, Charles, Benjamin, Lisa, Kristen

Graves, débattent s’offusquent et grignotent boivent sans sourire

L’effroyable guerre en Europe les préoccupe

Encore jeunes trente quarante ans ils ont de l’allure

Du cœur des rêves des envies d’agir de servir

 

 

« Cent jours de guerre, des villages rasés, des villes dévastées, des morts par milliers, des tirs d’artillerie à l’aveugle, des bombes à sous-munitions, des mines, la volonté de mutiler, de tuer pour effrayer, vaincre ; des tortures, des massacres, des pillages, des obus non explosés enfouis dans les sols pour un siècle ou deux... L’arme atomique russe tient en respect l’Occident... On ne peut rester là, à regarder et à ne rien faire...

- Tu sais, Louis, ce qu’il en coûterait à la planète et à ses habitants si l’Otan ripostait, envoyait l’infanterie sur place, procédait à des bombardements aériens des positions russes. Pitoune est disposé au pire et ne mesure pas les conséquences des actes qu’il est sur le point de commettre ou commet.

- Ce n’est plus un sujet, ni l’Otan ni aucun pays européens n’interviendront.

- Il n’y a pas d’autres solutions que la fourniture d’armes à l’armée régulière et à la résistance ukrainienne.

- C’est quoi la résistance ukrainienne ?

- Tu le sais : des civils plus ou moins bien équipés qui montent des embuscades, organisent des sabotages et harcèlent les positions ennemies, des snipers qui ajustent des soldats marquant une préférence pour les gradés. Elle est efficace.

- Je veux dire autre chose : comment la résistance ukrainienne fonctionne-t-elle ? A-t-elle un commandement unique ? Est-elle placée sous l’autorité de l’armée, a-t-elle « un numéro de téléphone »....?

- Où veux-tu en venir ?

- Moi, je vois... il y a une brigade internationale en Ukraine placée sous l’autorité de l’armée et qui combat à ses côtés. Des hommes de nombreux pays dont des Français, des Allemands, des Américains, des Ukrainiens de retour chez eux au sortir des rangs de la Légion Étrangère où ils sont nombreux...

- Tu veux les rejoindre ?

- Non ! Ajouter un homme ou trente à deux cent mille, ça ne sert à rien. Je pense à quelque chose de plus retentissant sous les angles militaire, politique et de la communication en temps de guerre.

- Dis-nous !

- Un truc qui m’obsède depuis un moment déjà mais dont je n’ai pas fait le tour parce qu’il est complexe.

- Accouche !

- La guerre est cantonnée dans le territoire ukrainien, loin de Moscou et d’autres centres urbains russes, des campagnes... La désinformation organisée par l’État laisse peu de place à la naissance d’une opinion publique russe éclairée quant à la réalité de la guerre et aux buts de Pitoune.

- Tu veux porter la guerre en Russie !?

- Quelque chose comme ça... »

 

La Russie connaissait une nouvelle éruption de nationalisme, de violence et renouait avec sa quête de plus encore d’Eurasie. Depuis des siècles, les démons russes sortent périodiquement de leurs repaires, s’en prennent aux nations voisines, guerroient, les asservissent, les pillent, les mélangent ou les exterminent dans une mécanique infernale, quand le droit des autres à la souveraineté, à la paix et à la prospérité serait un ramassis de dispositions prises par les faibles, les lâches, pour entraver l’Empire des Hommes et de la Force. Un fantasme qui engendre toujours le pire et finit en désastre, après que le mal absolu s’est répandu, quand les morts jonchent les champs, les rues et s’entassent dans les fosses communes. Chez les barbares dénués d’affect, multirécidivistes de crimes inouïs, la mort, le vol, les viols, les hurlements et la curée ne sont que détails de la guerre. Dans les intervalles des rapines hors frontières, la folie restant renfermée dans le pays, la violence s’exerce entre soi et fait des ravages. Car la Russie n’a jamais connu la démocratie, ni son peuple appris à s’opposer, à argumenter, à proposer. Dont une large part s’est constituée aux marges de l’éducation, loin de la culture, dans les privations, les humiliations, la brutalité des clans au pouvoir, dans les mensonges, les dérèglements et la déraison de ses chefs. Ceux qui l’ont inventée, perpétuent cette infamie suprême qui unit, transcende, mobilise et produit les charniers : la grandeur de la Nation mal-aimée du monde, bénie d’un Dieu partisan, au point qu’« un monde sans la Russie n’aurait plus d’intérêt.[1] »... et n’ont jamais été jugés ni condamnés.

 

 

Louis espère que « le temps viendra où les génies du mal retourneront à leur lampe obscure et les assassins, les calamiteux, les crapules, se replieront, forcés, défaits, dans leurs geôles étriquées où ils auront le temps de méditer sur la beauté de la Patrie et de l’Empire dans la solitude et l’imminence de leur anéantissement. »

En attendant, la guerre s’était réinstallée.

La Russie avait provoqué indignation, dégoût, haine, désirs de punition, de revanche, de destruction de l’État russe, de voir Pitoune puni, passé par des armes vengeresses. Louis gardait raison, mais ne supportait plus l’impuissance des Occidentaux, des donneurs de leçons, ni les commentaires compatissants à l’égard de l’agressée, voire outrageusement optimistes quant à l’issue des combats, les théories ou l’art abstrait de la guerre, les leçons administrées sans frais par de jeunes et brillants docteurs en stratégie militaire et des généraux français ayant guerroyé en Afrique subsaharienne deux ou trois décennies plus tôt, survolé le Kosovo en guerre, voire, postés quelques mois dans les Balkans puis affectés à des postes prestigieux dix ans durant et, aujourd’hui, à la retraite.

Tous les soirs, il consultait les bulletins radiophoniques, les journaux télévisés, les quotidiens électroniques, les émissions spéciales... réfléchissait, recoupait des informations, tentait de distinguer le vrai du faux, le probable de l’inimaginable, le possible de l’infaisable, les vessies des lanternes. Il pensait être bien informé d’autant qu’il consultait également des sources privilégiées auxquelles sa carrière passée, des passe-droits et des connivences historiques, lui donnaient accès.

Dire qu’il ne s’habituait pas était un monstrueux euphémisme. Cette agression mal ficelée, peu économe de ses propres forces, bêtement conçue et conduite, salopée façon rouleau compresseur ponctuée de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ne passait pas, bafouait l’honneur des armées et des nations, humiliait l’Humanité. Après avoir vibré aux succès ukrainiens, été affligé des massacres de civils, des viols des femmes et des filles, la mort des combattants héroïques, celle des enfants, des vieillards restés dans les villes et villages saccagés, été abasourdi par tant de destructions, la ruine de bâtiments publics et civils, d’écoles, de crèches, d’établissements hospitaliers, après avoir espéré que de nouvelles défaites russes s’ajouteraient à celles qu’il avait célébrées, et attendu des contre-offensives victorieuses, il voyait maintenant que l’avenir du Pays Jaune et Bleu était sombre et que la tragédie qui s’était abattue sur l’Europe durerait longtemps encore.

Il ne pouvait plus rester les bras ballants, insomniaque, encoléré, les yeux rougis, obsédé par le sort de tout un peuple, sans réagir vigoureusement aux menaces que faisait peser sur le monde, la Russie dont il avait tant aimé les arts et la langue – celle des poètes et des romanciers – qu’il avait apprise et qu’il parlait aussi bien que sa langue maternelle.

 

Il avait grandi dans une famille de militaires et avait pour lui complaire et respecter les traditions, « fait » St Cyr, puis l’École Supérieure de Guerre et mené à bien un doctorat en Stratégies. Il avait pris le commandement d’un Régiment Étranger de Parachutistes et participé à de nombreuses missions de combat. Il avait ensuite occupé des fonctions d’état-major et fini par décevoir sa famille en démissionnant de l’armée à quarante-quatre ans, sans attendre les étoiles de général. Il vient de rejoindre l’Université où il enseigne la Stratégie.

Il conservait des liens plus ou moins forts avec des légionnaires libérés ou encore sous les drapeaux, de jeunes retraités des forces spéciales, de l’infanterie de marine, sous-officiers et officiers de réserve, femmes et hommes. Il n’avait jamais été un fana mili, encore moins homme à se renier.

De ses nombreux amis, frères d’arme, il connaissait non seulement les indignations mais l’humanisme, l’attachement aux libertés, des individus étranges comme lui, baroudeurs et intellectuels (pas tous). Son réseau ne se limitait pas à une association informelle d’anciens combattants, mais s’étendait à des sportifs de l’extrême, rencontrés dans des clubs de parachutisme, de saut à l’élastique, de vol à voile, de glisse, d’ultra-trails, de wingsuit... Tous et toutes des athlètes de haut niveau. Pas des têtes brûlées mais des femmes et des hommes sachant évaluer non seulement les risques inhérents à leur discipline et à l’endroit où ils la pratiquent, mais également ceux attachés à leur forme du moment, à leur état d’esprit le jour de l’effort.

Ce petit monde ne vivait pas dans le culte du défi permanent lancé à la mort, les paris osés, au contraire, ses membres s’efforçaient de se protéger des aléas autant qu’il leur était possible. Ils se préparaient, repéraient des lieux, au calme, répétaient des mouvements comme les pilotes de la Patrouille de France assis sur des chaises, simulant leurs figures de vol, discutaient, franchissaient les niveaux de difficulté sans se mettre en danger, s’habituaient à un palier avant d’accéder à un niveau supérieur. Les montées d’adrénaline comptaient pour beaucoup dans leur soif d’aventures, mais plus encore la satisfaction intellectuelle d’avoir réussi des actions hardies, des plans difficiles, inaccessibles au grand nombre. Être conscients de constituer une sorte d’élite dans l’exercice d’un art n’entamait pas leur humanisme qui aura l’occasion de s’appuyer sur leur bravoure et leur niveau de performance pour prendre des formes utiles.

Au sein de leur groupe, l’égalité des genres s’était installée sans qu’il en fut question. Ces femmes et ces hommes étaient sans préjugés. Ils ne savaient pas tout à propos de chacun et ce qu’ils en savaient suffisait pour vivre des moments qu’ils pouvaient savourer à deux, à dix ou à trente.

 

« Dans les années quatre-vingt, un philosophe puis des humanitaires, Médecins sans frontières, je crois, avaient inventé et popularisé la formule « le droit d’ingérence », devenue « devoir d’ingérence », elle a été remplacée par l’obligation de précaution.

-... de sorte qu’on n’ose plus ; la prudence fait rage et paralyse les États, les associations, les gens qui, tous, tremblent à l’idée de voir les équilibres du monde chanceler, s’effondrer, balayés les acquis, le confort, les États de droit, la prospérité là où elle n’a jamais fait défaut...

- Sûr qu’il est bien embarrassant que la dissuasion nucléaire soit aux mains d’un maître-chanteur. Dangereux menteur au poker du fou que celui qui menacerait Moscou d’une frappe nucléaire. Il faut imaginer des alternatives.

- Oui, d’accord... mais dans le cas de l’Ukraine, c’est quoi le devoir d’ingérence qui ne serait ni des discours ni des protestations en plus, des tentations littéraires, du bla-bla, ni la participation personnelle aux combats ?

- Tu as raison. La Russie a agressé l’Ukraine sans déclarer la guerre, attaquons la Russie sans sommations. Faisons lui mal sans la prévenir.

- Vaste programme !

- Nous sommes une vingtaine d’anciens soldats à avoir décroché récemment, en forme, n’ayant jamais oublié ce que nous avons appris et fait. Une autre vingtaine de nos potes n’ont peur de rien, ont suivi des préparations sportives plus rudes que celles que nos armées réservent aux nouvelles recrues... on devrait pouvoir en mobiliser quelques-uns pour une noble cause.

- Tu veux lancer des opérations armées sur Moscou, Saint-Pétersbourg... ?

- Presque...

- C’est à dire ?

- Pas d’attentats dans les métros, pas de sabotages de ponts en ville, de trains de voyageurs, d’aéroports civils... etc. Il ne faut pas faire à l’ennemi ce qu’on lui reproche de faire aux populations civiles. L’idée c’est de frapper des cibles à l’intérieur du pays en provoquant des dégâts tangibles qui éveilleraient les consciences.

- Des casernes isolées ? Des centres d’entraînement ? Des bureaux de recrutement de périphéries... ?

- Par exemple...

- Des sabotages de barrages hydrauliques, de voies ferrées, des oléoducs, des gazoducs, des dépôts d’essence, des ponts routiers, des voies ferroviaires...

- Sans tueries de civils... sauf effets collatéraux...

- Sauf rien du tout ! Pas un mort civil tout au long des opérations ! Nous pourrions nous concentrer sur la logistique de guerre russe, les maillons des chaînes d’approvisionnement du front... je ne sais pas encore... à voir... Ce projet, cette bataille, vise à éveiller le plus grand nombre possible de Russes au fait que leurs dirigeants ont déclenché une guerre qui se déroule à leurs portes, à leur signifier qu’il n’y a pas de raison qu’elle ne fasse pas irruption chez eux, que la faute en revient à leurs leaders et à ceux qui les ont portés au pouvoir ou les tolèrent. Et, ce qui n’est pas anodin, nous devrons produire un effet non négligeable, contribuant à l’affaiblissement du corps expéditionnaire russe en Ukraine.

- J’imagine, d’autres effets : psychologique, d’encouragement adressé au peuple ukrainien à continuer la résistance, la possibilité de susciter un volontariat international plus large au secours du pays...

- ... l’élargissement d’une opinion anti-guerre en Russie..., tu as raison.

- ... le moral des agresseurs pourrait faiblir et l’insoutenable indifférence des dirigeants russes pour la mort de milliers de civils et de leurs propres soldats, pour les souffrances infinies infligées aux gens, les destructions perpétrées hors leurs frontières, leur moral donc, pourrait se transformer radicalement en peur pour eux-mêmes.

- Louis, je signe !

- Pour combien de temps on s’embarquerait dans cette aventure ?

- Doucement ! Réfléchissons, concevons un projet, débattons-en, partageons-le au cours de prudentes approches individuelles de personnes judicieusement choisies dans nos réseaux – marchons sur des œufs –, ensuite viendra le temps de dresser un plan d’actions minutieux. »

 

Au cours de cette conversation, la quasi totalité des participants au dîner sur l’herbe d’un pré dominant la capitale occitane, s’était exprimée. Il y eut ceux qui parlaient franchement, à voix haute, ne dissimulant ni leur accord sur la proposition de Louis, ni leur enthousiasme pour un prochain baroud humanitaire et trois ou quatre, plus timides mais pas timorés, qui avaient préféré acquiescer et s’enflammer lors d’apartés.

 

Louis et quelques amis qui s’étaient retrouvés sur la colline dressèrent un canevas général d’intervention armée en Russie à trente hommes et femmes. Le recrutement au sein du cercle des non « anciens militaires » avait été un succès : neuf hommes et une femme supplémentaires bien décidés à tailler des croupières, aux auteurs du crime d’agression de l’Ukraine, Clémence, Boris, Mathias, Augustin, David, Matthieu, Laurent, Rodolphe, Pierre, Émile. Dix anciens et anciennes militaires rejoignirent les futurs commandos, Volodymyr, Pierre, Julia,, Steeve, Luc, Michaël, Gaël, Inès, Christopher; Émilie.

 

Une première assemblée plénière des « 30 » se tint quelque part dans une vaste résidence privée où la présence en grand nombre de personnes n’était ni incongrue ni décelable.

Louis ouvrit solennellement la séance :

« Félicitations à vous tous venus constituer cette force d’intervention qui apportera sa modeste contribution à la défense d’un pays meurtri et au soutien d’un peuple héroïque. Nos buts stratégiques vous sont connus : frapper la Russie chez elle, lui causer des destructions importantes, lui faire autant de mal que possible en de multiples points éloignés les uns des autres, au moyen de drones de combat, de dynamitages, d’embuscades et de fusillades, le tout sans perdre un seul de nos combattants. Dans cette affaire, le premier péril réside dans le difficile maintien d’une totale discrétion lors de la préparation de l’opération que nous baptiserons, si vous en êtes d’accord, Tournesol. L’Ukraine est le principale producteur mondial de tournesol, une plante qui ne se conçoit pas sans le bleu du ciel ni le jaune du soleil, les couleurs de notre nouveau drapeau. Bon... trêve de littérature de caserne... Les activités d’un réseau d’une trentaine de personnes qui communiquent, se réunissent, s’entraînent, s’équipent, voyagent, inter-réagissent... pourraient déclencher les balises d’alertes au sein de la DGSI[2]. L’organisation requiert la mise en place d’une structure plus ou moins clandestine[3]. Sans trop d’illusions puisque tous, nous nous connaissons, si bien que si l’un d’entre nous commettait une bêtise, nombreux seraient ceux qui auraient à en pâtir ; et puis, nous ne nous priverons pas, dès demain, du plaisir de nous revoir. La structuration du projet est la suivante. Une cellule de commandement animée par moi, Louis, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, secondé par Victoire, Gloria et Serge, ici à mes côtés, tous trois anciens des Forces Spéciales et de l’Infanterie de Marine. Nous ferons, tous les quatre, partie de l’un des cinq groupes de quatre personnes ou des deux groupes de cinq puisque nous sommes trente – vous suivez ? – qui élaboreront chacun pour le champ dont il aura la charge, le dispositif militaire d’incursion en Russie. Nous ne sommes pas juste des combattants, nous bâtirons, pour une large part, ensemble stratégie et tactiques. Tout sujet non couvert par un groupe remontera au commandement. C’est également le commandement qui attribuera les cibles et en communiquera le descriptif aux commandos concernés. Le commandement est en charge du champ fonctionnel Collaborations ukrainiennes. Je souligne que le lien avec la résistance et les autorités militaires ukrainiennes est capital car ce sont elles qui nous orienteront dans le choix et la localisation des cibles de guerre. Les membres des groupes fonctionnels seront répartis entre commandos chargés d’une cible à l’initiative du commandement, selon le principe de ne jamais affecter tout un pôle de compétences fonctionnelles à une opération pour maintenir la pérennité de la fonction et mélanger les compétences pendant les opérations. Les quatre soldats du commandement feront aussi partie des commandos. S’agissant des groupes fonctionnels, voilà ce que nous proposons :

                un groupe financement. On ne fait pas la guerre sans frais. Pour amorcer le financement de la campagne, on sollicitera les contributions volontaires des membres de nos réseaux civils personnels. On activera nos réseaux gris dans le cadre de la fabrication des faux papiers, sous condition de traçabilité de l’argent collecté : pas de fonds issus du commerce de la drogue ni de la prostitution. En Russie, on se paiera sur la bête lors de coups de mains sûrs, espérons que la résistance contribuera aussi.

                un groupe faux-papiers travaillant en lien avec le premier. Il s’agira de fournir des papiers sécurisés attestant nos nouvelles nationalités, respectueuses des langues que nous parlons parfaitement à l’exception du français et de l’anglais. Une fois sur place, nous ne serons plus Français, ni Américains. Ni Ukrainiens...

                un groupe logistique, transport, trajets et séjours. Son premier travail consistera à déterminer comment gagner la Russie et la quitter, en utilisant des moyens de transports et des trajets variés. Les départs de France devront s’échelonner sur plusieurs jours pour chacun des groupes et en différents points frontières ouest-européennes. Nous devrons tous être prêts à frapper en même temps. Il faudra peaufiner la coordination.

                un groupe approvisionnement en armes. Les convois officiels acheminant, au départ de France, les armes françaises en Pologne et en Roumanie emporteront, à l’exception de nos armes individuelles, toutes les autres. Je me charge des contacts et accords nécessaires. Il conviendra ensuite de les conduire au plus près des commandos. Des tiers pourront-ils finaliser les trajets des matériels jusqu’aux cibles... ? Les Ukrainiens nous diront. Les réflexions s’appuieront sur celles du groupe transport. L’entretien des armes et leur remplacement n’est pas un problème : une fois sur place, les dés sont jetés et après les missions, les retours sur sites, s’agissant de nous trente, sont très improbables ; la résistance sera informée.

                un groupe logistique de santé. Pas question de s’embarquer sans une pharmacopée de guerre et de traitement des maladies et des blessures graves ou légères. Prière de faire le recensement exhaustif des risques et de nos compétences en matière de soins à autrui... il y en a.

                un groupe intendance, alimentation, habillements-vêtements. Nous devons pouvoir nous déplacer et opérer par tous les temps, pluie, orages, grosses chaleurs, baisse brutale des températures... Nous n’irons pas piller ni mendier notre nourriture dans des magasins d’alimentation ou chez les habitants... l’intendance devra pourvoir à nos besoins. Nous devrons être invisibles.

                un groupe communication, outils informatiques, téléphonie. Nous serons équipés de matériels au top de la technique. Nos conversations depuis les mobiles ne devront pas être interceptées, nos GPS ne nous feront pas repérer, ni ne nous lâcheront, nos ordinateurs de commande des vols de drones et de tirs seront indétectables et vaillants.

L’esprit d’initiative sur le terrain, l’adaptabilité feront le reste... un reste réduit à sa plus simple expression si les anticipations sont correctement scénarisées. Mais là encore, la partie ukrainienne devrait nous apporter des éléments.

Vous vous répartirez en fonction de vos compétences d’abord, et desiderata personnels ensuite si le choix est possible. Chaque groupe produira sous huit jours une fiche des problématiques attachées à la fonction traitée et listera les tâches préparatoires à entreprendre. Les questions non résolues qui surgiront et les choix délicats entre plusieurs options seront remontés au commandement. Les premiers combattants partiront sous quatre ou cinq semaines ; la guerre ne sera malheureusement pas terminée... Sur la durée totale de la mission, il n’y aura que quatre journées d’opérations soit quatre vagues d’assaut distantes de quelques jours Au cours d’une vague d’assaut, sept commandos déferleront un même jour. Sur des cibles de même nature dans des secteurs géographiques différents, sauf besoin de regroupement des forces sur certaines cibles. Frapper en sept lieux très espacés du territoire russe pour faire admettre que la guerre est partout. Aussi parce que la concentration de nos forces en un petit périmètre nous rendrait plus  repérables et fragiles. Le Kremlin apprendra qu’aucun lieu n’est à l’abri de frappes dont il ne parviendra pas à identifier les auteurs ni les donneurs d’ordre. Peu importe que les débris des projectiles ou des armes abandonnées livrent leur lieu de fabrication, leur fourniture par l’Occident est connue, ce ne sera pas de la cobelligérance avérée... Nous irons bientôt à Kyiv soumettre notre projet lors d’une rencontre avec, sans doute, un commandement militaire national et des dirigeants de la résistance.

Un dernier point important : si nous quittons la Russie quasi en même temps, en revanche, nous devrons rentrer chez nous de façon échelonnée. Quelle que soit la période, une trentaine d’hommes et de femmes de la même génération, arrivant simultanément, tous modes de transport considérés, d’Europe de l’Est à Toulouse et dans sa région, pourrait paraître suspecte aux yeux et aux oreilles du renseignement français. Ce serait un jeu d’enfant d’établir des relations entre nos noms, nos histoires et ce que nous partageons... Il faudra répartir ces retours sur trois semaines un mois, plus, pour ceux qui pourront regrouper leurs congés annuels, prendre des congés sabbatiques, qui ont des situations les dispensant des tracas qui échoient au petit peuple, des relations profitables, ou pouvant se livrer à leurs activités professionnelles à distance. N’abusez pas de notre base de repos en Croatie. C’est une base de secours et de soins aux blessés. Trouvez autre chose : Europe du Nord, Maghreb, Antarctique, Groenland, Amérique du Sud, pas les USA, je me méfie des douanes et de la CIA... Voyez entre vous... Serge, tu suivras ça. Nos retrouvailles au complet, nous les aurons quatre, cinq mois après les opérations. Évitez, dès maintenant, les connexions aux organes de presse russes, ukrainiens, les abonnements aux agences de presse... vous expérimentez la discrétion, la clandestinité, vous maîtriserez l’invisibilité et le silence, l’indifférence sélective aux événements. Il est trop tôt pour envisager ce que nous pourrions faire une fois ces assauts accomplis, ne tirons pas de plans, la période qui vient sera Rock and Roll... Des questions avant la remise des consignes dans quelques jours ?

- Dans l’hypothèse où nos plans seraient rejetés par la partie ukrainienne, que ferions-nous ?

- C’est parfaitement inenvisageable. On ne va pas prendre le pouvoir à Kyiv, mais soumettre un sous-projet autonome ; on va aider le Pays et son État !

- Mais quand même ?

- Merci de ne pas insister, nous nous battrons bientôt sur le sol russe et la clique au pouvoir n’y comprendra rien. Les Ukrainiens et leurs amis sabreront le champagne. Le monde reprendra des couleurs. Quant à nous, nous attendrons notre retour en France avant de lever nos verres.

- Combien de temps nous vois-tu en campagne ?

- Les quatre vagues d’assauts seront espacées de six ou sept jours. Retour en France après ce travail, en comptant large – compte tenu des délais de mise en place du dispositif avant le départ de Russie dans la plus grande discrétion –, moins de deux mois de mobilisation. Ça parait court, mais plus nous irons vite, moins nous serons exposés aux repérages russes.

 

À suivre ici :

  
 

[1]Selon Vlad Pitoune.

[2]Direction Générale de la Sécurité Intérieure, service de renseignement intérieur français

[3]Tous les prénoms sont des pseudonymes, une précaution élémentaire...

 

  

 

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