Yves Goulm - La parole infinie

 

Le poète cherche ses mots, il enquête sur leur source. La parole est son ivresse : urgence et réconfort. Elle est infiniment bonne, de lui à nous, un recueil d’Yves Goulm

 

LA PAROLE INFINIE

  

Ce jour, d’une nuit effacée, j’entre – à nouveau – dans la transe de la danse.

Pourquoi ? Comment ? D’où ?

Serait-ce pour leurrer l’ennui, ce sombre rat, ce fat de l’ombre ?

Surtout : pour qui ? (car, indéniablement, je ne me rends pas service…)

Ronde de questions sondant le monde d’une fronde d’interrogations.

Chorégraphie spatiale tirant des pointes d’équilibre le long de lignes imaginaires.

Les plans des comètes s’inouisent d’une perspective d’infini.

Mots lanceurs d’étoiles d’un lance-trait aux lanières stellaires.

Histoire(s) de projection(s)

æ résonance 1

 

L’espace est un ventre. Le centre d’une femme. Son sexe. Humide.

L’espace est un sexe de femme aux mots semence. Termes sperme. Mots gamètes. Ovules connecteurs.

Nymphes d’une nymphe d’eaux bénie.

L’espace est une matrice d’infini. Une tresse d’ADN serpentant sur l’ABC.

L’illimitation du cosmos. En longueur, largeur, épaisseur, profondeur.

L’illimite espace.

Le parcourir encore, encore et en corps. L’arpenter tous sens. L’explorer. L’implorer.

Une révélation s’ente, encore et en corps, prête à imploser, dans l’infini des mots féconds. Fœtus métaphores.

Suivre leur orbitale course folle s’imposer autour d’une planète tête. Étoiles idées. Pensées satellites. Mots cosmonautes. Âme soleil.

Se détacher de l’attraction de l’astre du désastre.

L’espace est un sexe féminin s’apprêtant à exploser à l’expression d’une fécondation.

æ résonance 2

Ce jour, d’une nuit évaporée, je pose, singulier haut recours, prétention sans nom, mes bizarreries d’esprit sur le marchepied du tram des âmes brinquebalantes.

En poche l’aller simple d’une destination d’inconnu.

Dans une autre, le révolver d’un suicide maquillé.

L’ébranlement est proche.

Attention au départ.

Un horizon frissonne.

æ résonance 3

 

 

Ce jour, j’accours.

Me rue, tête nue, dans les rues du quartier affamé.

Des noms, des dates, des lieux, sur des plaques émaillées bleues.

Jeter le plan du vil dans la première poubelle venue sur l’avenue Calliope.

L’occasion se présente enfin, si belle, de se perdre dans ce dédale.

 

 

Nous ouvre-t-on ?

Ou entrons-nous par effraction ?

Est-ce hospitalité ou violation ?

Tant est patente la polysémie d’hôte.

 

Certains toquent à finir toqué.

Des crétins tentent de délourder la porte.

D’autres, à la faveur d’un entrebâillement

S’immiscent en insérant leurs pieds.

 

Aux premiers pas entés à l’intérieur.

La plupart, horrifiés, ressortent en courant.

Certains, pris au piège, subissent leur sort.

Les impétrants le sont souvent à leur dépend.

 

Cueillis à froid par l’incandescence du lieu.

Ce feu sacré est un douloureux brasier.

L’immense majorité use d’artifices doucereux.

Les éprouvés s’y consument, torche vivante.

 

Les premiers s’y réchauffent plaid.

Les derniers s’y brûlent plaies.

Tant est patente la polysémie d’hôte.

Et légions les portes dérobées.

 

 

Mots élus ou s’imposant tels ?

Choisis par défaut ou vitaux ?

Où est le vrai ? Le faux ?

æ résonance 4

 

Démêler est le verbe essentiel.

Le verbe maître-mot en somme.

Puis (sur)vient l’heurt de l’arbitrage.

 

Lors, aux heures livides de la vie

Aussi vides qu’un amour mort

Quelles autres consolations

Qu’injurier la parole par ces mornes écrits ?

æ résonance 5

 

 

Le terme du terme.

Loyer de sang, de sueur, de fureur et de larmes (rage et bonheur).

Suceurs de sens à raison perdre.

 

La parole est logée dans les casemates du cœur.

Elle détermine les paysages du sang.

Elle pulse et impulse ses battements.

 

Voir dans l’émergence d’un vol en V la promesse d’une migration.

Nouvelle réalité, autre été, nouvelle terre ferme, inédite langue.

 

Déraison des saisons : fol été, bel hiver, vert printemps, ocre automne.

Le peintre à ses visions.

La sève sa mission.

 

Foyer poésie où les mots sont (al)loués.

La parole propriétaire.

Bail précaire (parfois mal rédigé).

 

Savoir dans l’iridescence des plumes la présence d’une lumière.

Nouvelle journée, autre clarté, nouveau regard clair, inédite perception.

 

La pérégrination invente des horizons inédits.

Aux transports du langage l’oiseau permet ses métaphores.

 

Saisir dans le flap flap des ailes l’ivresque plaisir de l’envolée.

Et, du voyage, le rhapsodique itinéraire.

Nouveau prétexte, autre texte, nouvelle dépendance, inédite addiction.

Reste à déterminer la (pré)destination.

 

Le poète son obsession.

æ résonance 6

 

LOGOSCOPIE

L’os avec le logos c’est son asynomie

Verbe le biblise

Parole le locutise

Langage le linguistise

Discours le réthorise

 

Grâce (à cause de ?) à Lui (sic)

Je suis sauvé (sic bis) de ces maux

N’étant ni philosophe ou logue

Et, bien qu’ardent lecteur des Écritures

Pas théologien pour trente sous

 

Je ne suis (sic ter) qu’un modeste trouve-vers

M’autorisant autant que faire je peux

À chanter comme bon me semble

Le logos, d’éros à fosse

Sic transit gloria mundi

 

J’entre, prends place et sur-le-champ

J’entreprends l’état des cieux

Il prévaudra le jour du délogement

L’huissier assurera la garde des mots capables de briser le sceau

Beau… Le chant… Au ravissement…

æ résonance 7

 

La parole est le lieu où loge le langage

Vaste demeure qu’ausculte le poète du stéthoscope de l’intime

Dans l’infime espoir d’une occulte révélation

Activité de demeuré

Les fous fouillent les tréfonds de l’esprit bien plus profondément que tous les léthargiques.

 

Une mission ?

Quelle volonté ? Quel choix ?

Ourdisseur de machinations, de machines infernales.

L’heure viendra.

Sera-ce trop tôt ? Trop tard ?

Le temps pose des questions aux réponses invasives.

 

D’où découle l’ordre ?

Émane-t-il de Mânes perverses ?

Ou, à l’inverse, d’anges louangeurs ?

 

Au plus intime de l’être s’instille l’injonction

Une rumeur, un murmure, un chuchotement

Un frisson s’insinue dans le corps

Sorte d’effluve prémonitoire

 

Écrire c’est établir la jonction entre une sensation et son mot

Un imperceptible s’offre au ressentir

Un indicible à s’énoncer

C’est une palpitation

Les cils de l’âme s’activent

C’est une vibration

Les fils de l’âme s’avivent

C’est l’amorce d’une révélation

Chaque poème l’exuvie d’une certitude

Chaque poème la mise à mort de la mort

Chaque poème un nouveau « Lorsque »

Chaque poème le miracle d’une reviviscence

Chaque poème, infiniment, une (re)naissance

 

L’acte : un pacte.

L’adjectif : énigmatique.

L’esprit d’escalier : déclic(s), déclenchement(s), enclenchement(s), pose(s), pause(s).

Le verbe : adouber (déplacer et armer). Adorer et abhorrer l’étaient. Aborder et saborder s’épousaient.

L’adverbe : désormais.

Le temps : le présent imparfait d’un compte à rebours.

Le résultat : un impact.

La conséquence : une onde de choc.

L’éventuelle perspective : le monde hors d’état.

 

Complot de l’être envers les lettres

À leur endroit

Les juges repartis à leur livre

S’érige une potence où s’énonça la sentence

La tradition l’appellera « Le lieu »

L’exécution est pour demain

Chacun s’en lavera les mains dans un bassin d’eaux abusées

Puis, l’âme du châtié vendue aux enchères

Sa chair sera livrée aux vautours incrédules

 

Jouer au pendu est défendu

Ceci n’est pas un je

C’est une équivalence

æ résonance 8

 

Les mots émotionnels s’empourprent au feu sacré.

Leur épiderme s’enrouge de vives effervescences.

Flammes ascendantes vers un ciel sans défense.

Elles s’avivent au contact d’un vent désinhibé.

 

L’ascence des mots aux sens incandescents.

La nature du feu est telle celle du lierre.

Pour qu’il s’élève s’allient jalons et courants d’air.

 

« Je brûle » psalmodie la sainte en pâmoison

« Je me consume » geint l’amante délaissée

Je m’embrase aux mots des flamboiements

 

æ résonance 9

 

joue l’enfance de l’art ?

Dans quel bac à fables ?

L’enfance de l’enfant plus.

La mise en joue de l’innocence par une caresse embusquée.

æ résonance 10

 

La baguette entraîne le cerceau

Il roule défiant les lois de l’équilibre

Tandis que les sombres démons de l’inertie

Trainent leur étrange immobilisme

Le long des lignes de failles du temps

Où affleurent, frangeantes, des fêlures d’âmes

 

S’affranchir des codes pour franchir les modes

Il n’est d’autres faillites que faillir

æ résonance 11

 

Tu es la dépositaire du mystère

Ô langue

Ce secret sans vérité d’une douce confidence

Que se disputent bestialement les voraces du dédain.

 

 

Le jour entre en exploration saisir l’ultime secret d’une nuit défunte.

Premier temps : l’autopsie des rêves.

Quelle sera la sentence et des délations laquelle deviendra vérité ?

Ne rien savoir. Ne rien devoir. Ne rien promettre mais permettre.

Surtout, ne rien regretter d’autre que l’absence de regret.

Puis, à force de patience, la possibilité d’un salaire de lumière.

Un avoir de clarté.

 

Même infime, même de misère

Même ne tenant qu’à un fil

Cette précieuse prime

Cette récompense subtile

Est une telle fortune du pauvre

Qu’on l’encoffre rime fort en strophe

 

Ne rien (s)avoir d’autre qu’une certitude de l’impossible

æ résonance 12

 

Rien

quoique tout

prendre

au pied de la lettre

 

En l’aléa se dispute la collision des événements

Entre entente des concordances et d’imparables évidences

Se glissent des collusions d’imprévus ourler la réalité d’un rebord d’incertitude

C’est sur cet étroit liseré que se livre le dessous des cartes d’un tarot secret

 

Le harcèlement du hasard

Ce bâtard bavard

Blesse au sang

L’innocence d’un pressentiment

 

L’aigle blessé à l’aile cassée défie le ciel d’un glatissement crâneur

æ résonance 13

 

L’endroit désiré d’une vision

L’écran blanc accueille la projection

Séance de cinéma âme

L’envers supposé d’une diversion

L’avers de la pièce révèle l’effigie

Un film muet à l’affiche

 

Il faut qu’un mot se pose pour qu’un monde se fasse jour.

Qu’il jaillisse au grand jour.

Un mot relève le défi des fins premières.

L’esprit enclin à l’immersion.

Fusion est un mot de changement.

Et la matière s’avive.

D’un mot un monde s’annonce.

D’un mot le monde s’énonce.

Effusion est un mot d’épanchement

æ résonance 14

 

Je rends compte

Je raconte

Je mobilise les mots

Les motorise

J’autorise ma voix

J’alterne les termes

Et les voies d’approche

Je crie / J’écris / Je décris / Je prédis

J’arrime les rimes / Je trime / Je trie / Je pétris

J’imprime / J’exprime

Je bâillonne et délie

Parfois je déprime

Parfois je rayonne

Je crayonne

 

Suppose un mot.

Sitôt un monde surgit.

Un infime d’infini s’inscrit d’un sanskrit universel.

Le cri dégorgé d’un espéranto d’âmes babelées.

Libérer les condamnés à tors.

À qui les torts ? L’infirme indéfini infiniment coupable.

Les mots sont toute innocence.

Sens, sentiment, encensement, serment.

Ils sont la parole nue de l’enfantement de l’image.

La mine sera pince coupante pour sectionner les barbelés.

Avant de les mêler il faut les libérer.

La raison leur est prison où ils croupissent dépoétisés.

Même les mots de la mort sont la douceur incarnée.

Leur faute n’est que la nôtre d’accroire encore pouvoir jouir sans ouïr le oui.

Le pardon est la part du don qu’on détache sans aucune précaution de la corolle de l’esprit.

Qu’on arrache et recrache dans la soupe.

Où cacherons-nous ces victimes expiatoires ?

Un poème y suffit-il quand les prières saignent ?

La harde des cris d’horreur entonnera l’hymne des bêtes féroces.

Un poème suffira-t-il à travestir les affranchis d’un costume d’acceptation ?

Allons, conseille le fou au sage, poursuivons notre collecte de faux-semblant.

Car, nous ne sommes capables de rien d’autre que ces piteux camouflages du pauvre ;

Et forts coupables de vilains jeux de mains.

æ résonance 15

 

Je superpose les mots

Edification / Mortification

Fortification / Expiation

Construction / Palais des soupirs

Et le meilleur si les planètes s’alignent

æ résonance 16

 

-       C’est tout de même très sérieux.

-       Tu n’aimes pas ?

-       Si, oui. Mais on ne souffle jamais.

-       Ça manque de souffle ?

-       Non !

-       Ouf.

-       Mais, comment dire ?

-       Tout est là.

-       C’est bigrement solennel et un poil austère.

-       Faudrait de l’humour ?

-       J’ignore ce qu’il faudrait. Toujours est-il que c’est un peu oppressant.

-       Oppressant ? Ouh la. Le but étant l’exact contraire, j’ai du souci à me faire.

-       D’une, c’est corsé à lire. De deux, on oscille entre grave et sombre.

-       L’ambition d’être profond n’empêche pourtant pas des soupapes me semble-t-il.

-       Où sont-elles ?

-       De ci de là. Tu ne voudrais tout de même pas que je les balise. C’est au lecteur qu’appartient le texte.

-       Que te dire ? Quel est ton propos ?

-       Je pensais que c’était évident.

-       Ben non.

-       Quand même… Le langage, les mots, la parole. Donnée. Reçue. L’espace entre les deux. Nos compréhensions, nos incompréhensions, nos interprétations… La magie de la poésie qui délasse l’âme et délace l’esprit.

-       Jolie formule. Tu l’as écrite dans ce texte ?

-       À l’instant.

-       Il était temps car jusqu’ici ça manquait de poésie.

-       Pardon ?

-       Enfin tu me comprends.

-       Euh non. Pas du tout.

-       Un peu de plaisir et de sucré.

-       Ce n’est pas un salon de thé ni une fête foraine. C’est une méditation sur la parole qui s’étire, sur les mots qui attirent et les répulsifs. Selon le cadre, l’humeur, selon la disposition (la leur, celle dont se sert l’auteur pour les agencer, les faire sonner, résonner ; et celle du lecteur), selon les forces et les faiblesses.

-       Laisse tomber. C’est peut-être moi qui suis imperméable.

-       L’expression détourant l’indicible pour…

-       Pour ?

-       Susciter le chant.

-       Laisse tomber.

-       L’art précède la vérité. L’art oracle. L’art miracle.

-       C’est tout bon. Allez viens on va s’en jeter un.

-       L’art l’ardente ardeur.

-       C’est O.K. pour moi je te dis. J’ai compris à présent.

-       L’art c’est un appel en P.C.V. Tu acceptes ou tu refuses la communication.

-       Wouah. Sacrée métaphore ami.

-       Si tu acceptes, peut-être entreverras-tu d’infinitésimaux copeaux d’une révélation, d’une élévation. De minuscules chutes de matière, ambres du mystère en lesquels quelques signes, spermatozoïdes dévolus, s’apprêtent à permettre la fécondation d’un indice. Si tu refuses, tu te coupes d’une connaissance d’au-delà le savoir. Sourd au murmure.

-       On va boire un coup ?

-       En plus c’est gratuit. C’est là, à portée de mains, à portée de sens. Y’a plus qu’à.

-       Il est très bien ton nouveau recueil. Continue ! Allez z’ou. J’t’emmène en bordée.

-       La cordée des alpinistes de la cime. Les neiges éternelles. Tout est éternité puisque tout est mortel. Seule la parole demeure.

-       Sacré loustic. Taxi, hep taxi.

-       Le transport de l’être. La course folle des impatiences. Le conteur.

-       Allez mon rhapsode chéri, grimpe dans le tacot. Nous tournerons grands ducs.

-       À l’assaut de la nuit ami. À l’assaut des ténèbres. Nulle ivresse ne se néglige. Allons sur les quais boire avec nos frères marins. Aristote, sacré coquin. Non pas trois sortes d’hommes : vivants, morts et ceux qui vont sur la mer, mais quatre avec les franchiseurs d’obstacles.

-       Allons !

-       Allons !

 

J’écoute, du temps, les suppliques de futur.

J’y entends, mêlées, une douce appréhension et de têtues certitudes.

Redoutable mélange aux fluctuantes proportions.

J’écoute à l’œil du rythme d’entraperçus dissociés.

J’écoute, aux conques vides, les vents concrétés.

J’écoute, des mots, l’insubstantiel concret de la vie.

J’écoute, poésie, le déploiement de la parole.

J’écoute, aux portes, la vie intime d’un secret.

æ résonance 17

 

Tracer une droite ________________________________________________________________

Segment ici fini auquel quiconque peut tenter de conférer l’infini.

Délire-vérité d’établi de poète.

Géométrie du pauvre.

Une ligne parmi tant d’autres…

                                                                                                          Signe admis !

Mots stries. Mots cris.

Garder le sens de l’amour.

Regarder par-dessus l’épaule d’un humoriste le premier jeu de mots de son prochain gag.

Les mots. À en devenir gaga.

 

 

Les lignes s’alignent

Ronds dans l’eau

Vie rectiligne, vie curviligne

Vie concentrique, vie excentrique

Un point de départ, une arrivée

Point d’autre entrée, point d’autre issue

Quelqu’un jette un mot en l’air

Un autre un caillou dans l’étang

L’un volera-t-il ? L’autre coulera en créant son mouvement

Ô Virginia, non, pas dans tes poches

 

Les lignes s’aèrent d’interlignes

Bulles d’air dans l’air

Vie de signes. Vie de vols

Vers de terre et d’un ciel

Il suffit d’une surface d’amorce

Un espace de déplacement

Le goût de l’essor à l’envol

Battre des ailes

Lettres élytres

Ô ange, non, la chute, pas la fatale

 

 

Jusqu’où les mécréances et les créances de sens ?

Pauvres gamins innocents

D’aucun sang sur les mains

Encore préservés

Avant que l’affligeant ne mannequinise la pensée

Pauvres enfants blancs

Non encore souillés

Avant qu’au plus navrant on brade l’innocence

Victimes de cérémonies votives

Les mots corrompus se masquent la vue de leurs doigts condamnés

 

L’homme nomme

Un à un les éléments du monde

Drôle de rôle incontournable

L’homme, l’un après l’autre, dénomme les éléments du monde

Les vents, les variations du temps, les saisons passantes, les oiseaux migrateurs

Il nomme aussi le minéral, le végétal, la faune et ses fauves tachetés

Chaque pluie, chaque pierre, chaque plante, les près, les clos, les champs

Pas en reste pour les rus, ruisseaux, les plans d’eau, les mares et les effets des reflets

Parfois, reliés, les mots de l’homme disent : « La flamme est l’âme du feu. »

Il baptise aussi les montagnes, les planètes, les gestes de l’amour, le sucre des raisins

Et tous les papillons

 

L’homme nomme

Ses mots réunis forment une parole

Un monde se donne

 

Je vous donne ma parole

æ résonance 18

 

L’amont, l’aval, la source

Au fil de l’Ô le mot nage

Le courant l’emporte

L’eau le porte

Son corps de lettres flotte

Il se laisse (em)mener

Vers la route de l’à soi

Au fil de l’Ô

Ô mot dans l’eau

L’immersion de la parole

 

La parole cherche l’empreinte du doigt de l’ange apposé sur la bouche des mots sitôt leur naissance

En ce sillon réside l’origine d’une connaissance essentielle

D’une bouche à peine entrouverte un chuchot attend son heure

C’est l’interstice par lequel une lumière se fraye une voie du ciel

La voix des mots tendant vers l’inaccessible langue des secrets révélés

Sous la lèvre un sillon fruit d’un chut d’avant la chute

Aux mots l’épouvantable et délectable mission de réécrire l’initial motus

L’attente des veines d’un sang immémorial

Radeau de la parole

Derrière le rideau du silence l’attente patiente.

Les mots voilés d’émotion se gonfleront du souffle neuf des espoirs réoxygénés

L’écart des lèvres, bouche, sexe, blessure

Par ces fentes premières passent nos vies

La parole, le corps, la guérison

Mots mystiques de la quête

Mots au-delà d’ici cartographiés

Mots d’indécelables géographies

Mots s’élongeant au plus qu’un impossible

Le doigt de l’ange sur les lèvres du nouveau-né

Le silence de Dieu

La parole des hommes

L’infini de la parole quêtant le premier mot

La parole éternelle

 

J’entends le premier poème (pré)dire son premier vers au dernier d’entre-nous

En l’infini de la parole

Langue hors les âges

Là la parodie s’avoue d’à vœux vaincue

Coupable convaincue de collusions avec les illusions fourbes

Après la collision elle échoue sur des récifs d’harmonie

Sur l’écueil d’un recueil

Sur l’accueil d’un récit

 

L’infini fini ici sur ce i

 

La parole infinie

 

Résonances

æ résonance 1

Des mots équilibristes ? Libres ?

Qui l’est ? Vraiment ?

Qui ne se ment pas derrière ses rides ?

Le vrai ? Qui sait ? Le beau ? Qui l’est ?

Les mots livrés à eux-mêmes ?

Qu’est-ce que la liberté ?

 

Je pose la question puis je m’en lace les reins.

 

Mots en grappe courant sur des cordons soumis.

Raisins de la raison. Fruits défendus de la fascination.

Grain-signe s’entortillant au rameau.

Serment-sarment.

L’ivresse en bout de vigne.

Un final point à la ligne.

 

æ résonance 2

La vulve est un antre.

Entrejambe de la fascination des sens.

Là la naissance / la jouissance / la concupiscence

Sans mot encore. Les corps d’abord

L’un en l’autre s’abordent au lit bâbord et tribord.

Les mots ensuite.

Après les cris et les soupirs.

La démence en embuscade.

Les amours se sabordent d’amants iconophages.

Femme numide.

Poésie Sophonisbe.

Le poison pour contrer l’infamie.

La mort soliste.

 

æ résonance 3

À chaque transport ses correspondances.

Un quai de gare est toujours singulier.

Des mains s’agitent, des cœurs se serrent.

Des lettres s’écrivent d’exil.

 

æ résonance 4

Poésie prêcheuse de faux pour l’ivraie ?

Le poète a un grain qui, parfois, le conduit aux pieds d’une idole.

 

æ résonance 5

Verbes du Ciel

Herbe d’Eden

Être – Paître

Poésie nourricière

 

Les déments ourdissent le guet-apens

Versent du fiel

Herse de la géhenne

Naître – Paraître

Poésie souricière

 

Nul autre piège que soi

 

æ résonance 6

Au poète d’évoquer la parole prolongée.

Et, invoquant le délai accordé,

Invoquer les divinités spoliées.

 

Le temps s’égare en nos pensées surévaluées

Elles baguenaudaient sur une terre lunaire

Les pieds posés sur des chemins sans destination

Il s’adonne à flotter dans le tiède d’une mer colonnaire

Ô rêveries, fées offrant le libre d’une impesanteur évasée

Je vous chéris, filles sacrées de ma salvatrice imagination

 

Fer je veux chanter

J’en forme le vœu

Et toucher toutes les autres matières

Surtout les chairs (ina)vouées

 

æ résonance 7

Sur le bail, préciser : « La poésie est l’antonyme de grégaire. »

D’autre part, quel mon temps exige la caution ?

 

æ résonance 8

L’heure des comploteurs

Un compteur sur le comptoir tictaque une audacieuse tactique

S’agirait, ce faisant, de tromper le temps

Belle ambition de leurrer une spéculation

Tandis qu’une à une nos vies se dévident

 

æ résonance 9

Lignes ignées

 

æ résonance 10

Carabine à bouchon

 

æ résonance 11

Poésie funambule. Poète fil-de-fériste

La page est un gouffre. Le vertige un but

La chute une tentation

Sitôt la traversée achevée un autre abîme s’invente

Nouveau défi à relever en marchant sur la corde tendue

Pas à pas sans regarder en bas

Ou pas…

 

æ résonance 12

Poésie coffre-fort

Combinaison sacrée

 

æ résonance 13

Là, l’énigmatique !

 

æ résonance 14

D’un mot le monde se fonde

Et d’un mot s’effondrera

 

æ résonance 15

La pointe sera prince charmant des énoncés

Les mots sélectionnés (pré)disent d’hypocondriaques imprévisions

 

æ résonance 16

Mots matériaux

Poésie cimenterie

Mots moellons

 

æ résonance 17

L’ouïe de l’âme

Tendre l’oreille aux ultrasons

Entendre les scansions minérales

Les confidences d’une créature permise

Puis, mission, assembler ces modulations

De façon à les permettre communes

 

æ résonance 18

Me fera-t-elle défaut ?

Des faux en écriture en guise d’épitaphe ?

 

  

 

Avis aux lecteurs

Un texte vous a plu, il a suscité chez vous de la joie, de l'empathie, de l'intérêt, de la curiosité et vous désirez le dire à l'auteur.e ?

Entamez un dialogue : écrivez-lui à notre adresse nouveaudecameron@albiana.fr, nous lui transmettrons votre message !

Nouveautés
Decameron 2020 - Le livre
Article ajouté à la liste de souhaits