Fulvio Caccia -  Des nouvelles de Beyrouth

 

Une nouvelle épistolaire virtuose, en spirale, border line, étrange et inquiétante, où le réel se rêve et le rêve se réalise. Par Fulvio Caccia.

  

 Des nouvelles de Beyrouth

Cygnus X-1

                                                           

 

     29 janvier 2018

Cher François

 

Ton courrier du mois de décembre dernier m’est parvenu il y a quelques jours. Cela m’a fait plaisir d’avoir de vos nouvelles et de celles de Jacqueline et de savoir que vous allez tous bien.

Merci pour tes vœux et à mon tour de vous adresser les miens pour la nouvelle année en espérant que vous avez passé de bonnes fêtes au Portugal.

 

Ça va bien pour moi, je fais du dessin et de la peinture.

 

Toutes mes amitiés à toi Jacqueline, Aurélien et Stella.

Ahmed

P.S. Je vois que tu fourmilles toujours d’idées et de projets.

 

                                                                       *

 

  Le 28 février 2019

 Cher Ahmed,

 

Comment vas-tu ? J’espère que ça va. Ici, je touche du bois, nous allons tous bien.

 

Jacqueline n’a pas pu venir au Portugal avec mon frère et sa femme parce qu’elle s’est fracturée la cheville. Maintenant elle va mieux et tout est rétabli. Aurélien s’apprête à emménager dans son nouveau logement avec Agnès, sa copine. Quant à Stella, elle continue ses études à Bruxelles. Et moi… mon essai a fait un malheur ! 44 exemplaires vendus par internet en un an. Hip, hip, hip, hourra ! 

 

Côté domestique, je me débats avec mon opérateur pour obtenir « la fibre », le saint Graal et suivre  ainsi, à la vitesse de la lumière, la course folle de notre monde vers son abolition !!!  C’est le cinquième technicien en trois mois qui arrive les mains dans les poches et me demande ce qu’il y a faire ! Le plus épatant c’est que la fibre passe par un relais dans le sous-sol de l’immeuble au coin de la rue. Et pas moyen d’y avoir accès. On marche sur la tête ! Passons.

 

Il y a longtemps que nous n’avons pas reçu de tes nouvelles. La proximité de la guerre qui n’a que trop duré, ne favorise guère l’échange. Ton silence est devenu proverbial. Comment l’interpréter ? Permets-moi pour une fois d’être plus personnel. D’abord je l’ai compris comme une manière de maintenir à distance le passé. Mais au fil du temps, ce silence semble prendre la forme d’une rupture avec « la vie d’avant » au sein de cette Europe replète et craintive qui assiste, indécise à la dérive sanguinaire qui a entraîné ton pays dans le chaos. Peut-être dans ton esprit, tu nous y associés. C’est en tout cas le sentiment que j’ai.

 

En poursuivant les fouilles dans mes archives numériques – mon ordinateur est un Pompéi qui s’ignore ! – j’ai retrouvé également les photos que tu m’avais envoyées de Damas juste avant la guerre. C’était émouvant de les revoir. Ces vitrines sur lesquelles se reflète la ville comme en suspens, sont loin des images que l’on attribue habituellement au Moyen Orient. Ce sont des miroirs qui nous renvoient à notre commune solitude. Mieux, leur reflet incertain a quelque chose prémonitoire. On les dirait suspendues dans une étrange lumière, qui n’est plus celle du passé et des clichés habituels, ni encore de l’avenir. Le calme avant la tempête.

 

Si tu en es d’accord, j’aimerais bien les réunir pour en faire une exposition. Cela s’intitulerait par exemple : « La vie d’avant ». Mais tu choisirais le titre. Comme didascalie, on pourrait utiliser des extraits de tes chroniques publiées sur notre site. Qu’en dis-tu ?

 

En attendant de, je t’annexe le relevé bancaire de la Société générale et sa publicité.

 

 

Amitiés,

François

                                                                       *

      Le 9 avril 2019

Cher François,

 

J’ai bien reçu ton courrier du 28 février dernier et suis content d’apprendre que vous allez bien. Il y a longtemps que je n’ai plus fait de la photographie pour des raisons pratiques. Mais je continue à dessiner. Je regarde les étoiles la nuit comme tu m’y invitais dans un courrier antérieur.

 

Bonne installation à Aurélien et à son amie à Bagnolet. Stella continue-t-elle à faire des études de photographie ? Je suis toujours heureux d’avoir de vos nouvelles.

 

Amitié à toi et à Jacqueline.

 

Ahmed

                                                                       *

           3 mai 2019

Cher Ahmed,

 

Je suis content d’avoir eu de tes nouvelles par le courrier du 9 avril dernier et de savoir que tu vas bien. Je t’écris sur du papier-à-lettre au ton rose fanée que j’ai décidé d’étrenner pour l’occasion mais j’écris à la mine – c'est moins classe – mais cela permet de corriger les fautes !

 

Est-ce que Claire Martin t’a contacté à propos de tes livres ? Elle est préoccupée. Son déménagement est prévu ce printemps et ne sais pas quoi en faire. Elle attend tes instructions. Je peux les entreposer chez moi avec ceux que tu m’as laissés.

 

Petite précision : Dans mon dernier courrier, je faisais référence aux photos de Damas d’avant le conflit et non celles que tu aurais pu faire plus récemment. Mais ce quiproquo est sans doute une distorsion de l’espace-temps liée à la guerre.

 

Aurélien a bien effectué son déménagement. Et Stella poursuit ses études autour du féminisme. Elle fait moins de photos mais des “performances”. Quant à moi, le 9e technicien de mon opérateur internet est venu ce soir. Rebelote. L’installation de la fibre est un vrai foutoir à Paris.

 

N’hésite pas à me faire part de tes intentions et de tes dessins. Je m’y suis mis, moi aussi, mais je le fais de manière onirique.

 

Je te renouvelle notre invitation à revenir en France si tu veux. Après tout, tu es aussi citoyen français. J’annexe le dernier courrier de la banque pour les infos.

 

Amitiés,

François

                                                                       *

     15 janvier 2020

Cher Ahmed,

 

Je reprends la plume pour t’annoncer le décès de la mère de Jacqueline, survenu le 15 novembre dernier. Elle est morte brusquement d’une embolie cérébrale. Nous étions avec elle, une semaine auparavant. Elle est partie comme elle l’avait souhaitée : vite et sans souffrir. La cérémonie a été sobre, comme celle de son mari. Elle est allée le rejoindre dans le cimetière communal. Il pleuvait, ce jour-là aussi. Jacqueline encaisse le choc : elle s’y attendait depuis longtemps.

 

La vie continue mais le monde va mal. Une litote. Depuis des semaines, les manifestations se multiplient au Liban. « Notre système arrive à son point de rupture », nous serine-t-on depuis cinquante ans.  Et la Chine qui nous imite joyeusement se confronte à un nouveau type de SRAS : le coronavirus. Que faire ? Éternelle question. L’impuissance. Toujours l’impuissance.

 

Basta. Qui suis-je pour parler de la guerre et de la crise, moi qui ne l’ai jamais connu ou si peu et qui t’écris dans l’anxieux confort de mon pavillon de banlieue ?

 

Il y a presqu’un an que je n’ai eu de tes nouvelles. J’espère que tu as pu reprendre tes projets stoppés par cette saleté de guerre. À ce propos – j’ai l’esprit d’escalier et suis aussi un peu têtu ! –, tu as botté en touche lorsque je te proposais de rassembler tes photos de Damas d’avant le conflit pour en faire une exposition. Ces images décalées, je les trouvais belles, moi, dans leur dépouillement minimaliste.  Pour te dédouaner, tu me dis ne plus faire de photos mais  continuer le dessin. À la bonne heure ! J’aimerais bien découvrir ton travail. Je me souviens que tu en faisais avant que tu ne partes. Comment les voir ?

 

Mais je m’aperçois en t’écrivant que j’outrepasse les limites du pacte que nous avons tacitement convenu. Tes longs silences demeurent à cet égard plus qu’éloquents. Et cela m’amène à réfléchir au sens de l’amitié. Qu’est-ce que l’amitié ? Jacqueline me dit que je n’ai pas d’amis et que j’entretiens bien mal le peu que j’ai.

 

N’aurais-je eu ma vie durant que « des relations » ? Cette perspective me plonge, comme on dit, dans des abîmes de perplexité. Pour moi l’amitié est active, indissociable de “l’étant”, comme aurait dit l’autre. Mes amis sont ceux avec qui je peux construire des actions. D’où sans doute mon penchant à vouloir les impliquer dans des projets communs comme je l’ai fait avec toi par cette idée d’expo. C’est ainsi que je peux mesurer leur engagement avec lequel se tissent ces « affinités électives » chères à Goethe. Mais ce tissage est plutôt rare et comporte bien des malentendus et des envies. C’est là où il faut être circonspect. Et savoir distinguer « les vrais amis » des « faux amis ». Comme dans une traduction où le sens premier peut être « diverti ».

 

Mais cela vaut aussi en sens inverse. Il y a des amis qui n’ont pas envie d’être enchaînés à une action ! C’est peut-être ton cas. Voilà le malentendu ! Or pour bien s’entendre il convient de garder ses distances ! Mon désir de répondre aux besoins supposés de l’autre, me conduit à les outrepasser. Cet empressement est sans doute la ruse inconsciente du migrant qui veut absolument plaire pour se faire aimer. Je l’appelle dans mon jargon le « syndrome du migrant » qui induit à son tour un problème de cadrage (la bonne distance) et de transcodage (ce qui passe d’un lieu à l’autre).

 

Toi, tu es toujours resté à ta place, discret et courtois. Qu’on se le dise, nous n’avons jamais été proches. Amis du troisième cercle, cette correspondance de circonstance donne l’illusion d’une proximité et donc d’une gravité, qu’elle crée par son mouvement ; comme le nageur qui fend la mer ou le caillou jeté dans la marre. On peut dire que là réside l’influence de l’écriture dont les ondes percutent le rocher de l’Être comme les vagues. Pardonne ce lyrisme mais je cherche à comprendre pourquoi aujourd’hui je veux sortir de ma confortable réserve. Pourquoi je veux l’excéder ? « Sortir du rang » (Kafka) ? Mystère.

 

Cette guerre aura eu une vertu, si je puis dire : retrouver dans cette correspondance utilitaire – qui aujourd’hui se fait presqu’exclusivement par courriel – les vieux réflexes d’antan : le stylo, une feuille de papier, une enveloppe et un timbre et puis le trajet de la poste. Temps béni où l’on pouvait singulièrement rêvasser sur l’effet que ce bout de papier pourrait susciter avec ces repentirs, ses ratures et ses dessins…. Bref faire de ce chiffon de papier une manifestation de l’infini qui nous traverse.

 

Tu penses que je délire ? Tu as peut-être raison ! C’est que je viens de relire la correspondance d’Arthur Rimbaud. Son œuvre est celle d’un épistolier ! Elle n’a obtenu l’audience qu’elle mérite qu’au travers de ces interlocuteurs devenus ses messagers qui l’ont défendue ensuite sur la place publique en la rassemblant vaille que vaille. Évidemment, tu me diras, ses correspondants n’étaient pas n’importe qui !

 

Basta pour aujourd’hui mais, qui sait, je reprendrai demain. Car j’ai décidé de t’écrire plus souvent ! Si ! Si ! Même si tu ne me réponds pas en retour, même si la banque ne m’envoie plus de documents à remplir d’urgence parce qu’elle croit que tu es encore ici et que tu es depuis longtemps là-bas ! Joie de l’ubiquité.

Adios

 

 François

 

                                                                       *

                                                                                                                           29 janvier 2020

Cher Ahmed,

 

Comme promis, je bouscule le rythme de sénateur de notre échange épistolaire. Une douzaine de lettres en huit ans. Cinq milles mots en tout pour tout. Ce n’est pas avec ça que l’on fera un roman ! Je blague.

Jadis, les lettres étaient bien plus fournies et suivies. Même mon père écrivait plus que moi. Il est vrai que le courriel a tout absorbé, comme un trou noir, je te le disais dans le courrier précédent, cela donne l’illusion de l’empressement et de la proximité, comme dans les pneumatiques et leur tuyauterie que naguère Truffaut illustra magistralement. Mais tout cela est un jeu. C’est peut-être pour ça que je veux changer de ton. Aujourd’hui, il faut aller au-delà, franchir le Rubicon, sortir de ces ornières, appelle ça le comme tu voudras. « Mais dans quelle direction ? »

 

Et pourquoi brusquement cet état d’âme ?, me diras-tu. Peut-être à cause de ce virus en Chine qui avance inexorablement.

 

En guise de réponse, je vais te raconter mon rêve de ce matin. Il va te faire voyager. Ça commence à Montréal – où tu es déjà allé –,  au cœur du Marché Jean-Talon. Je dois renouveler ma demande de naturalisation auprès de l’administration fédérale dont le guichet se trouve à même les étals des fruits et légumes, sous la grande halle. J’ai rendez-vous avec une jolie fonctionnaire. La voilà qui  écarte poireaux et radis pour traiter ma requête. Avec elle, son fils d’âge scolaire car l’école est fermée. Ma demande est écrite à la main sur de grandes feuilles A3 ornées de croquis. Mon interlocutrice est admirative devant ce « dossier si personnel ». Elle le montre à son fils qui le prend pour dessiner !!! À peine a-t-elle eu le temps  de  lui arracher des mains qu’elle se tourne vers moi en minaudant pour me  confier « qu’il manque des pièces à mon dossier ». Ces pièces – devine quoi ? – sont précisément notre échange épistolaire !!!

Qu’à cela ne tienne. Je me propose de l’intégrer derechef à l’intérieur de ma requête – elle insiste afin que je transcrive notre correspondance sur du papier libre. Elle est désolé du  contretemps  mais en aparté, elle me confie que sa hiérarchie lui a reproché ses libéralités avec les administrés : la procédure devait être respectée. Je m’exécute donc.

 

Dans l’intervalle arrive son supérieur : un cultivateur rubicond portant des cagettes de salades qu’il entreprend d’installer sur l’étal. C’est un grand gaillard en salopette la cinquantaine bedonnante : ses grandes mains sont noircies par la terre. La fonctionnaire lui soumet mon dossier. Chaussant ses lunettes, celui-ci le parcourt puis le tamponne en me demandant de me présenter au guichet 19 B de l’édifice principal.

 

L’administration générale des naturalisations trône au centre du marché. C’est un bâtiment des années 30 construit en briques jaunes, typique du style art déco. Le guichet en question est situé dans les sous-sols. Un panneau d’époque indique le chemin juste après les toilettes publiques. Derrière une porte  un escalier descend vers le second sous-sol et débouche sur un long corridor flanqué de portes numérotées. On se serait cru sur le pont d’un paquebot, la houle en moins mais le bruit sourd de machines en plus.

 

J’avais un drôle de sentiment en m’enfonçant ainsi dans les entrailles de la terre. Au fur et à mesure que je m’avançais, le bruit s’amplifiait. Sur ma droite, un vaste entrepôt au centre duquel s’étendait une curieuse masse de métal à forme hélicoïdale veinée de tuyaux.

 

La porte du bureau 19 B donne sur une passerelle en métal au pied duquel se trouve un ouvrier un bleu de travail. Il porte un casque antibruit. Je lui demande si je suis bien au « bureau des naturalisations ». Je dois le répéter en hurlant tant le vacarme est intense. Celui-ci  finalement ôte ses écouteurs et opine du chef. À peine a-t-il ouvert mon dossier qu’il le tamponne à son tour et le glisse dans l’une des petites corbeilles métalliques sur un tapis roulant que la machine avale. « Ne vous inquiétez pas. C’est la machine qui va traiter votre dossier », m’assure le fonctionnaire en me voyant préoccupé. Puis il me tend un voucher et me demande de me rendre au bureau dont le numéro était indiqué sur le papier, pour le réceptionner.

 

Le Bureau 91.82 C. se trouvait à l’extrémité de l’entrepôt. Durant le trajet, je jetais, méfiant,    de brefs  coups d’œil  à ce monstre de métal haletant sur lequel s’activaient de rares ouvriers en bleus de travail. Sa forme tenait à la fois d’une vieille rotative et de l’orgue : de sa carapace de métal  sortaient des  tuyaux brillants. À quoi pouvait bien servir cette énorme machine ?

 

Le guichet 91.82 C, se trouve lui aussi au pied de l’escalier. Enfin la gueule de cette bête de fer m’apparaît : ses longs fanons métalliques régurgitent par petits paquets de fines lamelles de papier. Chaque coulée se déverse dans un sac de papier kraft brun préalablement numéroté qui prend automatiquement sa place sur une étagère en vue de l’expédition.

 

Et qui était le préposé ? je te le donne en mille ! Le fils de la fonctionnaire !

-          Que fais-tu là, petit ? lui dis-je.

Celui-ci lève la tête de son dessin en me fusillant du regard.

-          Je remplace la collègue de ma mère qui est malade… Le voucher !

C’est à peine s’il ne me l’a pas arraché. À peine l’a-t-il eu entre les mains qu’il s’est dirigé vers l’étagère, s’est saisi d’un sac du numéro correspondant et  le plante devant moi.

-          Maintenant. Retournez au guichet principal ; ma mère vous informera de la suite, dit-il d’autorité tout en tamponnant mon voucher.

J’ai ouvert le sac et j’en ai sorti du papier comme des spaghettis.

-          Mais la machine a réduit en miettes mon dossier !

L’enfant m’a regardé, imperturbable.

- Il a eu le même traitement que les autres !

- J’exige des explications !

- Je ne peux pas vous en donner. Ma mère en fournira.

Et il se remet à dessiner.

J’ai traversé la distance qui séparait la passerelle de la surface à la vitesse grand « V » j’étais bien décidé à demander des comptes à la jolie maman-fermière-fonctionnaire. Non mais pour qui me prenait-on ? On se moque du monde !

Celle-ci m’a accueilli avec un sourire de relations publiques.

-          Vous voilà déjà ?!  Vous avez fait vite, dit-elle dans un charmant étonnement.

(Elle était toute seule).

-          Qu’est-ce que cette mascarade ?

Et de lui débiter toute mon indignation de contribuable bien que naturalisé mais  aguerri et réfractaire.

Son visage se renfrogne.

-          Avant de monter sur vos grands chevaux. Lisez ceci. Ce sont vos résultats.

Elle me tend une enveloppe qui contenait une lettre officielle. Le contenu disait à peu près ceci.

 Monsieur,

Je vous prie de recevoir les résultats du traitement du renouvellement de naturalisation exigé par le décret N° BXZ 17895007, B, alinéa 4 qui confirme la conformité de votre dossier. Cependant, il vous appartiendra  de réunir l’ensemble des éléments traités pour lui donner l’apparence originelle. Cette opération doit être achevée dans un délai d’une semaine à partir de la présente que vous pourrez rapporter à ce guichet et qui vous permettra de recevoir la nouvelle carte d’identité biométrique. D’ici là, je vous prie d’agréer

J’étais livide.

            - Mais c’est dément, ai-je crié auprès de mon interlocutrice.

- Tatatata ! avec votre QI vous y arriverez les doigts dans le nez. Tenez c’est pour vous !

 

Elle m’a offert un panier de pommes dans lequel elle a glissé mon dossier ou ce qu’il en restait, puis m’a congédié sans se départir de son beau sourire. Je me suis éloigné, dépité. Je ne savais que dire ni que penser. C’est alors qu’une main m’a arraché mon sac.

Aussitôt je me suis réveillé.

C’est dommage, je n’ai même pas pu réagir... Je ne sais pas pourquoi je te dis tout ceci …

 Je m’aperçois qu’il est tard et qu’il faut que je te quitte.

 Demain j’irai poster cette lettre et j’ajouterai le courrier de Mlle Azzedine.

 

Au revoir mon ami. Pardonne la brutalité de mes propos ou leur ingénuité. J’espère que mon rêve t’aura déridé.

 

François

 

                                                                  *

                                                                                                                Paris le 5 février 2020

Cher François,

 

La description de ton « rêve » m’a beaucoup troublé – mais en étais-ce un ? Imagine-toi que j’ai vécu le même épisode que tu as décrit mais de manière symétriquement opposé. Et CE N’ETAIT PAS UN RÊVE, du moins je ne le crois pas. Tout ceci n’a pas de sens. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu te répondre rapidement.

 

Tu veux savoir pourquoi ? Et bien ce que je vais t’écrire te paraîtra incroyable mais c’est la vérité : la main qui t’arrache le fameux sac où tu trimbales les confettis de ta requête en naturalisation, c’était la mienne ! Tu ne m’as pas reconnu ? Normal. Tu n’as pas eu le temps. En réalité, je poursuivais un inconnu qui m’avait dérobé mon sac de provisions hebdomadaires au souk d’El Tayeb de Beyrouth. J’ai vite perdu sa trace dans la foule. J’ai failli abandonner en pensant que c’était un de mes compatriotes, réfugié et crève-la-faim qui m’avait volé. Mais au détour d’un stand, je l’ai reconnu. Maintenant que j’y pense il te ressemblait sans son keffieh. Il ne se méfiait plus. J’ai fait comme lui : j’ai repris mon bien vite fait. C’est à la maison que je me suis rendu compte de la méprise. Dans le sac, outre les légumes, il y avait un amas de fines languettes de papier comme s’il était passé par un broyeur. J’ai retrouvé ton nom et le courrier qui t’était adressé agrafé au sac. C’est incroyable non ? Tu es sûr que tu as rêvé tout ceci ????!!!

J’ai soupesé cette coïncidence des jours durant. Cela a même inspiré un de mes dessins que j’ai accompagné de la traduction d’un poème de mon père. J’en fais une photographie que je t’envoie.

 

 

Tu auras ainsi une idée de ce que je dessine. En fait, j’improvise comme Pirandello et je soupçonne mon père d’avoir procédé de la même manière pour son poème inédit. Je le retranscris en corrigeant une faute d’inattention : « Mais tout cela n’était/ qu’un leurre pour m’écarter / du feu qui couvait encore/ sous les braises du jour/ afin que rien de ceci / ne soit exposé au soleil de la vérité ».

 

Ces vers ont été mis en exergue de la monographie que mon père a consacré à Ibn Darîn, considéré comme le plus célèbre oniromancien depuis l’Hégire. Dans cet ouvrage, il y décrit entre autres un rêve, transcris par l’oniromancien, qui possède, mutatis mutandis, des caractéristiques étonnantes avec ton « rêve » et à l’épisode qui m’est arrivé. Je me souviens qu’enfant, mon père avait coutume de me le raconter. J’en ai oublié les détails et il me reste seulement une impression étrange.

 

Ce livre tu l’as sans doute dans les cartons que je t’ai laissés. Si tu pouvais me le faire parvenir, je t’en serais reconnaissant. Tu verras, c’est un opuscule imprimé sur papier blanc gaufré. Il a été publié aux Presses universitaires de Damas en 1955 et il s’intitule : « L’oniromancie au temps du Pseudo Ibn Darîn ».

 

Je te salue et compte sur toi et ta discrétion.

Ahmed

 

P.S. : Je te rassure. Je ne suis pas insensible à ce qui se passe.        

                                                          

                                                                       *

                                                                                                       Paris le 15 février 2020

 Cher Ahmed,

 

Ça alors ? ! Cela t’est vraiment arrivé ? Le rêve et la réalité se percutent. Je ne peux y croire. Dis-m’en plus. Je suis ébaudi. Lorsqu’on dit que la fiction dépasse ce qui tient lieu de réalité… Et cette réalité est une construction, un  dressage d’habitudes et surtout de croyances qui s’encastrent l’une dans l’autre, comme les codes d’un algorithme et qui finissent par construire et universaliser nos grilles de lecture. Tout ceci est un processus dont le rêve nous révèle la complexité. 

 

Tu trouveras ci joint le livre de ton père. En vérité je l’avais déjà sorti du carton qui commençait à pourrir par l’humidité. Je l’ai lu et photocopié par la même occasion. La thèse qu’il défend est très avant-gardiste en expliquant que l’oniromancie arabe ouvrait déjà la voie à l’inconscient. Freud apparemment s’en est inspiré pour élaborer son fameux bouquin sur l’interprétation des rêves. J’ignorais que ton père avait obtenu son doctorat à la Sorbonne avant d’être diplomate. Mais en le lisant, je n’ai guère trouvé ce rêve dont tu me parles. Et pourquoi dois-tu compter sur ma discrétion ?

 

J’attends ta réponse avec beaucoup de curiosité.

 

Amitié

François


P.S. Le coronavirus a atteint l’Italie et fait déjà des victimes. Il se rapproche de manière inquiétante de chez- nous… Il risque de nous atteindre à son tour. J’annexe le courrier de la Société générale qui te communique, ô joie, ton numéro d’activation « nécessaire à l’enregistrement de ton numéro de téléphone sécurisé. »

 

                                                                       *

                                                                                                                      Le 1er mars 2020

Mon cher François,

 

La guerre m’a aussi changé même si ma condition m’a donné la chance d’y échapper. Beaucoup d’erreurs ont été commises que l’Occident feint de ne pas voir, lui qui s’obstine à voir, confit dans sa bonne conscience, que c’était une victoire de la démocratie. La génération de mon père, elle aussi a cru à cet idéal. C’est l’inverse qui est advenu. Leur cause a libéré des forces qu’ils ont été incapables de juguler et qui a fini par les avaler. La soif du pouvoir a fait le reste. Rien de nouveau sous le soleil. Passe encore si la répression n’avait touché que ce petit groupe de privilégiés ; mais c’est ceux qui ont cru en leur bonne paroles – le peuple – qui a payé le plus lourd tribut.

 

Voilà pourquoi depuis le début de cette nouvelle guerre, je me tais, comme d’autres d’ailleurs. Je n’ai pas voulu répondre à tes sollicitations. Mon silence n’était pas de l’indifférence. Toi, tu le faisais sans malice avec cette croyance qu’ont les Occidentaux dans la force de leurs principes. C’est beau les principes mais cela ne suffit pas. Il faut aussi savoir les traduire politiquement et comprendre le rapport de forces qu’ils induisent…. Mais je ne suis pas fait pour ça.

 

En politique, il y a toujours une forme de trahison. Je ne veux pas être dupe, comme le fut mon père, pour ensuite, se trouver obligé de servir de caution. Et qu’importe si je passe pour un lâche à tes yeux, un traître à je ne sais quel « idéal juste ». Ce qui m’importe en revanche, c’est le continent secret que dessine notre subjectivité et dont les songes et l’art sont les révélateurs. C’est la raison pour laquelle ce rêve en particulier m’a intéressé. Tu me trouveras sans doute, à mon tour, idéaliste, mais au moins je ne fais de mal à personne.

 

Assez parlé. J’ai l’impression de faire du « François dans le texte ».

 

Maintenant, c’est à mon tour de te raconter un rêve. Le voici brut de décoffrage.

 

Je marche dans la rue. Il n’y a aucun bruit. La fin de l’après-midi donne une belle lumière rasante. Mais il fait froid pourtant. C’est un temps comme aujourd’hui. Un silence troublé par les trilles des oiseaux et le croassement des corbeaux. Au loin, on voit une grande ville, peut-être Paris. J’entre dans un immeuble situé à une intersection. Personne non plus dans l’entrée. Je monte à l’étage où se trouve un logement dont j’ai la clef. Mais celui-ci est vide également. Sur les murs blanc cassé, on devine la place des cadres et des meubles. Par la fenêtre, le soleil couchant inonde l’espace d’une clarté flamboyante où danse la poussière. Une impression de déjà-vu me saisit. Je suis déjà venu à cet endroit. C’est alors que je comprends être dans un rêve et ce rêve, lui aussi, est récurrent. Mais au lieu de me forcer à me réveiller, ce qui m’aurait conduit à me plonger dans la spirale de l’angoisse, je poursuis mon exploration.

J’ouvre la porte de la salle de bain, la petite fenêtre est restée ouverte. Elle donne sur une enfilade de courettes qui se termine devant le mur d’un pavillon au crépi crème. Une lumière s’allume à l’étage et la fenêtre s’ouvre. Un homme apparaît et regarde dans ma direction. Je suis trop loin pour en distinguer les traits. Son immobilité lui confère l’élégance hiératique d’un signe, ou mieux, d’un chiffre, celui d’une réalité autre. Je reste ainsi un moment incapable de détacher mon regard de ce rectangle de clarté électrique où se découpe cette silhouette comme une ombre chinoise, bercé par le chant des oiseaux… Dans cet intervalle, résonnent en écho les autres rêves du passé qui dessinent un vortex d’images et de souvenirs qui tourbillonnent de plus en plus vite en m’entraînant dans leur chute.

Je me réveille en sursaut.

 

Te me diras : quel est le rapport avec les relations précédentes ? Aucune, je te le concède. Comme dans le livre du Pseudo Darîn, il n’y a aucun élément probant pouvant faire le lien avec ce que nous avons écrit tous les deux. Et pourtant c’est dans cette aporie que les sentiers s’entremêlent, comme ceux qui conduisent au Jardin.

 

Je n’ai que trop parlé maintenant… tu peux donner mes livres… N’essaie pas de me rejoindre.

 

Prends soin de toi,

Ahmed.

                                                                       *

10 mars 2020

Ahmed,                                                                                 

 

Ta lettre sur ton songe m’arrive à un bien mauvais moment. Paris va décréter le confinement à cause du coronavirus. L’anxiété est partout.

 

Mais qu’est-ce que tu fous ? Et pourquoi tu ne me réponds pas au téléphone ? Je t’ai laissé plusieurs messages… Ne fais pas le malin. J’ai trouvé ton numéro dans le dernier courrier de la Banque dont j’avais conservé une copie… Je ne comprends pas tes évitements. Où es-tu ? Qu’est-ce que c’est cette mascarade ? Ton rêve n’éclaire rien. Tu ajoutes une énigme à l’énigme. Que crains-tu ? Tu as un secret ? Il y a quelque chose que tu ne me dis pas…

 

Excuse cette saute d’humeur. Après tout cela ne me regarde pas. Hier j’ai dû annuler en catastrophe une manifestation littéraire sur laquelle j’avais travaillé deux mois durant. J’avais invité un poète syrien qui a bien connu ton père. Il a publié une anthologie sur la poésie contemporaine où il y figure.

 

Bon, ici nous rentrons progressivement en quarantaine quelques jours seulement après l’Italie où la situation est catastrophique. Je suis triste. Je ressens une pression aux poumons et j’ai peur. C’est comme si tout un pan de mon passé s’en allait. Bientôt en dépit de tous vos drames, ce sera votre tour.

 

Je te salue bien amicalement, 

François

                                                                       *

                                                                                                             Beyrouth, 15 mars 2020

 

Cher François,

 

Je suis Leila, la sœur d’Ahmed. On ne se connaît pas, mais Ahmed m’a beaucoup parlé de vous. Je réponds au message que vous avez laissé sur la messagerie d’Ahmed ainsi qu’à vos nombreux courriers postaux que je suis allée chercher à la boite postale à Beyrouth.

 

Nous n’avons pas de nouvelles de lui depuis d’un an. J’aurai sans doute dû vous prévenir mais la situation ici est tellement confuse.

 

En vous lisant, je comprends qu’il ne vous avait pas prévenu de son engagement auprès de Médecins sans frontières. Il a commencé ses missions en 2016 après le décès de notre mère. C’était d’abord des missions brèves de trois mois. Régulièrement il rentrait pour se reposer, régler ses affaires puis il repartait. Il a fait ainsi le tour du front. La dernière fois qu’on l’a vu, il était dans la région d’Idlib.

Je suis très préoccupée. Je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose.

Et vous. Comment ça va ? Vous êtes confiné, comme en Italie.

Je vous souhaite bon courage,

Leila

 

                                                                      

 

                                                                                                                             19 mars 2020

Chère Leila

 

Merci pour votre courrier. J’ignorais tout de son engagement auprès de Médecins sans frontières. Mais sa disparition m’étonne. Je mets copie les derniers courriers qu’il m’a fait parvenir ces jours -ci. Il est vivant ! J’espère que cela vous rassure. Mais où serait-il donc ? N’hésitez pas à me communiquer dès que possible vos impressions et toute information relative à son itinéraire.

 

J’espère que vous allez bien vous et votre famille. Ici, c’est l’enfermement avec l’angoisse que vous connaissez déjà chez vous. C’est une drôle de guerre que nous revivons.

 

Je vous salue très cordialement et vous souhaite bon courage,

François

                                                                       *

 

De : Claire. monjour@hotmail.com

A : François speranza@gmail.com

 

Sujet : Des nouvelles de Beyrouth                                                                       20 mars 2020

 

Bonjour François,

 

Comment vas-tu en ces temps d’hibernation ? Je t’écris sur ta messagerie Gmail. Est-elle toujours valable ?

 

Je suis rentrée en catastrophe de Beyrouth, juste à temps pour le confinement. Les aéroports sont déserts et tout le monde se regarde comme des chiens de faïence. C’est une atmosphère lugubre que vient égailler heureusement le chant des oiseaux.

 

 À Beyrouth, j’ai rencontré la sœur d’Ahmed qui m’a tout expliqué. Elle est CATÉGORIQUE, la copie des courriers de notre ami ne sont pas de sa main, ni même le style du texte ! Elle ne comprend pas qui aurait pu se substituer à lui. Puis elle s’est effondrée dans mes bras en sanglots. La situation là-bas est dure…

Tout ça est si étrange. D’ailleurs nous-mêmes, sommes-nous dans un cauchemar ou dans la réalité ? Qu’est-ce qui a permuté ? Mystère.

 

Je touche du bois. Pour l’instant, je vais bien. J’aménage mon nouvel appartement et j’ai donné les livres d’Ahmed à une association de réfugiés syriens. Ils en feront un meilleur usage que moi. Je te laisse. J’ai tant de choses à rattraper depuis mon voyage.

 D’ici là si tu as des nouvelles, tu me fais signe.

 

Je t’embrasse de loin et prend soin de toi, de Jacqueline et des enfants.

Claire

 

                                                                       *

 

De : François speranza@gmail.com

A : Claire. monjour@hotmail.com

 

Sujet : Des nouvelles de Beyrouth

 

Chère Claire,                                                                                                        21 mars 2020

 

Content de savoir que tu te portes bien malgré cette situation de guerre inédite. Mais alors qui continue de m’envoyer ces courriers ? Mystère, comme tu dis.

Je continue de recevoir des courriers. Le dernier est un poème en français sans signature ni date, écrite à la main avec une calligraphie ample. Le courrier a été adressé de Paris.

 

Je le transcris ici :

 

Souffle

La bouche de la nuit s’ouvre

Et le mystère scande la pulsion de ton sang

Illuminant le rectangle

Dans lequel tu te tiens droite et pure

Comme une stèle d’or blanc

Où sommeille la rumeur

Atavique de mon dépassement

 

 Voilà.

 

 Je t’embrasse de loin et te souhaite bien du courage,

 François

 

 

                                                                                   *

De : Claire.monjour@hotmail.com

A : Francois.speranza@gmail.com

 

 Sujet : Des nouvelles de Beyrouth                                                                      22 mars 2020

 

 Bonjour François,

Mystère et boule de gomme. Quelqu’un qui n’est pas Ahmed ou qui l’est, s’amuse à t’envoyer de preuves des vies ou, si tu veux,  des signes, comme on envoie une bouteille à la mer. Sauf que dans la bouteille, il n’y pas de message. C’est la bouteille qui est le message !
 

Dans un autre ordre, ça me fait penser aux pulsars et leurs ondes gravitationnelles, imperceptibles jusqu’à la fin des années 70 mais qui le deviennent dès lors que change de perspective. À ce propos, hier j’ai vu un documentaire sur ces fameux trous noirs qui avalent des galaxies entières et même la lumière. Or ces trous possèdent un horizon des apparences autour duquel même le temps se fige ; en son cœur se trouve le point de singularité. C’est le lieu de la gravité des gravités, disent les scientifiques. Là apparemment la matière s’évapore, se comprime pour devenir un très long spaghetti qu’avale goulument ce point minuscule à la masse gravitationnelle prodigieuse. C’est le « silence asymptotique », disent les physiciens. Mais qu’advient-il après ? On n’en sait rien. Rien ou alors peut-être que la matière rejaillit, magnifié, transformé, glorifiée ?

 

Je me demande si ce que nous vivons ne s’apparente pas à cet horizon des apparences avec ce temps suspendu qui nous transformera tous autant que nous sommes non pas en spaghettis mais en initié dans notre corps glorieux. Va savoir ? J’arrête ici mes délires ? Je vais me coucher.
Bien à toi,

Claire qui te souhaite le… monjour !….

 

                                                                                   *

 

Journal de guerre,                                                                                 22 mars 2020

Jour 4

Extrait                                                                                                 

 

Aujourd’hui, j’ai terminé la retranscription de ma correspondance avec Ahmed. En tout une vingtaine de pages. Je suis content de l’avoir fait même si je m’interroge sur leur usage. C’est un objet hybride, mi-lettre, mi journal, entre vérité et le mensonge. Objet contondant non identifié dont la finalité, à vrai dire, serait de devenir une nouvelle : et plus précisément une nouvelle épistolaire. Mais comment renouveler le genre dans cette conjoncture inédite où nous sommes tous plongés à instant où j’écris ces lignes, et au moment, un peu plus tardif où vous les lirez ?

 

Jusqu’ici vous m’avez accordé le crédit de votre attention en faisant comme si ce que je vous racontais, était vrai. Mais supposons que je vous ai menti. Si je vous disais que le coup de téléphone auprès d’Ahmed s’est révélé fructueux. Ahmed a réellement décroché ! Nous avons eu une conversation très urbaine.  J’ai prétexté que je l’appelais pour lui donner son code de banque. Il m’a dit que pour l’instant il ne pouvait rien en faire puisque lui aussi était confiné.

 

Cela faisait sept ans que je n’avais pas entendu sa voix. Elle n’avait pas changé. Nous avons poursuivi en échangeant des banalités que je savais déjà : Il allait bien et habitait toujours à la montagne et n’avait pas internet. Puis, je lui ai passé Jacqueline. Durant cette brève conversation il demeura tout aussi lapidaire et discret qu’à son habitude. Puis on s’est  salué et chacun a raccroché comme si nous nous étions parlé la veille.
Voilà.

Le soir tombe et je suis fatigué. C’est le début du printemps ! Mon anxiété et mon oppression se jouent de moi comme d’un yoyo. Le temps s’est rafraichi. Je bois d’amples rasades de tisanes et de thé verts suivant en cela les recommandations que l’on m’envoie sur les réseaux sociaux et auxquelles il ne faudrait pas prêter foi.

Tout à l’heure je descendrai à l’étage dans la salle de bain pour me laver les mains une autre fois. (Se laver les mains. Cette expression très chrétienne n’est pas dénuée d’ambiguïté de nos jours.) Ensuite j’ouvrirai la fenêtre. La fraîcheur entrera par paquets, comme le silence troué par les trilles des oiseaux et qui chantent le déclin du jour. L’absence de bruit et de clarté deviendra totale. En face, droit devant moi, une petite fenêtre s’éclairera derrière laquelle une ombre bougera. J’aurai l’impression que quelqu’un sera  en train de m’observer.

 

Mais cette impression n’est pas nouvelle. Je l’ai ressentie à de nombreuses occasions, comme si c’était une évidence. Je resterai un bon moment dans cette position, prêtant l’oreille au silence puis mon regard se déplacera un peu plus haut vers les étoiles.

  

 

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