Marielle Clementi - Canari Vice

  

De l’amour filial et de l’imprescriptibilité du crime... Une nouvelle noire de Marielle Clementi.

 

 

Canari Vice

   

La Rover 3500S V8 décapotable avalait le bitume défoncé de la route du Cap au mépris de la limitation de vitesse et de la prudence nécessaire sur cette chaussée tortueuse. Gracieuse, les mains joliment gantées de cuir, se cramponnait au volant en acajou de son bolide de collection. De temps à autre, elle écrasait furtivement une larme du revers de sa main. Son foulard de mousseline de soie blanc immaculé, élégamment noué sur ses impeccables cheveux teints en blond, flottait sur sa nuque tel un étendard.

Elle pesta derrière un bus qui bloquait la circulation devant l’église Sainte Julie de Nonza. Enfin, le chauffeur réussit à négocier le virage et au son du klaxon impérieux de la conductrice, il obtempéra et la laissa passer.

U Duttore Benestà l’avait appelée deux heures auparavant pour l’informer que sa mère avait eu un grave malaise et était au plus mal. Son cœur usé était sur le point de cesser de lutter. Gracieuse voulait pouvoir lui parler une dernière fois. Elle était partie immédiatement.

Elle était très fusionnelle avec sa mère. Elle avait grandi sans père. C’était un sujet que sa mère, qui l’avait eue à 16 ans, refusait d’aborder. Au village, on n’avait jamais rien su, ni vu sa grossesse non plus.

Miuccia avait été envoyée par ses parents chez une riche tante qui vivait à Monaco où elle donna naissance peu de temps après son arrivée à une petite fille qu’elle appela Marie-Grace et que tout le monde appelait affectueusement Gracieuse tant elle était souriante et gentille avec tout un chacun.

Miuccia revint à Canari quelques temps après, son enfant sous le bras et personne n’osa poser de questions. Marie-Grace grandit dans la maison familiale, entourée de l’amour de sa mère et de ses grands-parents. C’était une enfant facile et attentionnée envers ses aînés. Elle se rendait compte que sa vie était différente de celle des autres enfants qui avaient, eux, un papa, mais chaque fois qu’elle posait la question, sa mère éludait et lui répondait invariablement « on verra quand tu seras grande ». Elle n’obtint pas plus de réponse de ses grands-parents, ni même en grandissant et elle finit par ne plus rien demander. Malgré ça, elle n’avait jamais manqué d’amour. Ses aïeux étaient décédés très jeunes d’asbestose, une maladie chronique de l’appareil pulmonaire due à l’inhalation prolongée de fibres d’amiante cette poussière blanchâtre, un véritable enfer blanc, vomie durant des décennies par l’usine fermée maintenant depuis 1965.

Son enfance fût bercée par Flaubert, Hugo, Musset, Balzac et autres Chateaubriand que lui lisait sa mère le soir et surtout par une histoire de princesse qui la marqua à jamais : l’idylle puis le mariage de Grace Kelly avec le Prince Rainier III. Elle lui devait d’ailleurs une partie de son prénom, comme un hommage. À la disparition de cette dernière, de façon tragique, elle ressentit une blessure, un vide, une douleur aussi violente que si elle avait perdu un membre de sa famille. N’était-elle pas née à Monaco, à l’Hôpital qui portait désormais son nom ?

Elle s’imagina vivre elle-aussi dans un conte de fée, cultiva une légère ressemblance avec la Princesse de Monaco et commença à s’identifier peu à peu à elle, jusqu’à adopter son élégance vestimentaire raffinée. Elle ne s’habillait plus dorénavant que dans une friperie de luxe, place d’Armes à Bastia, espérant secrètement tomber un jour sur un des vêtements ayant appartenu à son icône du glamour.

À 53 ans, elle attendait toujours son prince qui l’emmènerait elle-aussi, sur son rocher, mais le seul rocher qu’elle eût jamais approché était la Mugliarese, au large de Giottani, posée comme une verrue sur la mer, où elle accompagnait son grand-père pêcher, dans une barque de bois.

Au décès de sa tante, elle hérita de l’appartement de Monaco, d’un appartement cossu à Bastia, d’une belle propriété à Canari entourée de balustres dans un immense jardin, non loin de la maison familiale et d’une fortune considérable. Zia Mariù avait épousé un marchand d’art italien plus âgé qu’elle, à la réputation sulfureuse qui n’avait pas fait l’unanimité dans la famille, loin s’en faut. Ils s’étaient connus alors que Giuseppe était venu estimer un tableau : Saint Michel, peseur des âmes et vainqueur du dragon, en bois peint, doré, datant de la fin du XVe siècle, exposé dans l’église Santa Maria Assunta.

On ignorait l’origine des fabuleuses toiles de Maîtres en sa possession, d’aucuns parlaient de pillages de l’armée nazie et des chemises noires, d’où la discorde sur cette union, refusée en bloc par les parents. Les tourtereaux avaient donc fait scappetta et au décès de Giuseppe dans d’obscures conditions, Mariù se retrouva à la tête d’un immense patrimoine qu’elle fit fructifier et qui lui assura une vie des plus confortables. Son père ne lui pardonna jamais l’affront, mais elle avait toujours gardé contact avec sa jeune sœur.

Grâce à la générosité de sa tante qui l’avait couchée comme unique héritière de son empire sur son testament, Gracieuse n’avait jamais eu besoin de travailler. Elle avait vendu l’appartement monégasque pour une somme indécente. Mariù avait fait don de plusieurs toiles au musée du Vieux Monaco. Gracieuse avait emménagé dans le luxueux appartement, idéalement situé plein centre à Bastia. Elle consacrait sa fortune et son cœur à une association qu’elle avait créée qui aidait des enfants en échec scolaire.

Gracieuse transforma la partie rocailleuse de la propriété de Canari en jardin exotique, rempli de succulentes et ponctué çà et là de diverses plantes médicinales, de légumes et d’arbres fruitiers. L’ancien potager devint une magnifique roseraie aux mille parfums et autant de couleurs. Elle fit apposer une pompeuse plaque de marbre blanc à l’entrée de la propriété qu’elle baptisa le Clos Roc Acellu, en référence à la célèbre propriété des Grimaldi à Monaco.

Hélas, ses magnifiques roses étaient régulièrement le festin des vaches de son voisin immédiat, l’Orsu-Momò, qui se contentait de toucher « la prime à la vache » et les laissait vagabonder dans les rues et les jardins du village. Aucune clôture ne résistait à l’appétit de ces pauvres bêtes faméliques. Il était impossible de discuter et faire entendre raison à cet homme vaniteux, omnipotent et pétri d’orgueil. Il répétait d’une voix tonitruante et à qui voulait l’entendre qu’il était un grand propriétaire et que par conséquent tout lui appartenait. Ils avaient en outre, un litige concernant les limites de leurs propriétés respectives. Tant que le tribunal ne se prononçait pas sur cette affaire, impossible d’ériger une clôture solide. L’Orsu-Momò avait surtout une passion dévorante pour la bouteille et particulièrement le pastis.

Celui-ci, sujet à des accès de violente fureur, faisait grand peur à Gracieuse qui ne lui adressait guère la parole. Elle se méfiait de lui et de ses réactions sous l’emprise de l’alcool et comme il était imbibé du matin au soir…

Elle gara sa voiture sur la place et se précipita chez sa mère. U Duttore Benestà était à son chevet. Miuccia était encore consciente bien que très faible.

Elle prit la main de sa mère dans les siennes et l’appela doucement. Elle était très pâle et décharnée. Le drap et la légère couverture qui la recouvraient se soulevaient irrégulièrement. Elle s’agita au son de la voix de sa fille. Elle voulut parler mais aucun son ne réussit à sortir de ses lèvres desséchées. D’une imperceptible pression de la main, elle attira sa fille et lui souffla de faire sortir le médecin de la chambre. Un long silence s’ensuivit. Miuccia rassembla les dernières forces qui lui restaient pour murmurer à sa fille.

« Ouvre… le tiroir… de la… commode. Tu y trouveras… une enveloppe. Tu dois me promettre… de la lire après… quand je… serai… partie. Elle… te dira… tout… ce que je n’ai pas… osé… te dire… pendant… toutes… ces années… Maintenant… que… tu es là… Je peux partir… »

Et elle ferma les yeux à jamais, comme si elle avait attendu de toutes ses forces que Gracieuse soit auprès d’elle. Sa tête s’affaissa un peu sur le côté et sa main retomba mollement sur le revers du drap. Le cœur de Marie-Grace explosa de douleur, elle sanglota longtemps sur la poitrine de sa maman.

***

Ma fille chérie,

Quand tu liras ces lignes, je ne serai plus là mais je veillerai toujours sur toi, où que je sois et quoi que tu fasses. Je t’ai écrit ce que je n’ai jamais osé te dire parce que malgré toutes ces années, j’ai honte de ce qui s’est passé. J’ai beau savoir que ce n’est pas de ma faute, je ne peux m’empêcher de ressentir ce sentiment. Je ne sais pas qui est ton père, ou plutôt je ne peux pas déterminer qui l’est. Je n’ai rien fait d’immoral, je te rassure. C’était un soir de Sainte Marie, babbò et mina m’avaient autorisée à aller au bal à la salle des fêtes, après la procession. J’allais avoir seize ans, j’étais bonne élève, sérieuse, ils avaient confiance en moi. En plus, j’y allais avec des copines et nous devions rentrer ensemble. Mais le petit groupe que nous formions s’est éparpillé durant la soirée et je suis rentrée seule à la maison vers 23h15. J’avais la permission de minuit, mais je m’ennuyais toute seule. Je ne me suis pas rendue compte tout de suite que j’avais été suivie. Quand je suis arrivée à la hauteur de la fontaine à Santa Croce, je me suis retournée et j’ai vu trois ombres qui me suivaient. J’ai voulu accélérer mais ils ne m’en ont pas laissé le temps. Ils m’ont poussée dans le jardin de la chapelle en riant grassement. Ils me bousculaient l’un vers l’autre comme un ballon. Je n’arrivais pas à m’enfuir, puis ils ont voulu me toucher, laissant leurs grosses mains froisser ma robe, la retroussant pour caresser mes cuisses. Ils étaient de plus en plus hardis dans leurs gestes. Je criais, je pleurais, je les suppliais de me laisser tranquille, ça les excitait encore plus. Ils m’ont coincée entre eux. Je sentais leurs mains et leurs bouches avinées partout sur moi. Ils ont arraché ma culotte, retroussé ma robe et jetée à terre. Ils ont défait la ceinture de leurs pantalons et m’ont violemment pénétrée plusieurs fois, chacun leur tour tandis que les deux autres me contraignaient au sol. J’ai hurlé de douleur, leurs rires l’ont décuplé. Leur forfait terminé, ils m’ont laissée là, la robe déchirée, les bras et les jambes couverts d’ecchymoses, le sexe en sang et leurs sécrétions partout sur moi et en moi. Je suis rentrée à la maison tant bien que mal, sans rien dire à mes parents, parce que j’avais honte, parce qu’ils allaient penser que c’était de ma faute. Je me suis rincée au bassin et sans bruit, je me suis glissée dans ma chambre. Je leur ai dit que j’avais trébuché sur une grosse pierre et que j’avais glissé sur le talus en rentrant. Mon secret me rongeait et je n’avais personne avec qui le partager. Le lendemain, je devais amener les petits pains de Saint Roch à la chapelle de Olmi. Je suis montée plus tôt pour parler au curé. Je voulais parler à quelqu’un de ce qui m’était arrivé. Dans le confessionnal, je ne pouvais pas voir son expression, mais sa voix avait un ton indifférent quand il m’a dit que je devais oublier, que ce n’était qu’un jeu entre jeunes gens, que j’allais porter tort à ces hommes, bref que l’opprobre rejaillirait sur mes parents et sur le village. Alors, je me suis tue. Je ne me suis pas rendue compte tout de suite que je n’avais plus mes règles. Elles étaient irrégulières, au début, je n’ai pas fait attention, je ne savais même pas ce que ça voulait dire et puis, je n’avais pas grossi et mon ventre était toujours aussi plat. Sept mois ont passé ainsi jusqu’à ce que ma mère s’en aperçoive. À l’époque, on avait des linges en éponge qui nous servaient de serviettes hygiéniques. Elle a fini par se rendre compte qu’il n’y en avait pas à moi, à laver. J’étais une jeune fille qui ne sortait pas, j’étais pensionnaire à l’Institution Jeanne d’Arc à Bastia et tous les week-ends je prenais le car pour remonter au village, il ne lui est pas venu à l’esprit que je pouvais être enceinte et moi, je n’osais toujours pas parler. Elle est descendue un jeudi à Bastia pour m’accompagner chez un gynécologue. Quand le diagnostic est tombé, j’ai cru mourir de honte. Je priais pour que ce ne soit pas ça. Mes parents ne comprenaient rien et ils m’ont tellement questionnée que j’ai fini par avouer ce qui m’était arrivée. Au début, ils ont eu du mal à me croire tellement ça leur paraissait impossible qu’une telle chose puisse arriver à Canari où toutes les familles se connaissaient. Mon père avait empoigné le fusil pour tuer ceux qui m’avaient violée et j’ai dit que je ne les avais pas reconnus parce que je ne voulais pas perdre mon papa. Dans les jours qui ont suivi, j’ai eu un ventre de femme enceinte, d’un coup. Le médecin a dit que j’avais fait un déni de grossesse. Je ne sais pas où tu te cachais pendant plus de sept mois mais à partir de ce moment-là, tu as pris ta place. J’ai longtemps pleuré de honte et ma mère aussi. Mon père était muet de rage. Il était hors de question que je retourne à l’école dans cet état et ils ont décidé de m’envoyer chez la sœur de ma mère qui habitait Monaco. Pour tout le monde, j’étais partie faire la dame de compagnie et Zia Mariù, qui était très autoritaire et que je devais appeler Tante et vouvoyer devant le gratin monégasque, s’occupa de moi comme si j’étais sa propre fille, elle qui n’avait jamais eu d’enfant. Personne ne m’a jamais jugée, là-bas, ni posé de questions. Elle avait des domestiques et ne voulait pas que je me fatigue, aussi je lui tenais compagnie et passais mes après-midi à l’écouter me parler de la vie de la principauté. J’ai aperçu une fois la princesse Grace qui passait à l’arrière de sa voiture. Elle était si belle. Ton prénom était tout trouvé. Tu t’appellerais Marie-Grace, Marie comme ma tante qui m’avait si généreusement accueillie et Grace comme la princesse. Tu es née avec un peu d’avance un lundi de Pâques à l’Hôpital Prince Albert, avenue Pasteur à Monaco. L’accouchement fut long, difficile et extrêmement douloureux, comme si je devais encore expier une faute que je n’avais pas commise. Je n’avais pas dix-sept ans encore et j’étais maman célibataire, une fille-mère comme on disait à l’époque. Je t’ai aimée dès que je t’ai vue. Tu étais peut-être l’enfant d’un viol mais tu étais avant tout la chair de ma chair et je me suis juré de toujours te protéger. Tu avais juste un mois quand mes parents m’ont ramenée au village. Je ne sais pas ce qui s’est dit, ni pourquoi ni comment, je n’ai jamais osé aborder le sujet avec mes parents, mais personne n’a jamais posé de questions. Je me suis consacrée avec reconnaissance à mes parents et à toi. Il n’y avait pas de place pour quelqu’un d’autre dans ma vie et je n’en avais ni besoin ni envie. J’ai toujours évité de croiser mes agresseurs, rebroussant chemin si je les apercevais. Je ne suis plus allée à la messe, redoutant de me retrouver face au Prete Pasquale, c’est la raison pour laquelle tu n’es pas baptisée. De toute façon, si Dieu existe, pourquoi permet-il toutes ces souffrances ? Je me suis tuée à travailler dans les champs, pour ne plus penser, la culpabilité induite par cet acte ignoble m’a rongée, ma santé est devenue fragile et tu connais la suite. Aujourd’hui, je ne suis plus là pour te protéger. Je voudrais que tu fasses bien attention aux prédateurs qui rodent au village et méfie-toi plus particulièrement des trois vicieux dont l’un est ton père.

À la lecture des noms dont l’un était son géniteur, elle sentit son estomac se retourner et eut juste le temps d’arriver aux toilettes pour vomir de la bile. Elle savait qu’ils étaient spéciaux et enfant, elle avait toujours eu peur d’eux, sans raison apparente. Aujourd’hui elle comprenait le pourquoi de cette aversion irraisonnée. Eux étaient toujours vivants, ses grands-parents et surtout sa mère qui avaient dû souffrir toute leur vie étaient morts avec un secret, et la honte qui les avait rongés.

***

L’Orsu-Momò vociférait à qui voulait l’entendre qu’il allait stirper ceux qui avaient tué ses vaches. Il en avait retrouvé trois raides sur la route de Chine, deux près de la fontaine au Vignale et cinq sur la place du clocher. Leur mort était mystérieuse, pas de blessure apparente. Elles étaient dures et gonflées. Une, passe encore, mais les dix, c’était vraiment bizarre. Les gendarmes allaient encore débarquer !

En même temps, il était si odieux avec tout le monde que n’importe qui aurait voulu lui faire payer son comportement, même si les pauvres vaches errantes n’y étaient pour rien. Il devait son surnom au fait qu’il hurlait tout le temps comme un ours.

Il avait la gorge sèche, à force de crier. Il attrapa la gargoulette en terre cuite dans le placard de l’antique cuisine et sortit dans le jardin jusqu’à la fontaine pour y prendre de l’eau fraîche. Dans un verre à la propreté douteuse, il se versa une généreuse rasade de pastis qu’il mouilla avec l’eau qu’il venait de puiser. Il marmonnait et hurlait encore entre deux lampées.

Michjettu qui l’observait avec curiosité caché derrière les pommiers, savait qu’il ne s’arrêterait que lorsque la bouteille serait vide. Michjettu, appelé ainsi par tout le village en raison de sa petite taille maigrichonne, était le fils handicapé de Margherita, la servante du curé. Durant sa grossesse, sa mère avait essayé en vain de s’avorter avec une aiguille à tricoter, mais Michjettu s’était accroché à la vie. Il était né un matin dans le clapier du presbytère. C’était un bébé rachitique, peu réactif, qui avait manqué d’oxygène et de soin durant l’accouchement.

Il était, malgré son handicap mental, gentil et rendait volontiers service à qui il voulait ; mais gare à la personne qui le malmenait, il devenait son ennemi pour la vie. Été comme hiver, il était invariablement vêtu d’un ensemble bleu de chine, d’une casquette et arborait fièrement une étoile de shérif en métal doré épinglée sur sa poitrine.

Le soleil qui se refléta sur l’insigne attira l’attention de l’Orsu-Momò. Fou de rage, il attrapa une fourche et se précipita vers Michjettu qui, effrayé, décampa sans demander son reste.

- Sì tù chì ai stirpatu e mo bestie ! Sè ti chjappu, ti tombu !

- Non… non ! c’est… c’est… pas moi…. Mi… Mi… Mi…

Le pastis eut raison de la course-poursuite, il s’emmêla les pieds et s’affala au milieu des sillons de pomme de terre, bavant et écumant de rage.

La fourgonnette des gendarmes de Saint Florent entra sur la propriété sur ces entrefaites. Le camion de la société d’équarrissage la suivait juste derrière. L’Orsu-Momò se releva en titubant et hurlant contre les gendarmes. 

- Mauriziu Canaletti, calmez-vous, si vous ne voulez pas qu’on vous emmène avec nous à la brigade ! Une nouvelle fois, je constate que vous êtes en infraction…

- Quelle infraction ! Vous ne savez pas encore qui je suis ! J’ai tous les droits ici, je suis chez moi ! continua l’ivrogne.

- Le domaine public ne vous appartient pas Monsieur, le tança vertement le gendarme sur le point de perdre patience.

- Je suis chez moi, je fais ce que je veux !

Sans répondre, le gendarme sortit sa tablette et lui énonça :

- Monsieur, en vertu de l’article R 412-44 et R 412-50 du code de la route, ainsi que du code R215-4 du code rural, vous êtes coupable de n’avoir pas contenu de manière suffisante votre bétail, ceux-ci ayant été formellement identifiés, en conséquence vous serez convoqué en comparution au Tribunal de Bastia. Sachez que l’amende prévue pour cette infraction avec récidive pourra s’élever à plus de quinze mille euros.

- Andate à fà vi…

- Voulez-vous que nous rajoutions « insultes à agents en service » à la liste des infractions ? le coupa un autre gendarme.

- De plus, l’équarrisseur me signale que vous ne payez plus depuis longtemps votre contribution, continua le premier gendarme. En conséquence, la collecte de vos animaux morts devra être réglée par vos soins, 459 euros par cadavre.

- Je ne paierai rien, vous entendez, vous êtes chez moi ! Foutez-moi le camp ! hurla-t-il à nouveau.

Sans un mot, devant l’état d’alcoolémie avancée du personnage, les gendarmes imprimèrent le PV d’infractions qu’ils lui donnèrent et partirent, suivi du véhicule de l’équarrisseur. L’Orsu-Momò le déchira de rage et jeta le papier en direction des voitures qui quittaient son domaine. Tel un coq, il gonfla orgueilleusement sa poitrine en criant une dernière fois :

- Je suis chez moi, je suis grand propriétaire, je fais ce que je veux !

Mais il n’y avait personne pour l’entendre, à part Michjettu, revenu se cacher dans le verger, qui n’avait rien perdu de l’altercation et que la vue des gendarmes avait excité. L’Orsu-Momò retourna à sa bouteille.

***

Une ombre se glissa furtivement dans le jardin du Clos Roc Acellu, à la nuit tombée. Le mandarinier était chargé de fruits jaunes arrivés à maturité. Prestement, il débarrassa les branches des agrumes qu’il cacha dans les poches de sa veste quand sa vieille musette en toile fût pleine. Puis il se faufila dans le potager de l’Orsu-Momò qui cuvait son pastis où il fit la razzia de pommes de terre. Il alla ensuite cueillir des oranges qu’il entassa dans un filet en plastique et allégea pour finir, les branches des pommiers. Satisfait de son butin, il rentra chez lui où il les entreposa dans la cave, à côté d’autres fruits et légumes cultivés par ses soins ou volés chez les voisins.

Mischinu vivait reclus dans la petite maison vétuste de ses parents. Les gens disaient de lui : « Ùn manghje per ùn cagà ! ». En effet, il vivait chichement de ses larcins et de braconnage. On le disait riche d’une importante pension d’invalide de guerre, mais il amassait et ne dépensait pas un sou. Il ne chauffait que rarement la maison, ne consommait pas d’électricité et encore moins d’eau et se plaisait à entasser de la nourriture dans la vieille cave au sol en terre.

Il avait un physique complètement ordinaire, vêtu invariablement d’un jean trois fois trop grand qui tenait grâce à des bretelles et d’une chemise à gros carreaux fermée jusqu’au col. De solides godillots parachevaient sa tenue.

Il avait été marié un temps avec une femme qu’il avait rencontrée sur le port de l’arsenal de Toulon, mais la pauvre citadine ne s’était jamais « acclimatée » à la vie austère du village et était retournée peu d’années après son arrivée auprès de sa famille.

Il était le benjamin et dernier survivant d’une fratrie de 9 enfants. Très jeune, il s’était engagé dans la marine nationale ; on disait que ses parents l’y avaient forcé, pour l’éloigner du village. Lors des évènements d’Algérie, les commandos-marine et les fusiliers-marins de l’armée française furent impliqués dans des opérations terrestres qui mirent hors de combats des hommes du FLN algérien. Durant l’une de ces opérations, il fût gravement blessé à la tête par un éclat d’obus. Sa carrière promise à un brillant avenir s’arrêta là et il reçut une confortable rente de guerre, la plus importante pension militaire de Corse, à ce qui se disait.

Il partit relever ses collets et revint avec un lièvre qu’il décida de cuisiner pour le lendemain et les jours d’après. Malgré sa vue basse, il lui sembla remarquer avec ennui que sur le tas de carottes, certaines avaient pris une vilaine teinte marron, il fallait les manger rapidement avant qu’elles ne soient plus consommables, hors de question de gaspiller, de les jeter. Pour l’heure, satisfait de son butin, il alla se coucher sur l’antique paillasse noire de crasse qui lui servait de lit, non sans avoir pensé à barricader la porte de la cave à l’aide d’une lourde chaîne et d’un gros cadenas dont il fourra la clé en lieu sûr, bien au fond de sa poche.

***

Pascal Pasqualetti, u Prete Pasquale pour tous, natif de Canari, menait sa paroisse à la baguette. À l’adolescence, son père, fatigué de ses exactions, l’avait envoyé en pension au monastère Saint François à Bastia. Il l’avait contraint à entrer au séminaire. Après le décès de ses parents avec qui il n’avait plus eu de contact après son départ, il avait demandé à être affecté à la paroisse du village. Le vieux curé, le Père Marie de Dieu, qui officiait depuis de très nombreuses années, était sur le point de prendre une retraite forcée en raison de son état de santé. Il hérita donc de la charge des paroisses du Cap ainsi que du presbytère et de la bonne qui allait avec.

Margherita de Gentile avait été placée à 13 ans au service du presbytère par son père qui ne savait quoi faire d’une boiteuse. Depuis, elle s’occupait avec une dévotion toute particulière de l’intendance du prêtre mais aussi de l’entretien des neuf églises et chapelles. Elle ne savait ni lire ni écrire, mais connaissait le missel par cœur. On disait qu’enfant, elle avait contracté la polio. Elle avait les jambes tordues, dont une plus courte que l’autre et portait des grosses chaussures orthopédiques. Sa claudication lui avait valu le surnom de Zuppetta, les enfants lui scandaient souvent « Margherita, gambe storte è acquavita », mais ça ne l’atteignait plus depuis longtemps.

Margherita était triste de voir partir son vieux curé avec lequel elle avait noué une relation presque paternelle mais la nomination du fringant jeune Prete Pasquale la consola très vite. Il faut dire qu’il avait belle allure dans sa soutane noire, sa haute taille élancée qui en imposait, ses cheveux coupés très courts et ses yeux clairs cerclés de lunettes à fines montures de métal. Elle tomba littéralement sous le charme, émoustillée pour la première fois de sa vie et rajouta deux chapelets complets à sa dévotion du matin en pénitence pour ce pêché. Elle se fit couper les cheveux au carré ondulé naturellement et osa se vêtir de couleurs, ce qui la rajeunit considérablement.

Elle traînait plus longtemps que nécessaire dans le poulailler sous les fenêtres du Père. L’émoi rosissait ses joues quand elle l’apercevait. Elle baissait la tête quand elle lui servait la soupe le soir à la longue table de bois de l’ancienne salle commune. U Prete Pasquale couchait au premier étage dans une minuscule cellule de moine.

Jadis, le couvent abritait des moines franciscains, puis il fût occupé par la gendarmerie pour finir en école avec un appartement pour l’instituteur et l’ancien réfectoire sous le presbytère avait longtemps servi de salle des fêtes à la jeunesse canaraise. Il y avait également une cuisine, des caves, une cour intérieure, un grand jardin que Margarita entretenait avec beaucoup de soins à l’aide de l’eau de la Funtana d’i frati qui alimentait le bassin qui servait aussi de lavoir.

Elle était fière d’avoir la sépulture en marbre d’une de ses ancêtres, selon les dires de feu son père, au cœur de l’église. Somme toute, elle y était un peu comme à la maison, depuis que son père l’y avait faite entrer en tant que servante.

Les journées de Margherita étaient rythmées par le service des laudes, des vêpres, son travail au jardin, au poulailler, au clapier, la préparation des repas et la lessive du prêtre. Parfois, après avoir essuyé et rangé la vaisselle, elle s’asseyait et s’endormait sur la table la tête posée entre ses bras fourbus. C’est ainsi qu’u Prete Pasquale la trouva un soir, alors qu’il était descendu se chercher un verre d’eau. Pour la première fois, il remarqua son visage angélique et la soyeuse chevelure qui l’encadrait.

Mu par un envie irrépressible, il remit en place une mèche derrière l’oreille de sa bonne. Ses traits se détendirent et un sourire fendit ses lèvres. Il se rapprocha un peu plus d’elle et sa main qui avait glissé le long de son dos acheva de la réveiller. Ce qui devait arriver arriva. Elle était consentante et soumise à son bon vouloir. Il n’était qu’un homme sous sa soutane de prêtre. Ses vieux démons revenaient le hanter.

Elle cacha et comprima son ventre les mois suivants et un matin alors qu’elle nettoyait le clapier, naquit dans d’atroces souffrances Oraziu de Gentile, dit Michjettu. Le Bon-Dieu l’avait punie de ses fautes, non seulement elle avait accouché comme un animal mais elle porterait le handicap de son fils toute sa vie, tel un châtiment divin. Elle subissait les assauts du prêtre comme sa propre damnation. Elle pêchait et devait expier.

Ils avaient été surpris une fois, alors qu’il la troussait sur l’autel, par Tiburce, le maire accompagné de son fils Leandru, qui venaient le quérir pour apporter l’extrême-onction à une vieille du village. Ces derniers ne laissèrent rien paraître mais avaient compris la situation sans ambiguïté. U Prete Pasquale se précipita vers eux et une vive conversation s’ensuivit.

Michjettu grandit à l’ombre du presbytère avec pour tout horizon le jardin, la cour intérieure et le bosquet de chênes quand il échappait à l’attention de sa mère. Il lui arrivait aussi d’aller se cacher dans le cimetière, derrière les plaques mortuaires et les tombes d’où il épiait les visiteurs. Puis, plus hardi à l’adolescence, il se plaisait à scruter la vie des villageois dont il connaissait tous les travers, tapi dans les herbes ou derrière un arbre.

Zuppetta avait de plus en plus de mal à le canaliser et u Prete Pasquale ne se sentait en rien concerné par cet enfant qu’il ne considérait pas comme le sien. C’était fâcheux pour Margherita, pensait-il, mais il n’en était pas responsable.

Aujourd’hui, Margherita n’avait plus d’âge. Elle était toujours vêtue de noir avec les cheveux tirés sévèrement en chignon sur la nuque.

***

Grâce au soutien influent du prêtre, Leandru avait été élu maire depuis de nombreuses années. Il savait pouvoir compter sur le soutien sans faille du Prete Pasquale qui menait de main de maître sa campagne électorale auprès de ses ouailles et gare à qui osait sortir du rang. Toute opposition était étouffée dans l’œuf.

Ses parents, dont il était l’unique enfant, s’étaient sacrifiés pour pouvoir l’envoyer faire des études sur le continent et surtout le soustraire à de mauvaises influences. Ses frasques lui avaient valu le surnom d’u Sgaiuffu.

 Il avait débuté sa vie professionnelle en qualité de journaliste au Provençal et puis il avait présenté le premier « Corsica Sera » sur FR3, passant ensuite derrière la caméra. Jusqu’à son départ à la retraite, le week-end, il travaillait à la télévision, la semaine, il revenait administrer le village, entre deux parties de pêche ou de chasse.

U Sgaiuffu avait bien grandi et aujourd’hui, à l’automne de sa vie, il menait une vie confortable avec une femme douce et soumise qui l’attendait avec dévotion quelle que soit l’heure à laquelle il rentrait, avec son repas au chaud et qui lui préparait son spuntinu quand il partait pêcher ou chasser. Sciaulina était de santé fragile, atteinte de diabète qui la menaçait de cécité. Pourtant, elle ne se plaignait jamais et il était comme un coq en pâte.

***

Gracieuse était seule dans la chambre, pour un ultime adieu à sa mère. Le cercueil en chêne dans lequel reposait Miuccia était encore ouvert. Elle embrassa une dernière fois son front de marbre. Puis doucement elle ouvrit la porte et fit signe aux employés des pompes funèbres.

Les trois cent habitants du village étaient presque tous présents au pied de l’église Saint-François, quand le corbillard se gara au bas des escaliers. La foule recueillie entra dans l’église. Gracieuse frissonnait dans son tailleur de crêpe de soie noir, les cheveux recouverts d’une mantille de dentelle. Ses yeux gonflés à force de pleurer étaient dissimulés derrière d’immenses lunettes noires à la Jackie Kennedy. Le deuil donnait encore plus de classe et de distinction à son corps élancé.

Elle avait souhaité une courte cérémonie. S’il n’avait tenu qu’à elle, il n’y aurait même pas eu de passage à l’église, mais elle se devait de respecter les volontés de sa mère. Les condoléances à la sortie de l’office furent longues et pénibles. Elle touchait des mains, embrassait des joues sans voir de qui il s’agissait. Après un dernier recueillement au cimetière jouxtant Saint-François, elle se laissa conduire par une lointaine cousine jusque chez elle. Ses amis étaient repartis, respectant son besoin de solitude.

Elle ne souhaitait voir personne et entendait qu’on se conforme à sa volonté. À quoi bon maintenant qu’il était trop tard, venir s’apitoyer sur sa peine ! Sa mère avait coutume de dire « U bè si face quandu s’hè in vita, dopu hè troppu tardi ». Elle avait refusé les fleurs, les couronnes et les souvenirs. Après ce qu’ils avaient fait à sa mère, elle n’aurait pas supporté cette dernière humiliation. De toute façon et comme d’habitude, la plupart étaient venus per u putachju.

Elle se pelotonna sur son lit, sans prendre la peine de le défaire, une migraine lancinante lui vrillait les tempes, et elle laissa à nouveau couler ses larmes. Les sanglots qui ne semblaient plus finir secouaient son corps recroquevillé. Le sommeil eut raison d’elle et le jour la surprit dans la même position, la courtepointe trempée de son chagrin, le corps courbaturé et la tête prête à exploser.

Elle ôta ses vêtements de deuil, se glissa sous la douche. L’eau chaude apaisa ses tensions. Elle se remémora la cérémonie de la veille. Elle avait vu son père, du moins celui des trois qui l’était. Ses yeux clairs remplis de larmes, elle se regarda sans complaisance dans le miroir et ne se trouva de ressemblance avec aucun des trois. Elle s’enveloppa dans un épais peignoir en éponge douillet, se fit une grosse tasse de café et sortit le boire dans son jardin.

En mai, le fond de l’air était toujours frais le matin, l’herbe était couverte de rosée. Elle huma le parfum dans sa roseraie et elle se sentit un peu plus apaisée. La clôture avait encore besoin d’être réparée. Occuper ses mains lui éviterait de penser, au moins. Elle se demanda ce qu’elle devait faire maintenant de cette information qui lui brûlait le cerveau et y tournait en boucle.

Soudain, surgi de nulle part, derrière la clôture apparut Michjettu. Comme d’habitude, il s’était manifesté sans bruit.

- Moi je sais, hein…

- Bonjour Oraziu, qu’est-ce que tu sais ? répondit Gracieuse.

- Han… Han… j’ai vu…

- Tu veux m’aider à redresser la clôture ? lui demanda-t-elle.

- Ouf… Hun… faut que j’y aille… Ho… j’ai pas que ça à faire moi…

Et il repartit comme il était venu.

***

L’information se répandit dans le village comme une traînée de poudre et fit l’effet d’une bombe. On était sans nouvelles du maire qui était parti pêcher seul à l’aube à bord de son canot à moteur. Sciaulina très inquiète de ne pas le voir revenir, avait alerté la gendarmerie. Le Libecciu se levait, les moutons d’écume qui recouvraient la mer de leurs crêtes blanches disparaissaient au rythme de la houle qui grossissait. Il était impossible de sortir en bateau pour partir à sa recherche.

Les gendarmes déclenchèrent l’hélicoptère de la Sécurité Civile qui survola le littoral. Ils repérèrent le canot de Leandru qui ballotait dans les flots tel une coquille de noix, sous Minerviu. Les vagues le rapprochaient dangereusement des rochers contre lesquels il ne tarderait pas à se fracasser. Il était vide. Leandru n’était pas à bord.

Les gardes-côtes et les plongeurs de la gendarmerie retrouvèrent le corps trois jours plus tard, après la libecciata, coincé dans la grotte sous le Cornu. Le légiste conclut à une noyade accidentelle. La dépouille fut déposée dans l’église Saint-François. La famille la veillerait jusqu’à l’enterrement.

Il y avait des centaines de voitures le long de la route, sur la place de l’église et la place du clocher. En plus du village et de la famille, la presse et beaucoup de personnes s’étaient déplacées de toute la Corse pour rendre un dernier hommage à l’ancien journaliste, présentateur télé, maire de Canari. La cérémonie fut longue et éprouvante. Il faisait une chaleur étouffante en ce mois d’août.

L’Orsu-Momò avait chaussé ses éternels « mocassins blancs » qu’il arborait depuis sa jeunesse à chaque évènement ou quand il allait danser. Il avait beaucoup bu en apprenant la mort de son ami d’enfance. Il chancelait un peu chaque fois que le curé demandait aux fidèles de se lever mais réussit à assister à l’office sans embarras.

Sciaulina perdit connaissance au moment de l’inhumation et les enfants de sa sœur l’évacuèrent vers la sacristie où elle pût s’allonger et reprendre ses esprits. Margherita lui mit un linge frais sur le front et resta avec elle jusqu’à ce qu’elle se sente mieux.

Elle ne pouvait pas rester seule au village, ses neveux l’emmenaient avec eux sur le Continent où ils avaient fait leurs vies. Ils prenaient le bateau le soir-même ; en cette période d’affluence touristique, ils n’avaient pas trouvé d’autres places disponibles pour repartir.

Gracieuse n’assista qu’à l’office religieux. C’était trop dur pour elle de se retrouver au cimetière. Le soleil qui déclinait dans la mer était toujours brûlant et aveuglant. Elle rentra chez elle à pieds et s’arrêta devant la fontaine di Santa Croce pour y déposer, en mémoire de sa mère, une rose de sa roseraie qu’elle avait glissée dans son Kelly d’Hermès de cuir noir. C’était dans le jardin attenant qu’elle avait été conçue, un soir d’août il y a bien longtemps. C’était là que tout avait commencé.

  

***

8 jours auparavant…

Le canot fendait l’eau dans la lumière naissante. Leandru aimait particulièrement ce moment de solitude et de communion entre lui et la nature. Seul le bruit de son petit moteur troublait le clapotis des vagues contre la coque. Il avait chargé sur le bateau son sac de marin et sa boite de matériel contenant tout son nécessaire de pêche et la musetta que lui avait préparée sa femme pour son spuntinu, un pot de confiture qui leur avait été offert, une miche de pain et un thermos de café fort.

Il atteignit le poste à pageots, veillant à aligner la Mugliarese dans l’axe du clocher de Conchigliu d’un côté et du tombeau blanc de la famille Altieri, à l’entrée de Minerviu, de l’autre. Il cala le moteur et repéra ses palangres. Deux jours auparavant, il avait lesté et jeté le casier en bois où il avait mis des serrans en appâts dans l’espoir d’attirer une ou deux langoustes. Il voulait relever sa pêche avant que le mauvais temps ne se lève. Pour l’heure, son estomac criait famine. Avant de monter sa palangrotte, il décida de prendre son en-cas. Il huma et savoura son café et attaqua de bon appétit une grosse tranche de pain qu’il tartina généreusement de confiture. Sciaulina avait dû lui mettre de la confiture de groseille, il restait des petits grains, remarqua-t-il.

Ça mordait ce matin, le seau était presque plein de girelles, de serrans, de perches ; il avait même attrapé une vieille de belle taille. Celle-là, au four avec des pommes de terre, c’était le petit Jésus en culotte de velours.

La mer commençait à friser, le vent se levait, il fallait songer à remonter palangres et nasse et à rentrer au port à Giottani. Il se tourna pour démarrer son moteur à l’aide du lanceur, quand une crampe noua son estomac. Il n’allait quand même pas avoir le mal de mer parce que la barque s’agitait un peu ! Une seconde crampe plus violente le plia en deux. Son front se couvrit de sueur. Il avait du mal à respirer. Il voulut se lever, le canot tangua dangereusement et il perdit l’équilibre. Il tomba à la renverse dans l’eau agitée. Une paralysie de tous ses membres l’empêchait de se débattre. Son corps coula lentement. Il voyait la lumière de la surface de l’eau s’éloigner inexorablement. Ses poumons se remplirent d’eau salée. Les ténèbres l’engloutirent.

***

L’Orsu-Momò retira ses mocassins blancs, se changea pour revêtir sa tenue de tous les jours. Il avait soif. Il alla puiser l’eau à la fontaine. Il s’affala sur la vieille chaise en bois qui grinça sous son poids. Il était éprouvé par la disparition de son ami d’enfance. Ensemble ils avaient fait les quatre cent coups, avant que Tiburce, lassé de ses forfaits ne décide de l’éloigner du village. La goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Étonnant quand même que ça n’ait pas fait plus de bruit que ça. Même le père n’avait pas réagi. Elle n’avait qu’à pas les provoquer, pensa-t-il, alors qu’il entamait la deuxième moitié de la bouteille de Casanis.

La chaleur était écrasante. Il sentit des picotements sur la langue et le long de la colonne vertébrale et des fourmillements sur tout le visage. Il se sentait faible. Décidément ce décès l’affectait plus qu’il ne l’aurait cru. Il s’épongea le front avec son grand mouchoir à carreaux de Cholet, repoussant en arrière sa casquette sur son front trempé de sueur. Il tituba jusqu’à la fontaine pour s’asperger le visage d’eau fraîche. Là, il fut pris de vomissement. Il tomba en arrière, sa tête heurta violemment la margelle. Avant de fermer les yeux, il lui sembla voir le visage de Michjettu penché sur lui. Il voulut tendre le bras pour lui demander secours, mais son corps ne répondait plus et l’image s’effaça. Une puissante décharge électrique lui déchira la poitrine, puis le trou noir.

***

Le facteur qui effectuait sa tournée avait trouvé l’Orsu-Momò stichitu dans une mare de sang coagulé. Il avait appelé immédiatement les secours. Pour u Duttore Benestà, qui ne put que constater le décès, il était clair que la mort était consécutive au choc de son crâne contre le rebord en teghje de la fontaine. À plus de 77 ans, il n’avait pas survécu à sa chute. Les pompiers emmenèrent son corps à la morgue de Bastia.

Elle entendit avant de la voir, l’ambulance de Saint-Florent, toute sirène hurlante. Gracieuse était agenouillée au milieu des plantes grasses, à désherber son jardin. L’ochju grisgiu qui aimait l'humidité du ruisseau qui coulait juste à côté, avait tendance à envahir son petit potager. Avec sa zapetta au manche en bois usé par des heures et des heures de travail, elle déterrait méticuleusement la racine de cette plante envahissante et rangea les tubercules qui ressemblaient à s’y méprendre à de grosses carottes, dans une cagette de bois. Elle protégeait ses mains fines dans des gants de travail en cuir jaune ; l’œnanthe safranée portait bien son nom et pouvait tacher les doigts pendant plusieurs jours.

Elle se sentit observée, leva les yeux et vit Michjettu derrière le grillage qui l’observait en hochant vigoureusement la tête.

- I…I… Il est mort…hein !

- Qui ? demanda-t-elle

- Hun… Hun… Tu… Tu sais…

Et il disparut comme il était apparu. Derrière ses lunettes aux verres épais, il voyait tout, savait tout, une vraie gazette à lui tout seul. Mais à cause de sa propension à exagérer, à amplifier ce qu’il entendait ou voyait, il fallait diviser les informations par deux et la plupart du temps, personne ne l’écoutait ou ne le prenait au sérieux, du fait aussi de son retard mental.

Gracieuse se dépêcha de terminer. Elle devait régler la succession de sa mère et signer les derniers documents. Elle mit les mauvaises herbes en tas à sécher, elle les brûlerait plus tard et déposa la cagette sur les marches qui menaient à la maison. Elle rangea ses outils et ses gants dans le petit abri et se prépara pour son rendez-vous chez le notaire à Bastia.

Elle revêtit un tailleur en tweed vert d’eau en laine et soie signé par la grande Gabrielle « Coco » Chanel, un incontournable dans la garde-robe de toute femme élégante et fortunée, estimait-elle, sur un chemisier de soie Yves Saint-Laurent. Elle paracheva sa tenue avec un collier de trois rangs de perles, un carré Hermès élégamment noué autour de son cou, attrapa ses gants et sa pochette de cuir assortie à ses petits escarpins en veau et sauta dans sa voiture dont le moteur ronronna au premier tour de clé. Elle choisit de ne pas baisser la capote à cause de la rinfriscata di Santa Maria.

Elle ne se lassait pas de la vue qui défilait le long du ruban d’asphalte. Regarder la mer et contempler l’horizon étaient si apaisant. La Rover avalait les kilomètres sans aucune difficulté, même la montée de Teghime ne fut qu’une formalité. Cette voiture était vraiment très agréable à conduire.

Elle gara son cabriolet facilement au parking du Tribunal. Elle parcourut à pied le boulevard jusqu’à l’office du notaire. La transaction ne dura qu’une heure, tout était déjà en ordre. Elle rejoignit son véhicule et hésita entre rentrer dans son appartement de Bastia ou au village. Elle avait tellement de choses à faire dans son jardin qu’elle choisit la deuxième option. Et même si la route était la même sur le chemin de retour, le paysage était si majestueux, qu’elle prit encore le temps de l’apprécier.

Le soleil plongeait dans la mer quand elle franchit a Punta Bianca. Tout était si paisible, le temps semblait s’arrêter, comme si rien ne pouvait arriver, comme si rien n’était arrivé. Les larmes brouillaient sa vue. Son cœur balançait entre le chagrin et la haine.

***

Pour la seconde fois depuis moins d’un mois, l’église accompagnait un des enfants du village, mais la foule était bien moins nombreuse. Même dans la mort, l’Orsu-Momò avait réussi à faire le vide autour de lui. Même dans la mort, il n’y avait pas de pardon.

Gracieuse assista à l’enterrement, comme pour être sûre que Canari en avait fini avec cet être malfaisant. Dans ce village des Justes qui avait caché et protégé les Juifs des Allemands, des Italiens et de la déportation, il n’y avait pas de place pour le diable. Cette reconnaissance serait d’ailleurs couronnée en octobre prochain par la pose d’une plaque commémorative sur la façade de la mairie. Il ne restait plus beaucoup de témoins de cette sombre période de l’histoire, mais les habitants de Canari étaient les dépositaires de la mémoire. Les morts ne sont pas tout à fait morts quand on se souvient d’eux ; et celui-là elle voulait l’oublier de tout son cœur. Elle rentra chez elle l’esprit plus léger.

En entrant dans sa maison, elle se saisit avec émotion du cadre en bois blanc dans lequel elle avait glissé une photo de sa mère et d’elle enfant. Il y avait tant d’amour dans ce cliché. Elle se souvenait exactement du moment où il avait été pris, sur la balançoire confectionnée par son grand-père. En le regardant, il lui sembla que sa mère lui souriait encore plus, elle la sentait presque vivante, comme si elle allait l’entendre l’appeler. Elle l’embrassa et le serra contre sa poitrine.

***

Le son des clochettes des chiens de chasse et leurs aboiements résonnaient dans tout le village, se répercutant sur la pierre des montagnes et chaque muchju et scopa du maquis. C’était jour de battue. Ils tiraient sur leurs laisses en chaîne et leurs jappements excités témoignaient de leur agitation. Une douzaine d’hommes en tenues kaki et casquettes orange fluo s’étaient regroupés au Vignale et se voyaient attribuer leurs rôles par le chef de battue. Il s’appelait Jean-Roch mais tout le monde le surnommait Pignattelu car il trainait son foodtruck de villages en villages tous les jours, proposant sandwichs, salades et plats à emporter.

Le vent était trop fort pour aller jusqu’au Monte Cucaru, car les sangliers, malins, repéreraient plus vite leurs présences grâce ou à cause de l’odeur de l’humain portée par le vent. La battue serait organisée au lieu-dit E Petrelle, plus abrité. Chacun connaissait son poste et le rejoignit.

Les voix des chasseurs se mêlaient aux aboiements des chiens. Mischinu s’était réveillé barbouillé. Il avait l’habitude que son estomac lui joue des tours, car il ne se souciait guère de la fraîcheur des aliments qu’il ingurgitait. Sans prévenir, son estomac renvoya une espèce de liquide brun qui éclaboussa ses godillots. Un violent mal de tête le lançait, au point que sa vision devint trouble. Il voulut s’asseoir sur une pancula, mais il bascula en arrière, pris de convulsions.

En fin de matinée, Pignattelu sonna la fin de la battue. Mischinu manquait à l’appel. Ses camardes partirent à sa recherche au bout d’un moment, craignant une mauvaise chute. Ils le retrouvèrent sous un arbousier les yeux grands ouverts, une bave mousseuse sortait de ses lèvres, une odeur nauséabonde montait de son pantalon rempli de matière fécale et il avait les doigts couleur jaune safran. Ils attrapèrent le corps et le descendirent jusque sur la route. Ils le ramenèrent au village au cabinet du médecin, mais il n’y avait plus rien à faire, u Duttore Benestà ne put que constater le décès. Il s’agissait sans aucun doute possible, d’une intoxication.

L’IML (Institut Médico-Légal) de Bastia conclut à un empoissonnement par ingestion d’Oenanthe crocata var. longissima, une plante herbacée commune que l’on trouvait partout et en grande quantité près des ruisseaux et dans les fossés humides et dont les racines pouvaient être confondues avec des carottes sauvages, ce qui expliquait les doigts tachés de jaune ; en effet, le tubercule d’œnanthe exsude un liquide jaune orangé.

Bien que surprenante autant qu’étrange, l’affaire fut classée sans suite par la gendarmerie. Pourtant, quand le dossier arriva sur son bureau, le commandant Louis Grimaldi de la BR (Brigade de Recherche) de Bastia, ne fut pas satisfait des conclusions. Quelque chose lui échappait, son instinct le lui disait. « On n’ouvre pas une enquête sur des présomptions, lui répondit le juge d’instruction quand il lui fit part de ses doutes. Laissez tomber, voulez-vous ! ».

***

La vie au village reprit son cours normal, sans plus de tragiques incidents. Les arbres fruitiers et les légumes furent abondants dans les jardins. Il n’y eut plus de divagations d’animaux, détruisant les clôtures et dévastant les chemins. Et la voix de la démocratie allait enfin pouvoir s’exprimer aux urnes, même si les parties de belote au bar ou les parties de boule sur la place du clocher étaient moins animées.

Gracieuse était occupée à la taille de ses rosiers, le printemps serait bientôt là. Elle sentit son regard sur sa nuque avant de l’entendre.

- Hun… Hun… Moi… Moi….Moi… Je sais…

- Qu’est-ce que tu sais, Oraziu ?

- C’est… C’est… C’est… du…du… du poison ! Em… Em… Empoisonné… !

Il hochait vigoureusement la tête, le visage fendu d’un large sourire et sans lui laisser le temps de répondre, il tourna les talons et haussa les épaules en faisant cliqueter un stylo. Il se retourna une dernière fois pour la regarder et s’en alla, haussant à nouveau les épaules et marmonnant. Depuis quelques temps, il avait comme un toc avec ce stylo, il semblait fasciné par le mécanisme.

- Vous avez un jardin magnifique…

Elle sursauta, elle n’avait pas entendu arriver l’homme de haute stature qui admirait ses plantations depuis la route qui la surplombait.

- Excusez-moi, je ne voulais pas vous effrayer, reprit-il. Cela doit demander beaucoup de travail…

- Quand on aime, le temps n’existe pas… lui répondit-elle.

Elle essuya son front du revers du poignet, chassant une mèche qui s’était échappée de ses cheveux coiffés en queue de cheval haute. Elle mit sa main devant les yeux pour échapper au soleil mais la lumière qui l’aveuglait, l’empêchait de distinguer les traits de l’inconnu.

- Bien, je vais continuer ma promenade, bonne continuation…

- Bonne journée, Monsieur.

L’homme s’éloigna et Gracieuse retourna à son jardinage. Elle confectionna un énorme bouquet de camélias qu’elle alla déposer sur la tombe de sa mère.

***

Le vieux Prete Pasquale, âgé aujourd’hui de 85 ans avait enterré trois de ses amis. Il avait compris après le décès de Mischinu. Il savait que désormais il était le suivant sur la liste. Il n’éprouvait pas de peur, presque du soulagement.

Des talons résonnèrent sur les vieux carreaux de l’église. Sans se retourner, le prêtre dit :

- Je t’attendais… Je me doutais que tu finirais par venir me voir…

- Alors, vous savez aussi pour quelle raison je suis là…

- C’est toi, n’est-ce pas ?

- Ça dépend ce que vous entendez…

- C’est toi qui les as tués, dit-il en se retournant.

- Donc, vous savez aussi que c’est maintenant votre tour.

- Je m’y attendais et je suis prêt…

- C’est moi qui décide. Comment avez-vous compris ?

- Le hasard n’existe pas Marie-Grace. Ta mère t’a parlée avant de mourir et tu la venges, c’est vieux comme le monde. Comment t’y es-tu prise ?

- C’était facile, ils étaient tellement prévisibles… Ce que je ne comprends pas, c’est votre rôle dans ce trio…

- J’étais là aussi… Ta mère ne m’a pas vu sortir de la chapelle en entendant ses appels au secours… Je ne sais pas ce qui m’a pris…

- Stop ! hurla-t-elle en levant la main. N’en rajoutez pas, vous êtes immonde !

Et elle lui cracha au visage avant de s’enfuir en courant de l’église, l’estomac tordu par la nausée.

***

    

Elle avait le cœur tellement léger depuis qu’elle s’était débarrassée des trois violeurs. Ça avait été tellement simple de les empoisonner l’un après l’autre. Il suffisait de les observer et d’étudier leurs habitudes. Ils étaient tellement primaires. Le désir de vengeance chevillé au cœur depuis qu’elle avait lu la lettre de sa mère, avait armé sa main.

Leandru était celui qui lui avait posé le plus de tergiversations. C’était le seul à être marié et Sciaulina était une victime à sa façon, elle n’avait aucune raison d’attenter à sa vie. Elle se servit donc du diabète de la femme du maire pour l’atteindre lui. Il lui fallait mettre le poison dans un aliment qu’elle ne consommerait pas. Elle eut l’idée un jour en allant visiter sa mère au cimetière. Elle utiliserait les baies de tassu pour lui confectionner une confiture très sucrée en broyant les graines, très toxiques. Elle avait déposé le pot sur le perron de leur maison, un en-cas parfait pour un spuntinu.

L’alcoolisme de l’Orsu-Momò était de notoriété publique, il lui avait été facile d’empoisonner l’eau de sa fontaine avec des racines d’acconitu, un des toxiques végétaux les plus redoutables. Elle avait fait un essai concluant avec ses vaches, le voir chuter et se vider de son sang l’avait emplie de joie.

Encore plus facile pour Mischinu. Il volait tout et chez tout le monde, résisterait-il aux tubercules d’ochju grisgiu malencontreusement « oubliés » dans la cagette sur son escalier alors qu’elle était à Bastia ? Il suffisait de laisser le temps faire son œuvre, un jour ou l’autre il les consommerait.

***

La confrérie empoigna la lourde croix de bois de 37 kg. U Prete Pasquale entonna le chant traditionnel du Vendredi Saint, donnant le départ de la procession.

Perdono mio Dio,

Mio Dio perdono

Perdono mio Dio

Perdono è pietà…

Les fidèles recueillis, chantèrent avec lui, à pleins poumons. Celui qui faisait office de pénitent sorti le premier de l’église, entouré des autres membres de la confrérie. Le prêtre était juste derrière. Au moment de poser le pied sur la première marche, il sentit une main qui le poussait dans le dos. Il perdit l’équilibre et roula au bas des quatorze marches, sa tête percutant les pierres, à mesure que son corps dévalait la pente. Il entraîna dans sa chute le confrère et la croix qui lui retomba sur la tête, lui fracassant le crâne.

Son corps désarticulé gisait au bas de l’escalier en teghje de l’église Saint François. Des cris horrifiés résonnèrent et les personnes encore dans l’église se demandèrent ce qui se passait. Les gens à l’extérieur se pressaient autour du cadavre. U Prete Pasquale n’était plus. U cunfraternu s’en tira avec un bras cassé et une luxation de l’épaule. Pour tous les témoins du drame, le vieux curé avait trébuché et manqué la première marche.

Gracieuse n’apprit la nouvelle que le lendemain, en allant chercher son pain. Tout le village ne parlait que de l’accident du prêtre et de la malédiction qui touchait Canari. Tous ces morts en si peu de temps… Elle se sentit frustrée quelque part de n’avoir pu aller au bout de sa vengeance. Le bien avait fini par triompher, c’était le plus important après tout.

- Maintenant, maman, tu peux enfin reposer en paix, murmura-t-elle.

Elle entendit le cliquetis du stylo. Elle se retourna et se trouva nez à nez avec Michjettu.

- Co… Co… Co… comme toi ! Moi… Moi… Moi… Moi aussi…

  

    

  

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