- Le Nouveau Décaméron
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Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est emprisonné depuis le 10 octobre sous le régime de la détention « préventive ». Contre l’arbitraire et pour servir de chambre d’écho à l’émotion partagée par de très nombreux auteurs de Corse ou d’ailleurs, Le Nouveau Décaméron ouvre ses colonnes.
Cher Jean-Pierre,
Sans la littérature que serions-nous ? C’est une question que tu t’es posée, Jean-Pierre. Et pour reprendre tes écrits : « Chacun porte en soi, avec soi, les paroles, les rêves et les actes de la communauté humaine où il a pris racine, dont il s'est nourri et qui fait obligation de résister à l'oubli quand vient le terme du temps ». Le terme n’est pas venu et tu as encore tant à écrire. Je t’ai lu et ton œuvre est, pour moi, une quête humaine et littéraire avec ses étapes initiatiques. Elle est celle d’un militant politique et culturel, de cette dualité poreuse que j’ai perçue chez Samuel et Andria. Ce sont ces deux personnages qui dévoilent ta conception de la création littéraire dans ce dialogue :
Samuel : Ne faut-il pas penser aux auteurs qui restent dans l’anonymat ?
Andria : Je comprends, mais on peut considérer que tous les auteurs sont anonymes.
Samuel : L’auteur disparait toujours derrière son œuvre ?
Andria : Oui, il me semble… On n’a jamais vu un auteur au milieu de ses personnages !
Et pourtant, tu es au milieu de Samuel et Andria. Tu es omniprésent dans tes écrits qui abordent tous les thèmes de la vie et plusieurs genres littéraires. Tu nous dis ta hantise de la solitude et de la mort de notre peuple: « Quand on est d’ici, l’orgueil commande. On apprend à vivre seul, à exister seul, à se battre seul, à ne jamais aimer s’il le faut puisqu’il n’y a plus personne ». C’est sans doute pour conjurer cela que tu es à l’origine de plusieurs recueils collectifs dans un besoin de participer à des œuvres communes. Ces œuvres sont littéraires. C’est sans doute pour cela que tu t’es ajouté une activité d’éditeur ouvert à des auteurs pas uniquement corses. Tu as donc appris à fédérer autour de la littérature pour ne pas rester seul.
Tu nous dis ce que tu as voulu construire et ce qui t’a construit. Pour cela tu utilises une métaphore inspirée par ton amour des pierres : « Il s’accroupissait souvent au pied d’un mur. Il affectionne particulièrement ceux qu’il avait lui-même restaurés à une époque déjà lointaine où il s’était convaincu de l’extrême importance de la remise en ordre des minéraux éparpillés par le temps et que des mains par milliers ; portés par la multitude des songes, avaient triés, charriés, façonnés, appareillés pour que la terre s’identifie aux hommes de ce pays et qu’elle se nourrisse d’eux autant qu’elle les nourrit. Alors il sentait monter en lui des forces inhabituelles, des énergies incontrôlables, occultes, telluriques, qui le poussaient à bâtir avec une sorte de rage. Vers le soir, les bras usés, les épaules sensibles, les jambes lourdes, la nuque durcie et la tête vide, il avait un sourire vague avant de s’endormir ». On connaît ton talent pour les métaphores.
Ces énergies, tu les as en toi. Comment la police et la justice pourraient les comprendre en te rudoyant et en t’enfermant ? Il faut t’avoir côtoyé et/ou t’avoir lu pour cela. Il faut avoir cherché à te connaître au lieu de t’enfermer. Ton engagement politique est sincère et durable comme ton humanisme. Il ne faut pas être seulement corse et indépendantiste pour le respecter.
Simenon pensait que, tous comptes faits chez Maigret, il « reste la matière vivante, reste l’homme tout nu et tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ». Tu es de notre quelque part insulaire, mais tu es aussi du partout littéraire. Je sais que, même incarcéré, tu écris. Des murs, tu en as construits sans t’y enfermer. Cette pensée doit maintenir les énergies que tu as en toi. Il te faut tenir bon et résister sans te mettre en danger.
J’espère que la raison et l’humanité l’emporteront face à la dureté et la froideur de l’État.
J’espère que les soutiens dont tu bénéficies ouvriront les yeux et forceront à ta libération.
J’espère avoir l’occasion proche de lire ton ouvrage en cours.
Tes ami(e)s sont chamboulé(e)s, en sachant que tu ne mérites pas le traitement qu’on t’inflige. Tu mérites d’être libre, respecté, lu, aimé et entouré.
Fratellanza
Jean-Paul Ceccaldi
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