Thierry Becouarn - Rencontre sur l'île

Dans l’île aux mille promesses, tout n’est pourtant pas que beauté, luxe et volupté, raconte Thierry Becouarn

 

  

Rencontre sur l’île

 

 

Hier Neptune pinçait de ses doigts énervés un vilain clapot pointu et sec, sûrement pour calmer sa rage et assouplir ses phalanges arthritiques, comme un quidam le ferait d’une balle anti-stress pour se détendre. 

Mais aujourd’hui il est ailleurs, ce qui nous arrange bien, inutile d’ajouter au froid et à la traversée un exercice d’essorage qui consiste à tenter bon an mal an de conserver son équilibre en se cramponnant des pieds et des mains sur tout ce qui dépasse à chaque paquet de mer.

Décembre est dur avec les passagers et les résidents du bout du monde, des journées courtes et si peu lumineuses, un vent omniprésent et cet écrasement de l’être dans l’étreinte des mâchoires en pince du ciel et de la mer, grises sales et lourdes comme le plomb.

Heureusement, à quai il y aura le sourire de celle qui m’attend.

Ordinairement, solitaire par goût tant que par nature, j’ai pour ce séjour l’heur d’être passager, de sa couche et de ses jours.

Troublante cette île aux milles rencontres, anodines ou intrigantes mais largement inattendues et à vrai dire hors des sentiers battus.

Sur ces cailloux perdus rien n’est pareil que sur le continent, codes et formatages n’ont pas cours, d’ailleurs insidieusement ils se fanent une fois franchie la coupée puis se faïencent et enfin se fissurent au gré de la houle de telle manière qu’ils s’effritent dès le pied posé sur le débarcadère.

Seul un frisson de nudité donne l’alerte, mais très vite les premiers échangent avec les îliens disent l’inadéquation de l’expérience continentale. Le contraste des us est une des clés de la magie insulaire. 

La longue attente sur le quai battu par le vent me ramène à la dure réalité, le jeu des sourires et l’ancrage des regards seront pour une autre occasion.

Les quarts d’heures s’additionnent en nombre avant que ne surgisse enfin sa voiture cahotante et puante, une partie de moi que je n’aime pas pointe du doigt ma conception idéalisée et surannée de la retrouvaille et j’entend son rire moqueur battre la mesure pour son doigt agaçant qui fouille désagréablement les entrailles de mon émoi. 

Si ce n’est pas le glas de cette histoire ça n’est pas le chemin de fleurs non plus, par chance l’humeur est heureuse et je me dis qu’il fallait sûrement encore un trou dans la route avant d’atteindre la sérénité.

Sans grand étonnement les efforts menés de part et d’autre ne suffisent pas à briser la glace, il y a comme une sorte d’attentisme de chaque côté et une quasi défiance que l’on n’arrive pas à défaire.

Les jours se suivent bien remplis et émaillés de belles rencontres et de bons moments de nature à baisser les barrières mais aucun n’a l’heur de fabriquer le rapprochement ni le ciment qui fera cohésion. Chacun garde sa distance de sécurité de peur de présenter un côté faible et de s’exposer à une agression, par moment l’atmosphère est délétère et pour un peu l’air sentirait l’ozone qui se forme sous les décharges électriques, c’est épais et dense comme un rapport de force qui tairait son nom, lourd comme un non-dit, poisseux comme un temps orageux.

Il faut dire que les tensions ressurgissent en suffisance pour amorcer une raideur permanente.

Ne comprenant pas ce qui se passe ni dans la forme ni dans le fond et l’échange quasi impossible j’opte pour prendre beaucoup d’heures de liberté durant lesquelles chacun vaque à ses occupations ou entretient son jardin secret. Cette cohabitation tendue, émaillée de rares instants heureux et d’encore plus rares moments complices ne débouchera pas sur une conclusion hâtive et encore moins définitive.

Le retour au continent brise l’étouffoir en étau de la cohabitation, et la bouffée d’oxygène qui s’ensuit dit qu’une prise de position pourra bien attendre de se présenter à froid, s’il devait avoir lieu.

 

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