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Troisième fil de la trilogie des confinés (suite) L’Indienne nous relie au cosmos…
Charlie GALIBERT
La Trilogie des Confinés
« Je suis ermite depuis 70 années.
Je n’ai jamais vu aucun génie, ou un ange.
J’ignore la recette de la drogue d’immortalité.
Je ne possède aucune formule magique.
Je goûte parfois la vague saveur d’une sagesse inexprimable.
Je vais bien. »
(Henri Gougaud, Le livre des chemins, Albin Michel, 2009, 328)
Je crois au livre tout-puissant,
Créateur d’un autre ciel et d’une autre terre,
D’un univers visible et invisible,
Accessible sans traduction,
Qui ferait,
Véritablement,
Trembler le cerveau.
Qui habiterait avec les éléments intérieurs de l’Être,
Partagerait la Grande Aventure des Petites Choses,
Les bleuissant voisinages aimés des crépuscules.
III – L’Indienne (suite)
Chambres claires, lumineuses, chambres noires, grises, douces, froides.
Chambres poussiéreuses, languides, surprenantes, vieilles, oublieuses, indépendantes, complices, nues ou croulantes, silencieuses ou bavardes, colorées ou légères, proches ou lointaines, au fil des saisons, des orages, des vents, des pluies, des soleils et des nuits. Chambres à miracle et chambres d’habitudes, d’amour, de sommeil ou de veille, valétudinaires ou gonflées de force.
Sur le pré,
la baie ou la montagne,
renversées dans le ciel,
volant vers la ville,
nageant sous la terre.
Chambre de la petite habitante de son nid, chair, peau, yeux, et, surgissant de sous les draps, cette tête qui me regarde et demande :
- C’est moi ?
Qu’en est-il du chant de l’oiseau ? Qu’est-ce qui y veille ?
Que s’y dit-il entre joie et peur, prédation et vitalité ?
Qu’est-ce qui nous émeut en ce tremblement vif, ces trilles s’enroulant autour du cerisier, du moindre poteau, du ciel – du monde ?
Des notes du merle au matin d’avril au récitatif ondulant du rossignol d’octobre, qu’est-ce qui coule dans le lacis de notre sang, apaise l’écheveau de nos nerfs ?
S’enroule autour de notre cœur ?
Le chant de l’oiseau est notre credo païen, l’affirmation de l’amour indiscutable qui agite le temps et emplit l’espace, l’élan dont la vie a besoin pour découvrir à chaque instant le monde, la lente modulation de la vie en sa Grande Santé, le respir soucieux et noir de la mort s’engouffrant de toutes ses petites mains en notre gorge, d’étouffement.
Car le chant de l’oiseau étendu à l’éternité et l’infini serait trop terrible, et seul le silence qui lui sert de tremplin et d’élan nous en offre le sens ultime.
Le chant de l’oiseau est tout juste l’épanchement de la soif qu’appelle le silence.
La lessive des peluches
Foutue déprime : elle a lavé ses peluches au milieu du confinement du printemps.
30 ans, 40 temps peut-être, de peluches offertes, cajolées, accumulées, de toutes couleurs, de toutes textures, de toutes tailles et formes.
30 ans, 40 temps peut-être, de temps enfoui dans ces créatures de poils synthétiques, de cuir, d'agathe.
30 ans, 40 ans peut-être, d'amour, de disputes, de réconciliations.
Elles sont posées là, sur le lit, comme l'équipement meurtrier d'un avion de combat disposé autour de lui en démonstration.
Cela prend-il vraiment si peu de place, 30 ans, 40 ans peut-être, de notre vie, de sa vie, de la mienne ?
Et les choses indicibles, immatérielles, sentimentales, que nous avons sorties de nos corps et de nos âmes pour les mettre dans ces créatures, je les sens s’agiter, crier, appeler, pleurer pour venir, revenir, en nous, mais non, le chemin inverse est impossible, pire, il n'existe pas.
Alors, allons-nous les ranger de nouveau dans des sacs, cartons, au grenier, jusqu'à....
Jusqu'à ?
J'ai trop peur de savoir jusqu'à quand, et trop peur d'imaginer la douleur de les retrouver, disposées à nouveau sur le lit.
Un sapin de Noël de douleur poussé en plein mois d'avril.
Un sapin de Noël de douleur de 30 ans, 40 ans peut-être ?
Le printemps en Arizona
Au printemps, en Arizona, les buissons grouillent de framboises-tétons et de groseilles-clitoris.
Les asperges frétillent dans le vent, les artichauts dévoilent effrontément leurs gros cœurs poilus, les cactus sécrètent une sève proche de la liqueur séminale par l'odeur et l’aspect, chaque fente suinte de résine, les fraises mêmes, les si candides fraises, osent parfois les formes callipyges d'espiègles lutines à l'œillade facile.
J’ai décidé de ne pas pousser davantage vers l'Est : on dit qu’en Floride, il y a des figues-chattes et des bananes-pénis.
Femme Plume Bleue
Verset 3 - Nu le monde
Mes seins dansent au rythme de Windfolia, ma douce bête de vent, ô ma chevale, mon amour de peau de muscles de museau de pattes de hennissements rentrés dans la gorge puis soudain lancés dans le vent du printemps quand elle vole au milieu des herbes plus hautes que nous deux réunies et qu’elle gambade au milieu des yeux du monde qui ne regardent plus qu'elle, yeux dans les yeux, monde dans le monde, ô ma chevale d’amour contre laquelle je me frotte, dont j’enlace le cou de mes bras et qui me fait bondir nue sur elle nue pour la course du printemps dans le monde nu.
Mes seins dansent et je les trouve beaux, élastiques, tout juste à la bonne taille, ni trop gros ni trop petits, juste de bonne fermeté, ni pierreux quand, adolescente, cela fait si mal, ni flasques comme ceux des vieilles, juste ce qu'il faut de fermeté, à la bonne douceur aussi, je le sais, quand Il frotte son menton à la barbe naissante contre eux, Lui, Mon Lui.
Il y a longtemps qu'il ne l'a pas fait.
Je ne voudrais pas le perdre.
Je ne voudrais pas perdre un sein, ou alors que l'autre soit beau pour deux, c'est cela : doux pour deux, celui qui restera.
À quoi ressemblera la course nue du printemps nu, alors, le sais-tu, Cew Epi Wee, le sais-tu ?
Elle ne répond pas, elle dort à nouveau comme avant contre mon ventre, ses petites mains sur mes poignets dans une pose d’Enfante-à-la-Madone.
C’est elle la Madone, c'est-elle l'Enfant, je suis Windfolia, je suis le monde nu au printemps, je suis la femme.
Je dure.
Marelle cosmogonique des points cardinaux
Que pouvait bien savoir le vieux Saintyves de nos savoirs (Saintyves, Choorpey, John Young, 1904, The South-West American Indian Encyclopaedically Dictionary, Harper and Brothers, NY) ? Que pouvait-il bien espérer parvenir à croire de nos croyances ? Pour l’Indien, les points cardinaux se répondent, se font écho les uns aux autres. Car non seulement les contraires sont reliés entre eux mais également, en même temps, ils se contiennent les uns les autres, tant sur l'axe Ouest/Est que sur l'axe Nord/Sud. Et ces deux axes forment une courroie au centre de laquelle – ce centre n'est autre que la place de l'Homme, créé avec du fer de l'Est, du feu du Sud, de l’eau de l'Ouest, de la terre du Nord – se superpose et résout toute dualité. Ainsi la croix est-elle graphiquement le symbole primordial sans lequel rien ne pourrait être. Mais cela n’a bien sûr rien à voir avec la croix chrétienne, celle où gigote un acrobate humain qui se pense en dieu et est tué par les hommes. Car la croix indienne est polychrome, multicolore. Tournant sur elle-même à la vitesse du temps de nos vies, elle baratte de ses bras verticaux et horizontaux les archives de la tristesse et les suppliques du possible - la force de la terre rouge, le paradis blanc des bonnes âmes, le plan bleu de l'humain, le trône jaune des dieux. L’ours, le cerf, le castor et le papillon.
Epi Wee, mon amante – et notre enfante.
Étoile du Matin et Femme-Plume Bleue
Pour conjuguer son double intérêt pour les légendes indiennes et les indiennes légendaires, Choorpey recueillit un jour d’une amante de passage, Magret Mayo, l'histoire de Femme Plume et Etoile du Matin, qu’il fit illustrer par une amie – irlandaise, cette fois – de passage dans l’oustal mobile que constituait sa carriole, Jane O’Ray. Quelque rat d’archives récupérera bien ce document exceptionnel et unique, un jour, dans les rayonnages poussiéreux d’un bâtiment oublié livré à la critique rongeuse des souris – et donc également du rat susmentionné – et en livrera le contenu au public ébaubi et curieux.
Histoire de cette indienne tombée amoureuse de l'étoile du matin qui lui propose de l'épouser sans délai et de venir vivre dans son wigwam, là-haut, dans le ciel, auprès de son père Soleil et de sa mère Lune, sans lui laisser le temps de dire au revoir à ses propres parents et amis. Initiée aux secrets du feu du père Soleil (le forgeron magicien maître du haut et du bas, des outils et des armes, du paradis et de l'enfer, des instruments qui donnent la vie et de ceux qui donnent la mort…), et aux secrets des herbes, simples et plantes médicinales par la mère Lune, elle vit heureuse avec Étoile du Matin et ne tarde pas à avoir un fils, Petit Astre. Avec pour seul interdit la cueillette d'une plante – qu'elle arrache, bien sûr, en cachette (du moins le croit elle) – découvrant un trou à travers lequel elle contemple alors les hogans du village de ses parents et le monde humain dont le souvenir la poigne de souffrance. Chassée du ciel par son mari, elle est renvoyée chez elle sous la forme d'une étoile filante et enseigne aux siens les secrets appris du Soleil et de la Lune, sans pouvoir oublier son Bel Époux, à jamais perdu.
Le livre avait été dérobé à Saintyves par une jeune Crow qui n’avait pas cédé à ses avances et qui était fascinée par l’illustration principale, en couleurs, qui représentait Femme Plume penchée sur le trou du ciel, son enfant sur le dos, contemplant avec nostalgie le village de son enfance, les hogans fumants, ses frères et sœurs rouges, leurs bêtes, les peaux tannées étendues sur l'herbe.
(Illustration de Jane Ray de la couverture de « Femme Plume et Étoile du matin » ;
MAYO, Margaret, 2000, Contes magiques du monde entier, Edition Languereau)
Que pouvait bien trouver la jeune Crow, dans ces couleurs, ce ciel de nuit étoilé, cette terre verte ? Ou bien qu’y cherchait-elle ?
Quoiqu’il en soit, elle avait volé le livre et l’ouvrait régulièrement, sous une lumière tamisée, pour se noyer dans cette image, elle, la petite fiancée chérie des bouleaux, des rochers, des torrents, des créatures, dont le cœur éclate à chaque appel à l'aide de la nuit, sans craindre la guivre tendant hors de l’eau ses mains vers la rive. Elle, la petite fille préférée de Grand-Mère Araignée, et qui prie heya heya heya que le matin lui apprenne à garder l'enfant entre l'amour et l'étoile. L'amour qui dissipe la nuit et le chagrin.
Elle, l’indienne à la plume bleue dans les cheveux.
Ô Vendredi soirs
Il y avait l’enjoiement du lever d’Ataensic, un phare noyé sous les brumes autour duquel tournaient les poissons attentifs de nos regards. Il me semblait sortir d'un tableau et tomber dans le monde.
Le vent des grandes plaines me sifflait aux oreilles.
Derrière la vitre, heureusement, les femelles peupliers faisaient glisser leur robe argent et or sur leurs cuisses avant de joindre leurs mains, bras tendus au-dessus de leur tête.
Mon Dieu, tous ces vendredis soirs toulousains ! Rob’, que deviens-tu ? À l'ombre de nos bouteilles, bourbon-crazy-aunati-die-man, feu fou qui cause la mort – mais ce n'était pas cela, à l'ombre de soie bleue de nos mots – pleuraient nos pauvres vies. À l'ombre de l'étrange regard de CEW, patiente comme une île, ô sœur d’Ataensic, des bêtes et des arbres qui écoutaient dehors, femme-midicine hors de toute proximité, petite et fragile et malade que je...
Je ne cessais de la voir debout dans ma tête, petite fille dans la descente de Flathead, que je finissais toujours par perdre. Si elle le voulait bien, la petite-fille souriait. Son sourire commençait par les yeux pour descendre jusqu'à la bouche. Il étirait son fil rouge depuis les rues de Garonne à l’étang de l’Hers jusqu'à l'Océan. Je ne cessais de la voir, dans la neige, vers le Rocher du cerf guérisseur de Busby, sur les chemins poudreux des pistes à chariots, dansant et volant sur les poussières des caravanes, des grenouilles chantant plein ses mains, du sable coulant de ses cheveux.
C'est elle l’Indienne, Cew Epi Wee, Soleil nocturne. Une fée de chair palpitante parmi les longs couteaux à l’haleine mauvaise. Son silence est la grande voix des mystères. Elle dort en rond comme un nid, parce qu'elle a la même religion que les oiseaux. De chacun de ses yeux naissent des nuées de papillon.
- Je me demande d'où viennent tous ces papillons ?
- Moi, je me demande bien d’où tous ces papillons-là viennent ?
- Seigneur, je me demande d'où ils peuvent venir ? Faut bien qu'ils viennent de quelque part…
Oh Rob’.
Tournaient la voûte noire et les constellations. Revenaient Ataensic et le vieil homme hiver aux pluies des Black Hills. Palpitait comme un cœur le monde long et grave de nos vendredis soirs toulousains.
Puis les mots tombaient sur la table. Quelques-uns, manquant de respiration, se débattaient dans le fond de nos verres, avec des gestes pâles.
Alors, douces algues autour de nos cous, les silences nous passaient leur écharpe, baisaient nos lèvres, et je sentais le mal terrible qui, bientôt, effondrant le monde et le bonheur dans le mortier aux cendres de nos aïeux, nous broierait dedans.
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