Etudes Corses n°86-87

LES TEXTES PRESENTÉS DANS CE NUMERO

Issus des 56 présentations faites au cours du séminaire de Corte, 14 textes ont été réunis dans ce numéro, après évaluation par une équipe de relecteurs, pour la plupart extérieurs au groupe des organisateurs du colloque. Les textes portent tant sur des contextes français que sur le reste du pourtour du bassin méditerranéen, avec toutefois, en raison des conditions sanitaires au moment du séminaire et les impossibilités de déplacement de nombreux étrangers, un nombre réduit d’auteurs de la rive sud : in fine la publication rassemble cinq textes sur la Corse, quatre sur le reste de la France et cinq pour le reste de la Méditerranée.

Presque toutes les disciplines relevant des Sciences économiques et sociales sont présentes avec, sans surprise, la dominance de la géographie, de l’agronomie et dans une moindre mesure de l’histoire. L’économie comme discipline est peu présente : faut-il voir là le retour de l’économie quantitative et le poids de l’économétrie qui in fine n’ont pas trouvé (ou ne peuvent pas trouver) leur place pour analyser l’objet foncier ancré dans une réalité physique (la montagne) ?

Les articles plaident dans leur ensemble pour un affranchissement des modèles dominants du développement avec en particulier une invitation à une inversion des regards posés sur la montagne et la pente, et à une connaissance plus fine de ses spécificités géo-climatiques, et de ses possibles. Dans l’ensemble, les textes évoquent les faits saillants qui ont marqué l’agriculture depuis le milieu du XIXe siècle et font de cette période le parangon de l’occupation maximum de l’espace et ils montrent, depuis cette période, les ruptures d’usages et de leurs complémentarités : les systèmes agraires de montagne ne sont plus à partir du milieu du XIXe siècle « calés » sur les courbes de niveau. Cela est particulièrement évident à la lecture des travaux sur l’Albanie et sur le glissement des activités dans la montagne tunisienne, ou encore sur la transformation de systèmes de petits ruminants en Corse, ou la transformation de la Balagne.

Ces textes interpellent tacitement ou ouvertement les politiques d’aménagement et les politiques agricoles jugées le plus souvent « hors sol » et/ou inefficientes, et ils montrent que la montagne n’est pas dans l’agenda des politiques (cas de l’Albanie ou de la Tunisie), mais aussi de l’Europe économique à ses débuts (voir l’article sur l’aménagement du Verdon et celui sur la prise en compte des estives en Corse).

Les auteurs évoquent évidemment des changements d’usages de la montagne qui, sans exclure toujours les capacités productives agricoles incitent à des activités ludiques et/ou de loisirs y compris par des formes nouvelles d’exploitation « multifonctionnelles » (évoquées pour la Sardaigne). Du coup, ils questionnent la réhabilitation et/ou la relance des productions de montagne, fortement conditionnées par une connaissance des droits d’usages (individuels et collectifs) sur le foncier et la re-construction du parcellaire (comme dans l’exemple des réhabilitations des châtaigneraies cévenoles, ou encore le paysage de terrasses de l’arrière-pays de Menton). Pour ces projets, l’échelle micro (commune, village…) est la plus pertinente pour les réussites en cours ou à venir, et ils ne peuvent pas être le seul fait d’agriculteurs mais doivent aussi associer des urbains (comme le montre bien l’article portant sur la Galice). Pour autant, les exemples ne manquent pas (voir, dans des contextes fort différents, les cas de l’Albanie et du Liban) où les politiques d’aménagement ne tiennent pas compte de l’histoire, que ce soit celle des pratiques (transmission… maintien dans l’indivision…) ou celle des usages (collectifs, individuels…). Ces pratiques, comme le suggère une comparaison entre les Alpes et la Corse dans ce volume, doivent être replacées dans une compréhension des stratégies familiales, sur place et en rapport avec l’émigration. Sans cet effort de retour aux sources, les objectifs d’économie de foncier ou de réhabilitation de foncier peuvent n’être in fine que des injonctions. Des outils innovants sont proposés tenant compte des situations foncières locales (voir par exemple le texte sur l’évaluation foncière des zones à urbaniser en Corse).

La nature de notre clef d’entrée (le foncier et son aménagement) a fait que, si la montagne a bien été convoquée dans les débats, la définition d’une montagne dite méditerranéenne ne l’a pas ou peu été, si ce n’est par la forte imbrication des droits d’eau et des droits fonciers sur les deux rives de la Méditerranée. Ceci s’explique par l’angle d’attaque choisi dans ce séminaire qui ne visait pas à une définition de la notion de montagne méditerranéenne, objet par ailleurs de débats disciplinaires plus spécialisés. Il est à noter toutefois, dans un des textes présentés, une approche théorique de la notion de « piémont », si centrale dans le modèle de Birot mais effacée par les évolutions contemporaines. C’est dire que la géographie dite « zonale » ne pouvait pas trouver sa place dans les textes réunis ici au regard des échelles retenues et de l’objet (le foncier) observé. De l’ensemble des textes, toutefois, nous retenons une juxtaposition de micro-situations pédologiques, morphologiques, climatiques, qui dictent des usages fonciers changeants. Finalement, la montagne y est plutôt saisie soit comme une représentation sociale, soit au prisme du rapport de ces représentations avec les pratiques ou l’action. Les auteurs s’attachent alors à rendre compte de la manière dont ces constructions sociales sont mobilisées par les populations qui y vivent et/ou y ont vécu.

Dans une première partie de l’ouvrage intitulée « Délaissement des espaces montagnards et rupture de la complémentarité pentes/plaine », nous nous attacherons à montrer comment, depuis sa situation « apicale » du XIXe siècle (qu’il n’est pas question d’idéaliser ici), le brutal effondrement de l’agriculture de montagne transforme radicalement l’espace et la place des activités agricoles au sein de celui-ci, transformant la montagne en problème pour les politiques publiques.

Dans un deuxième temps, nous regroupons dans la partie « Perméabilités des droits fonciers, imbrication des droits » les textes qui rentrent dans le détail des utilisations des droits fonciers et l’extrême souplesse que les acteurs ont mobilisée pour leur permettre de mettre en œuvre de nouveaux systèmes d’activités, associations d’agriculture et de nouvelles formes d’activité.

Enfin dans une dernière partie nommée « Reconquérir des espaces pour restaurer des usages agricoles », sont regroupés les textes qui traitent, à l’échelle des projets, des tentatives de réhabilitation, et des obstacles comme des solutions foncières qu’ils rencontrent, dans des configurations sociales souvent originales.

Jean Christophe Paoli, Gisèle Vianey, Stavriani Koutsou

 Sommaire

Du foncier pour quoi faire ? Les enjeux fonciers contemporains de la montagne méditerranéenne

• Introduction – J. Ch. Paoli, G. Vianey, S. Koutsou

I – Délaissement des espaces montagnards et rupture de la complémentarité pentes/plaine

• Les zones « montagneuses » dans les espaces littoraux : l’exemple de la Balagne) fin XVIIIe – début XXe siècle) – L. Castellani

• Entre montagne et espace méditerranéen, un entre-deux à l’origine de la « théorie du piémont » – É. Fabre

• Dynamique et palimpseste des droits de propriété et d’usage des terres pastorales en Albanie, l’exemple de Dukat – A. Garnier, O. Crouteix

• La place de la montagne dans le développement du pastoralisme corse : l’action publique en faveur des territoires d’estive– J.-P. Dubeuf, J.-M. Sorba

II - Perméabilités des droits fonciers, imbrication des droits.

• Indivisions et micro-parcellaires : désordre ou opportunité pour l’agriculture de pente ?  –G. Vianey, J. Ch. Paoli, P. Santucci

• Politique foncière et mobilisation territoriale dans le Verdon : un exemple de recomposition du pouvoir local autour des enjeux fonciers – J.-B. Chabert

• Participation sociale dans des espaces communautaires en régression. Le cas des forêts de voisinage en main commune en Galice – R. C. Lois-González, D. Cidrás, V. Paül

• Les enjeux des pratiques foncières dans la montagne libanaise – R. Chidiac

• Dynamiques foncières et problématiques de développement des territoires ruraux de montagne en Tunisie. Une analyse géohistorique depuis le jbel Bargou – N. Rebaï et M. Swayhi

III- Reconquérir des espaces pour restaurer des usages agricoles.

• Dynamique des systèmes ovins et caprins laitiers corses et « problème » foncier corse – J. Ch. Paoli, M. Oberlin, M. Serpentini

• Exploration des conditions de remise en culture d’un espace morcelé et délaissé : le cas des Granges Saint-Paul à Menton (France) – F. Lorenzi

• Conjuguer dynamique de filière et projet de territoire au service de la mobilisation foncière. L’exemple de la reconquête de la châtaigneraie ardéchoise – O. Audibert, C. Demene,  G. Vianey

• Mieux caractériser les espaces vides : un enjeu pour un aménagement durable du territoire. • Application à la commune de Corte, Centre Corse – C. Tafani, S. Diaz, V. Venturini

• Dalla capanna all’azienda. Nuovi dispositivi per lo spazio rurale in Sardegna – R. Sanna