La bataille de Ponte Novu, le 8 mai 1769, scella la fin de la Corse indépendante. Bataille d’importance toute relative du point de vue des armées du roi de France, elle fut fatale à celle des Naziunali. Le passage du Golu ouvrait en effet la voie à la prise de Corte, siège de l’État insulaire. Dès le 9 mai, il ne fut plus question d’affrontement direct entre deux armées, mais de mise au pas sanglante et de soumissions plus ou moins volontaires, de répression et de résistance.
Ponte Novu est, d’un avis unanime, la clé de la conquête française de la Corse.
Pourtant de nombreuses zones d’ombre persistent 250 ans après les faits exacts survenus en ce début de mois mai : les stratégies du maréchal de Vaux et de Pasquale Paoli ; le comportement des troupes, ceux des généraux corses parfois suspects de trahison ; l’histoire des mercenaires étrangers – dont on ignore exactement la nationalité – placés pour garder le pont et qui tirèrent sur leurs alliés miliciens corses ; le nombre de morts de part et d’autre… Rien n’est certain.
Les témoignages directs ou indirects de l’époque, les mémoires plus ou moins véridiques, les versions et réécritures nombreuses qui furent publiées en leur temps, dessinent cependant une histoire kaléidoscopique vraisemblable de la bataille. Une histoire racontée à plusieurs voix, celle des vainqueurs et des vaincus.
Une vingtaine de textes ont été réunis ici, parmi les plus marquants. Certains sont bien connus des spécialistes, d’autres furent méprisés, oubliés, voire restés longtemps inédits.
TABLE DES MATIÈRES
Ponte Novu : gloire et incertitudes
La gazzetta Toscana, 1769
« Beaucoup de choses ont été racontées ces jours-ci sur la guerre de Corse »
Le courrier, 1769
« Toute l’attention du public est maintenant fixée sur ce qui se passe en Corse »
Francesco Pitteri, 1769
« Partout il y eut beaucoup de sang versé »
Isabelle de Charrière, 1769
« Paoli ne mérite pas l’estime ni l’admiration qu’on lui accorde »
Gustave Baguenault de Puchesse, 1769
« Les faits les plus exacts »
Jacques Antoine, comte de Guibert, 1769
« Il faut avouer que dans cette occasion ils firent de grands efforts de courage »
Le chevalier de Lenchères, 1769
« Environ 2 000 hommes qui avaient passé le Golo à Ponte Nuovo, attaquèrent avec beaucoup de vigueur, à deux heures après-midi, les volontaires de l’armée »
Le chevalier de Mautort, 1769
« En moins d’un quart d’heure, le pont fut tellement encombré de morts et de blessés qu’il y en avait jusqu’à hauteur des parapets »
Gioacchino Cambiagi, 1770
« Comme on sait, chaque reddition en entraîne une autre »
L’abbé de Germanès, 1776
« Cette journée causa parmi les Corses une consternation générale »
François-René de Pommereul, 1779
« On fit peu de prisonniers, parce que tout favorisoit la fuite du vaincu & que le Corse qui venoit de se battre, en jettant son fusil, redevenoit habitant »
Charles-François Dumouriez, 1794
« Les Corses surprirent les volontaires de l’armée, culbutèrent trois bataillons de grenadiers qui venaient les secourir, et furent enfin chassés, par la grande supériorité du nombre et des armes »
Ambrogio Rossi, 1778-1819
« Donc les peuples devinrent méfiants entre eux, et sans chefs pour les diriger, puisqu’ils les regardaient au contraire comme des Vittoli (traîtres) »
Giovan Lorenzo de Petriconi, 1784
« Mais comment ferons-nous..., dit le général, pour calmer ce désir qu’ils ont de combattre ? »
Francesco Ottaviano Renucci, 1833
« La bataille durait depuis deux jours de la montagne de Lento jusqu’au Golo »
Giuseppe Maria Giacobbi, 1835
« Par suite du sauve-qui-peut de Pontenovo, on manquait d’ensemble, et il n’y avait plus d’armée nationale »
Niccolò Tommaseo, 1846
« Il ne perd pas, celui qui, avec plus de droit que François roi de France, peut dire que l’honneur est sauf »
Toussaint Nasica, 1852
« Ce combat, répartit Napoléon, sera malgré nous d’une malheureuse célébrité dans les annales de notre pays, comme le sont, dans l’histoire grecque et romaine, les batailles de Chéronée, de la Trébia et de Cannes »
Gian Angelo Galletti, 1863
« Avec eux périt en ce jour néfaste l’indépendance de la Corse »
Francesco Domenico Guerrazzi, 1864
« La Corse les tient maintenant dans la paume de sa main : qu’elle serre seulement les doigts avec sa valeur habituelle et les voilà suffoquer »
Frédéric Canonge, 1905
« Que dire des Corses après avoir, une fois de plus, rendu hommage à leur bouillant courage et à leur dévouement ? Toutes leurs qualités sont demeurées inutiles pour la grande cause qu’ils soutenaient parce qu’ils ont été conduits d’une façon déplorable… »
Jean-Marie Arrighi est inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique en re-traite. Il est co-auteur d’une Histoire de la Corse et des Corses (Perrin, 2008) et de présentations d’ouvrages fondamentaux de la période paoline, Le disinganno intorno alla guerra di Corsica et Projet de constitution pour la Corse de Jean-Jacques Rousseau. Il est auteur de Grandes dates de l’histoire corse (Albiana, 2017) et a codirigé le tome VII du Mémorial des Corses (Albiana, 2000).