Sommaire
Georges Ravis-Giordani : Avant propos
Corse Basilicata
Francesco Marano : « L’image de la Basilicata au cinéma. »
Karim Giyati : « À propos de quelques courts métrages tournés en Corse. »
Nando Acquaviva et Tonì Casalonga : « Musica corsa. »
Fabia Apolito : « La surdulina dans la zone du Pollino. »
Mélanges
Eugène F.-X. Gherardi : « Sous le signe de Montaigne : l’école centrale du Golo (1798-1802) »
Vanessa Alberti : « Visage et évolution de l’édition insulaire (1750-1914) »
Nicolas Mattei : « Une sculpture de François Rude : Napoléon s’éveille à l’immortalité. »
Frédérique Valéry : « Les saints protecteurs des gens de mer et leurs représentations dans la peinture baroque (xviie- xviiie siècles). »
Yves Stella : « Voies et chemins de Morsiglia, du xviiie siècle à nos jours. »
Introuvables et inédits
Xavier de Planhol : L’ancien commerce de la neige en Corse : neige d’Ajaccio, neige de Bastia (1968).
Edmond Ricci : « Coutumes corses à Erbalunga (1939). »
Marbeuf : « Mémoire sur la Corse (1769) »
Georges Ravis-Giordani
Extrait
Avant propos
Comme les précédents numéros, ce numéro 16 de Strade reproduit les actes du colloque de Lama, devenu depuis cinq ans notre partenaire. Ce colloque était consacré à une rencontre chaleureuse et stimulante entre deux régions de la Méditerranée latine : la Basilicata et la Corse ; trois axes avaient été retenus : la musique, le cinéma et la littérature. On trouvera ici l’écho des deux premiers axes ; je dis l’écho car il y manquera évidemment la dimension audiovisuelle qui en était l’essentiel. Les textes sur l’axe « littérature » ne nous sont pas parvenus.
Par leur contenu et leur mode d’approche, les deux textes sur le cinéma sont très contrastés : la Basilicata des années 1950, parcourue par des ethnologues et des cinéastes progressistes et humanistes n’a pas grand-chose à voir avec la Corse du début du xxie siècle. Mais ce contraste même permet d’entrevoir la richesse d’un sujet, qui nécessiterait sans doute l’organisation d’une rencontre exclusivement réservée à l’analyse de la représentation cinématographique des sociétés rurales méditerranéennes. Ce qu’ils ont en commun — et c’est l’essentiel — c’est de montrer la part de l’imaginaire qui habite et anime toute création cinématographique.
La rencontre des musiciens de la Basilicata et de la Corse fut un des moments forts de ce colloque par les différences et les convergences qu’elle faisait apparaître. Les deux textes qu’on trouvera ici manifestent cette complémentarité. Celui de Nando Acquaviva et Tonì Casalonga, dense et précis, donne un panorama complet des instruments utilisés en Corse au début du xxe siècle, des genres et des pratiques d’apprentissage et de transmission des musiques traditionnelles. On sait que la cornemuse (« caramusa ») avait disparu de l’univers musical corse au xixe siècle ; un groupe de musiciens, qui a pris ce nom, lui a, depuis quelques années, redonné vie. Elle est en revanche pleinement vivante en Basilicata et le texte d’Alberico Larato et Quirino Valvano permet de mesurer la richesse des possibilités qu’offre cet instrument.
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La deuxième partie du numéro est un bon témoignage de la diversité des recherches en cours sur la Corse ; mais diversité n’est pas dispersion puisque trois au moins de ces textes ont un trait commun, qui est l’histoire culturelle.
À travers l’article qu’Eugène Gherardi consacre à la création de l’école centrale du Golo, c’est une Corse qu’on a trop souvent tendance à occulter qui apparaît : lettrée, avide de maîtriser les sciences et les techniques, révolutionnaire dans ses ambitions d’instruction publique. L’esprit de l’université de Paoli, enrichi et rajeuni par celui de la Révolution française et de la tradition philosophique (la référence à Montaigne et à Rousseau est significative), semble à nouveau souffler sur l’île, et il est porté par ce Francesco Ottaviano Renucci qui est un des intellectuels les plus attachants de cette période.
En suivant sur près de deux siècles l’évolution de l’imprimerie insulaire, Vanessa Alberti apporte un éclairage différent mais convergent avec celui d’E. Gherardi. De l’imprimerie créée par Paoli, comme un instrument, et même un symbole, de la souveraineté, à l’imprimerie de la IIIe République, marginalisée, cantonnée dans la littérature régionaliste et dialectale, V. Alberti suit pas à pas, grâce à un travail de documentation minutieux et rigoureux, les avancées et les reculs de cette activité essentielle à la vie intellectuelle de l’île. À travers ces péripéties, c’est en fait tout le destin culturel de la Corse qui apparaît avec son triple tropisme italien, français et corse.
Loin de la Corse, dans les monts du Dijonnais, un ancien officier de la Garde rêve d’honorer la mémoire de l’Empereur en commanditant une statue qui fixerait pour toujours son image par-delà les vicissitudes de son histoire humaine. Cette grande idée prend corps à travers l’œuvre d’un grand sculpteur. En faisant converger l’évocation du climat politique et intellectuel de l’époque et l’analyse esthétique (l’une éclairant l’autre), Nicolas Mattei restitue à cette statue de François Rude toutes ses dimensions.
L’article que Frédérique Valéry consacre à la représentation des saints protecteurs des gens de mer dans la peinture baroque est intéressant non seulement par ce qu’il nous révèle d’un patrimoine pictural qu’on découvre peu à peu mais aussi parce qu’il nous montre, à travers les exemples de sainte Catherine d’Alexandrie et de saint Blaise, comment se construit, par agrégation de symboles et de références, l’attribution à un saint d’une efficacité singulière et locale qui n’était pas dans ses attributs « canoniques ».
Tout paysage humanisé doit se lire comme un palimpseste. C’est à ce déchiffrage que se livre Yves Stella. En combinant la lecture des documents cadastraux et une connaissance fine du terrain, il fait réapparaître, sous le réseau des routes actuelles, l’ancien réseau des chemins carrossables d’un village du Cap Corse. La confrontation des résultats avec ce que l’on sait de la construction des bâtiments les plus importants (tours, églises, palazzi) permet de dégager la rationalité de ce réseau viaire.
Dans la rubrique des « introuvables » nous donnons deux articles anciens. Le premier, de Xavier de Planhol, examine, sous l’angle de vue du géographe, des documents historiques qui, du xviie au xixe siècle, évoquent le commerce de la neige à Bastia et Ajaccio. Xavier de Planhol montre que d’une ville à l’autre les différences qu’on peut constater dans la manière d’organiser et de gérer l’approvisionnement en neige de chaque ville s’éclairent si on prend en compte la proximité et l’abondance, ou au contraire l’éloignement et la pénurie, de la ressource. Sur ces faits relativement mineurs, Xavier de Planhol donne ici un bel exemple d’une approche qu’il a étendue à des faits de civilisation de bien plus grande ampleur.
Le texte d’Edmond Ricci est paru en avril 1939 dans le numéro 144 de la Revue de la Corse. Il présente, avec une grande précision ethnographique, les cérémonies qui marquent la semaine sainte dans la commune de Brando. À peu de chose près, cette description de la procession de la « cerca » et de la circumambulation appelée « granitula » qui, à Erbalunga, se double d’une croix latine, pourrait être faite encore aujourd’hui car ces coutumes sont encore très vivantes dans la pieve de Brando. Sur la transformation, ou plutôt le glissement et doublement, de la granitula en croix latine, j’avais, au début des années 1970, interrogé un ancien prieur de la confrérie de Saint-Erasme qui m’avait dit que le passage d’une figure à l’autre était destiné à rendre « plus chrétienne » la granitula. Il avait conscience en effet que la granitula plongeait ses racines dans un fonds religieux plus ancien que le christianisme.
L’abbé François-Joseph Casta a consacré à cette double dimension de la granitula un article suggestif et riche auquel je renvoie.
Enfin, nous publions ici un mémoire du comte Charles-Louis de Marbeuf, qui, après avoir participé à la conquête militaire de la Corse devait, de 1770 à sa mort, en 1786, occuper les fonctions de commandant en chef dans l’île.
Ce mémoire est daté d’octobre 1769. La première partie est consacrée aux moyens à employer pour accroître la population de l’île, en y développant l’hygiène, en mettant fin aux vendette, en y installant des colonies et en y favorisant l’implantation des travailleurs saisonniers venus de Toscane. Avec habileté et pragmatisme, et parfois même le cynisme d’un administrateur qui se voit doté des pleins pouvoirs, Marbeuf prévoit d’appliquer sa politique de colonisation en y intéressant les Corses et en s’efforçant d’intégrer pleinement à la « nation » corse les différentes « nations » qu’il se propose d’y installer. On sait que durant les seize années de son proconsulat corse, il réussit à se concilier les bonnes volontés d’une grande partie des notables corses (entre autres, Charles Bonaparte).
La deuxième partie est consacrée aux moyens de développer l’agriculture ; on y trouve des thèmes comme l’élimination du cheptel caprin (et la mise au pas des bergers) qui, sous la plume des administrateurs continentaux, parfois même relayés par des notables terriens corses perdureront tout au long du xixe siècle. On y trouve aussi l’annonce d’initiatives plus ou moins heureuses comme le développement de l’élevage des vers à soie.
En dépit des préjugés qui tiennent à ses origines sociales et à sa position, on trouve dans ce mémoire les qualités d’intelligence et le même intérêt dont Marbeuf devait faire preuve jusqu’à sa mort vis-à-vis de cette province à laquelle il avait lié son destin.
Pour en faciliter la lecture, nous l’avons transcrit, laissant simplement le fac-similé de la première page du rapport.
(Georges Ravis-Giordani)