Quatrième de couverture
Choisir la Corse comme terrain d’investigation anthropologique pose un certain nombre de préalables éthiques, méthodologiques, théoriques. Car, au fond, depuis les premiers observateurs, depuis les premiers voyageurs jusqu’aux analystes contemporains, est-on si sûr de connaître la Corse ? Les quelques choses que l’on sait d’elle ne constituent-elles pas au fond un écran de savoirs qui épaissit le mystère ? Ne sont-elles pas comme les pièces de ce puzzle dont on aimerait qu’une fois assemblé il projette l’image attendue, celle d’une cohérence soupçonnée, désirée, rassurante ? Mais le tableau final est-il réel ou simplement l’aboutissement du regard de l’observateur, un regard tout-puissant parce que bâtisseur de sens, annihilant toute scorie et toute velléité de s’écarter du commun, expurgeant tout mouvement propre à « l’objet » parce que nécessairement figé et tendant à l’instantané photographique ? La question qui se pose à l’anthropologue impétrant est ici — comme ailleurs — de nature à le renvoyer aux fondements de l’exercice même de sa discipline. Comment appréhender un positionnement vis-à-vis de cet objet tentant, sans le nier ou l’exalter ? Comment respecter la distance nécessaire et suffisante sans le détruire ou l’éloigner fatalement ? Comment voir ce qui est visible et connaître ce qui, par essence, restera invisible ? Et si le véritable commencement consistait à s’intéresser à l’anthropologie du regard anthropologique ? Voici donc un essai où la Corse — par l’intermédiaire du village de Sarrola-Carcopino — devient moteur heuristique d’une anthropologie en mouvement s’intéressant à l’infini dialogue entre l’observant et l’observé, l’analyste et son objet, curieux couple à la naissance d’une épistémologie résolument non-touristique.
Extraits
Il y a des îles dans l’île, des îles corses en Corse. Quoi de plus étonnant que la diversité domine dans une île-montagne où il est difficile de communiquer, où la modestie des centres urbains rend incomplet le réseau urbain et son espace et rivaux les différents centres de même importance… (p.56)
... lorsque deux Corses qui ne se connaissent pas se rencontrent, ils se posent l’un à l’autre deux questions : « Di quale ne site ? » (de qui êtes-vous (le parent) ?) et « D’induve ne site ? » (d’où êtes-vous ?). Être Corse, c’est d’abord appartenir à une famille et à un village ; ces deux entités en supposent une autre qui les englobe : l’île, le corps primitif. Ces trois domaines couvrent l’essentiel de ce dont le Corse a besoin pour se reconnaître comme tel. Les trois paliers s’imbriquent et se complètent si bien que chacun d’eux remplit même une certaine fonction de modèle pour les autres. Sous une perspective particulière, le village est perçu comme une famille, ainsi que l’île ; d’un autre angle, ce seront la famille et le village qui seront envisagés comme des corps primitifs. (p. 79-80)