Quatrième de couverture
Mai 1958, en Algérie, les populations attendent des pouvoirs politiques des solutions qui tardent à venir. La colère gronde et, le 13 mai, les généraux Massu, Jouhaud et Allard, s'emparent du pouvoir à Alger. C'est le putsch d'Alger. La situation est bloquée et certains réclament désormais le retour aux affaires nationales du héros de la Libération de la France, de l'homme providentiel, le général de Gaulle.
En Corse où l'on est particulièrement attentif à ce qui se passe en Algérie parce que chacun y a de la famille ou des amis, en Corse où le souvenir de l'insurrection victorieuse contre l'occupant italien est toujours vif, un appel à la constitution d'un comité de Salut public à l'instar de celui d'Alger est lancé. Et l'action musclée ne tarde pas à suivre…
Ce ralliement à la cause de l'Algérie française durera le temps d'un feu de paille, autant que dura le putsch des généraux. À partir des témoignages de l'époque, Paul Silvani retrace les grandes lignes de ce bouleversement politique éphémère. Chaque parti, chaque faction œuvrant pour sa cause, il est tentant d'y lire la fomentation de plusieurs complots, les complots d'Ajaccio…
Chronologie
13 mai 1958 – Les généraux Massu, Jouhaud et Allard s’emparent avec d’autres gradés, tel Jean Thomazo, du pouvoir à Alger. Ils ont bénéficié de l’accord ou de la connivence du général Salan et de personnalités politiques comme Roger Frey, futur ministre de l’Intérieur, Jacques Chaban-Delmas, ancien ministre de la Défense nationale – qui a délégué sur place son homme de confiance Léon Delbecque –, l’ancien président du Conseil Georges Bidault, le futur Premier ministre Michel Debré, les députés Jacques Soustelle, ancien gouverneur général de l’Algérie, Lucien Neuwirth, Jean-Baptiste Biaggi, André Morice, Pascal Arrighi, Alain Griotteray, Alain de Sérigny, directeur de L’Écho d’Alger, le président des étudiants d’Alger Pierre Lagaillarde, Alexandre Sanguinetti, Olivier Guichard, etc.
Un comité de salut public est constitué sous la présidence de Massu et de son vice-président Léon Delbecque. Le général Salan reçoit les pleins pouvoirs du Gouvernement. À Paris, où l’Assemblée nationale a voté l’investiture du nouveau président du Conseil Pierre Pflimlin, la confusion est extrême tandis que se met en place le processus d’appel au général de Gaulle, tant à Alger que dans la capitale française.
14 mai – À Ajaccio un groupe de jeunes gens animé par Ambroise Fieschi et Marien Spinosi fait tirer et diffuser en ville une circulaire du général Massu destinée aux familles de parachutistes. Elle explique les événements du 13 mai.
15 mai – Du balcon du gouvernement général, Salan, devenu chef du putsch, lance à la foule à nouveau rassemblée : « Tout ce qui a été fait ici hier montrera à la France votre détermination de rester Français et au monde qui en doute encore que l’Algérie veut rester française. Notre sincérité ramènera à nous tous les musulmans. La victoire, c’est la seule voie de la grandeur française. Je suis donc avec vous tous. Vive la France, vive l’Algérie française ! Vive le général de Gaulle ! ».
– Communiqué de de Gaulle : « Que le pays sache que je suis prêt à assumer les pouvoirs de la République ».
16 mai – À Bruxelles Pascal Arrighi prend un avion pour Madrid. À bord d’un appareil privé il se rend à Alger où il arrive le 19 mai.
17 mai – Dans la soirée Henri Maillot et Antoine Serafini vont se recueillir devant le monument aux morts d’Ajaccio. Maillot y fait acclamer le nom du général.
18 mai – Au nom de la Fédération des groupements corses d’Algérie qu’il préside, le colonel Sébastien Silvani en appelle au président de la République René Coty dans un message le suppliant d’agir afin de « mettre un terme au tragique malentendu ».
19 mai – Parti du Casone à Ajaccio, un cortège automobile en tête duquel se trouvent notamment Ambroise Fieschi et Marien Spinosi parcourt les rues en arborant des drapeaux tricolores frappés de la croix de Lorraine et des portraits du général de Gaulle.
20 mai – Nouvelle manifestation à Ajaccio, forte cette fois d’une trentaine de voitures et acclamée par de nombreux habitants massés sur les trottoirs. En tête, un portrait du général de Gaulle. Le commissaire central Louisgrand reçoit du préfet Marcel Savreux l’ordre d’empêcher toute manifestation et d’emprisonner les manifestants. Le « comité de vigilance anti-fasciste » demande au préfet le départ du commissaire.
21 mai – Sur les antennes de Radio-Alger Pascal Arrighi lance un appel aux Corses : « Il y a quinze ans, la Corse, premier département français libéré, se plaçait sous l’autorité du général de Gaulle. Les Corses se doivent de continuer cette tradition et d’être à la pointe du combat. Constituez, partout, des comités de salut public ».
– Muté à Tourcoing, Louisgrand est convoqué d’urgence au ministère de l’Intérieur. Cependant les manifestants d’Ajaccio reparaissent et défilent à nouveau, toujours plus nombreux. Henri Maillot se rend à Calvi rencontrer le capitaine Ignace Mantei, commandant du Bataillon de choc, qui lui donne son accord pour intervenir le samedi 24.
22 mai – Dans les milieux gaullistes l’effervescence gagne. On défile encore mais on attend la décision ministérielle concernant le commissaire central.
23 mai – Louisgrand est de retour à 13 heures. Ses amis l’attendent à l’aéroport.
À 21 heures les membres du futur comité de salut public d’Ajaccio se réunissent et prêtent non sans solennité le serment : « d’aller jusqu’au bout quoi qu’il arrive ». Tous sont informés de l’opération du lendemain et ils envoient, pour avoir confirmation de l’intervention des paras, un émissaire à Calvi auprès du capitaine Mantei.
24 mai – L’émissaire arrive à Calvi vers 2 heures du matin. L’accord est confirmé et il transmet l’information à ses amis restés à Ajaccio. À 5h15 l’avion parti d’Alger dépose à Santa-Catalina, près de Calvi, la « mission d’Alger » composée du commandant Bauer qui en est le responsable, d’Hubert Paldacci, Augustin Renucci et Antoine Belgodere, auxquels s’est joint Pascal Arrighi.
Mantei les informe qu’un mouvement insurrectionnel est d’ores et déjà prévu en fin d’après-midi à Ajaccio où un comité de salut public sera aussitôt constitué. Les paras se dirigent vers Ajaccio dans la matinée. Ils font halte au col de Vizzavona qu’ils quittent à 16h30. À 18h30, conduite par Henri Maillot, la manifestation quitte la place du Diamant pour la préfecture, déjà occupée par les paras, de même que la mairie et la Poste. La « mission d’Alger » les rejoint au palais Lantivy. Marcel Savreux refuse de devenir « le préfet d’Alger ». Il est envoyé sans ambages à Vizzavona dans le chalet préfectoral qu’il lui est interdit de quitter.
Les CRS que le préfet a demandés arrivent par avion spécial. Ils sont neutralisés à Campo dell’Oro par le comité de salut public. Parallèlement, les paras gagnent dans la nuit Bastia où ils occupent la sous-préfecture, comme ils l’ont fait à Calvi et Corte. Un comité de salut public est constitué à Bastia sous la double présidence de Pancho Negroni, adjoint au maire, et Joseph Mattei.
25 mai – Les paras ne peuvent investir la mairie de Bastia en raison de la résistance opposée par le premier adjoint Sébastien de Casalta et les élus républicains qui ont voté par 16 voix contre 4 une motion affirmant « l’attachement aux institutions de la République ». Ce n’est que dans la soirée que les manifestants de Bastia, en tête desquels se trouvent Léon Delbecque, Roger Frey, Alain de Sérigny et le colonel Thomazo (arrivés à Ajaccio le 24 au soir), peuvent occuper l’Hôtel de ville.
– Le colonel Thomazo est nommé commandant civil et militaire de la Corse par le général Salan. Il s’installe dès le lendemain matin dans le bureau préfectoral qu’il ne quitte que pour effectuer des tournées dans l’intérieur, y compris à Sartène où il ne lui est pas possible de faire occuper la sous-préfecture et la mairie. Ce n’est que le 29 qu’il peut télégraphier à Salan : « Hypothèque Sartène levée ».
– Le président du Conseil Pierre Pflimlin s’exprime sur les ondes de la RTF. Il admet que si « l’insubordination des Algériens était compréhensible », « la rébellion des Corses est inexcusable ».
– Jules Moch télégraphie aux préfets : « Une poignée de factieux vient d’annuler en Corse un siècle d’efforts démocratiques. Il s’agit d’une sédition criminelle menée par une poignée de militaires et de civils dont le geste rappelle les pronunciamientos sud-américains ».
27 mai – La Corse est considérée comme ralliée au mouvement d’Alger. De Paris le député Jacques Gavini exhorte à la radio ses compatriotes à « garder leur calme » et, d’Alger, le colonel Silvani réclame « au nom de l’Algérie unie et fraternelle, républicaine et française, un gouvernement de salut public avec l’Homme du 18 juin à sa tête ».
– L’Assemblée nationale lève par 423 voix contre 112 l’immunité parlementaire de Pascal Arrighi et suspend son mandat par 393 voix contre 198 « jusqu’à décision de justice ».
– De Gaulle annonce qu’il a entamé « le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ». Il précise que « dans ces conditions, toute action de quelque côté qu’elle vienne, qui risque de mettre en cause l’ordre public, risque d’avoir de graves conséquences. Tout en faisant la part des circonstances, je ne saurais l’approuver ».
– Coty pressent de Gaulle pour former le Gouvernement. Plusieurs milliers de personnes descendent dans les rues d’Ajaccio pour crier leur joie.
29 mai – 15 000 personnes manifestent de même à Bastia.
31 mai – Venu d’Alger, le colonel Silvani s’adresse aux Ajacciens.
1er juin – L’Assemblée nationale accorde par 359 voix contre 224 l’investiture du général de Gaulle. Silvani vient parler à Bastia où Thomazo tient une conférence de presse et annonce : « Quand le moment sera venu, de Gaulle viendra en Corse se rendre compte ».
– Les liaisons aériennes et maritimes entre Corse et Continent sont rétablies. Le préfet Savreux quitte secrètement Vizzavona pour Bastia où il s’embarque à bord du Cyrnos. Il est reçu à Paris par le ministre de l’Intérieur du nouveau Gouvernement qui le nomme préfet du Finistère.
13 juin – Le nouveau préfet, Guy Lamassoure, arrive à Ajaccio pour prendre son poste. Il est reçu par le colonel Thomazo et une délégation de conseillers généraux au nombre desquels le Dr Taviani, président de la commission départementale – qui déclare « nous ne pouvons approuver ce qui s’est passé à Ajaccio » –, le Dr Seta, président d’honneur du conseil général, et le Dr Mainiconi, vice-président, qui réclament la dissolution des CSP. La légalité républicaine reprend ses droits.
9 juillet – Le colonel Thomazo quitte définitivement l’île.