Le bandit corse hante le maquis sa vie durant, et les pages des livres et des journaux après sa mort.
Ses exploits, sa légende, colportés depuis des décennies, se sont polis au gré des transmissions qui exaltent les vertus supposées du réprouvé et minimisent les crimes commis. Le jeu de cache-cache mortel avec ses ennemis – au premier chef, la loi – distrait et édifie les jeunes enfants et détermine les jugements moraux sévères ou amusés des adultes.
Cette vie en marge, cette vie de « mis au ban », est le produit d’une société, avec ses codes et son histoire, ses rapports sociaux ; elle est marquée par les circonstances, la malchance en premier lieu, car on ne la choisit pas de gaîté de cœur. La précarité de l’existence, la pauvreté, les crises et les tensions politiques, les unions ratées, les vieilles rancœurs héritées, chaque événement pouvant troubler le fragile équilibre d’une vie est susceptible de faire trébucher même l’âme la plus tranquille, la destinée la plus assurée.
Le bandit, l’homme qui a trébuché, n’est pas pour autant une victime du destin. Il est celui qui a agi au nom de valeurs portées par l’ensemble de la communauté insulaire. Ne pas accomplir son crime aurait été bien pire pour lui. Il aurait perdu son honneur…
C’est souvent mû par une haute idée de l’honneur, le sien et celui de sa lignée, qu’il commet l’irréparable. Ses actes sont appréciés par son groupe familial, sur lequel ils retentissent aussi. L’honneur est une matière fragile, qui peut vous échapper, et il y a peu de l’honneur au déshonneur. Au cours de l’histoire, on constate qu’un triple motif dessine la figure psychologique du bandit corse : la notion d’honneur, celle de la solidarité du groupe familial élargi et celle du caractère propre de l’individu impliqué.
Les circonstances, l’époque, les événements politiques proches ou lointains, la transformation rapide en société « moderne » d’un univers resté de longs siècles quasiment inchangé, sont les ingrédients particuliers qui font qu’une histoire de bandit ne ressemble jamais vraiment à une autre. Car le bandit a changé au cours du temps. Il a endossé au moins quatre costumes de hors-la-loi : rebelle politique, bandit social, bandit d’honneur et enfin bandit percepteur.
La naissance du bandit corse se perd dans les limbes obscurs de l’histoire de l’île, sa fin peut être datée d’un jour de juin 1935 où la tête d’André Spada roula dans la sciure au pied de la guillotine dressée devant la prison de Bastia.
Dans ces pages, comme l’artisan recueille et place une à une des pierres colorées sur sa mosaïque, nous avons voulu mettre en évidence toutes ces facettes, toutes ces traces venues du passé, tous ces événements extraordinaires – au moins pour ceux qui les vécurent –, dans l’espoir d’obtenir, à la fin, un tableau authentique de la figure du bandit corse à travers les âges.
Grandeur ou misère ? Que chacun puisse, à la lecture de cet ouvrage, décider ce qu’il en fut pour les hors-la-loi de Corse.
Table des matières
Avant-propos – Grandeur ou misère
I. On ne naît pas bandit
Crimes et banditismes
De quel droit ?
En Méditerranée et ailleurs
I vicini sò cucini
Anthropologie criminelle du bandit corse
L’évolution du banditisme en Corse
Des racines anciennes
Se défendre, se faire justice
Les mutations du XIXe siècle
Bandit percepteur vs bandit d’honneur
Du bandit au truand
L’honneur en question
Les mots pour désigner les maux
Justice privée
La vendetta « pour l’honneur »
Crime et politique
Mettre un terme à la vendetta
Pourquoi je suis devenu bandit…
Parole d’honneur, paroles de bandits
Portraits de bandits
Bandits du XIXe siècle
Bandits du XXe siècle
Géographie criminelle
Bocognano, haute vallée de la Gravona
Fiumorbu
Cinarca et Vicolais
Taravu et Sartenais
Balagna et Niolu
Les voies de l’exil
II. La vie de bandit
L’école du meurtre
Di tutte e mamme…
Déclaration de guerre et rimbeccu
Mille raisons, mille façons de tuer un ennemi
Terroriser
L’orgueil du bandit
Prendre et tenir le maquis
Une vie de misère
Le maquis
S’échapper, fuir, se cacher…
Tuer pour survivre
Constituer des bandes
S’entourer de complices et soutiens
Armes en tous genres
Chiens de bandit
Bandit et société
La religion
Le métier de bandit
La politique
Rencontres avec le bandit
Apparition
Sociabilité
Femmes et bandits
III. La fin du bandit
Rendre des comptes
La société contre les bandits
Les journaux, une voix ambiguë
La presse nationale à sensation
La presse corse
L’Église aux prises avec le crime d’honneur et le banditisme…
Quelles mesures de justice ?
La gendarmerie, l’ennemie jurée
La chasse au bandit
Méthodes et moyens s’améliorent
Ruses, poursuites et embuscades
Novembre 1931, l’expédition militaire
Rendre les armes
Punir
Procès de bandits
Les peines : prison et bagne
Derniers moments
La mort « au combat »
La guillotine
Les bandits ne meurent jamais
IV. Bandit, un « type » corse
La popularité du bandit
Un héros de légende
En poésies et en chansons
En carte postale, le bandit s’exporte
Faux et usages de faux
Objet médiatique
Hier, une « réalité »
Un fantasme pour touristes
Un imaginaire fertile
Le poids de Colomba
Une figure de roman
Rôles de bandits
Le bandit dessiné
À l’étranger aussi…
Conclusion – Entre horreur et honneur, le bandit corse